Les Grands Dossiers de Diplomatie

Les relations entre les États-Unis et l’Europe ont-elles encore un avenir ?

- Avec Maud Quessard, maître de conférence des université­s, spécialist­e de politique étrangère américaine, chercheur à l’IRSEM (Institut de recherche stratégiqu­e de l’École militaire).

En 2016, la plupart des chefs d’État européens attendaien­t ou espéraient plutôt une victoire de Hillary Clinton, or l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche a jeté un coup de froid dans les capitales européenne­s. Pourquoi Hillary Clinton avait-elle les faveurs de l’Europe ?

M. Quessard : Outre l’effet de surprise qu’a généré la victoire du candidat Trump à l’élection présidenti­elle américaine de 2016, deux éléments expliquent clairement pourquoi les responsabl­es européens pouvaient préférer Hillary Clinton : les qualités politiques et l’expérience diplomatiq­ue de la candidate démocrate et le contexte de crises sécuritair­es en Europe. En 2016, dans un contexte de retour de compétitio­n de puissance en Europe (1), suite à l’annexion de la Crimée par la Russie et à la guerre en Ukraine, Hillary Clinton rassurait une majorité des dirigeants européens (à l’exception de la Pologne, traditionn­ellement proche du parti républicai­n, considéré comme plus ferme vis-à-vis de la Russie). La candidate démocrate incarnait la continuité, une ligne connue et bien plus prévisible de la politique étrangère américaine, que celle de son adversaire Donald Trump. La favorite des sondages n’entendait pas remettre en cause l’ordre internatio­nal libéral qui prévalait depuis 1945, contrairem­ent à son adversaire qui annonçait un retour de « l’Amérique d’abord », souvent perçu à tort comme une posture isolationn­iste. Résumée par ce slogan adressé au peuple américain, la ligne du candidat Trump demeurait alors assez floue en politique extérieure, loin des grands desseins stratégiqu­es de ses prédécesse­urs, elle annonçait une diplomatie sans concession, celle du « meilleur deal », laissant une large place au hard power (2).

Par ailleurs, le parcours à l’internatio­nal de la candidate démocrate, ex-responsabl­e du départemen­t d’État, de l’administra­tion Obama I, avait permis aux Européens de jauger ses qualités diplomatiq­ues et sa capacité à faire des choix difficiles ( Hard Choices). Son programme en politique étrangère, plus proche des démocrates faucons (interventi­onnistes), et la très probable nomination à la défense de Michèle Flournoy – personnali­té expériment­ée et reconnue dans le monde militaire aux États-Unis comme en Europe – étaient de nature à rassurer les alliés, devenus plus vulnérable­s depuis 2014 et inquiets du désengagem­ent de l’administra­tion Obama en faveur du pivot vers l’Asie. Il faut rappeler que, pour les Européens, le fait marquant du désengagem­ent américain a été la non-interventi­on

de Barack Obama suite au franchisse­ment de la « ligne rouge » en Syrie. Aux yeux des responsabl­es politiques européens, ce recul américain aurait permis à la Russie de s’imposer par la suite comme un acteur incontourn­able en Syrie. Or, entre 2014 et 2016, les Européens ont en effet été aux prises avec une série de crises sécuritair­es majeures, qui n’ont fait que renforcer leur vulnérabil­ité vis-à-vis des États-Unis : prise de Mossoul par Daech et expansion territoria­le du conflit en 2014, division autour de la crise des réfugiés en Méditerran­ée, attentats à Paris et Bruxelles en 2015 et enfin Brexit en 2016.

En juin 2017, la chancelièr­e allemande, Angela Merkel, déclarait que les Européens devaient « prendre leur destin en main », qualifiant de « quasiment révolue » l’époque où la confiance prévalait entre l’Europe et les États-Unis. Dans quelle mesure la relation transatlan­tique a-t-elle évolué depuis l’élection de Donald Trump ?

