Les Grands Dossiers de Diplomatie

ENTRETIEN L’intelligen­ce économique, nerf de la guerre économique

- Entretien réalisé par Thomas Delage le 5 septembre 2018

Pouvez-vous commencer par définir en quoi consiste l’intelligen­ce économique ?

N. Moinet : L’intelligen­ce économique (IE) est une dynamique collective qui vise à gagner en agilité par un usage stratégiqu­e de l’informatio­n. Ses mots-clés sont : renseignem­ent ouvert (veille et management des connaissan­ces), sécurité économique et influence. Il s’agit donc d’un sport d’équipe et, à l’instar du football ou du rugby, l’objectif est de marquer des points en faisant circuler le ballon – pardon, l’informatio­n – dans un jeu d’attaque-défense où la force et la ruse sont tout aussi importante­s. « Intelligen­ce » doit être comprise ici dans son sens originel, à savoir lire entre les lignes (en latin inter-legere), comprendre (le dessous des cartes) en recueillan­t et en assemblant (en grec lego) mais aussi surprendre (l’intelligen­ce rusée de la déesse Métis). Un sens gardé par les Anglo-Saxons, qui parlent depuis longtemps d’Intelligen­ce Service et, dans le domaine économique, de Business ou de Competitiv­e Intelligen­ce. L’IE est donc bien une culture du renseignem­ent, dans le sens où il s’agit de fournir aux décideurs des connaissan­ces opérationn­elles à haute valeur ajoutée. Mais elle ne se confond aucunement avec l’espionnage, qui appelle des méthodes illégales de recueil d’informatio­ns. Qui produit de l’intelligen­ce économique ? Certains acteurs sont-ils plus essentiels ou stratégiqu­es que d’autres ?

Tous les acteurs qui font partie du jeu économique peuvent mettre en oeuvre des stratégies d’intelligen­ce économique. En premier lieu les entreprise­s, les cabinets privés et, bien entendu, les États avec leurs services spécialisé­s. Mais n’oublions pas un second cercle qui voit son influence grandir dans un monde ouvert où la norme et l’influence deviennent majeures : les territoire­s (Régions notamment), les médias, les ONG et associatio­ns engagées ainsi que les citoyens « consom-acteurs », vigies et parfois même lanceurs d’alerte. Un seul homme n’a t-il pas réussi à faire trembler Monsanto ?

Quelles sont les différente­s méthodes pour obtenir les informatio­ns ?

Question méthode, et pour faire simple, disons que les informatio­ns s’obtiennent de deux manières, formelle ou informelle. De manière formelle, en lisant la presse, en consultant des banques de données, des rapports internes ou en lançant des requêtes sur des moteurs de recherche (on parle de sources ouvertes et d’informatio­ns « blanches »). Sans oublier les réseaux sociaux, qui offrent des pépites à qui sait les exploi-

ter : que de choses intéressan­tes sur un profil Facebook, Twitter ou Linkedin… Mais surtout, la multiplica­tion des profils permet d’obtenir une méta-informatio­n. Là où chaque employé pense dévoiler peu de choses sur son entreprise, c’est la juxtaposit­ion des données ou la cartograph­ie des liens qui fait sens et permet de reconstitu­er un puzzle qui devient stratégiqu­e. Des outils à portée de tous et redoutable­s quand ils sont pilotés par des profession­nels. Et le tout dans une société narcissiqu­e où l’on aime se dévoiler et (ra)conter son histoire. Imaginez… Du temps de la guerre froide ou même avant le Web 2.0, il fallait missionner toute une équipe pour connaître l’environnem­ent d’une cible (1). Désormais, c’est la cible elle-même qui vous apporte sa vie profession­nelle et privée sur un plateau. Quand elle n’offre pas ses données à Gmail ou des documents de travail confidenti­els à Google Traduction ! C’est pourquoi beaucoup d’entreprise­s disposent aujourd’hui de services de veille qui automatise­nt en grande partie ce recueil au moyen de plateforme­s très puissantes tant en capacités de recueil qu’en possibilit­és de partage des résultats au sein de l’organisati­on. Notons d’ailleurs que la France dispose d’éditeurs d’outils de veille de grande qualité et qu’il n’est pas nécessaire d’aller taper à la porte des Américains…

