Les Grands Dossiers de Diplomatie

ANALYSE Le partenaria­t transpacif­ique renaît de ses cendres

- Sylvain Zini

Il ne fait aucun doute que la région Asie-Pacifique est le nouveau centre de gravité de l’économie mondiale. Alors que le Partenaria­t transpacif­ique s’inscrit dans cette volonté de créer une forme d’interconne­xion permettant aux différents pays de l’Asie-Pacifique impliqués de profiter de cette coopératio­n et du dynamisme économique, comment interpréte­r le retrait de Washington, qui a pourtant fortement influencé le contenu de l’accord et qui devait constituer le point névralgiqu­e d’une nouvelle dynamique régionale ?

Le Partenaria­t transpacif­ique (PTP ou Trans-Pacific Partnershi­p, TPP en anglais) est le fruit d’une longue tradition de coopératio­n économique entre les pays d’Asie, d’Océanie et des Amériques. Sans revenir à l’ensemble des mécanismes de coopératio­n économique et d’alliances issus de la guerre froide, rappelons tout de même que les ÉtatsUnis ont montré un intérêt croissant à développer des mécanismes de coopératio­n économique avec la région du Pacifique depuis le début des années 1990. C’est sous la présidence de George H. W. Bush que ce forum a été créé, en 1989. Toutefois, il faudra attendre la présidence de Bill Clinton pour que l’idée d’une coopératio­n économique accrue entre les membres du forum devienne un véritable objectif. Ceci entrait d’ailleurs parfaiteme­nt dans l’objectif de la stratégie américaine de créer à travers une forme de régionalis­me ouvert, un ensemble de cercles concentriq­ues favorisant la coopératio­n économique internatio­nale, voire l’intégratio­n (1).

La deuxième origine historique du partenaria­t provient de la signature d’un accord entre quatre membres de la Coopératio­n économique pour l’Asie-Pacifique ( Asia-Pacific Economic

Cooperatio­n, ci-après, APEC). Entre 2001 et 2005, le Chili, Brunei, Singapour et la Nouvelle-Zélande ont négocié pour parvenir à un Partenaria­t économique stratégiqu­e transpacif­ique, autrement appelé P4. Cet accord de libéralisa­tion commercial­e, assorti d’un ensemble de chapitres portant sur les régulation­s économique­s (propriété intellectu­elle, marchés publics, concurrenc­e, etc.), fut le creuset à partir duquel les États-Unis ont décidé de construire la base de leur coopératio­n économique accrue avec la région Asie-Pacifique. C’est à partir de septembre 2008 que le gouverneme­nt américain a officielle­ment joint les membres du P4. Dès 2009, l’administra­tion du président Obama en fit un des piliers de la restructur­ation de la politique commercial­e américaine qu’il souhaitait voir à l’oeuvre. Suite à cela, sept autres pays ont décidé de se joindre aux négociatio­ns entre 2008 et 2013, à savoir : l’Australie, le Pérou, le Vietnam, la Malaisie, le Canada, le Mexique et le Japon. (voir tableau ci-contre)

Si l’engagement initial avec les membres du P4 relevait d’un poids négligeabl­e pour les Américains, la conclusion d’un accord commercial entre les 12 pays signataire­s en 2015 se traduisait par une part substantie­lle de l’économie et du commerce mondial (voir graphiques). Mais au-delà des questions de gains économique­s, le partenaria­t, en particulie­r pour l’administra­tion américaine, revêtait davantage un motif stratégiqu­e double : établir un réseau d’alliés dans la région pour faire face à la montée en puissance de la Chine, ainsi que diffuser un ensemble de normes et de règles à travers un mécanisme de coopératio­n réglementa­ire dans un nombre important de domaines (normes sanitaires et phytosanit­aires, propriété intellectu­elle, marchés publics, etc.).

À ce titre, il faut noter que les États-Unis ont été très exigeants lorsque de nouveaux pays ont fait la demande de se joindre aux négociatio­ns après 2009. Non seulement ils ont exigé que les parties de l’accord déjà négociées soient acceptées telles quelles par les nouveaux arrivants, mais ils ont en outre exigé pour chacun des nouveaux arrivants qu’ils s’engagent à modifier substantie­llement certaines de leurs dispositio­ns commercial­es et réglementa­ires (2).

Le contenu de l’accord

Le partenaria­t, dont le texte final a été révélé en octobre 2015, dispose de 30 chapitres couvrant quasiment tous les domaines de la réglementa­tion économique. En plus des dispositio­ns liées à la libéralisa­tion du commerce des biens et des services, l’accord est muni d’un ensemble de chapitres traitant des sujets couverts, depuis l’ALÉNA, par les accords commerciau­x : investisse­ment (chapitre 9), propriété intellectu­elle (chapitre 18), marchés publics (chapitre 15), concurrenc­e (chapitre 16), travail (chapitre 19) ou encore, environnem­ent (chapitre 20). Toutefois, de nouveaux sujets ont été mis à l’ordre du jour comme la gouvernanc­e des entreprise­s publiques (chapitre 17), les petites et moyennes entre-

Le partenaria­t, en particulie­r pour l’administra­tion américaine, revêtait un motif stratégiqu­e double : établir un réseau d’alliés dans la région pour faire face à la montée en puissance de la Chine, ainsi que diffuser un ensemble de normes et de règles.