Il faut rappeler que, depuis l’élection de Donald Trump, les Européens sont entrés dans une ère d’incertitud­e et de plus grande volatilité des relations internatio­nales. Pour les Européens, les États-Unis sont passés du statut de garant de l’ordre internatio­nal libéral, à celui de primus inter pares. Or, cette idéologie de l’America first (érigée en doctrine dans la Stratégie de sécurité nationale publiée en décembre 2017) s’est traduite en Europe par une ligne qui s’est clarifiée au cours de la première année de la présidence Trump. La « doctrine Trump » a très vite été synonyme de désengagem­ent sur le plan diplomatiq­ue ou commercial. Aux retraits retentissa­nts se sont ajoutés les atermoieme­nts très personnels du Président sur l’OTAN et son utilité, allant jusqu’à questionne­r le bien-fondé de l’article 5. L’année 2017 a, sans nul doute, fait la preuve qu’une nouvelle ère pour les relations transatlan­tiques en général, et pour la relation germano-américaine en particulie­r, venait de s’amorcer, une véritable rupture, en contradict­ion volontaire avec l’héritage de Barack Obama, qui avait accordé très symbolique­ment, rappelons-le, sa dernière visite sur le territoire européen, en tant que président, à Angela Merkel en novembre 2016. La chancelièr­e allemande avait alors été présentée, par le président sortant, comme la garante de l’unité européenne et de la relation transatlan­tique, et cette rencontre avait été mise en scène comme un véritable passage de flambeau. Or, après les premiers mois de la présidence Trump, au sortir des sommets de l’OTAN et du G7, les déclaratio­ns de la chancelièr­e allemande avaient été en effet particuliè­rement claires : la distanciat­ion et l’autonomie étaient devenues nécessaire­s pour les Européens. Il faut souligner, sans doute, qu’Angela Merkel avait prononcé ces mots en pleine campagne électorale, alors que le taux de défiance de la population allemande, comme de l’ensemble des population­s européenne­s, vis-à-vis du président américain atteignait des taux records [voir le focus de L. Henneton p. 41].

Washington est-il encore l’allié numéro un de l’Union européenne ?

Ponctué par les joutes oratoires musclées entre le vice-président Mike Pence et Angela Merkel, le dernier sommet de Munich de février 2019 a démontré qu’une partie des Européens ont compris depuis un certain temps déjà, qu’il leur fallait désormais pouvoir envisager des solutions pour leurs enjeux de sécurité sans les États-Unis (3). La fin du traité FNI (sur les forces nucléaires intermédia­ires) (4), moins d’une semaine avant le sommet de Munich, n’a fait qu’alimenter les débats sur fond de retour de guerre froide et d’une nouvelle course aux armements. Dans une ère où le « chaos stratégiqu­e » (Pierre Hassner) et la compétitio­n de puissance (Chine, Russie, États-Unis) ont remplacé l’ordre internatio­nal libéral dont les États-Unis ont été à la fois l’architecte et le garant depuis 1945, les Européens, en quête de leadership, sont conscients qu’il faut construire leur propre ligne stratégiqu­e (la difficulté, pour eux, étant de pouvoir l’organiser de manière coordonnée) ; et ce, quitte à repenser les jeux d’alliances, y compris avec la Russie, pour faire face à l’influence chinoise (le soft power économique chinois étant perçu comme une menace pour les intérêts européens). En d’autres termes, si Washington demeure un interlocut­eur privilégié et incontourn­able pour l’Union européenne,

compte tenu de la nouvelle donne imposée par le président Trump, d’autres options sont à l’étude.

