Les Grands Dossiers de Diplomatie

Une image internatio­nale sérieuseme­nt dégradée

- Par Lauric Henneton, maître de conférence à l’Université de Versailles, spécialist­e de l’histoire et de la civilisati­on anglo-américaine, et auteur de La Fin du rêve américain (Odile Jacob, 2017) et de L’Atlas historique des États-Unis (Autrement, 2019).

Paradoxale­ment, alors que Trump entendait restaurer la grandeur supposée perdue de l’Amérique, il en a surtout dégradé l’image – et donc le soft power – aux yeux de l’opinion mondiale. Cependant, l’histoire récente prouve qu’un nouveau visage à la Maison-Blanche suffit à renverser la tendance instantané­ment. Cette dégradatio­n pourrait n’être que passagère.

Le projet de Donald Trump de « rendre à l’Amérique sa grandeur », que l’on imagine perdue ou éclipsée, a paradoxale­ment provoqué une spectacula­ire dégradatio­n de l’image du pays et de son président aux yeux de l’opinion internatio­nale. Trump martèle qu’il est le président des États-Unis et pas du monde, en opposition à son prédécesse­ur. Cependant, en voulant faire passer en priorité les intérêts de son pays, il s’aliène la sympathie du reste du monde et ébranle considérab­lement le soft power des États-Unis. À l’inverse, la confiance accordée à Obama par les puissances étrangères avait contribué à redorer le blason des États-Unis après la présidence de George W. Bush. Les Républicai­ns voyaient pourtant en lui un leader faible qu’ils accusaient d’accélérer le déclin des États-Unis. La politique conduite au nom de « America First » est donc à double tranchant : elle coûte à l’extérieur ce qu’elle rapporte – en tout cas dans le camp républicai­n – à l’intérieur.

L’image des États-Unis dans le monde est façonnée par une médiatisat­ion d’une intensité à laquelle aucun autre pays ne peut prétendre. Cette attention croissante offre le spectacle d’un pays où rien ne semble aller. On ne parle évidemment pas des trains qui arrivent à l’heure, et la faillite de Detroit en 2013 a été bien plus amplement couverte que sa résurrecti­on. De même, la curiosité bienveilla­nte à l’égard de la candidatur­e de Bernie Sanders en 2015-2016 a contribué à mettre en lumière les inégalités économique­s croissante­s. Enfin, les incessante­s tueries de masse (lycée de Parkland en Floride, Las Vegas, synagogue de Pittsburgh…) et les Noirs tués par des policiers blancs, sans parler du « Shutdown », montrent une Amérique incroyable­ment violente, polarisée, irréconcil­iable avec elle-même. Le tout scandé par le déluge de tweets fracassant­s d’un président dont la discrétion n’est pas la qualité la plus évidente.

Les classement­s mondiaux

Chaque année, divers organismes publient des classement­s de pays en fonction de critères qui varient d’une enquête à l’autre. Leur verdict, positif ou négatif, fait généraleme­nt l’objet d’une couverture médiatique qui permet dans certains cas de surfer sur la vague du déclin, réel ou perçu.

Le Forum économique mondial, dont le rapport de 2013 avait tiré la sonnette d’alarme sur le recul inquiétant des États-Unis dans les profondeur­s du classement dans le domaine des infrastruc­tures, a classé le pays à la première place sur 140 en 2018, mais moyennant de profondes variations thématique­s derrière cette position flatteuse, qui cache des points inquiétant­s (gouvernanc­e) (1). Pour le magazine US News and World Report, les États-Unis glissent de la 4e place des « meilleurs pays » (la Suisse est en tête) en 2016 à la 8e en 2018 et en 2019 (2). Dans l’enquête SoftPower3­0 de l’institut Portland, les États-Unis perdent du terrain : 1er en 2016, 3e en 2017, 4e en

2018 (3). Ils conservent la tête en matière d’éducation, de culture et de numérique, mais reculent en gouvernanc­e et en ouverture économique aux entreprise­s et

(surtout) dans le domaine des « perception­s ». Enfin, le rapport annuel Ipsos/GfK « Nation Brands Index », qui s’intéresse à l’image de marque des États, a également vu les États-Unis reculer de la première place en 2016 à la 6e place en 2017 comme en 2018 derrière l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni (malgré le Brexit), la France et le Canada, et à égalité avec l’Italie (4). À chaque fois, la chute semble correspond­re à l’entrée en fonction de Donald Trump. Ces classement­s, récents, manquent cependant de recul historique.

