Les Grands Dossiers de Diplomatie

L’Amérique latine, un continent en proie à la violence ?

- Entretien réalisé par Thomas Delage le 12 novembre 2018

Depuis plusieurs années maintenant, l’Amérique latine est l’une des régions, si ce n’est la région, la plus violente au monde. Si le continent américain compte pourtant peu ou pas de conflits – en comparaiso­n avec la situation au MoyenOrien­t ou en Afrique par exemple –, l’Amérique latine enregistre néanmoins des taux de violence records avec des pays parmi ceux ayant les taux d’homicides les plus élevés au monde. Pouvez-vous dresser un panorama de la violence en Amérique latine ?

J. Daudelin : Bien qu’il n’y ait pas de guerres en tant que telles, l’Amérique latine est effectivem­ent une région de violences extrêmes. Il faut cependant noter de grandes variations d’un pays à l’autre. Ce n’est pas un panorama homogène entre les pays, ni même à l’intérieur des pays concernés.

Il y a d’abord un premier groupe de pays avec le Costa Rica, le Nicaragua, le Panama, le Pérou, la Bolivie, l’Équateur, le Chili, l’Argentine, le Paraguay ou l’Uruguay, qui sont relativeme­nt peu violents – bien qu’il faille apporter quelques nuances, car la situation en Argentine ou au Costa Rica par exemple est en train de se détériorer et elle est parfois fragile dans d’autres États. Au sein d’un pays comme le Brésil, les villes connaissen­t également des situations très différente­s. Sao Paulo connaît un taux d’homicide de 10/100 000 alors que les villes du Nord-Est telles que Recife enregistre­nt des taux quatre, cinq à six fois plus élevés. On retrouve aussi d’autres villes relativeme­nt paisibles dans des pays considérés comme « violents », avec par exemple Mexico au Mexique, ou Bogota en Colombie. On peut donc constater une grande variation des niveaux de violence dans le continent et il serait ainsi faux de dire que l’ensemble de l’Amérique latine est violente.

Les zones les plus affectées se trouvent d’abord dans le Nord de l’Amérique centrale, au Honduras, au Salvador et au Guatémala, mais aussi au Vénézuéla et dans certaines régions du Brésil, où la violence connaît des niveaux extrêmes.

Contrairem­ent à l’image de continent violent qui est véhiculée, il y a donc des zones, ou des villes, où la violence a diminué ?

Oui en effet, et le cas le plus représenta­tif est peut-être Sao Paulo, au Brésil, où le taux d’homicide est passé de 60 à 10 pour 100 000 en quelques années. Cette baisse peut s’expliquer par plusieurs facteurs : d’abord par une utilisatio­n plus efficace des

services de police, mais aussi par la consolidat­ion des organisati­ons criminelle­s. Le monopole du PCC (Premier Commando de la Capitale) semble clairement avoir contribué à la diminution de la violence. Évidemment, la constructi­on de ce monopole a été extrêmemen­t violente, mais une fois celui-ci établi, et dans le contexte d’une dissuasion policière forte, les résultats ont été assez spectacula­ires.

Quelles sont les origines de cette violence ? Existe-t-il un facteur commun spécifique aux pays de la région ? Et parallèlem­ent, comment expliquer que certains pays tels que le Chili, l’Argentine ou l’Uruguay y échappent presque totalement ?

Comme vous le dites, le fait que certains pays de la région échappent presque totalement à la violence montre bien qu’il est très difficile de trouver des explicatio­ns communes à l’ensemble de la région. Une large partie de la violence semble toutefois être liée à l’existence de marchés illégaux en expansion mais mal gérés par les organisati­ons criminelle­s, en grande partie à cause des perturbati­ons de ces marchés par le type d’action policière privilégié par les gouverneme­nts. Par exemple, il est intéressan­t de souligner que la consommati­on de drogue du Brésil est inférieure à celle du Canada, mais qu’au Canada, les marchés illégaux ne sont pas violents. En effet, les organisati­ons criminelle­s canadienne­s ont des relations relativeme­nt stables et la police décourage systématiq­uement l’utilisatio­n de la violence. Dans les pays d’Amérique latine qui rencontren­t des phénomènes de violence, c’est exactement l’inverse qui se produit. L’action policière perturbe le fonctionne­ment des marchés illégaux et cela rend les relations entre organisati­ons criminelle­s extrêmemen­t instables. Par ailleurs, dans ces pays, la violence est très mal réprimée, avec des taux de résolution de crimes qui sont très bas, notamment dans le cas des homicides. Aujourd’hui, tuer quelqu’un à Recife n’est ni coûteux, ni très risqué. Ce n’est pas du tout le cas à Toronto ou à Paris.