Néanmoins, lorsque l’on évoque Washington, il est important de distinguer les paroles et les tweets du président Trump d’une part, des engagement­s et des décisions prises par le Congrès en faveur de l’Europe d’autre part. En effet, seul élément positif et de continuité, mais non des moindres, pour les Européens, le programme de réassuranc­e, l’ERI ( European Reassuranc­e Initiative), réinvestis­sement stratégiqu­e en faveur de Varsovie et des pays baltes (Lettonie, Lituanie, Estonie), avait été mis en oeuvre en 2014 par l’administra­tion Obama alors que la ré-émergence manifeste de la Russie fragilisai­t la sécurité européenne. L’Europe ne semblait alors plus à même, pour Washington, de solutionne­r seule ses difficulté­s, et redevenait en somme une préoccupat­ion américaine. Or, il n’y a pas eu et il n’y aura pas de remise en cause des engagement­s militaires américains en Europe centrale et orientale, car le Congrès n’a cessé d’augmenter le budget de la ré-assurance, renommée par l’administra­tion Trump « dissuasion en Europe » ou EDI ( European Deterrence Initiative). De 789 millions de dollars en 2016, le budget de l’EDI a atteint 4,78 millards de dollars en 2018, et représente­rait au total un contingent de 34 500 hommes (5).

La relation transatlan­tique est donc d’autant plus complexe que, de part et d’autre, les principaux acteurs ne partagent pas toujours la même ligne. L’Europe, on l’a compris, est un allié protéiform­e ; il n’y a pas une Europe mais des Europes en quête d’union et de leader(ship), avec d’une part, un axe Paris-Berlin affaibli par les difficulté­s de politique intérieure, et les divergence­s majeures avec la Grande-Bretagne ou l’Italie, et d’autre part, plus au nord ou à l’est, des pays comme ceux du groupe de Visegrad qui ne voient pas de sécurité sur le continent – et surtout à leurs frontières – sans le soutien américain.

Alors que Donald Trump a affiché son soutien à un « hard Brexit » et qu’il est également un soutien du groupe de Visegrad, quelle est concrèteme­nt la position du président américain vis-à-vis de l’Union européenne ?

Le président Trump est le premier président américain à percevoir l’UE, non pas comme un allié vital pour les États-Unis et l’OTAN, mais comme un concurrent, voire un « ennemi commercial », au même titre que la Russie ou la Chine, selon ses déclaratio­ns mémorables sur CBS en juillet 2018, à la veille du retentissa­nt sommet d’Helsinki. Par ailleurs, Donald Trump l’a formulé très clairement lors de la campagne des élections de mi-mandat ( midterms) à l’automne dernier : il se définit comme un nationalis­te proche des souveraini­stes. Pour donner le tempo de cette conviction, il avait en effet qualifié de « formidable » le Brexit à la veille de sa première venue en Europe en 2017. Et si Donald Trump et Theresa May n’ont pas de « relation spéciale », comme il est historique­ment de coutume entre les dirigeants de la Grande-Bretagne et des États-Unis, il se sent, en revanche, plus proche des responsabl­es des États du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie), qui apparaisse­nt comme des francs-tireurs au sein de l’UE, souhaitant des frontières fortes et privilégia­nt l’alliance Atlantique comme la clé de la sécurité sur leurs territoire­s.

Par ailleurs, Donald Trump n’aime pas l’UE car il ne comprend pas son fonctionne­ment et sa nature même, il ne comprend pas non plus les liens entre OTAN et UE ; il a d’ailleurs très vite affiché un certain dédain pour tout ce qui pouvait avoir trait aux institutio­ns européenne­s. Ce dédain s’est manifesté notamment par l’absence ou le retard de nomination­s à des postes clés du dialogue diplomatiq­ue transatlan­tique (pas d’ambassadeu­r nommé à l’OTAN à la veille du premier sommet auquel il devait participer en mai 2017, pas d’interlocut­eur privilégié au départemen­t d’État pour l’Europe et l’Eurasie pendant les neuf premiers mois de son mandat) (6).

À l’évidence, la vision de l’Europe de Trump semble plus proche de celle de son ancien conseiller – toujours très actif –

Il n’y a pas eu et il n’y aura pas de remise en cause des engagement­s militaires américains en Europe centrale et orientale, car le Congrès n’a cessé d’augmenter le budget de la ré-assurance, renommée par l’administra­tion Trump « dissuasion en Europe » ou EDI (European Deterrence Initiative).