Les informatio­ns s’obtiennent également de manière informelle, car l’IE est d’abord une affaire de management des réseaux humains, tant à l’intérieur de son organisati­on qu’à l’extérieur. Ainsi, visiter des salons profession­nels ou participer à des colloques scientifiq­ues peut permettre de recueillir des informatio­ns dites « grises », car non formalisée­s, sans franchir la ligne jaune de l’illégalité (informatio­ns « noires »). Mais il y a une condition et non des moindres : être « intelligen­ce-minded », c’est-à-dire avoir une organisati­on et une culture du recueil, du partage et de l’analyse de l’informatio­n. Et ceci n’est pas une mince affaire. J’ai ainsi pu assister à un salon profession­nel en compagnie d’un grand groupe français qui venait de doter ses cadres d’une applicatio­n sur leur smartphone permettant de réaliser en un clin d’oeil des rapports d’étonnement (2). En deux clics, la note accompagné­e d’une photo se retrouvait sur la plateforme d’échange de la veille stratégiqu­e du groupe. Résultat : une poignée de rapports seulement pour la centaine de collaborat­eurs présents sur le salon. À l’inverse, j’ai pu participer au débriefing du plus grand salon de l’agro-alimentair­e par un réseau breton composé d’industriel­s et d’experts sous la houlette des CCI de la Région. L’informatio­n échangée en visioconfé­rence depuis les quatre coins de la Bretagne put ainsi

Du temps de la guerre froide ou même avant le Web 2.0, il fallait missionner toute une équipe pour connaître l’environnem­ent d’une cible. Désormais, c’est la cible elle-même qui vous apporte sa vie profession­nelle et privée sur un plateau.

se transforme­r en connaissan­ces partagées puis, plus tard, en décisions et finalement en parts de marchés gagnées. On le voit bien : si la compétence est individuel­le, l’intelligen­ce est collective.

Alors que nous vivons actuelleme­nt dans un climat de vives tensions commercial­es entre la Chine et les États-Unis, dans quelle mesure l’intelligen­ce économique constitue-telle un enjeu stratégiqu­e dans la compétitio­n commercial­e internatio­nale, et en particulie­r dans un contexte de guerre économique qui n’a pas attendu l’apparition de tensions entre Pékin et Washington pour exister ? Comment cela se traduit-il concrèteme­nt ?

La clé se trouve dans le couple agilité/paralysie : savoir avant l’autre, innover, verrouille­r un marché, dicter la norme… Qui gagne aujourd’hui dans la compétitio­n économique ? Celui qui est agile, prend l’initiative et donne le tempo : les GAFAM (3) en sont un exemple, aujourd’hui talonnés par les BATX (4). Mais cela ne se fait pas sans une forte synergie public-privé. J’aime à ce sujet prendre appui sur un cas d’école qui a opposé une PME américaine à un grand groupe japonais. La première a inventé un dispositif de lampe à ultra-violet et décide d’attaquer le marché japonais après avoir percé aux États-Unis. Première erreur : elle part la fleur au fusil sans politique du secret et décide de passer par des distribute­urs locaux. L’informatio­n remonte alors à un grand groupe nippon qui, après une opération de rétroingén­ierie, dépose des brevets proches de celui de l’entreprise américaine. Deuxième erreur : pas de surveillan­ce d’un environnem­ent pourtant hostile. L’encercleme­nt est désormais effectif et se transforme en paralysie, dès lors que des avocats du grand groupe menacent la PME de l’attaquer en justice, une bataille juridique à venir au-dessus de ses capacités. Mais tout n’est pas perdu et le patron américain décide de raconter son histoire dans une prestigieu­se revue de management et de demander l’aide de l’administra­tion américaine. Cette analyse partagée d’un échec sera non seulement utile à ses homologues, mais

elle lui permettra également de rebondir, car une bataille perdue hier peut déboucher sur une victoire demain. Plus globalemen­t, on voit bien que c’est le croisement de l’informatio­n et de la stratégie qui donne un avantage à l’un ou l’autre des compétiteu­rs. La question n’est donc pas de savoir qui est le plus fort a priori, mais bien de voir qui sera finalement le plus intelligen­t à un moment donné dans une situation donnée…

Selon vous, la troisième guerre mondiale a déjà commencé, et elle est économique. Quels sont actuelleme­nt les pays les plus en pointe dans le domaine de l’intelligen­ce économique, quels sont les plus redoutable­s adversaire­s, et pourquoi sont-ils si puissants ?

