Les Grands Dossiers de Diplomatie
Washington peut-il se désintéresser du Moyen-Orient ?
En mai 2017, le nouveau président américain Donald Trump décidait d’effectuer son premier voyage à l’étranger avec comme destination l’Arabie saoudite. Alors que ses prédécesseurs réservaient en général leur premier déplacement au Mexique ou au Canada, comment expliquer que Donald Trump ait souhaité se rendre au royaume saoudien en premier ? Quelle était alors la stratégie de Donald Trump vis-à-vis du Moyen-Orient ?
D. Bauchard : Le premier voyage du président américain à l’étranger l’a conduit à Riyad. Il est le fruit d’un lobbying intense des autorités saoudiennes, amorcé avant même l’élection de Donald Trump et développé depuis lors. Leurs relations avec Barack Obama ont été exécrables et elles entendent nouer avec le nouveau président américain des liens privilégiés sur de nouvelles bases. De son côté, Washington, dont l’objectif prioritaire est la création d’emplois, veut apporter son soutien aux entreprises américaines pour faire des affaires fructueuses dans le Royaume et encourager les investisseurs saoudiens à venir aux États-Unis.
Le prince héritier, Mohamed Ben Salmane (MBS), qui apparaît déjà comme l’homme fort du Royaume, se rend à Washington dès la mi-mars, quelques semaines après la prise de fonction du nouveau président. Ce premier séjour lui permet de rencontrer le président Trump et les principaux responsables de la nouvelle administration. Il noue également des relations amicales avec Jared Kushner, le gendre du président. Au cours de ces entretiens, de nombreux sujets d’intérêt commun sont évoqués, notamment le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), qualifié par Trump de « pire accord jamais conclu », et l’influence croissante de l’Iran au Moyen-Orient mais également le processus de paix israélo-palestinien, le terrorisme, la guerre au Yémen et en Syrie et le prix du pétrole. Sur de nombreux points, il y a convergence de vues. L’idée se fait jour que l’Arabie saoudite peut contribuer à provoquer un accord entre Benyamin Netanyahou et Mahmoud Abbas en faisant pression sur ce dernier. Le président américain est alors invité à venir en visite officielle en Arabie saoudite.
Tout a été fait pour accréditer l’idée non seulement que la coopération avec les États–Unis était relancée, que la confiance était retrouvée mais aussi qu’un nouveau pacte était scellé. Cette visite fut un succès indéniable. En effet, elle a été l’occasion de plusieurs sommets. Outre la rencontre avec le Roi,
le président américain a participé à un sommet de 55 pays musulmans, en présence d’une quarantaine de chefs d’État et de gouvernement, à l’exception de l’Iran et de la Syrie. Elle a été suivie d’une entrevue au sommet entre les membres du Conseil de coopération du Golfe. Un Saudi-US Ceo Forum a réuni des hommes d’affaires saoudiens et une cinquantaine de chefs d’entreprise américains parmi les plus importants, auxquels ont été exposées les modalités de mise en oeuvre de « Vision 2030 ».
Le discours du président américain le 21 mai a été à la hauteur des attentes et il n’est pas sans habileté. Donald Trump écarte la guerre des civilisations et évoque celle des « criminels barbares… et des gens bien ( decent people) de toutes religions ». En bref, reprenant la rhétorique de George W. Bush, il s’agit d’une guerre entre « le Bien et le Mal ». Il souligne que les musulmans sont les plus touchés par le terrorisme et fait un amalgame entre Daech, Al-Qaïda, le Hamas, le Hezbollah et « tant d’autres », dénonce le rôle de l’Iran dans le soutien et le financement du terrorisme et appelle ouvertement à un regime change dans ce pays. Son intervention est intéressante aussi par ses silences, notamment sur les sujets qui fâchent comme les droits de l’homme ou la liberté religieuse. Ce discours apporte un soutien ostentatoire au roi Salmane et à MBS, face à un aréopage de haut niveau regroupant la quasi-totalité des pays musulmans. Il conforte leur leadership. L’ensemble des participants semble ainsi avaliser cette condamnation du terrorisme, y compris dans sa dimension iranienne.
Lors de cette première visite très médiatisée en Arabie saoudite, Donald Trump a notamment annoncé
Il s’agit effectivement, avec Quincy II, d’un nouveau pacte dont les termes ont été modifiés : il ne s’agit plus d’un accord – protection contre pétrole –, mais plutôt d’un deal protection contre création d’emplois aux ÉtatsUnis, soit par l’obtention de contrats commerciaux, soit par des investissements saoudiens sur le sol américain.
la signature de plusieurs contrats d’une valeur dépassant les 380 milliards de dollars. Ces contrats ont-ils débouché sur quelque chose de concret ?