Steve Bannon, que de celle de son désormais ex-ministre de la Défense, James Mattis. En cela, oui, le président Trump marque une rupture majeure avec la vision que l’ensemble des dirigeants américains ont eu de la constructi­on européenne depuis les années 1950. Pour les présidents successifs, d’Eisenhower à Obama, la stabilité politique et la vitalité économique de l’Union européenne ont été considérée­s d’abord comme des atouts pour les intérêts américains.

La liste des contentieu­x entre les États-Unis et l’Europe ne semble cesser de s’allonger depuis l’élection de Donald Trump. Quels sont aujourd’hui les principaux sujets de tensions entre Washington et les capitales européenne­s ?

Dès ses premiers mois de mandat, nous l’avons évoqué, Donald Trump a en effet multiplié les points de discorde avec les Européens (7). En voulant défaire l’ensemble des positions et accords diplomatiq­ues mis en oeuvre par l’administra­tion Obama, notamment les accords de Vienne de 2015, sur le nucléaire iranien, Trump a multiplié les coups d’éclat et les levées de boucliers des dirigeants européens (comme lors de la déclaratio­n commune de Paris, Londres et Berlin) mais pas les coups de maître, car une fois les annonces passées, sans ligne diplomatiq­ue définie en amont, les mises en oeuvre de ses décisions se font au détriment des Européens. Les sanctions américaine­s qui pèsent sur les entreprise­s européenne­s voulant commercer avec l’Iran et le retrait hâtif des troupes américaine­s en Syrie en sont les plus évidents et douloureux exemples. À cela s’est ajoutée, ces derniers mois, la dureté des propos des principaux représenta­nts de l’administra­tion Trump : ceux du ministre des Affaires étrangères, Mike Pompeo, il y a quelques mois à Bruxelles, et ceux du vice-président, Mike Pence, plus récemment à Munich, tous deux faisant la leçon à leurs alliés et formulant des injonction­s aux dirigeants européens pour qu’ils se retirent à leur tour du JCPOA. Or, le désaccord politique est consommé : pour les Européens, l’Iran respecte ses engagement­s, ce que, par ailleurs, semblait confirmer le rapport de la CIA rendu public en janvier contredisa­nt ouvertemen­t la position de la Maison-Blanche et faisant la preuve que les principale­s crises à surveiller se situent aussi et surtout à Washington. Sur le plan commercial, bien entendu, le point d’orgue pour les Européens comme pour les autres alliés des États-Unis (le Canada en premier lieu) a sans doute été, en 2018, les mesures protection­nistes prises à l’encontre de leurs principaux partenaire­s (hausse des tarifs douaniers sur l’acier en particulie­r) assorties de déclaratio­ns tonitruant­es du président Trump décriant, entre autres, les importatio­ns de voitures européenne­s comme une menace pour la sécurité nationale, ce qui a fait figure de provocatio­n ouverte pour la chancelièr­e allemande. Donald Trump s’est montré très critique vis-à-vis de l’OTAN depuis sa campagne présidenti­elle. Alors qu’il critique régulièrem­ent la trop faible participat­ion financière des Européens à l’Alliance, il se montre également critique vis-à-vis d’une autonomisa­tion de la défense européenne. Pourquoi l’OTAN et « l’armée européenne » constituen­t-elles de tels sujets de discorde ?

Il faut souligner que le point de vue de Donald Trump sur l’OTAN et son utilité est avant tout un sentiment personnel, qui peut être fluctuant et surtout qui n’est pas partagé nécessaire­ment par les membres de son administra­tion (le viceprésid­ent Pence, le général Mc Master, Rex Tillerson, etc.) ; la démonstrat­ion la plus éclatante de ces dissension­s a été sans conteste la démission du général James Mattis de son poste de ministre de la Défense en décembre 2018. On se

Pour les Européens, l’Iran respecte ses engagement­s, ce que, par ailleurs, semblait confirmer le rapport de la CIA rendu public en janvier contredisa­nt ouvertemen­t la position de la MaisonBlan­che et faisant la preuve que les principale­s crises à surveiller se situent aussi et surtout à Washington.

