Les Grands Dossiers de Diplomatie
Les relations entre les États-Unis et l’Europe ont-elles encore un avenir ?
En 2016, la plupart des chefs d’État européens attendaient ou espéraient plutôt une victoire de Hillary Clinton, or l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche a jeté un coup de froid dans les capitales européennes. Pourquoi Hillary Clinton avait-elle les faveurs de l’Europe ?
M. Quessard : Outre l’effet de surprise qu’a généré la victoire du candidat Trump à l’élection présidentielle américaine de 2016, deux éléments expliquent clairement pourquoi les responsables européens pouvaient préférer Hillary Clinton : les qualités politiques et l’expérience diplomatique de la candidate démocrate et le contexte de crises sécuritaires en Europe. En 2016, dans un contexte de retour de compétition de puissance en Europe (1), suite à l’annexion de la Crimée par la Russie et à la guerre en Ukraine, Hillary Clinton rassurait une majorité des dirigeants européens (à l’exception de la Pologne, traditionnellement proche du parti républicain, considéré comme plus ferme vis-à-vis de la Russie). La candidate démocrate incarnait la continuité, une ligne connue et bien plus prévisible de la politique étrangère américaine, que celle de son adversaire Donald Trump. La favorite des sondages n’entendait pas remettre en cause l’ordre international libéral qui prévalait depuis 1945, contrairement à son adversaire qui annonçait un retour de « l’Amérique d’abord », souvent perçu à tort comme une posture isolationniste. Résumée par ce slogan adressé au peuple américain, la ligne du candidat Trump demeurait alors assez floue en politique extérieure, loin des grands desseins stratégiques de ses prédécesseurs, elle annonçait une diplomatie sans concession, celle du « meilleur deal », laissant une large place au hard power (2).
Par ailleurs, le parcours à l’international de la candidate démocrate, ex-responsable du département d’État, de l’administration Obama I, avait permis aux Européens de jauger ses qualités diplomatiques et sa capacité à faire des choix difficiles ( Hard Choices). Son programme en politique étrangère, plus proche des démocrates faucons (interventionnistes), et la très probable nomination à la défense de Michèle Flournoy – personnalité expérimentée et reconnue dans le monde militaire aux États-Unis comme en Europe – étaient de nature à rassurer les alliés, devenus plus vulnérables depuis 2014 et inquiets du désengagement de l’administration Obama en faveur du pivot vers l’Asie. Il faut rappeler que, pour les Européens, le fait marquant du désengagement américain a été la non-intervention
de Barack Obama suite au franchissement de la « ligne rouge » en Syrie. Aux yeux des responsables politiques européens, ce recul américain aurait permis à la Russie de s’imposer par la suite comme un acteur incontournable en Syrie. Or, entre 2014 et 2016, les Européens ont en effet été aux prises avec une série de crises sécuritaires majeures, qui n’ont fait que renforcer leur vulnérabilité vis-à-vis des États-Unis : prise de Mossoul par Daech et expansion territoriale du conflit en 2014, division autour de la crise des réfugiés en Méditerranée, attentats à Paris et Bruxelles en 2015 et enfin Brexit en 2016.
En juin 2017, la chancelière allemande, Angela Merkel, déclarait que les Européens devaient « prendre leur destin en main », qualifiant de « quasiment révolue » l’époque où la confiance prévalait entre l’Europe et les États-Unis. Dans quelle mesure la relation transatlantique a-t-elle évolué depuis l’élection de Donald Trump ?
Il faut rappeler que, depuis l’élection de Donald Trump, les Européens sont entrés dans une ère d’incertitude et de plus grande volatilité des relations internationales. Pour les Européens, les États-Unis sont passés du statut de garant de l’ordre international libéral, à celui de primus inter pares. Or, cette idéologie de l’America first (érigée en doctrine dans la Stratégie de sécurité nationale publiée en décembre 2017) s’est traduite en Europe par une ligne qui s’est clarifiée au cours de la première année de la présidence Trump. La « doctrine Trump » a très vite été synonyme de désengagement sur le plan diplomatique ou commercial. Aux retraits retentissants se sont ajoutés les atermoiements très personnels du Président sur l’OTAN et son utilité, allant jusqu’à questionner le bien-fondé de l’article 5. L’année 2017 a, sans nul doute, fait la preuve qu’une nouvelle ère pour les relations transatlantiques en général, et pour la relation germano-américaine en particulier, venait de s’amorcer, une véritable rupture, en contradiction volontaire avec l’héritage de Barack Obama, qui avait accordé très symboliquement, rappelons-le, sa dernière visite sur le territoire européen, en tant que président, à Angela Merkel en novembre 2016. La chancelière allemande avait alors été présentée, par le président sortant, comme la garante de l’unité européenne et de la relation transatlantique, et cette rencontre avait été mise en scène comme un véritable passage de flambeau. Or, après les premiers mois de la présidence Trump, au sortir des sommets de l’OTAN et du G7, les déclarations de la chancelière allemande avaient été en effet particulièrement claires : la distanciation et l’autonomie étaient devenues nécessaires pour les Européens. Il faut souligner, sans doute, qu’Angela Merkel avait prononcé ces mots en pleine campagne électorale, alors que le taux de défiance de la population allemande, comme de l’ensemble des populations européennes, vis-à-vis du président américain atteignait des taux records [voir le focus de L. Henneton p. 41].