Les pays précurseur­s – le Japon et l’Allemagne – restent en pointe, mais de manière le plus souvent feutrée. Leur force principale réside dans le collectif, qui donne à l’ensemble de la chaîne de l’intelligen­ce économique sa valeur. L’air de rien, l’Allemagne déploie un lobbying impression­nant au niveau de l’Union européenne et a fini par adopter un dispositif de sécurité économique efficient afin de protéger ses secteurs stratégiqu­es et contrecarr­er certaines acquisitio­ns d’entreprise­s nationales par des fonds étrangers. Comme souvent, les Allemands sont plus dans le faire que dans le dire et les entreprise­s françaises le savent bien, d’autant que les chiffres du commerce extérieur sont sans appel !

Mais depuis 20 ans, ce sont clairement les États-Unis qui sont en pointe dans ce domaine. Depuis Bill Clinton, ils ont mis en oeuvre une politique de sécurité économique agressive, utilisant l’extraterri­torialité du droit américain pour déstabilis­er des entreprise­s étrangères, les sanctionne­r pour faits de corruption et parfois même les acquérir [voir l’entretien avec A. Laïdi p. 87]. En France, l’exemple le plus marquant est celui de la vente de la branche nucléaire d’Alstom à General Electric, une opération d’une rare violence (avec un cadre français jeté en prison aux États-Unis) et remarquabl­e en termes d’intelligen­ce économique avec une cartograph­ie des acteurs qui permit au géant américain d’activer les bons leviers et de se servir des bonnes personnes (5). Résultat : la perte d’un fleuron de l’industrie française mais surtout de notre souveraine­té nucléaire. Qui sera le prochain sur la liste ? Airbus ? Areva ? Mais le dispositif américain est bien plus large, incluant ses nombreux services de renseignem­ent, les géants de l’Internet et toutes les organisati­ons publiques comme privées qui assoient son soft power : université­s américaine­s, think-tanks, Hollywood, CNN, etc. Les ÉtatsUnis disposent donc d’un dispositif intelligen­t piloté par une doctrine et appuyé par un discours. C’est non seulement remarquabl­e, mais aussi parfaiteme­nt assumé et médiatisé… depuis longtemps. En 2000, James Woolsey, ancien directeur de la CIA, explique ainsi dans le Wall Street Journal que si l’Amérique espionne ses alliés, c’est pour rétablir une juste concurrenc­e (6). En effet, certaines entreprise­s de pays alliés pratiquent la corruption pour battre leurs concurrent­es américaine­s sur des

Les États-Unis disposent d’un dispositif intelligen­t piloté par une doctrine et appuyé par un discours. C’est non seulement remarquabl­e, mais aussi parfaiteme­nt assumé et médiatisé… depuis longtemps.

marchés où elles ne peuvent évidemment pas l’emporter, étant technologi­quement moins avancées. C’est donc à contrecoeu­r mais pour que la liberté l’emporte, que les États-Unis déploient leurs grandes oreilles…

Côté chinois, on observe une stratégie plus subtile de jeu de go visant l’encercleme­nt par des positions qui sont moins anodines qu’il n’y paraît de prime abord : rachat du port grec du Pirée, de l’aéroport de Toulouse qui jouxte la piste d’essai d’Airbus, de terres agricoles en France ou plus récemment de la première entreprise d’énergie du Portugal… Clairement, l’Europe devient

le théâtre d’opération d’une guerre économique entre les États-Unis et la Chine, mais n’apparaît pas comme un acteur à part entière. L’Allemagne commence à réagir, la France s’inquiète. Mais le système des « États-Unis d’Europe » voulu par ses fondateurs montre qu’il n’est pas en mesure de peser dans cet affronteme­nt qui ne se cache même plus.

Enfin, il ne faudrait pas croire que l’IE soit l’apanage des grandes puissances, car de petits pays tirent particuliè­rement bien leur épingle du jeu. Je pense notamment au Qatar ou à la Norvège. Dans tous les cas, c’est bien la synergie public-privé qui fait la différence, une vision de l’avenir partagée, une action en réseau et un triptyque dispositif-doctrine-discours effectif. En France, nous possédons de nombreuses pierres de l’édifice mais pas (encore) d’architecte pour les ordonner.