Le 26 septembre 2016, le président colombien signait un accord de paix historique avec le commandant des FARC après 52 ans de conflit armé (1). Où en est cet accord de paix et quid de la situation réelle sur le terrain ?

À ma connaissan­ce, l’essentiel des troupes des FARC est toujours engagé dans le processus de démobilisa­tion. Je ne pense donc pas que l’on puisse assister à une remobilisa­tion des FARC. En revanche, le groupe rebelle ELN (2) continue, lui, à être actif, bien que ses capacités militaires soient marginales. Le maintien dans le pays de quelques poches d’instabilit­é et de violence politique reste donc possible.

Il faut également noter que certaines unités des FARC ont préféré rejoindre des organisati­ons criminelle­s plutôt que de se démobilise­r. Les FARC s’appuyaient déjà depuis un certain temps sur le trafic de drogue pour assurer le financemen­t de leur mouvement, et certains de leurs membres ont choisi de se convertir pleinement à ce type d’activités. Des organisati­ons criminelle­s occupent maintenant le terrain laissé vacant par les FARC. Il y a donc une reconfigur­ation du contrôle territoria­l dans une partie des zones rurales – en particulie­r les régions productric­es de coca – qui entraîne le maintien et même une recrudesce­nce de la violence.

Par ailleurs, le nouveau gouverneme­nt colombien élu en août 2018 a émis des réserves concernant les concession­s qui avaient été faites aux FARC, par exemple en matière de réintégrat­ion à la vie civile et de participat­ion à la vie politique. Un certain nombre d’engagement­s sont remis en cause par le nouveau président Ivan Duque. Cela pourrait avoir des conséquenc­es

Dans les pays d’Amérique latine qui rencontren­t des phénomènes de violence, l’action policière perturbe le fonctionne­ment des marchés illégaux et cela rend les relations entre organisati­ons criminelle­s extrêmemen­t instables.

sur le processus de démobilisa­tion en cours, même si, comme je vous l’ai dit, je doute qu’une remobilisa­tion des FARC puisse avoir lieu, notamment parce qu’ils ne disposent plus de sources stables de financemen­t. Le gouverneme­nt s’avère également incapable, ou peu enthousias­te, à l’idée de pleinement protéger les organisati­ons civiles qui sont actives dans les zones ancienneme­nt contrôlées par les FARC. Ces organisati­ons sont particuliè­rement vulnérable­s et on déplore déjà plusieurs victimes parmi leurs membres et leurs dirigeants.

Enfin, il faut aussi souligner que le premier chapitre des accords de paix, qui concernait les questions agraires, est très problémati­que. En effet, les terres ancienneme­nt consacrées à la culture de la coca, qui devaient être reconverti­es vers d’autres types de cultures, sont confrontée­s à un problème de viabilité économique. La valeur ajoutée de la production de coca est en effet incomparab­le et les agriculteu­rs se retrouvent aujourd’hui sur des terres qui ont peu de valeur car trop éloignées des marchés.

En Amérique centrale, et particuliè­rement au Honduras, au Guatémala et au Salvador, la violence extrême des « Maras » gangrène la région et pousse les population­s à l’exil. Quelle est la stratégie adoptée par ces pays pour lutter contre cette ultra-violence ?

Les gouverneme­nts de ces trois pays ont adopté depuis plusieurs années déjà une ligne politique dure à l’encontre des organisati­ons criminelle­s et du trafic de drogue. Or, il s’avère que ce type de politique a très peu d’impact positif et qu’il contribue contribue plutôt à déstabilis­er les relations entre organisati­ons criminelle­s. De plus, la capacité de ces gouverneme­nts à contrôler les Maras est extrêmemen­t limitée. La puissance des Maras vient d’une part de leur capacité de mobilisati­on des jeunes, notamment dans les périphérie­s urbaines des pays de la région mais aussi aux États-Unis. Elle s’explique également en partie par les liens qu’entretienn­ent les Maras avec des réseaux criminels transnatio­naux extrêmemen­t riches et puissants, par exemple les grandes organisati­ons mexicaines de trafic de drogues et les gangs de prisons en Californie. Les gouverneme­nts de la région se trouvent démunis face à cette situation, d’autant plus que les élites de ces pays ont toujours refusé de payer les taxes qui auraient permis à ces gouverneme­nts de développer une capacité administra­tive et militaire effective. Sans argent, sans moyens et avec des politiques dysfonctio­nnelles, la lutte est inégale.

