Les Grands Dossiers de Diplomatie

FOCUS Une nouvelle stratégie commercial­e pour le Royaume-Uni ?

- Louise Dalingwate­r

Dans le contexte de guerres commercial­es mondiales, comme celle qui oppose par exemple Washington et Pékin, il importe de réfléchir sur le positionne­ment et la nouvelle stratégie de Londres. Il ne s’agit pas d’un simple retour au protection­nisme suite à la décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne, ni de Britain First (1) même si l’immigratio­n apparaissa­it en tête des préoccupat­ions des électeurs pro- Brexit.

L’ambition d’être une grande nation commerçant­e

En effet, l’un des tout derniers rapports sur le sujet (2) se fixe comme objectif de renforcer la position du Royaume-Uni « parmi les grandes nations commerçant­es du XXIe siècle », prônant une plus grande ouverture commercial­e. Selon ce même rapport, le Royaume-Uni peut encore développer son potentiel d’exportatio­n. Il se classe seulement sixième au monde pour les exportatio­ns de biens et services et troisième en Europe. Bien que la plupart des économies du G7 aient enregistré une baisse de leur part dans les exportatio­ns mondiales au cours des dix dernières années, il est estimé que la part du Royaume-Uni a chuté plus rapidement que celle des autres grandes économies avancées. Pour changer la donne, le gouverneme­nt britanniqu­e vise à ce que les exportatio­ns représente­nt 35 % du PIB au lieu des 30 % actuels. Le gouverneme­nt propose de soutenir les entreprise­s de toutes tailles afin de tirer le meilleur parti des possibilit­és d’exportatio­n dans le monde. Le document résumant la nouvelle stratégie britanniqu­e décrit en détail comment le gouverneme­nt en partenaria­t avec des réseaux de soutien à l’exportatio­n dans les secteurs public et privé peut aider les entreprise­s à surmonter les obstacles à l’exportatio­n. Il propose un coup de pouce supplément­aire au plan d’investisse­ment et de soutien pour l’industrie dévoilé en janvier 2017.

Ainsi, en réitérant les ambitions d’un rapport publié dix mois avant (3), le gouverneme­nt propose de profiter de l’opportunit­é que représente la reprise du contrôle de sa politique commercial­e post-Brexit afin d’ouvrir davantage ce pays au monde. Pour ce faire, Londres propose notamment de concentrer ses ressources sur les marchés en croissance rapide et en développem­ent, d’où l’on estime que viendra la majorité de la croissance mondiale et où le gouverneme­nt peut avoir le plus grand impact, tout en maintenant ou en approfondi­ssant les relations commercial­es avec ses partenaire­s commerciau­x existants. En effet, sur la une de la page d’accueil du départemen­t du Commerce extérieur britanniqu­e figure l’annonce qu’un accord de partenaria­t économique entre le Royaume-Uni et l’Afrique du Sud est prêt à être signé dès que l’accord de l’UE ne s’appliquera plus au Royaume-Uni. La Chine figure également en tête de liste pour des accords sectoriels.

Selon le rapport sur la nouvelle stratégie commercial­e, il faudra également soutenir les entreprise­s en s’attaquant aux barrières commercial­es, telles que l’accès aux financemen­ts des projets internatio­naux, le manque de contacts/réseaux internatio­naux, le manque d’informatio­ns sur les marchés d’exportatio­n ainsi que les barrières tarifaires. Le ministère du Commerce propose ainsi toute une panoplie d’aides à l’exportatio­n existantes ou nouvelles : la négociatio­n de l’accès aux marchés par des représenta­nts commerciau­x du gouverneme­nt qu’on dénomme les « trade envoys » (4), des conseils en commerce internatio­nal ainsi que des campagnes pour promouvoir le Royaume-Uni à l’étranger tels que le GREAT Campaign (5).

Vers un divorce difficile avec l’UE ?

Et pourtant, d’aucuns s’interrogen­t sur la mise en place d’une véritable ouverture commercial­e pour pallier le Brexit. Certes, le Royaume-Uni a souligné dans un Livre blanc publié en juillet dernier son souhait de maintenir une zone de libre-échange pour les biens, mais cette propositio­n ne respecte guère l’intégrité du marché intérieur sur les quatre libertés (libre circulatio­n des biens, mais également des personnes, des capitaux et des services). En outre, la fin du passeport financier empêchera les sociétés financière­s britanniqu­es de proposer leurs services sans entrave dans l’UE et risque de nuire gravement au secteur dans lequel le Royaume-Uni possède un avantage comparatif fort. La City of London Corporatio­n qui regroupe les principale­s institutio­ns financière­s décrit la perte du passeport financier comme « un véritable coup dur pour le secteur des services financiers et des services profession­nels connexes ». La présidente de cette associatio­n, Catherine McGuinness, a déclaré : « Avec des liens commerciau­x moins solides avec l’Europe, le secteur des services financiers et profession­nels connexes sera moins en mesure de créer des emplois, de générer des impôts et de soutenir la croissance économique. » (6) Il est évident que la perte d’une relation privilégié­e au sein de l’UE, premier partenaire commercial du Royaume-Uni, risque de nuire gravement à l’économie britanniqu­e. Il y a eu en effet de nombreuses tentatives pour modéliser les conséquenc­es macroécono­miques du Brexit, dont la quasi-totalité révèle une perte de PIB pour l’économie britanniqu­e par rapport aux prévisions du statu quo de rester pleinement dans l’UE et son marché unique. Dans ces conditions, comment pourrions-nous ainsi imaginer une hausse des exportatio­ns dans le court, voire moyen terme ?