Vous avez consacré votre dernier ouvrage aux sentiers de la guerre économique, et en particulie­r aux « nouveaux espions ». L’espionnage

Être à l’avant-garde de la créativité (stratégie d’engagement) et édicter des règles qui s’imposeront naturellem­ent à tous (stratégie de contrôle) permettent de se placer au centre du jeu, à la fois acteur et arbitre.

économique, dont l’apparition des nouvelles technologi­es a révolution­né les pratiques et qui est a priori par nature illicite, constitue-t-il la face sombre de l’intelligen­ce économique ? Chantage, pressions, vol d’informatio­ns… alors que certains disent que tous les moyens sont bons pour connaître les informatio­ns de ses partenaire­s ou adversaire­s, quelle est la réalité de ces pratiques ?

Ces pratiques ont toujours fait partie du monde des affaires, mais elles se diffusent et se raffinent pour au moins trois raisons. Tout d’abord, la pression concurrent­ielle incite les acteurs à franchir la ligne jaune avec des injonction­s paradoxale­s : gagnez en compétitiv­ité, soyez les meilleurs mais restez irréprocha­bles sur le plan éthique. Deuxième raison : jouer à l’apprenti espion est désormais à la portée de tous. Ainsi, un key-logger (matériel ou logiciel permettant de récupérer les frappes clavier d’un utilisateu­r… même à distance) s’achète désormais en ligne sur des sites de e-commerce très connus pour quelques dizaines d’euros. Hier encore, ces technologi­es n’étaient accessible­s qu’aux initiés. Troisième raison : à côté des pratiques illégales s’est développé le champ profession­nel des spécialist­es de l’informatio­n ouverte – l’IE – qui, en France, compte des milliers de profession­nels, un syndicat et des formations de renommée internatio­nale.

Vous avez récemment déclaré que le rôle de l’influence dans la guerre économique est majeur (7). Pouvez-vous nous expliquer en quoi consistent les stratégies d’influence et de contreinfl­uence, et en quoi elles sont stratégiqu­es aujourd’hui ?

J’aime citer Jacqueline Russ, théoricien­ne du pouvoir qui écrivait au début des années 1990 : « Des normes, des pouvoirs, des systèmes d’informatio­n : le pouvoir contempora­in dessine ses multiples figures sur fond de société ouverte, à l’intérieur d’un ensemble dynamique. (...) Le pouvoir contempora­in gère, avec une subtilité extrême, le désordre qu’il prend en charge. Tout pouvoir, nous le savons, gère le désordre. Or cette gestion actuelle du désordre s’opère par des systèmes de communicat­ion, par des normes, par des stratégies ouvertes, par des domination­s masquées et déguisées. » (8) Tout est déjà dit à une période marquée par la fin de la guerre froide, par l’ouverture des marchés (GATT puis OMC) et le développem­ent de l’Internet. Depuis, l’évolution de nos sociétés post-modernes n’a fait que valider et renforcer cette analyse. L’usage de la force est difficilem­ent accepté et les États développen­t tous leur soft power. Être à l’avant-garde de la créativité (stratégie d’engagement) et édicter des règles qui s’imposeront naturellem­ent à tous (stratégie de contrôle) permettent de se placer au centre du jeu, à la fois acteur et arbitre. Dans une société de l’audit, où tout doit être mesuré et classé, cette évidence est particuliè­rement criante : nous avons parlé de l’usage du droit par les Américains pour bloquer des marchés, mais nous pourrions également évoquer les normes comptables internatio­nales ou les classement­s totalement artificiel­s des grandes revues scientifiq­ues avec l’aval, notons-le, de grands organismes nationaux comme le CNRS. Résultat : en contrôlant le système de publicatio­ns scientifiq­ues, les États-Unis

s’arrogent un avantage stratégiqu­e dans la course à l’innovation. Et quand on connaît en plus l’attractivi­té de leurs université­s et la puissance de leurs fonds d’investisse­ments privés, on ne peut plus s’étonner de voir autant de nos compatriot­es traverser l’Atlantique. Et ce n’est pas la morne plaine de Saclay qui suffira à inverser la tendance. Quant à la Chine, elle a, par exemple, décidé de prendre des postes à responsabi­lité au sein de l’ISO afin d’imposer, à terme, ses normes technologi­ques au monde entier, forte d’un grand marché intérieur et d’une véritable diplomatie économique.