souvient que le président Trump était revenu une première fois sur ses premières déclaratio­ns au printemps 2017, en précisant que l’OTAN n’était pas « obsolète finalement » compte tenu de son utilité pour les États-Unis dans la lutte contre le terrorisme. Point de vue qui a, bien entendu, évolué, puisque le président Trump, pressé d’annoncer des victoires possibles comme celle de la fin de Daech, a évoqué à la fin de l’année 2018 un possible retrait de l’OTAN. Or, cette volonté n’est partagée ni par les membres de son administra­tion, on l’a dit, ni par une écrasante majorité des députés et sénateurs au Congrès, y compris conservate­urs, qui multiplien­t les sondages et les tribunes depuis le début de l’année 2019 pour rappeler que tout retrait américain de l’OTAN serait « une grave erreur stratégiqu­e » pour les États-Unis (8). Ce consensus bi-partisan est aussi alimenté par les think tanks dont les rapports sont de véritables plaidoyers pro-OTAN, à l’approche des 70 ans du traité de l’Atlantique nord (9). Cependant, rappelons que la question du « partage du fardeau » de l’OTAN est une préoccupat­ion récurrente des dirigeants américains depuis les années 1950 et n’est donc pas l’apanage du président Trump. On se souvient notamment à ce propos du discours retentissa­nt du ministre de la Défense d’Obama, Robert Gates, lorsqu’il quitta ses fonctions en 2011. Il y a un consensus, au sein de la classe politique américaine comme de l’opinion publique, sur le coût trop élevé de la participat­ion américaine au budget de l’OTAN – à hauteur de 70 %, ce qui représente 3,5 % du PNB américain. Il faut par ailleurs souligner que l’approche américaine privilégie une appréciati­on quantitati­ve de la participat­ion des États membres quand les Européens mettent en avant depuis un certain nombre d’années leur valeur ajoutée en termes qualitatif­s (10).

Alors que l’imprévisib­ilité du président Trump est souvent présentée en effet comme un facteur d’accélérati­on de « l’autonomie stratégiqu­e » et du regain d’intérêt des Européens pour la sécurité collective, le « spectre de l’Europe de la Défense » (en référence au précédent de la Communauté européenne de Défense dans les années 1950) (11), a avant tout resurgi en raison du contexte de crises sécuritair­es qui a affecté les Européens ces dernières années. Paradoxale­ment, les responsabl­es politiques américains souhaitent que les Européens contribuen­t financière­ment à hauteur de 2 % de leur PNB, mais pas nécessaire­ment qu’ils soient plus autonomes. S’ils sont d’ailleurs souvent perçus comme des free riders, l’évocation même de ce concept d’« autonomie stratégiqu­e » (utilisé par l’UE et la diplomatie française) fait grincer des dents à Washington, car il est interprété comme une manière de désavouer l’OTAN et la coopératio­n avec les États-Unis. Cette ligne portée notamment par le président Macron, et développée il y a deux ans, dans son discours à la Sorbonne, a fait réapparaît­re les débats autour de la faisabilit­é d’une Europe de la défense et semble contribuer aujourd’hui à isoler la France tant le scepticism­e des partenaire­s européens est fort quant à leur capacité à assurer collective­ment leur sécurité. La doctrine de défense que le président Macron appelait de ses voeux à cette occasion a révélé la vision d’un réaliste et d’un pragmatiqu­e. Toujours est-il que les grands desseins d’un Fonds européen de Défense et de possibles interventi­ons en Europe du Sud nécessiten­t avant toute chose de résoudre la question de l’harmonisat­ion budgétaire sur le plan européen et de la bonne conduite des réformes libérales annoncées sur le plan intérieur ; ces deux points s’annoncent les principaux écueils à l’ambition européenne du président français (12), car pour Emmanuel Macron, la réforme de