Washington est-il encore l’allié numéro un de l’Union européenne ?
Ponctué par les joutes oratoires musclées entre le vice-président Mike Pence et Angela Merkel, le dernier sommet de Munich de février 2019 a démontré qu’une partie des Européens ont compris depuis un certain temps déjà, qu’il leur fallait désormais pouvoir envisager des solutions pour leurs enjeux de sécurité sans les États-Unis (3). La fin du traité FNI (sur les forces nucléaires intermédiaires) (4), moins d’une semaine avant le sommet de Munich, n’a fait qu’alimenter les débats sur fond de retour de guerre froide et d’une nouvelle course aux armements. Dans une ère où le « chaos stratégique » (Pierre Hassner) et la compétition de puissance (Chine, Russie, États-Unis) ont remplacé l’ordre international libéral dont les États-Unis ont été à la fois l’architecte et le garant depuis 1945, les Européens, en quête de leadership, sont conscients qu’il faut construire leur propre ligne stratégique (la difficulté, pour eux, étant de pouvoir l’organiser de manière coordonnée) ; et ce, quitte à repenser les jeux d’alliances, y compris avec la Russie, pour faire face à l’influence chinoise (le soft power économique chinois étant perçu comme une menace pour les intérêts européens). En d’autres termes, si Washington demeure un interlocuteur privilégié et incontournable pour l’Union européenne,
compte tenu de la nouvelle donne imposée par le président Trump, d’autres options sont à l’étude.
Néanmoins, lorsque l’on évoque Washington, il est important de distinguer les paroles et les tweets du président Trump d’une part, des engagements et des décisions prises par le Congrès en faveur de l’Europe d’autre part. En effet, seul élément positif et de continuité, mais non des moindres, pour les Européens, le programme de réassurance, l’ERI ( European Reassurance Initiative), réinvestissement stratégique en faveur de Varsovie et des pays baltes (Lettonie, Lituanie, Estonie), avait été mis en oeuvre en 2014 par l’administration Obama alors que la ré-émergence manifeste de la Russie fragilisait la sécurité européenne. L’Europe ne semblait alors plus à même, pour Washington, de solutionner seule ses difficultés, et redevenait en somme une préoccupation américaine. Or, il n’y a pas eu et il n’y aura pas de remise en cause des engagements militaires américains en Europe centrale et orientale, car le Congrès n’a cessé d’augmenter le budget de la ré-assurance, renommée par l’administration Trump « dissuasion en Europe » ou EDI ( European Deterrence Initiative). De 789 millions de dollars en 2016, le budget de l’EDI a atteint 4,78 millards de dollars en 2018, et représenterait au total un contingent de 34 500 hommes (5).
La relation transatlantique est donc d’autant plus complexe que, de part et d’autre, les principaux acteurs ne partagent pas toujours la même ligne. L’Europe, on l’a compris, est un allié protéiforme ; il n’y a pas une Europe mais des Europes en quête d’union et de leader(ship), avec d’une part, un axe Paris-Berlin affaibli par les difficultés de politique intérieure, et les divergences majeures avec la Grande-Bretagne ou l’Italie, et d’autre part, plus au nord ou à l’est, des pays comme ceux du groupe de Visegrad qui ne voient pas de sécurité sur le continent – et surtout à leurs frontières – sans le soutien américain.
Alors que Donald Trump a affiché son soutien à un « hard Brexit » et qu’il est également un soutien du groupe de Visegrad, quelle est concrètement la position du président américain vis-à-vis de l’Union européenne ?
