Les Grands Dossiers de Diplomatie
Une image internationale sérieusement dégradée
Paradoxalement, alors que Trump entendait restaurer la grandeur supposée perdue de l’Amérique, il en a surtout dégradé l’image – et donc le soft power – aux yeux de l’opinion mondiale. Cependant, l’histoire récente prouve qu’un nouveau visage à la Maison-Blanche suffit à renverser la tendance instantanément. Cette dégradation pourrait n’être que passagère.
Le projet de Donald Trump de « rendre à l’Amérique sa grandeur », que l’on imagine perdue ou éclipsée, a paradoxalement provoqué une spectaculaire dégradation de l’image du pays et de son président aux yeux de l’opinion internationale. Trump martèle qu’il est le président des États-Unis et pas du monde, en opposition à son prédécesseur. Cependant, en voulant faire passer en priorité les intérêts de son pays, il s’aliène la sympathie du reste du monde et ébranle considérablement le soft power des États-Unis. À l’inverse, la confiance accordée à Obama par les puissances étrangères avait contribué à redorer le blason des États-Unis après la présidence de George W. Bush. Les Républicains voyaient pourtant en lui un leader faible qu’ils accusaient d’accélérer le déclin des États-Unis. La politique conduite au nom de « America First » est donc à double tranchant : elle coûte à l’extérieur ce qu’elle rapporte – en tout cas dans le camp républicain – à l’intérieur.
L’image des États-Unis dans le monde est façonnée par une médiatisation d’une intensité à laquelle aucun autre pays ne peut prétendre. Cette attention croissante offre le spectacle d’un pays où rien ne semble aller. On ne parle évidemment pas des trains qui arrivent à l’heure, et la faillite de Detroit en 2013 a été bien plus amplement couverte que sa résurrection. De même, la curiosité bienveillante à l’égard de la candidature de Bernie Sanders en 2015-2016 a contribué à mettre en lumière les inégalités économiques croissantes. Enfin, les incessantes tueries de masse (lycée de Parkland en Floride, Las Vegas, synagogue de Pittsburgh…) et les Noirs tués par des policiers blancs, sans parler du « Shutdown », montrent une Amérique incroyablement violente, polarisée, irréconciliable avec elle-même. Le tout scandé par le déluge de tweets fracassants d’un président dont la discrétion n’est pas la qualité la plus évidente.
Les classements mondiaux
Chaque année, divers organismes publient des classements de pays en fonction de critères qui varient d’une enquête à l’autre. Leur verdict, positif ou négatif, fait généralement l’objet d’une couverture médiatique qui permet dans certains cas de surfer sur la vague du déclin, réel ou perçu.
Le Forum économique mondial, dont le rapport de 2013 avait tiré la sonnette d’alarme sur le recul inquiétant des États-Unis dans les profondeurs du classement dans le domaine des infrastructures, a classé le pays à la première place sur 140 en 2018, mais moyennant de profondes variations thématiques derrière cette position flatteuse, qui cache des points inquiétants (gouvernance) (1). Pour le magazine US News and World Report, les États-Unis glissent de la 4e place des « meilleurs pays » (la Suisse est en tête) en 2016 à la 8e en 2018 et en 2019 (2). Dans l’enquête SoftPower30 de l’institut Portland, les États-Unis perdent du terrain : 1er en 2016, 3e en 2017, 4e en
2018 (3). Ils conservent la tête en matière d’éducation, de culture et de numérique, mais reculent en gouvernance et en ouverture économique aux entreprises et
(surtout) dans le domaine des « perceptions ». Enfin, le rapport annuel Ipsos/GfK « Nation Brands Index », qui s’intéresse à l’image de marque des États, a également vu les États-Unis reculer de la première place en 2016 à la 6e place en 2017 comme en 2018 derrière l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni (malgré le Brexit), la France et le Canada, et à égalité avec l’Italie (4). À chaque fois, la chute semble correspondre à l’entrée en fonction de Donald Trump. Ces classements, récents, manquent cependant de recul historique.
Les enquêtes d’opinion internationales
Le Global Attitudes Survey du Pew Research Center permet à la fois d’avoir une image différenciée de la perception des États-Unis par pays ainsi qu’une profondeur de champ qui remonte au début du siècle (5). En 2017, l’évolution de la confiance mondiale est spectaculaire : Obama bénéficiant d’une confiance médiane de 64 %, Trump de 22 % ; la méfiance à l’égard d’Obama était de 22 %, celle à l’égard de Trump de 74 %. Cependant, il faut dissocier la perception du président de celle du pays : l’image des États-Unis s’est dégradée également, mais dans une mesure bien moindre et sans inversion de tendance : de 64 % d’opinions favorables à 49 % mais contre 39 % d’opinions défavorables. Si les sondés sanctionnent aussi le pays en fonction de son président, ils savent faire la part des choses.
L’opposition dépasse le style Trump : elle est généralisée à l’encontre de ses politiques : le mur (76 % désapprouvent, 16 % approuvent), le retrait des accords économiques (72–18) et des accords sur le climat (71–19), les restrictions migratoires (62–32) et le retrait de l’accord sur l’Iran (49–34), la mesure la moins impopulaire globalement.
Le contraste entre la perception des deux derniers présidents américains est saisissant mais masque d’importantes disparités géographiques. Dans certains pays, la confiance à l’égard du président en exercice chute de 70 à 80 points : en Suède, on passe de 93 % de confiance à 10, de 86 à 11 en Allemagne, de 88 à 17 en Corée du Sud et de 84 à 14 en France. Dans d’autres pays, la chute est moindre car on part de plus bas : en Inde on passe de 58 % à 40 %, en Tunisie de 27 à 18. Trump est plus populaire qu’Obama dans deux pays : Israël et la Russie – en tous cas au début du mandat de Trump.