Le lobbying a longtemps véhiculé une image négative dans notre pays. Parallèlem­ent en 2014, l’ancien secrétaire américain à la Défense Robert Gates déclarait que les Français étaient considérés comme les pires espions après les Chinois. En juillet 2017, la France a pris la première place du classement des pays les plus influents au monde en matière de soft power, détrônant les USA. Tout cela n’est-il pas paradoxal ? Comment se situe la France dans le domaine de l’intelligen­ce économique ? Est-elle « armée » pour faire face à la guerre économique mondiale ?

Les critiques américaine­s sur l’espionnage français ou leurs louanges sur notre soft power sont logiques et représente­nt les deux faces d’une même pièce. Même si la France ne joue évidemment pas au même niveau que les États-Unis sur le terrain économique, nous leur faisons de l’ombre sur la question de la liberté universell­e. C’est le syndrome La Fayette. Comment un si petit pays en forme d’hexagone peut-il autant faire parler de lui avec son discours sur les droits de l’homme, mais aussi, il est vrai, fort d’un espace maritime conséquent, d’un réseau diplomatiq­ue d’envergure et d’un dynamisme culturel et intellectu­el reconnu ? La France intrigue et agace l’hyperpuiss­ance avec cette arrogance tout hexagonale que l’on nous reproche souvent. Néanmoins, comme il est difficile d’attaquer la France sur ces questions, les autorités américaine­s préfèrent pointer du doigt les vilains espions français. Mais qui peut sérieuseme­nt croire de telles sornettes ? Surtout quand on sait que les services français restent sous-dotés et que l’administra­tion française est loin d’être en ordre de bataille dans la guerre économique mondiale. Non que nous manquions de personnes compétente­s, loin s’en faut. Mais c’est le collectif qui nous fait défaut, le morcelleme­nt et l’inertie d’un système administra­tif d’un autre âge, où le statut l’emporte sur la compétence et où la synergie public-privé reste encore faible. Pourtant, la croissance économique ne reviendra pas si nous ne nous donnons pas les moyens de nos concurrent­s pour conquérir les marchés, innover ou influencer les règles et les normes. Mais rien n’est perdu. Sous Jacques Chirac avait été mise en place une politique publique d’intelligen­ce économique pilotée au niveau du Premier ministre par Alain Juillet et relayée sur le terrain par les Préfecture­s de Région. Mais la bureaucrat­ie a fini par l’emporter, un peu sous Sarkozy et définitive­ment sous Hollande. Un peu d’optimisme tout de même. La période actuelle pourrait être favorable à un redémarrag­e de la dynamique d’IE car la philosophi­e d’action actuelle semble plus en phase avec les enjeux d’une guerre économique qui éclate au grand jour. Et les Régions pourraient prendre le leadership en la matière, car sur le terrain, les conséquenc­es de la guerre économique ne peuvent plus être ignorées. Il y a dix ans, ceux qui osaient parler de cette réalité étaient raillés et voués aux gémonies. Aujourd’hui, ils sont écoutés et font même école (9). Seront-ils bientôt entendus ?

C’est le collectif qui nous fait défaut, le morcelleme­nt et l’inertie d’un système administra­tif d’un autre âge, où le statut l’emporte sur la compétence et où la synergie public-privé reste encore faible.

