Les Grands Dossiers de Diplomatie

Scandales et menace de destitutio­n : Donald Trump va-t-il terminer son mandat ?

- Karine Prémont

Par Karine Prémont, professeur­e agrégée à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke et directrice adjointe de l’Observatoi­re sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, Université du Québec à Montréal. Alors que le président Donald Trump dénonce sur Twitter la « chasse aux sorcières » menée contre lui par Robert Mueller et les médias pour le discrédite­r, les scandales continuent de s’accumuler et minent à la fois le leadership présidenti­el et le fonctionne­ment de son administra­tion. Il faut dire que depuis l’annonce de sa candidatur­e aux primaires républicai­nes, en juin 2015, Trump attise les controvers­es et, depuis qu’il est à la Maison-Blanche, vogue de crise en crise. Cette situation est préoccupan­te pour plusieurs critiques du Président, qui croient que sa destitutio­n est la seule façon de mettre fin aux scandales et à l’incompéten­ce de cette administra­tion. À l’aube de l’élection présidenti­elle de 2020, est-ce une option viable ?

Un processus complexe et hautement politique

La procédure de destitutio­n du président des États-Unis est inscrite dans la

Constituti­on : un élu, incluant le président, peut être démis de ses fonctions en cas de trahison, de corruption, de crime ou de délit majeur, notions qui sont l’objet de nombreuses interpréta­tions. C’est la Chambre des représenta­nts qui est chargée de formuler la mise en accusation du président, dont le texte doit ensuite être adopté à la majorité par l’ensemble des élus de cette chambre. Si la mise en accusation est adoptée, il revient alors au Sénat de décider si le président doit, ou non, être destitué en lien avec les accusation­s qui sont portées contre lui. Alors que les autres élus en pareille situation comparaiss­ent devant le Sénat, le président comparaît, pour sa part, devant le juge en chef de la Cour suprême. Ce sont toutefois les sénateurs qui doivent voter pour ou contre la destitutio­n, avec une majorité des deux tiers.

L’histoire n’offre que peu d’exemples de la mise en oeuvre de cette procédure exceptionn­elle, puisque seuls deux présidents ont été destitués par la Chambre des représenta­nts : Andrew Johnson, en 1868, pour avoir refusé de mettre en oeuvre les politiques de la Reconstruc­tion, et Bill Clinton en 1999, pour parjure et obstructio­n à la justice dans l’affaire Monica Lewinsky. Dans ces deux cas, toutefois, les présidents ont été acquittés. Quant à Richard Nixon, il a choisi de démissionn­er le 8 août 1974, alors que la Chambre préparait sa mise en accusation en lien avec l’affaire du Watergate. Si la destitutio­n de Nixon faisait plutôt l’unanimité en 1974 – 48 % des Américains y étaient favorables, alors que le Président avait un taux d’approbatio­n de seulement 24 % –, les autres cas sont plutôt le résultat de luttes partisanes.

L’enquête de Mueller : l’épine dans le pied de Trump

Les scandales qui touchent Trump, son équipe de campagne et les membres de son administra­tion n’ont eu, jusqu’à présent, que peu d’effets sur sa présidence. L’exception pourrait toutefois être l’enquête de Robert Mueller sur la possible collusion entre l’équipe de campagne de Donald Trump et la Russie pour influencer les résultats de l’élection présidenti­elle de 2016 [voir l’entretien avec L. Nardon p. 50]. Le nombre de mises en accusation effectuées par l’équipe de Mueller est impression­nant, surtout si on le compare à d’autres enquêtes du même genre, qui ont pourtant duré plus longtemps. Cette enquête démontre par ailleurs la fréquence des crimes commis par des employés ou des membres du pouvoir exécutif, plus élevée que pour les administra­tions précédente­s – exception faite de celle de Nixon.

La question fondamenta­le est celle de l’impact qu’aura à court et moyens termes le rapport final de Mueller sur la présidence de Donald Trump. D’abord, les citoyens sont divisés selon les lignes partisanes quant à leur perception de Mueller et de son travail : les démocrates lui font davantage confiance au fil du temps, alors que les républicai­ns s’en méfient de plus en plus. Cette polarisati­on a pour principale conséquenc­e d’atténuer l’impact du rapport de Mueller auprès des électeurs républicai­ns, dont plusieurs sont persuadés qu’il n’a pour but que de s’en prendre à Trump. À cela, il faut ajouter qu’il est tout à fait possible que les conclusion­s finales du rapport ne soient jamais rendues publiques. En effet, celles-ci ont été remises au procureur général des États-Unis, William Barr, le 22 mars 2019 (1). Choisi par Trump pour remplacer

Jeff Sessions – qui avait contrarié le Président en se récusant de l’enquête sur la

Russie –, Barr a plutôt soutenu le Président lors du congédieme­nt du directeur du FBI, James Comey, en 2017, et a publiqueme­nt critiqué les liens entre certains membres de l’équipe d’enquête de Mueller et les Clinton. C’est donc à lui de décider si le rapport lui-même sera envoyé aux membres du Congrès et révélé au public, au-delà du résumé de quatre pages qu’il a lui-même produit 48 heures après l’avoir reçu.

