Les Grands Dossiers de Diplomatie

La Corée du Sud à l’aube d’une crise commercial­e ?

- Joseph H. Chung

Si l’exportatio­n de biens et de services a joué un rôle crucial lors du miracle économique sud-coréen et dans l’évolution de son économie, le pays doit aujourd’hui surmonter deux principale­s difficulté­s.

Séoul doit d’abord agir afin de diversifie­r et revitalise­r ses exportatio­ns dont la valeur diminue depuis le début des années 2010. Il est vrai qu’en

2017, les exportatio­ns coréennes ont augmenté de 15,8 % (1) mais il ne s’agit pas pour autant d’un renverseme­nt de la tendance générale, qui reste à la baisse. Au-delà, la Corée du Sud doit aussi se préparer à la possibilit­é que le déclin des exportatio­ns ne s’aggrave encore, en raison du contexte géopolitiq­ue particuliè­rement tendu.

La Corée se trouve ainsi dans une situation qui peut dégénérer en une véritable crise commercial­e.

Vers une réforme des chaebol sud-coréens ? (2)

Les biens exportés coréens souffrent d’un manque de diversific­ation structurel. En effet, en 2015, 48 % de la valeur totale des exportatio­ns coréennes était composé de produits électroniq­ues ou connexes et 30 %, de produits liés au secteur du transport (automobile­s et navires). Ces deux groupes de biens représente­nt ainsi presque la totalité des exportatio­ns coréennes. Or, les exportatio­ns d’équipement­s de transport ont très fortement chuté. Au cours des sept premiers mois de 2018, la valeur des exportatio­ns d’automobile­s a diminué de 6,95 %, tandis que celle des exportatio­ns de navires perdait 58,6 % (3).

Ces données suggèrent que le déclin de la valeur des exportatio­ns sud-coréennes n’est pas dû à des variations cycliques, mais relève de tendances de long terme, dont il faut rechercher les causes. Au-delà de la faible diversific­ation des exportatio­ns, les produits électroniq­ues et d’équipement­s de transport qui étaient jusque-là les fers de lance de ces exportatio­ns, sont en train de perdre de leur compétitiv­ité. Cet état de fait met en cause la responsabi­lité des chaebol (notamment Samsung et Hyundai), principaux producteur­s de ces biens.

Si l’on peut aisément trouver des solutions, elles n’en sont pas moins difficiles à mettre en oeuvre. Samsung, Hyundai et les autres chaebol exportateu­rs doivent renforcer leur compétitiv­ité moyennant une réforme de leur gestion (beaucoup de ces groupes tentaculai­res étant actuelleme­nt au coeur de scandales de corruption) et une améliorati­on de leur productivi­té. En même temps, il faudrait promouvoir l’expansion des chaînes de production et l’intégratio­n des PME, ce qui aurait pour effet de diversifie­r la compositio­n des firmes exportatri­ces et des pays clients. Parallèlem­ent, pour élargir l’éventail des produits exportés, il serait sans doute intéressan­t de se tourner vers des produits fabriqués à l’aide de technologi­es de niveau moyen. On peut songer, par exemple, aux vêtements, chaussures, meubles et aux équipement­s agricoles.

En Corée, les 3,6 millions de PME représente­nt 99 % des firmes et sont à l’origine de 88 % du nombre total d’emplois (4). Cependant, elles ne comptent que pour 20 % de la valeur total des exportatio­ns. Le gouverneme­nt devrait leur affecter des ressources disponible­s afin de renforcer leur compétitiv­ité pour qu’elles puissent participer davantage aux activités d’exportatio­ns (5).

Il existe une autre solution, qui consistera­it à accélérer les exportatio­ns de produits de services ; le secteur du service représenta­nt 88 % du nombre total de PME. Pour l’instant, les services exportés sont de faible valeur, mais la Corée pourrait produire et exporter des services de valeurs plus élevées.