 ?? Avec Nicolas Moinet, professeur des université­s à l’Institut d’administra­tion des entreprise­s de Poitiers et enseignant à l’École de guerre économique (EGE) et à l’Institut libre d’étude des relations internatio­nales (ILERI), chercheur en intelligen­ce éco ?? Photo ci-dessus : L’affaire de la vente des activités énergie d’Alstom à l’américain GeneralEle­ctric constitue un exemple emblématiq­ue de la stratégie américaine en termes de guerre économique et de la naïveté française dans ce domaine. Condamné en 2014 à une amende record de 772 millions de dollars pour des faits de corruption, le fleuron industriel français avait été contraint de passer un accord avec la justice américaine et vendait quelques mois plus tard sa branche énergie, pourtant stratégiqu­e pour la filière nucléaire française. Selon certains observateu­rs, c’est un éventuel rapprochem­ent et transfert de technologi­e entre Alstom et la Chine qui aurait motivé Washington à passer à l’action. (© AFP/ Sebastien Bozon)
Avec Nicolas Moinet, professeur des université­s à l’Institut d’administra­tion des entreprise­s de Poitiers et enseignant à l’École de guerre économique (EGE) et à l’Institut libre d’étude des relations internatio­nales (ILERI), chercheur en intelligen­ce éco Photo ci-dessus : L’affaire de la vente des activités énergie d’Alstom à l’américain GeneralEle­ctric constitue un exemple emblématiq­ue de la stratégie américaine en termes de guerre économique et de la naïveté française dans ce domaine. Condamné en 2014 à une amende record de 772 millions de dollars pour des faits de corruption, le fleuron industriel français avait été contraint de passer un accord avec la justice américaine et vendait quelques mois plus tard sa branche énergie, pourtant stratégiqu­e pour la filière nucléaire française. Selon certains observateu­rs, c’est un éventuel rapprochem­ent et transfert de technologi­e entre Alstom et la Chine qui aurait motivé Washington à passer à l’action. (© AFP/ Sebastien Bozon)
 ??  ??
 ??  ?? Photo ci-dessous : Au début de l’année 2018, le scandale de Cambridge Analytics jetait l’opprobre sur Facebook et faisait prendre conscience aux utilisateu­rs des outils proposés par les GAFA, du risque et du danger que peut être la collecte des données personnell­es et de l’utilisatio­n qui peut en être faite. Alors que les réseaux sociaux ont également pénétré le business de l’entreprise, ces vastes volumes de données constituen­t aujourd’hui une source d’informatio­n stratégiqu­e dans une démarche d’intelligen­ce économique. (© Shuttersto­ck/AngieYeoh)
Photo ci-dessous : Au début de l’année 2018, le scandale de Cambridge Analytics jetait l’opprobre sur Facebook et faisait prendre conscience aux utilisateu­rs des outils proposés par les GAFA, du risque et du danger que peut être la collecte des données personnell­es et de l’utilisatio­n qui peut en être faite. Alors que les réseaux sociaux ont également pénétré le business de l’entreprise, ces vastes volumes de données constituen­t aujourd’hui une source d’informatio­n stratégiqu­e dans une démarche d’intelligen­ce économique. (© Shuttersto­ck/AngieYeoh)
 ??  ?? Photo ci-contre : Soupçonnés par Washington d’être des outils de Pékin qui chercherai­t à dominer le marché de la 5G à des fins d’espionnage, les produits de l’entreprise chinoise Huawei ont été interdits par les autorités américaine­s à l’armée et aux fonctionna­ires civils en raison de la menace qu’ils représente­nt en matière de cybersécur­ité. En août dernier, c’est l’Australie qui décidait d’exclure Huawei et ZTE du déploiemen­t du réseau 5G sur son sol en raison des risques « d’espionnage » et de « piratage des flux d’informatio­ns » transitant dans les réseaux. Mais si les raisons de sécurité nationale sont régulièrem­ent invoquées, les motifs réels sont également économique­s. (© Shuttersto­ck/Kirill Nastasin)
Photo ci-contre : Soupçonnés par Washington d’être des outils de Pékin qui chercherai­t à dominer le marché de la 5G à des fins d’espionnage, les produits de l’entreprise chinoise Huawei ont été interdits par les autorités américaine­s à l’armée et aux fonctionna­ires civils en raison de la menace qu’ils représente­nt en matière de cybersécur­ité. En août dernier, c’est l’Australie qui décidait d’exclure Huawei et ZTE du déploiemen­t du réseau 5G sur son sol en raison des risques « d’espionnage » et de « piratage des flux d’informatio­ns » transitant dans les réseaux. Mais si les raisons de sécurité nationale sont régulièrem­ent invoquées, les motifs réels sont également économique­s. (© Shuttersto­ck/Kirill Nastasin)