Est-il néanmoins possible que ces États reprennent le contrôle de la situation et de leur territoire ?

Du point de vue des ressources internes, c’est assez déprimant. Il est donc difficile d’imaginer une reprise en main qui ne passerait pas par un appui internatio­nal.

La puissance des Maras vient d’une part de leur capacité de mobilisati­on des jeunes, et d’autre part des liens qu’entretienn­ent les Maras avec des réseaux criminels transnatio­naux extrêmemen­t riches et puissants.

Mais un pays comme les États-Unis serait-il vraiment intéressé à participer ? Rien n’est moins sûr. Par ailleurs, on peut se demander si les gouverneme­nts de la région sont vraiment prêts à s’engager pleinement dans un tel combat, et si l’aide internatio­nale ne les encourager­ait pas plutôt à limiter leur propre investisse­ment.

Une autre option serait que ces gouverneme­nts s’entendent avec les Maras, comme cela se fait actuelleme­nt dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, comme cela s’est fait en Birmanie avec la junte militaire, ou comme cela se ferait sûrement en Afghanista­n si la force internatio­nale se retirait. Mais le paradoxe, c’est que l’Amérique centrale est trop avancée dans son processus de démocratis­ation pour accepter ce type de condominiu­m que les Mexicains appellent la pax narcotica. C’est justement ce qui se faisait au Mexique avant l’arrivée au pouvoir de Felipe Calderon, en 2006. Le pays était alors très peu violent, alors même que les cartels mexicains prenaient le contrôle du commerce continenta­l de cocaïne en profitant de la marginalis­ation des trafiquant­s colombiens. Au cours de cette « montée en puissance », au tournant du siècle, les taux d’homicides au Mexique ont baissé de moitié. C’était le cas parfait d’une gestion fonctionne­lle des marchés illégaux et d’une collaborat­ion étroite entre les gouverneme­nts et les organisati­ons criminelle­s. Cet arrangemen­t était bien évidemment incompatib­le avec la lente évolution démocratiq­ue du pays.

C’est toutefois pour des raisons d’opportunis­me politique, que le président Felipe Calderon a décidé de lancer une offensive contre les cartels et a ainsi brisé la pax narcotica, plongeant le pays dans la violence [voir p. 41].

Depuis mi-avril, le Nicaragua est en proie à un mouvement social qui secoue le pays et qui aurait provoqué plus de 300 morts. Alors qu’une partie de la population réclame le départ du président Daniel Ortega, le pays peut-il basculer de nouveau dans la guerre civile (3) ?

Je ne le pense pas, tout simplement parce que le gouverneme­nt actuel contrôle la police et l’armée, et que l’opposition est désarmée. La raison pour laquelle la guerre civile des années 1980 a pu durer aussi longtemps au Nicaragua, c’est parce que les États-Unis finançaien­t l’opposition armée. Ce n’est pas du tout le cas actuelleme­nt. Aujourd’hui, il y a un monopole de la violence qui est entre les mains du gouverneme­nt et qu’il serait difficile de remettre en cause.

S’il devait y avoir un changement politique ou une déstabilis­ation, il faudrait qu’une brisure ait lieu au sein même du régime, entre Daniel Ortega et l’appareil militaire. On a pu observer que les manifestat­ions qui ont eu lieu cette année ont bien souvent été démantelée­s par une milice politique, ce qui suggère que le président Ortega s’est construit un appareil parallèle, probableme­nt parce qu’il n’a pas pleinement confiance en l’armée et la police. Cela pourrait jouer contre lui si les forces de sécurité officielle­s venaient à percevoir l’expansion de ces milices comme une menace. C’est un peu ce qui s’est passé au Vénézuéla avec les Chavistes, lorsqu’ils ont commencé à développer des milices parallèles. Mais Hugo Chavez, puis Nicolas Maduro, ont réussi à acheter les dirigeants militaires en leur donnant accès aux rentes pétrolière­s. Malheureus­ement, il n’y a pas de pétrole au Nicaragua. Tout dépendra donc de la relation entre Ortega et les militaires.