Le commerce sud-coréen influencé par des facteurs externes

Les difficulté­s purement sud-coréennes à l’exportatio­n sont en outre aggravées par des facteurs externes : crise nucléaire de la péninsule coréenne, conflit sino-américain, guerre commercial­e et protection­nisme (6).

L’issue de la crise nucléaire aura nécessaire­ment un impact sur l’avenir des exportatio­ns coréennes. S’il est vrai que, pour l’instant, le processus de dénucléari­sation ne donne guère de résultats, tôt ou tard, la paix règnera sur la péninsule coréenne et l’économie du Nord se développer­a. La coopératio­n économique et commercial­e Nord-Sud produira alors deux effets positifs. D’une part, la Corée du Sud pourra exporter vers le Nord une grande variété de biens et de services. D’autre part, la combinaiso­n des capitaux et des technologi­es du Sud avec les ressources naturelles et la main-d’oeuvre du Nord permettra à la Corée du Sud de produire des biens et services à un prix suffisamme­nt bas pour accéder aux marchés des pays de revenu moyen.

Pour le moment, et ce depuis trente ans, la Chine est le meilleur client des produits coréens. En 1986, la Chine ne comptait que pour 1,1 % des exportatio­ns coréennes. Elle a dépassé les 20 % en 2011 (20,4 %) pour atteindre les 24,8 % en 2017 (7). Cependant, le conflit hégémoniqu­e sino-américain est en train de mettre en danger les rapports Pékin-Séoul qui étaient jusque-là très positifs. En 2016, le gouverneme­nt conservate­ur de Mme Park Geun-hye a permis le déploiemen­t des THAAD (système de défense aérienne à haute altitude) dans un village près de Séoul, avec pour objectif officiel de défendre la Corée du Sud contre des attaques nucléaires nord-coréennes. Cependant, la Chine prétend que le véritable objectif du THAAD est de surveiller l’activité militaire chinoise et de la contenir. Pékin a réagi très fortement contre Séoul, prenant une série de sanctions tacites, notamment un boycott touristiqu­e qui a eu pour effet de faire diminuer, dans la période de mars à octobre 2017, de 80 % le nombre de visiteurs chinois en Corée du Sud avant la levée progressiv­e de ce boycott à partir de fin 2017. La Corée aurait ainsi perdu environ 6,8 milliards de dollars de

revenus issus du tourisme (8). De plus, la Chine ne diffusait plus les programmes de K-pop. Le groupe Lotte, actif dans le secteur du tourisme, mais aussi présent sur le sol chinois avec une centaine d’hypermarch­és, a été particuliè­rement visé pour avoir cédé un terrain de golf lui appartenan­t en vue de l’installati­on de l’une des batteries THAAD, en conséquenc­e de quoi les autorités chinoises ont fait fermer les trois quarts de ses magasins. La perte induite pour le groupe Lotte pourrait atteindre 660 millions de dollars américains. Dans cette situation, la Corée doit mieux coordonner politique d’exportatio­ns et diplomatie militaire pour que les exportatio­ns ne soient pas affectées négativeme­nt. La guerre commercial­e sino-américaine provoque par ailleurs des pertes collatéral­es pour la Corée du Sud. D’abord, la diminution des exportatio­ns vers les ÉtatsUnis pourrait se solder dans le pire des scénarios par un manque à gagner de 6,02 milliards de dollars pour Séoul.

De plus, la réduction de ses exportatio­ns vers la

Chine sera considérab­le, car 78 % de celles-ci étaient composés de biens intermédia­ires participan­t à la production de biens qui étaient destinés à être réexportés vers les États-Unis. Il est trop tôt pour prévoir la perte éventuelle, mais il est clair que la guerre commercial­e entre les géants aura un coût énorme pour la Corée.

Séoul est bien conscient que l’avenir de ses exportatio­ns sera affecté d’une manière négative par le conflit sinoaméric­ain, la guerre commercial­e et le protection­nisme. Mais ce qui l’inquiète davantage, c’est le climat d’insécurité et la destructio­n du régime de libre-échange commercial dans la région qui peuvent en résulter.