Le président Trump est le premier président américain à percevoir l’UE, non pas comme un allié vital pour les États-Unis et l’OTAN, mais comme un concurrent, voire un « ennemi commercial », au même titre que la Russie ou la Chine, selon ses déclarations mémorables sur CBS en juillet 2018, à la veille du retentissant sommet d’Helsinki. Par ailleurs, Donald Trump l’a formulé très clairement lors de la campagne des élections de mi-mandat ( midterms) à l’automne dernier : il se définit comme un nationaliste proche des souverainistes. Pour donner le tempo de cette conviction, il avait en effet qualifié de « formidable » le Brexit à la veille de sa première venue en Europe en 2017. Et si Donald Trump et Theresa May n’ont pas de « relation spéciale », comme il est historiquement de coutume entre les dirigeants de la Grande-Bretagne et des États-Unis, il se sent, en revanche, plus proche des responsables des États du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie), qui apparaissent comme des francs-tireurs au sein de l’UE, souhaitant des frontières fortes et privilégiant l’alliance Atlantique comme la clé de la sécurité sur leurs territoires.
Par ailleurs, Donald Trump n’aime pas l’UE car il ne comprend pas son fonctionnement et sa nature même, il ne comprend pas non plus les liens entre OTAN et UE ; il a d’ailleurs très vite affiché un certain dédain pour tout ce qui pouvait avoir trait aux institutions européennes. Ce dédain s’est manifesté notamment par l’absence ou le retard de nominations à des postes clés du dialogue diplomatique transatlantique (pas d’ambassadeur nommé à l’OTAN à la veille du premier sommet auquel il devait participer en mai 2017, pas d’interlocuteur privilégié au département d’État pour l’Europe et l’Eurasie pendant les neuf premiers mois de son mandat) (6).
À l’évidence, la vision de l’Europe de Trump semble plus proche de celle de son ancien conseiller – toujours très actif –
Il n’y a pas eu et il n’y aura pas de remise en cause des engagements militaires américains en Europe centrale et orientale, car le Congrès n’a cessé d’augmenter le budget de la ré-assurance, renommée par l’administration Trump « dissuasion en Europe » ou EDI (European Deterrence Initiative).
Steve Bannon, que de celle de son désormais ex-ministre de la Défense, James Mattis. En cela, oui, le président Trump marque une rupture majeure avec la vision que l’ensemble des dirigeants américains ont eu de la construction européenne depuis les années 1950. Pour les présidents successifs, d’Eisenhower à Obama, la stabilité politique et la vitalité économique de l’Union européenne ont été considérées d’abord comme des atouts pour les intérêts américains.
La liste des contentieux entre les États-Unis et l’Europe ne semble cesser de s’allonger depuis l’élection de Donald Trump. Quels sont aujourd’hui les principaux sujets de tensions entre Washington et les capitales européennes ?
Dès ses premiers mois de mandat, nous l’avons évoqué, Donald Trump a en effet multiplié les points de discorde avec les Européens (7). En voulant défaire l’ensemble des positions et accords diplomatiques mis en oeuvre par l’administration Obama, notamment les accords de Vienne de 2015, sur le nucléaire iranien, Trump a multiplié les coups d’éclat et les levées de boucliers des dirigeants européens (comme lors de la déclaration commune de Paris, Londres et Berlin) mais pas les coups de maître, car une fois les annonces passées, sans ligne diplomatique définie en amont, les mises en oeuvre de ses décisions se font au détriment des Européens. Les sanctions américaines qui pèsent sur les entreprises européennes voulant commercer avec l’Iran et le retrait hâtif des troupes américaines en Syrie en sont les plus évidents et douloureux exemples. À cela s’est ajoutée, ces derniers mois, la dureté des propos des principaux représentants de l’administration Trump : ceux du ministre des Affaires étrangères, Mike Pompeo, il y a quelques mois à Bruxelles, et ceux du vice-président, Mike Pence, plus récemment à Munich, tous deux faisant la leçon à leurs alliés et formulant des injonctions aux dirigeants européens pour qu’ils se retirent à leur tour du JCPOA. Or, le désaccord politique est consommé : pour les Européens, l’Iran respecte ses engagements, ce que, par ailleurs, semblait confirmer le rapport de la CIA rendu public en janvier contredisant ouvertement la position de la Maison-Blanche et faisant la preuve que les principales crises à surveiller se situent aussi et surtout à Washington. Sur le plan commercial, bien entendu, le point d’orgue pour les Européens comme pour les autres alliés des États-Unis (le Canada en premier lieu) a sans doute été, en 2018, les mesures protectionnistes prises à l’encontre de leurs principaux partenaires (hausse des tarifs douaniers sur l’acier en particulier) assorties de déclarations tonitruantes du président Trump décriant, entre autres, les importations de voitures européennes comme une menace pour la sécurité nationale, ce qui a fait figure de provocation ouverte pour la chancelière allemande. Donald Trump s’est montré très critique vis-à-vis de l’OTAN depuis sa campagne présidentielle. Alors qu’il critique régulièrement la trop faible participation financière des Européens à l’Alliance, il se montre également critique vis-à-vis d’une autonomisation de la défense européenne. Pourquoi l’OTAN et « l’armée européenne » constituent-elles de tels sujets de discorde ?