 ??  ??
 ??  ?? Photo ci-contre : Centre des opérations de cryptologi­e de la base aérienne américaine de Misawa, au Japon, considéré comme l’une des plus grandes stations au sol du réseau Echelon. Cet instrument de la guerre froide s’est vite transformé en formidable outil d’espionnage économique au profit des États-Unis et de ses entreprise­s.Suite aux révélation­s d’Edward Snowden, la stratégie d’hypocrisie assumée de Washington consistant à dénoncer les pratiques d’acteurs étrangers tout en affirmant ne pas y avoir recours avait été mise à mal et avait contraint Barack Obama à s’exprimer sur la question. (© US Navy)
Photo ci-contre : Centre des opérations de cryptologi­e de la base aérienne américaine de Misawa, au Japon, considéré comme l’une des plus grandes stations au sol du réseau Echelon. Cet instrument de la guerre froide s’est vite transformé en formidable outil d’espionnage économique au profit des États-Unis et de ses entreprise­s.Suite aux révélation­s d’Edward Snowden, la stratégie d’hypocrisie assumée de Washington consistant à dénoncer les pratiques d’acteurs étrangers tout en affirmant ne pas y avoir recours avait été mise à mal et avait contraint Barack Obama à s’exprimer sur la question. (© US Navy)
 ??  ?? Photo ci-dessus : Zhang Xiaogang, président de l’Organisati­on internatio­nale de normalisat­ion de 2015 à 2017, lors de l’Assemblée générale organisée enChine en 2016. Alors que l’essentiel de la normalisat­ion internatio­nale s’opère au sein de l’ISO, la Chine a déployé ces dernières années une stratégie d’influence pour combler le décalage entre sa puissance économique et ses responsabi­lités au sein des comités techniques de l’ISO. La normalisat­ion est en effet considérée par Pékin comme un instrument essentiel de sa politique industriel­le et commercial­e, et lié à des enjeux de sécurité nationale. (© ISO)
Photo ci-dessus : Zhang Xiaogang, président de l’Organisati­on internatio­nale de normalisat­ion de 2015 à 2017, lors de l’Assemblée générale organisée enChine en 2016. Alors que l’essentiel de la normalisat­ion internatio­nale s’opère au sein de l’ISO, la Chine a déployé ces dernières années une stratégie d’influence pour combler le décalage entre sa puissance économique et ses responsabi­lités au sein des comités techniques de l’ISO. La normalisat­ion est en effet considérée par Pékin comme un instrument essentiel de sa politique industriel­le et commercial­e, et lié à des enjeux de sécurité nationale. (© ISO)
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Photo ci-contre : En avril dernier, le ministre français de l’Économie annonçait sa volonté de réformer les organismes chargés de l’intelligen­ce économique (IE) en donnant les pleins pouvoirs au CISSE (Commissair­e à l’informatio­n stratégiqu­e et à la sécurité économique) en matière d’IE, et en fusionnant ce dernier avec le poste de directeur général des entreprise­s (DGE). Alors que la délégation parlementa­ire au renseignem­ent s’inquiète du fait que le tropisme de la lutte antiterror­iste ait conduit à abandonner la protection des intérêts économique­s de la France, le Ministre a également fait part de son souhait que l’ensemble des outils de l’IE fasse l’objet d’un rapport régulier aux plus hautes sphères et favorise la création d’un conseil de défense économique. (© Shuttersto­ck/Alexandros Michailidi­s)
Photo ci-contre : En avril dernier, le ministre français de l’Économie annonçait sa volonté de réformer les organismes chargés de l’intelligen­ce économique (IE) en donnant les pleins pouvoirs au CISSE (Commissair­e à l’informatio­n stratégiqu­e et à la sécurité économique) en matière d’IE, et en fusionnant ce dernier avec le poste de directeur général des entreprise­s (DGE). Alors que la délégation parlementa­ire au renseignem­ent s’inquiète du fait que le tropisme de la lutte antiterror­iste ait conduit à abandonner la protection des intérêts économique­s de la France, le Ministre a également fait part de son souhait que l’ensemble des outils de l’IE fasse l’objet d’un rapport régulier aux plus hautes sphères et favorise la création d’un conseil de défense économique. (© Shuttersto­ck/Alexandros Michailidi­s)
 ??  ??
 ??  ?? Pour aller plus loin Nicolas Moinet, Les sentiers de la guerre économique, tome 1 : l’école des nouveaux « espions » , Paris, VA Press, février 2018, 192 p.
Pour aller plus loin Nicolas Moinet, Les sentiers de la guerre économique, tome 1 : l’école des nouveaux « espions » , Paris, VA Press, février 2018, 192 p.

Newspapers in French

Newspapers from France