Sur le plan bilatéral, il s’agit d’un indéniable succès américain. Une série d’accords commerciaux pour un montant estimé de 380 milliards de dollars sur 10 ans a été annoncée. Pour 270 Md $, il s’agit d’accords portant notamment sur les domaines de l’énergie, de la pétrochimie, et de la santé, débouchant dans certains cas, par exemple pour Dow Chemical, sur des investissements en Arabie saoudite. S’y ajoutent l’annonce d’une coopération militaire renforcée et une enveloppe de 110 Md $ d’engagements d’achats de matériels d’armement qui concerneraient de nombreux secteurs : sécurité des frontières, défense aérienne et anti-missiles, cybersécurité, communication. Un projet d’usine d’assemblage d’hélicoptères Black Hawk aurait été décidé. De leur côté, les autorités saoudiennes se seraient engagées à réaliser des investissements aux ÉtatsUnis, dans les domaines du raffinage et des infrastructures, à l’initiative de l’Aramco et du Public Investment Fund, le fonds souverain saoudien. En outre, le secrétaire d’État et son homologue saoudien ont signé une Joint Strategic Vision Declaration, annonçant une coopération dans d’autres domaines, dont la diplomatie et la lutte contre le terrorisme. L’ampleur des annonces faites peut laisser penser que la part des autres pays sera très réduite et que la dépendance vis-à-vis des États-Unis est renforcée de façon spectaculaire. Il s’agit effectivement, avec Quincy II, d’un nouveau pacte dont les termes ont été modifiés : il ne s’agit plus d’un accord – protection contre pétrole –, mais plutôt d’un deal protection contre création d’emplois aux États-Unis, soit par l’obtention de contrats commerciaux, soit par des investissements saoudiens sur le sol américain.
Beaucoup des engagements annoncés lors de cette visite sont des Memorandums of understanding, c’estàdes déclarations d’intention, et
non pas des contrats fermes. Dix-huit mois après, une partie seulement de ces engagements se sont concrétisés par des investissements réalisés aux ÉtatsUnis ou par des contrats commerciaux en faveur de sociétés américaines. Il n’en reste pas moins que, malgré ce suivi inachevé et l’affaire Khashoggi, les relations entre les deux pays demeurent officiellement excellentes, même si les médias et le Congrès dénoncent la complaisance de l’Administration vis-à-vis de l’Arabie saoudite.
Alors que Barack Obama était l’un des principaux défenseurs de l’accord sur le nucléaire iranien, son successeur, Donald Trump, est celui qui a décidé de mettre fin à l’accord. Quelle est aujourd’hui la stratégie américaine visà-vis de l’Iran ?
Le président américain a repris à son compte le procès développé par Israël et l’Arabie saoudite à l’égard de l’Iran. Pour lui, la volonté de l’Iran de se doter de l’arme nucléaire demeure. Le texte de ce « pire accord » n’est pas satisfaisant et laisse en dehors de son champ le programme balistique ambitieux qui se poursuit ostensiblement. Selon lui, l’Iran entretient le terrorisme, notamment en incitant à la destruction de l’État d’Israël et en apportant son appui au Hezbollah et au Hamas. Ses visées hégémoniques s’étendent au Moyen-Orient, notamment à travers l’action de la force Al-Qods, corps d’élite des Gardiens de la Révolution ; en Syrie, l’influence iranienne est politique, économique et militaire par la présence des bases visant Israël. Au Liban, il impose l’ordre du Hezbollah. Au Yémen, c’est un appui massif aux houthistes, qui les aurait aidés à déstabiliser le gouvernement légal. La dénonciation le 8 mai 2018 de l’accord de Vienne s’inscrit dans cet affrontement et risque d’avoir des effets déstabilisants dans la région. Les douze exigences, à l’évidence inacceptables pour l’Iran, énoncées par Mike Pompeo le 21 mai 2018, ne laissent aucun doute sur la détermination américaine. Celui-ci a clairement indiqué que faute d’acceptation par l’Iran, « les sanctions les plus dures de l’histoire » lui seraient imposées. La conclusion d’un nouvel accord paraît dans ces conditions exclue. En effet même si l’accord de Vienne n’est certainement pas parfait, le système de contrôle et de limitations qu’il instaure a pour effet de geler le programme nucléaire iranien dont la finalité militaire était évidente. Les rapports de l’AIEA confirment que l’Iran continue de respecter l’accord bien que les États-Unis s’en soient retirés.