Il faut souligner que le point de vue de Donald Trump sur l’OTAN et son utilité est avant tout un sentiment personnel, qui peut être fluctuant et surtout qui n’est pas partagé nécessairement par les membres de son administration (le viceprésident Pence, le général Mc Master, Rex Tillerson, etc.) ; la démonstration la plus éclatante de ces dissensions a été sans conteste la démission du général James Mattis de son poste de ministre de la Défense en décembre 2018. On se
Pour les Européens, l’Iran respecte ses engagements, ce que, par ailleurs, semblait confirmer le rapport de la CIA rendu public en janvier contredisant ouvertement la position de la MaisonBlanche et faisant la preuve que les principales crises à surveiller se situent aussi et surtout à Washington.
souvient que le président Trump était revenu une première fois sur ses premières déclarations au printemps 2017, en précisant que l’OTAN n’était pas « obsolète finalement » compte tenu de son utilité pour les États-Unis dans la lutte contre le terrorisme. Point de vue qui a, bien entendu, évolué, puisque le président Trump, pressé d’annoncer des victoires possibles comme celle de la fin de Daech, a évoqué à la fin de l’année 2018 un possible retrait de l’OTAN. Or, cette volonté n’est partagée ni par les membres de son administration, on l’a dit, ni par une écrasante majorité des députés et sénateurs au Congrès, y compris conservateurs, qui multiplient les sondages et les tribunes depuis le début de l’année 2019 pour rappeler que tout retrait américain de l’OTAN serait « une grave erreur stratégique » pour les États-Unis (8). Ce consensus bi-partisan est aussi alimenté par les think tanks dont les rapports sont de véritables plaidoyers pro-OTAN, à l’approche des 70 ans du traité de l’Atlantique nord (9). Cependant, rappelons que la question du « partage du fardeau » de l’OTAN est une préoccupation récurrente des dirigeants américains depuis les années 1950 et n’est donc pas l’apanage du président Trump. On se souvient notamment à ce propos du discours retentissant du ministre de la Défense d’Obama, Robert Gates, lorsqu’il quitta ses fonctions en 2011. Il y a un consensus, au sein de la classe politique américaine comme de l’opinion publique, sur le coût trop élevé de la participation américaine au budget de l’OTAN – à hauteur de 70 %, ce qui représente 3,5 % du PNB américain. Il faut par ailleurs souligner que l’approche américaine privilégie une appréciation quantitative de la participation des États membres quand les Européens mettent en avant depuis un certain nombre d’années leur valeur ajoutée en termes qualitatifs (10).
Alors que l’imprévisibilité du président Trump est souvent présentée en effet comme un facteur d’accélération de « l’autonomie stratégique » et du regain d’intérêt des Européens pour la sécurité collective, le « spectre de l’Europe de la Défense » (en référence au précédent de la Communauté européenne de Défense dans les années 1950) (11), a avant tout resurgi en raison du contexte de crises sécuritaires qui a affecté les Européens ces dernières années. Paradoxalement, les responsables politiques américains souhaitent que les Européens contribuent financièrement à hauteur de 2 % de leur PNB, mais pas nécessairement qu’ils soient plus autonomes. S’ils sont d’ailleurs souvent perçus comme des free riders, l’évocation même de ce concept d’« autonomie stratégique » (utilisé par l’UE et la diplomatie française) fait grincer des dents à Washington, car il est interprété comme une manière de désavouer l’OTAN et la coopération avec les États-Unis. Cette ligne portée notamment par le président Macron, et développée il y a deux ans, dans son discours à la Sorbonne, a fait réapparaître les débats autour de la faisabilité d’une Europe de la défense et semble contribuer aujourd’hui à isoler la France tant le scepticisme des partenaires européens est fort quant à leur capacité à assurer collectivement leur sécurité. La doctrine de défense que le président Macron appelait de ses voeux à cette occasion a révélé la vision d’un réaliste et d’un pragmatique. Toujours est-il que les grands desseins d’un Fonds européen de Défense et de possibles interventions en Europe du Sud nécessitent avant toute chose de résoudre la question de l’harmonisation budgétaire sur le plan européen et de la bonne conduite des réformes libérales annoncées sur le plan intérieur ; ces deux points s’annoncent les principaux écueils à l’ambition européenne du président français (12), car pour Emmanuel Macron, la réforme de
Paradoxalement, les responsables politiques américains souhaitent que les Européens contribuent financièrement à hauteur de 2 % de leur PNB, mais pas nécessairement qu’ils soient plus autonomes.