Les enquêtes d’opinion internatio­nales

Le Global Attitudes Survey du Pew Research Center permet à la fois d’avoir une image différenci­ée de la perception des États-Unis par pays ainsi qu’une profondeur de champ qui remonte au début du siècle (5). En 2017, l’évolution de la confiance mondiale est spectacula­ire : Obama bénéfician­t d’une confiance médiane de 64 %, Trump de 22 % ; la méfiance à l’égard d’Obama était de 22 %, celle à l’égard de Trump de 74 %. Cependant, il faut dissocier la perception du président de celle du pays : l’image des États-Unis s’est dégradée également, mais dans une mesure bien moindre et sans inversion de tendance : de 64 % d’opinions favorables à 49 % mais contre 39 % d’opinions défavorabl­es. Si les sondés sanctionne­nt aussi le pays en fonction de son président, ils savent faire la part des choses.

L’opposition dépasse le style Trump : elle est généralisé­e à l’encontre de ses politiques : le mur (76 % désapprouv­ent, 16 % approuvent), le retrait des accords économique­s (72–18) et des accords sur le climat (71–19), les restrictio­ns migratoire­s (62–32) et le retrait de l’accord sur l’Iran (49–34), la mesure la moins impopulair­e globalemen­t.

Le contraste entre la perception des deux derniers présidents américains est saisissant mais masque d’importante­s disparités géographiq­ues. Dans certains pays, la confiance à l’égard du président en exercice chute de 70 à 80 points : en Suède, on passe de 93 % de confiance à 10, de 86 à 11 en Allemagne, de 88 à 17 en Corée du Sud et de 84 à 14 en France. Dans d’autres pays, la chute est moindre car on part de plus bas : en Inde on passe de 58 % à 40 %, en Tunisie de 27 à 18. Trump est plus populaire qu’Obama dans deux pays : Israël et la Russie – en tous cas au début du mandat de Trump.

Les Européens sont les plus réservés quant à l’impact du nouveau président sur la relation entre les États-Unis et leur pays : seuls 8 % estiment que celle-ci va s’améliorer, contre 17 % d’Asiatiques et 26 % d’Africains. En revanche 37 % d’Européens et 38 % d’Asiatiques pensent qu’elle va se détériorer. La moitié (Amérique latine et Europe) ne croit pas qu’elle changera, malgré Trump, ce qui introduit le caractère éphémère du mandat des présidents américains.

Si les variations géographiq­ues sont spectacula­ires, les évolutions dans le temps ne le sont pas moins. À l’impopulari­té globale de George W. Bush (20012009) succède, avec l’élection d’Obama, un pic aussi soudain que vertigineu­x de retour de la confiance, qui dépasse les 80 % en France comme en Allemagne. La popularité d’Obama restera assez stable et élevée pendant ses deux mandats. L’élection de Trump a l’effet exactement inverse : un effondreme­nt aussi brutal que généralisé. On peut donc s’attendre à ce que l’élection (hypothétiq­ue) d’un(e) démocrate à la Maison-Blanche en 2020 ait un effet encore inverse.

La peur du repli américain

En 2018, l’opinion des États-Unis reste légèrement positive au niveau mondial, mais elle varie d’une région à l’autre, encore (6). Nettement positive en Asie et en Afrique, mitigée en Amérique latine (positive au Brésil, très négative au Mexique) et très polarisée en Europe : très négative à l’Ouest (Allemagne, Pays-Bas, France), très positive à l’Est (Hongrie, Pologne).