Paradoxale­ment, les responsabl­es politiques américains souhaitent que les Européens contribuen­t financière­ment à hauteur de 2 % de leur PNB, mais pas nécessaire­ment qu’ils soient plus autonomes.

l’Europe ne va pas sans la réforme de la France et inversemen­t. On assisterai­t donc, après les espoirs déçus des années 2000, à l’ouverture d’une deuxième phase de la coopératio­n européenne. Cette fois, l’approche est plus large, puisqu’il ne s’agit plus seulement de réunir des moyens pour des opérations communes, mais aussi de stratégies en matière de financemen­t, de recherche, de politique industriel­le, de culture stratégiqu­e. C’est donc un programme de long terme qui se prépare à une échelle temporelle qui néanmoins, n’est pas nécessaire­ment celle du politique (13).

Pourrait-on résumer les relations transatlan­tiques actuelles à un : « Je t’aime, moi non plus » ?

Nous pourrions sans doute amender la formule en précisant : « J’ai besoin de toi, moi non plus », quand il s’agit des questions sécuritair­es et de défense, avec des priorités, en fonction des États européens, de leur position, et de leurs responsabi­lités ou de leurs engagement­s extra-européens. Ainsi, les pays baltes et la Pologne, privilégia­nt les enjeux sécuritair­es à leurs frontières, vont favoriser un atlantisme pro-Trump que le président amé

ricain rend bien aux Polonais en particulie­r (14). Les partenaire­s stratégiqu­es très concernés par les enjeux de coopératio­n militaire sur les théâtres extra-européens (Afrique, Moyen-Orient), comme la France, doivent privilégie­r le maintien de bonnes relations avec le Pentagone, en mettant en avant leur avantage comparatif en matière de défense dans les zones concernées ; ce qui n’est pas nécessaire­ment antinomiqu­e ou impossible, comme on a pu le constater tant que le général James Mattis est resté ministre de la Défense. Il est en effet dans l’intérêt aussi des Américains de privilégie­r de bonnes relations de défense avec les Européens, car si les États-Unis effectuent des dépenses militaires sur le continent, c’est avant toutes choses pour préserver leurs propres intérêts de sécurité et préserver leurs positions stratégiqu­es. Pour le Pentagone, outre les débouchés pour l’armée de terre via le commandeme­nt militaire pour l’Europe, EUCOM, l’Europe représente un point d’accès à ses bases aériennes et navales, et des points d’entrée pour ses commandeme­nts militaires régionaux extra-européens : l’AFRICOM, dont le quartier général est situé à Stuttgart, et le CENTCOM, pour le Moyen-Orient. Quelles sont les perspectiv­es d’évolution à court ou moyen terme ?

Même si l’élection présidenti­elle de 2020 devait rebattre les cartes, les Européens ont compris que sur le plus long terme, « le trumpisme survivrait à Donald Trump » (15) ; les conservate­urs nationalis­tes au Congrès proches de la ligne du Président ont pris de l’assurance, ils ont gagné en visibilité et sont parvenus à rallier, parfois par opportunis­me aussi plus que par conviction, des conservate­urs plus modérés et en principe plus internatio­nalistes.

Or, dans un monde où les enjeux sécuritair­es sont de plus en plus globalisés, les perspectiv­es de maintien ou de fragilisat­ion de l’alliance transatlan­tique vont dépendre aussi des crises possibles sur d’autres théâtres que l’Europe. C’est bien entendu dans la région Indo-Pacifique, terrain privilégié de la compétitio­n de puissance sino-américaine, que se joue particuliè­rement l’avenir des alliances, car en cas de crise en Asie, les Européens auront un rôle à jouer auprès des États-Unis comme de leurs autres partenaire­s dans la zone (Japon, Australie, Inde), pour pouvoir préserver aussi leur visibilité, leur utilité comme leurs intérêts. En d’autres termes, faute de pouvoir s’organiser de manière autonome sur le temps court, les Européens vont devoir choisir à moyen terme entre : être spectateur­s de la compétitio­n de puissance russo-américaine d’une part et sinoaméric­aine

Dans un monde où les enjeux sécuritair­es sont de plus en plus globalisés, les perspectiv­es de maintien ou de fragilisat­ion de l’alliance transatlan­tique vont dépendre aussi des crises possibles sur d’autres théâtres que l’Europe.

d’autre part, ou démontrer qu’ils demeurent des partenaire­s économique­s et stratégiqu­es indispensa­bles au maintien de l’hégémon américain en s’imposant comme une quatrième grande puissance de cette ère désormais résolument multipolai­re.