l’Europe ne va pas sans la réforme de la France et inversement. On assisterait donc, après les espoirs déçus des années 2000, à l’ouverture d’une deuxième phase de la coopération européenne. Cette fois, l’approche est plus large, puisqu’il ne s’agit plus seulement de réunir des moyens pour des opérations communes, mais aussi de stratégies en matière de financement, de recherche, de politique industrielle, de culture stratégique. C’est donc un programme de long terme qui se prépare à une échelle temporelle qui néanmoins, n’est pas nécessairement celle du politique (13).
Pourrait-on résumer les relations transatlantiques actuelles à un : « Je t’aime, moi non plus » ?
Nous pourrions sans doute amender la formule en précisant : « J’ai besoin de toi, moi non plus », quand il s’agit des questions sécuritaires et de défense, avec des priorités, en fonction des États européens, de leur position, et de leurs responsabilités ou de leurs engagements extra-européens. Ainsi, les pays baltes et la Pologne, privilégiant les enjeux sécuritaires à leurs frontières, vont favoriser un atlantisme pro-Trump que le président amé
ricain rend bien aux Polonais en particulier (14). Les partenaires stratégiques très concernés par les enjeux de coopération militaire sur les théâtres extra-européens (Afrique, Moyen-Orient), comme la France, doivent privilégier le maintien de bonnes relations avec le Pentagone, en mettant en avant leur avantage comparatif en matière de défense dans les zones concernées ; ce qui n’est pas nécessairement antinomique ou impossible, comme on a pu le constater tant que le général James Mattis est resté ministre de la Défense. Il est en effet dans l’intérêt aussi des Américains de privilégier de bonnes relations de défense avec les Européens, car si les États-Unis effectuent des dépenses militaires sur le continent, c’est avant toutes choses pour préserver leurs propres intérêts de sécurité et préserver leurs positions stratégiques. Pour le Pentagone, outre les débouchés pour l’armée de terre via le commandement militaire pour l’Europe, EUCOM, l’Europe représente un point d’accès à ses bases aériennes et navales, et des points d’entrée pour ses commandements militaires régionaux extra-européens : l’AFRICOM, dont le quartier général est situé à Stuttgart, et le CENTCOM, pour le Moyen-Orient. Quelles sont les perspectives d’évolution à court ou moyen terme ?
Même si l’élection présidentielle de 2020 devait rebattre les cartes, les Européens ont compris que sur le plus long terme, « le trumpisme survivrait à Donald Trump » (15) ; les conservateurs nationalistes au Congrès proches de la ligne du Président ont pris de l’assurance, ils ont gagné en visibilité et sont parvenus à rallier, parfois par opportunisme aussi plus que par conviction, des conservateurs plus modérés et en principe plus internationalistes.
Or, dans un monde où les enjeux sécuritaires sont de plus en plus globalisés, les perspectives de maintien ou de fragilisation de l’alliance transatlantique vont dépendre aussi des crises possibles sur d’autres théâtres que l’Europe. C’est bien entendu dans la région Indo-Pacifique, terrain privilégié de la compétition de puissance sino-américaine, que se joue particulièrement l’avenir des alliances, car en cas de crise en Asie, les Européens auront un rôle à jouer auprès des États-Unis comme de leurs autres partenaires dans la zone (Japon, Australie, Inde), pour pouvoir préserver aussi leur visibilité, leur utilité comme leurs intérêts. En d’autres termes, faute de pouvoir s’organiser de manière autonome sur le temps court, les Européens vont devoir choisir à moyen terme entre : être spectateurs de la compétition de puissance russo-américaine d’une part et sinoaméricaine
Dans un monde où les enjeux sécuritaires sont de plus en plus globalisés, les perspectives de maintien ou de fragilisation de l’alliance transatlantique vont dépendre aussi des crises possibles sur d’autres théâtres que l’Europe.
d’autre part, ou démontrer qu’ils demeurent des partenaires économiques et stratégiques indispensables au maintien de l’hégémon américain en s’imposant comme une quatrième grande puissance de cette ère désormais résolument multipolaire.