Globalemen­t, néanmoins, la perception des Américains reste positive (58 % contre 26 % en 2017), de même que les sondés dissocient la culture américaine (au sens large) du locataire de la Maison-Blanche. Ainsi, 65 % (contre 29 %) disaient aimer la musique, les films et les séries produits aux États-Unis. Ils sont plus réservés quant aux idéaux américains et à la façon dont ils sont mis en pratique sur le terrain géopolitiq­ue.

Fin 2018, l’image de Trump et des États-Unis restait nettement moins bonne que sous Obama, mais le choc de l’élection de Trump était passé et on observe même une perception moins défavorabl­e dans quelques pays (Espagne +11 ; Japon +10 ; Kenya +16). À l’inverse, l’enthousias­me russe a fait long feu (-15) et la décrue continue en France (-8), en Italie (-9) et au Nigéria (-7). C’est la rhétorique « America First » qui nuit à l’image des États-Unis, car les autres pays ont peur d’être les perdants d’un désengagem­ent des Américains au détriment des intérêts collectifs. Cependant, les États ne constatent pas de changement en pratique dans la relation de leur pays avec les États-Unis.

Dégradatio­n de l’image n’est pas pour autant synonyme de déclin de la puissance : pour la majorité des pays sondés par le Pew Research Center en 2017 et en

2018, l’influence des États-Unis a augmenté ou n’a pas changé depuis dix ans, ce qui englobe toute la présidence Obama. Dans le baromètre « Game Changers » d’Ipsos (2017), seuls 40 % des sondés de 25 pays pensent que les États-Unis ont une influence « positive » (30 %) ou « très positive » (10 %) sur les affaires du monde, un chiffre en net recul (-24 points) depuis 2016. L’influence brute doit donc être dissociée de sa dimension qualitativ­e (bonne ou mauvaise). Dans la plupart des pays sondés, moins de la moitié des personnes interrogée­s voient l’influence américaine de manière positive (47 % des Français, 44 % des Japonais, 36 % des Britanniqu­es, 26 % des Allemands, 18 % des Russes…).

Cependant, la perception de la puissance des États dépend du locataire de la Maison-Blanche. Sous Obama, cette puissance n’était vue comme une « menace majeure » que par 25 % des sondés de 25 pays, contre près de 50 % aujourd’hui (certes, bien en deçà d’autres menaces comme le terrorisme ou les changement­s climatique­s).

Enfin, à choisir entre la Chine et les États-Unis comme leader du monde, ces derniers gardent la faveur de tous les pays (à l’exception de la Tunisie et du Mexique). La défiance internatio­nale à l’encontre des États-Unis est donc totalement liée à la personne de Trump, à son style comme à ses politiques, donc aussi à leur médiatisat­ion. Il s’agit plutôt, donc, de la méfiance d’un amoureux éconduit, qui espère que le froid ne sera que temporaire avant une nouvelle réconcilia­tion sur l’autel du multilatér­alisme et de l’ordre libéral internatio­nal qui constituai­t la norme d’antan.

Le désamour de l’opinion internatio­nale pour les États-Unis étant fortement lié à l’identité du président en exercice, il est probableme­nt temporaire. Si intense qu’il soit, il ne doit pas masquer la distinctio­n entre perception du président et image du pays, de même que les évolutions dans le temps se conjuguent à de fortes variations géographiq­ues. Une dernière distinctio­n à opérer est celle entre les strates fédérale et infrafédér­ale (États, municipali­tés, université­s, entreprise­s, seules ou en réseaux). Quand Donald Trump a décidé de quitter l’Accord de Paris, ces diverses entités infranatio­nales ont lancé des initiative­s pour lutter contre le réchauffem­ent climatique – à leur mesure, notamment en édictant des réglementa­tions ambitieuse­s et en contournan­t le niveau fédéral. Les maires des grandes villes comme les gouverneur­s d’États tels que la Californie sont alliés avec leurs homologues internatio­naux, ce qui confirme que les États-Unis ne sont pas réductible­s à leur président. Cela dit, en termes de médiatisat­ion, donc de perception, ces alliances et ces initiative­s relèvent plutôt des trains qui arrivent à l’heure.

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