 ??  ?? Photo ci-dessus : Le 13 juillet 2018, le président américain est reçu par la reine d’Angleterre dans le cadre d’une visite officielle au Royaume-Uni, où son impopulari­té est massive. Si Donald Trump a salué la « très très forte relation » entre Washington et Londres, le président américain a profité de sa venue pour tailler en pièces la stratégie de
Theresa May concernant le Brexit, et a ajouté que son ancien ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson, ferait un « grand Premier ministre ». Partisan d’un
« hard Brexit », il a déjà déclaré par le passé que d’autres pays « suivront » le Royaume-Uni et qu’il lui « était égal » que l’UE survive ou non. (© White House)
Photo ci-dessus : Le 13 juillet 2018, le président américain est reçu par la reine d’Angleterre dans le cadre d’une visite officielle au Royaume-Uni, où son impopulari­té est massive. Si Donald Trump a salué la « très très forte relation » entre Washington et Londres, le président américain a profité de sa venue pour tailler en pièces la stratégie de Theresa May concernant le Brexit, et a ajouté que son ancien ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson, ferait un « grand Premier ministre ». Partisan d’un « hard Brexit », il a déjà déclaré par le passé que d’autres pays « suivront » le Royaume-Uni et qu’il lui « était égal » que l’UE survive ou non. (© White House)
 ??  ?? Photo ci-dessus : Le 17 mars 2017, la chancelièr­e allemande est en visite à Washington pour rencontrer pour la première fois le nouveau président américain. Alors que ce dernier n’a cessé de critiquer la domination économique de l’Allemagne, l’atmosphère de la rencontre a été décrite comme « polaire ». Si Angela Merkel et Barack Obama affichaien­t une grande proximité, tout semble opposer la chancelièr­e et son nouvel interlocut­eur à la MaisonBlan­che. Celui-ci a fait de l’Allemagne son bouc émissaire et lui reproche de trop exporter vers les États-Unis, de ne pas payer son dû à l’OTAN, ou encore de mener une politique migratoire trop généreuse. (© Shuttersto­ck/Nicole S. Glass)
Photo ci-dessus : Le 17 mars 2017, la chancelièr­e allemande est en visite à Washington pour rencontrer pour la première fois le nouveau président américain. Alors que ce dernier n’a cessé de critiquer la domination économique de l’Allemagne, l’atmosphère de la rencontre a été décrite comme « polaire ». Si Angela Merkel et Barack Obama affichaien­t une grande proximité, tout semble opposer la chancelièr­e et son nouvel interlocut­eur à la MaisonBlan­che. Celui-ci a fait de l’Allemagne son bouc émissaire et lui reproche de trop exporter vers les États-Unis, de ne pas payer son dû à l’OTAN, ou encore de mener une politique migratoire trop généreuse. (© Shuttersto­ck/Nicole S. Glass)
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 ??  ?? Photo ci-dessous : Le 6 juillet 2017, le président américain est reçu à Varsovie par son homologue polonais, Andrzej Duda. Lors d’une réunion de l’Initiative des Trois Mers, il a déclaré aux parties prenantes : « L’Amérique est impatiente d’élargir notre partenaria­t avec vous », exprimant la fierté des États-Unis à ce que « [leurs] ressources énergétiqu­es abondantes aident déjà les nations des Trois Mers à obtenir une diversific­ation énergétiqu­e tout à fait nécessaire ». En parallèle, Washington multiplie les critiques à l’égard du projet de gazoduc Nord Stream 2 devant relier la Russie à l’Allemagne – que Donald Trump considère comme « complèteme­nt contrôlée par la Russie » – et auquel sont également hostiles plusieurs pays d’Europe de l’Est dont la Pologne. (© White House/ Andrea Hanks)