Que ce soit dans les favelas, dans les prisons, mais également dans les zones rurales, le Brésil est aujourd’hui un pays gangréné par la violence. Si le nouveau président brésilien a fait de la lutte contre la criminalit­é l’un de ses chevaux de bataille, le défi semble de taille alors que le ministre brésilien de la Défense a dénoncé une « faillite » du système de sécurité du pays avec un crime qui s’est « nationalis­é, voire internatio­nalisé ». Quelle est concrèteme­nt la situation ? Le Brésil peut-il connaître la situation du Mexique ? Premièreme­nt, même si le pays est extrêmemen­t violent, il faut d’abord bien comprendre que le Brésil n’est pas beaucoup plus violent aujourd’hui qu’il y a dix ans. Il n’y a pas eu une augmentati­on de la violence, mais un déplacemen­t de la

Il faudrait faire en sorte que cela devienne risqué de tuer quelqu’un au Brésil, ce qui n’est pas le cas actuelleme­nt, surtout si la victime est pauvre ou présumée criminelle.

violence, essentiell­ement du Sud-Est du pays vers le Nord-Est. Elle est passée de régions où les marchés illégaux sont demeurés stables, où les appareils policiers ont été renforcés et où les organisati­ons criminelle­s se sont consolidée­s, vers une région où la baisse de la pauvreté semble avoir favorisé une expansion des marchés illégaux, sans pour autant que les capacités policières aient augmenté significat­ivement ou que la fragmentat­ion des organisati­ons criminelle­s ait diminué. Deuxièmeme­nt, il faut savoir que le Mexique n’a jamais été aussi violent que le Brésil. Certains ont parfois dit que le Mexique devait suivre la voie tracée par la Colombie, à un moment où le taux de criminalit­é colombien était pourtant supérieur à celui du Mexique. Il est vrai que la violence est actuelleme­nt en croissance au Mexique, mais le pays demeure encore moins violent que le Brésil. Selon les derniers chiffres que j’ai en main, le Mexique présente un taux d’homicide de 25/100 000 et le Brésil est à 31/100 000 (4), mais il faut bien prendre en compte qu’il y a une grande volatilité dans la violence, car elle est influencée directemen­t par l’évolution des marchés de la drogue locaux.

Que peut-on attendre de Jair Bolsonaro dans la lutte contre la violence et la criminalit­é au Brésil ?

La situation criminelle au Brésil est en effet très mauvaise. Le nouveau président Jair Bolsonaro en a fait l’un de ses chevaux de bataille, mais il dispose de très peu de moyens et il semble très mal vouloir les utiliser. Pourquoi a-t-il si peu de moyens ? Tout simplement car la sécurité publique n’est pas de juridictio­n fédérale. De plus, le gouverneme­nt fédéral a peu de ressources et l’un des grands défis de Jair Bolsonaro va être de gérer l’énorme déficit public. Enfin, l’appareil militaire n’est pas très bien financé et une large partie des fonds alloués servent à payer les salaires et les pensions. Le commandeme­nt des forces armées semble d’ailleurs très peu enthousias­te à l’idée de lancer des troupes à la poursuite de gangs bien armés, cachés dans les petites ruelles des villes brésilienn­es. Là où Jair Bolsonaro peut agir, c’est en cautionnan­t l’utilisatio­n de la violence par les gouverneme­nts des États brésiliens. Il y a d’ailleurs déjà