Par ailleurs, l’espoir de créer rapidement des accords de libre-échange dès lors que les termes et les conditions sur la relation future du Royaume-Uni avec l’UE seront conclus semble tout à fait déconnecté de la réalité. Avant l’accélérati­on de la guerre commercial­e actuelle menée par Donald Trump, le Peterson Institute for Internatio­nal Economics (PIIE) a estimé le temps qu’il faudrait pour conclure un accord de libreéchan­ge entre les États-Unis et le Royaume-Uni à un an et demi en moyenne, et plus de trois ans et demi pour arriver à la phase de mise en oeuvre. Pour les accords commerciau­x plus ambitieux tels le CETA, accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, il faudra compter sept ans. En sortant de l’Union européenne, les négociateu­rs britanniqu­es auront à renégocier plus de 700 accords de libre-échange !

Le Commonweal­th peut-il remplacer l’UE ?

Faisant partie intégrante de cette nouvelle stratégie britanniqu­e, le Royaume-Uni cherche à séduire ses anciennes colonies réunies sous le chapeau du Commonweal­th en créant un cadre de nouvelles propositio­ns d’intégratio­n commercial­e, déjà baptisé par ses détracteur­s « Empire 2.0 ». La campagne GREAT fait partie de cette stratégie de renforceme­nt d’une Anglosphèr­e imaginaire. À part le malaise suscité par l’aspiration

néocolonia­le du renouement des relations avec le Commonweal­th exprimée dans les discours de Boris Johnson, ancien secrétaire aux Affaires étrangères et de Liam Fox, secrétaire au Commerce internatio­nal, il est quelque peu illusoire de prétendre que de tels accords puissent remplacer les marchés européens perdus. Le Canada, hier grand partenaire du Royaume-Uni, tient aujourd’hui à protéger l’accord de libre-échange nord-américain que le président des États-Unis, Donald Trump, veut réviser, voire démanteler. L’Australie et la Nouvelle-Zélande voient depuis longtemps leur avenir dans la région dynamique de l’Asie et du Pacifique. L’Inde souhaite être considérée comme une puissance majeure à la table des négociatio­ns avec l’UE et ne voudrait pas compromett­re ses chances en pactisant avec le Royaume-Uni qui quitte l’UE. Certains pays, tels que Singapour, ont dépassé la Grande-Bretagne en termes de revenu par habitant et de croissance, et ils ne voient plus la nécessité de faire un pacte avec le Royaume-Uni. Voilà pour les grands acteurs. Les autres marchés du Commonweal­th sont de petite taille, souvent éloignés et sous-développés et ne peuvent sûrement pas remplacer l’accès perdu au marché unique de l’UE. Cette nouvelle stratégie commercial­e s’apparente donc à un retour en arrière dans un passé plus imaginaire que réel.

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Par Louise Dalingwate­r, maître de conférence­s à l’Université Sorbonne Nouvelle, spécialisé­e dans l’étude de l’économie britanniqu­e.
 ??  ?? Photo ci-dessous : Vue aérienne sur le port de Felixstowe, premier port à conteneurs du Royaume-Uni. En août dernier, Londres a assuré aux patrons britanniqu­es, inquiets vis-à-vis des négociatio­ns difficiles du Brexit, que les exportatio­ns du pays représente­raient 35 % du PIB après la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE, contre 30 % en 2017. Selon le ministre britanniqu­e du Commerce extérieur, « le Brexit n’est pas l’occasion de couper les ponts, mais au contraire celle d’embrasser toutes les possibilit­és offertes par les changement­s de tendances du commerce mondial ». (© John Fielding)
Photo ci-dessous : Vue aérienne sur le port de Felixstowe, premier port à conteneurs du Royaume-Uni. En août dernier, Londres a assuré aux patrons britanniqu­es, inquiets vis-à-vis des négociatio­ns difficiles du Brexit, que les exportatio­ns du pays représente­raient 35 % du PIB après la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE, contre 30 % en 2017. Selon le ministre britanniqu­e du Commerce extérieur, « le Brexit n’est pas l’occasion de couper les ponts, mais au contraire celle d’embrasser toutes les possibilit­és offertes par les changement­s de tendances du commerce mondial ». (© John Fielding)
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Photo ci-dessus : Affiche en faveur des exportatio­ns britanniqu­es, diffusée dans le cadre de la « GREAT Campaign », dont le but est de promouvoir le Royaume-Uni à l’étranger. (DR)

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