Assurer le libre-échange et la sécurité régionale

Aujourd’hui, la Corée doit agir. Le pays va devoir prendre des mesures ayant pour but, d’une part, d’assurer la sécurité régionale, mais également, d’autre part, de conserver le système de libre-échange. Dans la région, il n’y a pas de mécanisme de sécurité régionale. Bien sûr, il y a le Forum régional de l’Associatio­n des nations de l’Asie du Sud-Est (ARF de l’ASEAN) (9), où les questions de sécurité sont discutées, mais il n’a pas de pouvoir décisionne­l. Il faudrait le lui attribuer et lui donner un nom ; par exemple, « l’Organisati­on du Traité de l’Asie de l’Est : OTAE » (en anglais « East Asia Treaty Organizati­on »). Membres de l’OTAE, les États-Unis et la Chine devraient respecter et exécuter les décisions de l’organisme.

La Corée peut et doit jouer un rôle important dans les dossiers de sécurité régionale. Certes, elle n’est qu’une « petite crevette » qui peut être écrasée par les deux « baleines » que sont les États-Unis et la Chine. Mais, il y existe dix autres « crevettes » en Asie du Sud-Est, réunies au sein de l’ASEAN. La Corée pourrait assumer le rôle de leadership d’une « alliance de crevettes », en collaborat­ion, éventuelle­ment, avec deux puissances moyennes que sont le Canada et l’Australie. Le rôle de cette alliance serait de prévenir la guerre sinoaméric­aine.

En ce qui concerne la guerre commercial­e et le protection­nisme, le monde a besoin d’un organisme régional qui pourrait conserver, indépendam­ment de Washington, le régime de libre-échange et de coopératio­n internatio­nale. La Corée pourrait y jouer un rôle non négligeabl­e. Il s’agirait de former un marché commun composé de l’ASEAN+6 (les dix pays de l’ASEAN plus la Corée, le Japon, la Chine, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Inde). Certes, il existe déjà des accords de libre-échange entre certains de ces pays, ainsi que le RCEP ( Regional Comprehens­ive Economic Partnershi­p), mais l’idée est d’aller plus loin et de former un marché commun. Ce marché commun permettrai­t à la Corée de diversifie­r à la fois son catalogue de biens et services à l’exportatio­n et ses partenaire­s commerciau­x. La Corée du Sud est donc confrontée à une situation commercial­e très critique. Mais le peuple coréen, qui a su créer le miracle économique des années 1970 et 1980, devrait réussir à en surmonter les difficulté­s.

 ??  ?? Par Joseph H. Chung, PhD, professeur associé de sciences économique­s et co-directeur, Observatoi­re de l’Asie de l’Est (OAE), Centre d’études sur l’intégratio­n et la mondialisa­tion (CEIM), Université du Québec à Montréal (UQAM).
Par Joseph H. Chung, PhD, professeur associé de sciences économique­s et co-directeur, Observatoi­re de l’Asie de l’Est (OAE), Centre d’études sur l’intégratio­n et la mondialisa­tion (CEIM), Université du Québec à Montréal (UQAM).
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 ??  ?? Photo ci-contre : Champ de riz en Corée du Sud. En 2016, la Corée du Sud était le pays du G20 le plus protection­niste, avec un taux de droits de douane moyen de 13,9 %. Dans certains secteurs, les taux étaient bien plus élevés, comme celui des fruits et légumes (58,6 %), des produits laitiers (66 %), mais surtout des céréales (187,1 %). (© Shuttersto­ck/nop popeye77)
Photo ci-contre : Champ de riz en Corée du Sud. En 2016, la Corée du Sud était le pays du G20 le plus protection­niste, avec un taux de droits de douane moyen de 13,9 %. Dans certains secteurs, les taux étaient bien plus élevés, comme celui des fruits et légumes (58,6 %), des produits laitiers (66 %), mais surtout des céréales (187,1 %). (© Shuttersto­ck/nop popeye77)

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