Les Européens sont les plus réservés quant à l’impact du nouveau président sur la relation entre les États-Unis et leur pays : seuls 8 % estiment que celle-ci va s’améliorer, contre 17 % d’Asiatiques et 26 % d’Africains. En revanche 37 % d’Européens et 38 % d’Asiatiques pensent qu’elle va se détériorer. La moitié (Amérique latine et Europe) ne croit pas qu’elle changera, malgré Trump, ce qui introduit le caractère éphémère du mandat des présidents américains.
Si les variations géographiques sont spectaculaires, les évolutions dans le temps ne le sont pas moins. À l’impopularité globale de George W. Bush (20012009) succède, avec l’élection d’Obama, un pic aussi soudain que vertigineux de retour de la confiance, qui dépasse les 80 % en France comme en Allemagne. La popularité d’Obama restera assez stable et élevée pendant ses deux mandats. L’élection de Trump a l’effet exactement inverse : un effondrement aussi brutal que généralisé. On peut donc s’attendre à ce que l’élection (hypothétique) d’un(e) démocrate à la Maison-Blanche en 2020 ait un effet encore inverse.
La peur du repli américain
En 2018, l’opinion des États-Unis reste légèrement positive au niveau mondial, mais elle varie d’une région à l’autre, encore (6). Nettement positive en Asie et en Afrique, mitigée en Amérique latine (positive au Brésil, très négative au Mexique) et très polarisée en Europe : très négative à l’Ouest (Allemagne, Pays-Bas, France), très positive à l’Est (Hongrie, Pologne).
Globalement, néanmoins, la perception des Américains reste positive (58 % contre 26 % en 2017), de même que les sondés dissocient la culture américaine (au sens large) du locataire de la Maison-Blanche. Ainsi, 65 % (contre 29 %) disaient aimer la musique, les films et les séries produits aux États-Unis. Ils sont plus réservés quant aux idéaux américains et à la façon dont ils sont mis en pratique sur le terrain géopolitique.
Fin 2018, l’image de Trump et des États-Unis restait nettement moins bonne que sous Obama, mais le choc de l’élection de Trump était passé et on observe même une perception moins défavorable dans quelques pays (Espagne +11 ; Japon +10 ; Kenya +16). À l’inverse, l’enthousiasme russe a fait long feu (-15) et la décrue continue en France (-8), en Italie (-9) et au Nigéria (-7). C’est la rhétorique « America First » qui nuit à l’image des États-Unis, car les autres pays ont peur d’être les perdants d’un désengagement des Américains au détriment des intérêts collectifs. Cependant, les États ne constatent pas de changement en pratique dans la relation de leur pays avec les États-Unis.
Dégradation de l’image n’est pas pour autant synonyme de déclin de la puissance : pour la majorité des pays sondés par le Pew Research Center en 2017 et en
2018, l’influence des États-Unis a augmenté ou n’a pas changé depuis dix ans, ce qui englobe toute la présidence Obama. Dans le baromètre « Game Changers » d’Ipsos (2017), seuls 40 % des sondés de 25 pays pensent que les États-Unis ont une influence « positive » (30 %) ou « très positive » (10 %) sur les affaires du monde, un chiffre en net recul (-24 points) depuis 2016. L’influence brute doit donc être dissociée de sa dimension qualitative (bonne ou mauvaise). Dans la plupart des pays sondés, moins de la moitié des personnes interrogées voient l’influence américaine de manière positive (47 % des Français, 44 % des Japonais, 36 % des Britanniques, 26 % des Allemands, 18 % des Russes…).
Cependant, la perception de la puissance des États dépend du locataire de la Maison-Blanche. Sous Obama, cette puissance n’était vue comme une « menace majeure » que par 25 % des sondés de 25 pays, contre près de 50 % aujourd’hui (certes, bien en deçà d’autres menaces comme le terrorisme ou les changements climatiques).
Enfin, à choisir entre la Chine et les États-Unis comme leader du monde, ces derniers gardent la faveur de tous les pays (à l’exception de la Tunisie et du Mexique). La défiance internationale à l’encontre des États-Unis est donc totalement liée à la personne de Trump, à son style comme à ses politiques, donc aussi à leur médiatisation. Il s’agit plutôt, donc, de la méfiance d’un amoureux éconduit, qui espère que le froid ne sera que temporaire avant une nouvelle réconciliation sur l’autel du multilatéralisme et de l’ordre libéral international qui constituait la norme d’antan.
Le désamour de l’opinion internationale pour les États-Unis étant fortement lié à l’identité du président en exercice, il est probablement temporaire. Si intense qu’il soit, il ne doit pas masquer la distinction entre perception du président et image du pays, de même que les évolutions dans le temps se conjuguent à de fortes variations géographiques. Une dernière distinction à opérer est celle entre les strates fédérale et infrafédérale (États, municipalités, universités, entreprises, seules ou en réseaux). Quand Donald Trump a décidé de quitter l’Accord de Paris, ces diverses entités infranationales ont lancé des initiatives pour lutter contre le réchauffement climatique – à leur mesure, notamment en édictant des réglementations ambitieuses et en contournant le niveau fédéral. Les maires des grandes villes comme les gouverneurs d’États tels que la Californie sont alliés avec leurs homologues internationaux, ce qui confirme que les États-Unis ne sont pas réductibles à leur président. Cela dit, en termes de médiatisation, donc de perception, ces alliances et ces initiatives relèvent plutôt des trains qui arrivent à l’heure.