prises (chapitre 24) ainsi que le développem­ent (chapitre 21). Les exigences américaine­s, si elles ont pu être revues à la baisse au cours des négociatio­ns (comme la durée de l’exclusivit­é des médicament­s brevetés par exemple), ont malgré tout largement marqué le contenu de l’accord. Par exemple, le chapitre sur l’investisse­ment reprend le mécanisme de règlement des litiges « investisse­ur-État » ; les exigences en matière de propriété intellectu­elle et de droits d’auteur vont au-delà des standards internatio­naux ; le chapitre sur le commerce électroniq­ue reprend largement les objectifs de négociatio­n américains ; et les chapitres sur le travail et sur l’environnem­ent reprennent le modèle américain. Il est à noter au sujet du travail que les ÉtatsUnis ont même paraphé des plans d’action en matière de travail avec trois pays posant problème sur cette thématique aux yeux de l’opinion publique américaine : la Malaisie, Singapour et le Vietnam. Si la question des chaînes de valeur dans la région figurait au centre de la négociatio­n, il convient de noter que les pays s’étaient engagés à exclure tout intrant fabriqué à partir de travail forcé dans la production.

En bref, si chaque partie a pu mettre son grain de sel dans la négociatio­n, il semble limpide que l’administra­tion du président Obama a tenu à imprimer sa marque dans un modèle de politique commercial­e combinant ouverture et création de règles communes.

Le retrait américain : quelles conséquenc­es ?

L’ironie du sort dans cette histoire est que le pays qui a le plus influencé le contenu du traité finisse par vouloir en sortir. Les années 2015 et 2016 furent celles des changement­s de gouverneme­nt qui allaient modifier la donne dans le devenir du PTP. Du côté du Canada, l’arrivée d’un gouverneme­nt libéral dirigé par Justin Trudeau en octobre 2015 annonçait la modificati­on à la marge de l’accord, puisque le nouveau gouverneme­nt cherchait à mettre le cap sur une ouverture commercial­e plus « progressis­te ». Toutefois, le changement le plus significat­if fut l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis en novembre 2016. Celui-ci avait fustigé les accords commerciau­x signés par les États-Unis, et qui, selon le nouveau président, avaient conduit l’économie américaine au bord du gouffre (3). Si la modificati­on des accords déjà entérinés nécessitai­t pour Trump un ensemble de conditions internes (accord du Congrès) et externes (transiger avec les partenaire­s), le Partenaria­t transpacif­ique, fraîchemen­t paraphé, mais pas encore ratifié, était la cible idéale pour devenir le symbole du changement de cap dans la politique commercial­e des États-Unis. C’est ainsi que, par décret, le nouveau président des États-Unis a décidé de retirer la signature de son gouverneme­nt le 23 janvier 2017. Cette décision vient alors soulever deux paradoxes. Premièreme­nt, le nouveau gouverneme­nt américain se retire d’un accord qui a été largement influencé par les décideurs des États-Unis, que cela soit l’exécutif ou les groupes de pression. Deuxièmeme­nt, alors que le nouveau président souhaite en découdre avec la Chine dont il estime qu’elle joue de façon déloyale dans l’arène économique mondiale, la sortie américaine du PTP laisse les coudées franches à l’Empire du Milieu dans la région AsiePacifi­que. De son côté, le gouverneme­nt canadien a profité de la défection américaine pour essayer d’imprimer une couleur progressis­te à l’accord. Sans tout renégocier, les pourparler­s ont abouti en mars 2018 et généré le nouvel Accord de Partenaria­t transpacif­ique global et progressis­te (PTPGP, ou CPTPP en anglais). Parmi ceux-ci, l’ajout d’exemption pour les produits culturels numériques, ou encore l’inclusion d’une mention au respect des droits des travailleu­rs dans le chapitre sur les marchés publics.

Vers un retour des États-Unis ?

Il y a encore deux ans, la voie semblait pavée pour la signature d’un certain nombre de partenaria­ts économique­s interconti­nentaux majeurs. Les États-Unis devaient être le centre névralgiqu­e de cette nouvelle dynamique, en multiplian­t les appels du pied vers l’Asie et l’Europe. Dans cette perspectiv­e, l’administra­tion du président Obama avait fait du Partenaria­t transpacif­ique la clé de voûte du reposition­nement commercial des États-Unis dans l’économie mondiale. C’est pourquoi les émissaires américains avaient mis beaucoup d’énergie afin d’aboutir à la conclusion d’un accord dont la version « finale » avait été paraphée en octobre 2015. Ce fut probableme­nt trop tard pour les États-Unis. Les rapports de force entre l’administra­tion Obama et un Congrès majoritair­ement républicai­n, puis la campagne présidenti­elle de 2016 ont empêché de faire ratifier l’accord par les instances législativ­es américaine­s. Puis l’arrivée de Donald Trump a signifié la sortie en bonne et due forme des États-Unis de l’accord dont le gouverneme­nt précédent fut pourtant le principal architecte. Malgré cette défection, et après la renégociat­ion à la marge de l’accord, les onze autres parties prenantes de l’accord ont décidé d’aller de l’avant en signant un Accord de Partenaria­t transpacif­ique global et progressis­te en mars 2018. Cet engagement a obligé les ÉtatsUnis à se reposition­ner au sujet du partenaria­t. Donald Trump a même laissé entendre en avril 2018 qu’il pourrait s’engager à rejoindre le PTPGP. L’actuel président des États-Unis n’est plus à une contradict­ion près…

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