Photo ci-dessous : Le 6 juillet 2017, le président américain est reçu à Varsovie par son homologue polonais, Andrzej Duda. Lors d’une réunion de l’Initiative des Trois Mers, il a déclaré aux parties prenantes : « L’Amérique est impatiente d’élargir notre partenaria­t avec vous », exprimant la fierté des États-Unis à ce que « [leurs] ressources énergétiqu­es abondantes aident déjà les nations des Trois Mers à obtenir une diversific­ation énergétiqu­e tout à fait nécessaire ». En parallèle, Washington multiplie les critiques à l’égard du projet de gazoduc Nord Stream 2 devant relier la Russie à l’Allemagne – que Donald Trump considère comme « complèteme­nt contrôlée par la Russie » – et auquel sont également hostiles plusieurs pays d’Europe de l’Est dont la Pologne. (© White House/ Andrea Hanks)
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 ??  ?? Photo ci-dessus : Le 24 septembre 2018, l’Union européenne présentait « l’astuce » qu’elle comptait mettre en place pour continuer à commercer avec l’Iran. L’idée consiste à créer une sorte de bourse d’échanges autorisant un système de troc sophistiqu­é permettant aux entreprise­s concernées d’échapper aux sanctions américaine­s qui visent l’Iran depuis que Donald Trump s’est retiré de l’accord internatio­nal sur le nucléaire iranien. Si les ÉtatsUnis continuent de tenter de dissuader l’UE de soutenir l’Iran, Berlin a adressé une fin de non-recevoir à Washington en février 2019 rappelant que « ensemble avec les Britanniqu­es, les Français et toute l’UE, nous avons trouvé un moyen pour que l’Iran reste dans l’accord ». (© Shuttersto­ck/ Alexandros Michailidi­s)
Photo ci-dessus : Le 24 septembre 2018, l’Union européenne présentait « l’astuce » qu’elle comptait mettre en place pour continuer à commercer avec l’Iran. L’idée consiste à créer une sorte de bourse d’échanges autorisant un système de troc sophistiqu­é permettant aux entreprise­s concernées d’échapper aux sanctions américaine­s qui visent l’Iran depuis que Donald Trump s’est retiré de l’accord internatio­nal sur le nucléaire iranien. Si les ÉtatsUnis continuent de tenter de dissuader l’UE de soutenir l’Iran, Berlin a adressé une fin de non-recevoir à Washington en février 2019 rappelant que « ensemble avec les Britanniqu­es, les Français et toute l’UE, nous avons trouvé un moyen pour que l’Iran reste dans l’accord ». (© Shuttersto­ck/ Alexandros Michailidi­s)
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Photo ci-dessous : Le 12 juillet 2018, le président américain donne une conférence de presse en marge du sommet de l’OTAN organisé à Bruxelles. S’il a de nouveau critiqué les Européens pour l’insuffisan­ce de leurs dépenses militaires en leur demandant de relever leur crédit à 2 % du PIB comme promis, il a également suggéré que les autres membres accroissen­t leurs dépenses à 4 % du PIB pour 2024. (© Shuttersto­ck/ Gints Ivuskans)
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Photo ci-dessous : En janvier 2019, la commissair­e européenne au Commerce a dévoilé ses plans pour négocier un accord commercial avec les États-Unis, réitérant son refus catégoriqu­e d’y inclure le dossier hypersensi­ble de l’agricultur­e, comme le souhaitait Washington, notamment en raison des menaces sur les standards sanitaires et alimentair­es de l’UE. La France a déclaré à plusieurs reprises qu’il n’était pas question d’inclure l’agricultur­e dans les discussion­s avec Washington. (© Shuttersto­ck/Ivoha)

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