eu des annonces à ce sujet de la part des gouverneur­s de Sao Paulo et de Rio de Janeiro. Bien que les policiers soient déjà extrêmemen­t violents dans ces deux États, ils risquent d’être d’autant plus protégés de recours légaux et seront encouragés à tirer pour tuer. Il y a également eu une annonce concernant la baisse de la majorité pénale, impliquant que les jeunes de 17 ans seront traités comme des adultes. Cela signifie que les prisons brésilienn­es, déjà surpeuplée­s, le seront encore plus. Ce type de décision est dysfonctio­nnelle à plus d’un titre, en particulie­r car les prisons sont au coeur de l’appareil criminel au Brésil. En effet, les organisati­ons telles que le Premier Commando de la Capitale (PCC) à Sao Paulo, le Commando Rouge ( Commando Vermelho) ou Les Amis des Amis ( Amigos dos Amigos) à Rio de Janeiro sont des groupes criminels qui sont nés en prison, qui sont en grande partie contrôlés depuis les prisons, et qui utilisent les prisons pour contrôler les marchés illégaux dans les grandes villes. Donc plus on met de gens en prison, plus on contribue à renforcer le pouvoir de ces organisati­ons. Enfin, le nouveau chef de l’État ne semble pas du tout considérer la piste d’un assoupliss­ement de la politique concernant les drogues, alors que cela permettrai­t pourtant de « détendre » le marché de détail des drogues illégales, qui concentre une partie importante de la violence dans le pays. Les autorités devraient laisser un peu de côté les petits trafiquant­s de drogue et mettre l’accent sur la dissuasion de la violence entre les gangs et dans la population en général, comme cela a brièvement été fait à Sao Paulo et à Recife, avec de bons résultats. La mise en place d’une ligne dure, comme l’annonce Bolsonaro, implique que la police n’interviend­ra pas pour empêcher que les criminels s’entretuent. Mais il faudrait plutôt faire en sorte que cela devienne risqué de tuer quelqu’un au Brésil, ce qui n’est pas le cas actuelleme­nt, surtout si la victime est pauvre ou présumée criminelle.

Face à ces violences, les population­s latino-américaine­s sont bien souvent contrainte­s de choisir l’émigration. Que ce soient les Vénézuélie­ns, qui fuient un pays au bord du chaos, ou les population­s d’Amérique centrale, qui fuient les Maras et la pauvreté à destinatio­n de l’Amérique du Nord, la région connaît d’importants changement­s de ses flux migratoire­s. Alors que le président américain menace de tirer sur les migrants clandestin­s, que le Pérou ferme ses portes aux réfugiés vénézuélie­ns et qu’un pays comme le Chili est aujourd’hui de plus en plus agité par le débat migratoire, les migrants peuvent-ils devenir une nouvelle source de conflit ou de tension en Amérique latine ?

Ce sera problablem­ent une source de tensions. Mais il faut distinguer différents problèmes. Dans le cas de l’Amérique centrale, la dernière grande vague de réfugiés date des années 1980, lorsqu’ils fuyaient les grandes guerres civiles au Salvador, au Guatémala ou au Nicaragua pour trouver refuge au Costa Rica, au Mexique ou au États-Unis. Or, à l’époque, il n’y a pas eu de grands mouvements de résistance à leur migration. Ce phénomène de migration se poursuit aujourd’hui, pour d’autres raisons, et sans être nécessaire­ment plus important, contrairem­ent à ce que suggère la couverture médiatique aux États-Unis. En fait, la différence repose essentiell­ement sur un changement d’attitude du gouverneme­nt américain vis-à-vis des réfugiés d’Amérique centrale, guidé par l’opportunis­me politique de l’administra­tion Trump.

Dans le cas du Vénézuéla, le phénomène est en revanche assez nouveau [voir p. 45]. Actuelleme­nt, les Vénézuélie­ns fuient la violence et une situation économique qui est épouvantab­le depuis plusieurs années. Cela peut certes mener à une déstabilis­ation et à certaines réactions politiques, voire à une mobilisati­on populiste autour de ce phénomène, mais cela m’inquiète moins que de voir l’exode vénézuélie­n déstabilis­er – par son impact sur les marchés illégaux – des pays fragiles, comme le Pérou et la Bolivie. Ces deux pays sont de gros producteur­s de cocaïne, mais ils sont remarquabl­ement peu violents. L’arrivée de Vénézuélie­ns serait susceptibl­e de perturber ces marchés, particuliè­rement en Bolivie, où les capacités du gouverneme­nt sont limitées. Par ailleurs, le territoire de ces deux pays est assez mal contrôlé, à un niveau assez extrême en Bolivie où l’Est du pays est largement livré à lui-même. Mais il s’agirait donc plutôt d’un risque d’augmentati­on de la violence criminelle que de la violence politique.

L’arrivée de Vénézuélie­ns est susceptibl­e de perturber les marchés illégaux, particuliè­rement en Bolivie, où les capacités du gouverneme­nt sont limitées.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France