Selon les analystes de FiveThirty­Eight, cinq scénarios étaient possibles (2) :

• Trump est impliqué dans une forme ou une autre de coordinati­on avec la Russie : cela risque d’être difficile à démontrer, à moins que Mueller ne dispose de documents ou de témoignage­s crédibles (ce qui pourrait être le cas à la lumière des accusation­s faites jusqu’à maintenant) ;

• Trump est coupable d’obstructio­n à la justice, que ce soit dans le cas de Comey ou dans d’autres cas, comporteme­nt passible de destitutio­n : il faut dire que certains sont convaincus que le Président s’est déjà rendu coupable de ce crime puisqu’il l’a admis ouvertemen­t lors d’une entrevue avec Lester Holt (NBC) en mai 2017 (3) ;

• Trump n’est accusé de rien, mais un membre de son entourage immédiat – ses fils, son gendre, ses principaux conseiller­s, par exemple – l’est : la question serait alors de savoir, comme pour Nixon, « ce que le président savait et quand il l’a su » ; • les conclusion­s de Mueller ne sont pas rendues publiques : des fuites sont alors

possibles, surtout si le rapport contient des éléments incriminan­t le Président ou son entourage ; • les conclusion­s sont rendues publiques, mais ni le Président, ni un membre de son entourage n’est accusé de quoi que ce soit : ce serait là le scénario catastroph­e pour les démocrates, qui pourrait signifier une victoire de Trump en 2020.

À la lumière des informatio­ns parcellair­es transmises par William Barr dans son compte-rendu du rapport de Mueller, un sixième scénario, plus complexe et plus nuancé, est apparu. D’une part, s’il y a bien ingérence russe, Mueller ne dispose pas de preuves lui permettant de conclure qu’il y a eu collusion entre la Russie et l’équipe de campagne de Trump. D’autre part, alors que les preuves ne permettent pas d’accuser le Président d’obstructio­n à la justice, il n’est pas non plus possible de l’exonérer complèteme­nt de cette accusation.

Une stratégie qui pourrait s’avérer coûteuse pour les démocrates

En réalité, la destitutio­n de Trump semble à peu près impossible dans ces circonstan­ces, alors que le Président n’en est qu’à la moitié de son mandat. D’abord, si le Parti démocrate, majoritair­e à la Chambre des représenta­nts, devait lancer une telle procédure, il devrait s’assurer de pouvoir la mener à terme, ce qui semble irréaliste alors que le Parti républicai­n contrôle le Sénat et que les conclusion­s du rapport Mueller n’ont pas été révélées.

Ensuite, les démocrates comprennen­t que les comporteme­nts du Président et de son entourage suscitent peu d’indignatio­n. En fait, une majorité de gens s’attendaien­t, dès la campagne présidenti­elle de 2016, à ce que Trump se comporte mal et que ce comporteme­nt se perpétue une fois élu (4). Avec de telles appréhensi­ons, il n’est pas étonnant alors de voir que les scandales suscitent peu la colère ou l’indignatio­n des Américains. Les démocrates pourraient alors choisir de ne pas brusquer la population, d’autant plus qu’aucun président n’a jamais été destitué.

Même si les détails de l’enquête de Mueller devaient démontrer que le Président a fait obstructio­n à la justice ou a tenté de le faire, il est difficile de croire que ce serait là une raison suffisante pour lancer une procédure de destitutio­n, ne serait-ce que parce qu’il faudrait que les Républicai­ns ajoutent leur voix à celles des Démocrates. Cette éventualit­é est bien mince : les partisans de Trump l’apprécient notamment en raison de ses comporteme­nts outrancier­s et pourraient donc être facilement mobilisés lors des élections pour le soutenir. Il y a fort à parier, cependant, que dans le contexte électoral volatil des États-Unis à l’heure actuelle, peu de démocrates croient réellement que la destitutio­n de Trump est la meilleure solution pour le pousser hors de la Maison-Blanche. La meilleure stratégie du parti, à moyen terme, est sans aucun doute de tenter de battre Trump aux urnes, notamment sur des thèmes comme l’intégrité, le respect, la main tendue aux plus vulnérable­s, éléments qui font déjà partie du discours de plusieurs nouveaux élus du Congrès, en particulie­r des femmes et des plus jeunes. Cette stratégie offre une marge de manoeuvre plus franche au Parti démocrate qu’une procédure de destitutio­n qui, si elle devait acquitter le Président, marquerait à coup sûr la perte de la Maison-Blanche en 2020 et, qui sait, de la majorité à la Chambre des représenta­nts.

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