Ainsi, on peut craindre que le premier effet soit d’inciter l’Iran à reprendre sa liberté et à redémarrer un programme nucléaire qui, en 2015, était proche du seuil, c’est-à-dire de la possibilité de se
La dénonciation de l’accord de Vienne et donc le retour des sanctions ne peuvent qu’arrêter le processus d’ouverture et de normalisation des relations avec la République islamique et donc favoriser l’influence des éléments les plus conservateurs, incarnés par les Gardiens de la Révolution.
constituer rapidement un début d’arsenal nucléaire. La dénonciation de l’accord et donc le retour des sanctions ne peuvent qu’arrêter le processus d’ouverture et de normalisation des relations avec la République islamique et donc favoriser l’influence des éléments les plus conservateurs, incarnés par les Gardiens de la Révolution. Ceux-ci ont été les premiers à se féliciter de la dénonciation d’un accord qu’ils avaient contesté dès le départ. Le président Rohani personnellement et, plus généralement le camp des réformateurs, déjà affaiblis par le fait que la levée de sanctions n’avait été qu’imparfaitement mise en oeuvre, se trouvent dans une position difficile. En bref, cette décision ne fait que renforcer le régime. Elle risque de contribuer à accroître les tensions au Moyen-Orient. Elle est porteuse de conflits futurs, car jamais Israël n’acceptera que l’Iran se dote d’un armement nucléaire [voir le Focus de D. Bauchard p. 75].
La lutte contre Daech constituait également un enjeu majeur pour Washington lors de l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. En décembre dernier, Donald Trump annonçait la défaite totale du groupe État islamique et donc le retrait des troupes américaines présentes en Syrie. Si la disparition de l’EI n’est pas pour autant acquise et alors que la MaisonBlanche a annoncé qu’un certain nombre de ses soldats devraient finalement rester sur place, où en est la stratégie américaine de lutte contre l’État islamique ?
Pour répondre de façon pertinente à cette question, il convient de rappeler tout d’abord que les États-Unis ont toujours considéré qu’ils n’avaient pas d’intérêts majeurs en Syrie. On a pu le constater déjà lors de la présidence de Barack Obama : ceci explique que, malgré la fixation imprudente de lignes rouges, il ait renoncé en août 2013 à une intervention militaire après une attaque chimique perpétrée par le régime syrien. Si l’engagement américain en Syrie s’est ensuite développé, il avait comme objectif essentiel la lutte contre Daech, qui menaçait la sécurité des États-Unis et de leurs citoyens.
La position de Donald Trump est dans la continuité de cette politique, mais elle peut être critiquée à un double titre. Dans la forme, la décision de retrait des troupes américaines est intervenue brutalement après un entretien le 14 décembre avec le président Erdogan et sans aucune concertation avec ses alliés, notamment la France qui a également un contingent en Syrie du Nord. Sur le fond, elle part d’une analyse erronée, volontairement biaisée par le président turc : Daech est encore présent en Syrie, comme en témoignent les combats de début mars autour de Baghouz et reste, en toute hypothèse, une force clandestine. De plus, cette décision est incohérente avec le souhait de contrer l’influence iranienne en Syrie et de faire obstacle à un corridor terrestre entre Téhéran, Bagdad et la Méditerranée. Par ailleurs, dans la province d’Idlib, les combattants du mouvement Hyat Tahrir al-Sham – de l’ordre de 20 à 30 000 – constituent une autre menace également inquiétante : il s’agit largement d’un nouvel avatar du Front al-Nosra, c’est-à-dire d’Al-Qaïda.
En raison de l’ampleur des réactions des alliés européens et d’Israël, l’administration américaine a voulu rassurer ses partenaires et a évoqué la possibilité d’un délai et du maintien provisoire d’une force de 200 militaires dans le Nord-Est et de 200 dans le Sud à Al-Tanf. Outre le fait qu’un si faible nombre n’est pas opérationnellement significatif, il semble bien que la décision prise soit irrévocable et que, sauf élément nouveau, elle sera mise en oeuvre rapidement. Certains voient dans cette annonce par Donald Trump du retrait des forces américaines de Syrie, contre l’avis de ses conseillers, un abandon des combattants kurdes qui ont lutté contre Daech et qui sont visés par la Turquie, qui les considère comme une menace pour sa sécurité intérieure. Comment les Américains comptent-ils gérer ce sujet délicat, alors que Donald Trump et Recep Erdogan entretiennent une relation tumultueuse depuis plusieurs mois sur fond de guerre commerciale ?
L’appui donné par les États-Unis à la création et l’équipement des Forces démocratiques syriennes n’est pas au départ exempt d’ambiguïtés voire d’incohérence. En effet, ces forces sont dominées par les Kurdes du PYG, les Unités de défense du peuple kurde, qui sont étroitement liées au PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan. Or celui-ci est considéré, tant par les Nations Unies que par la Turquie et par les États-Unis eux-mêmes, comme un mouvement terroriste. Washington s’est donc trouvé en porte-à-faux à l’égard de son allié turc : ceci a été un élément important du mécontentement, pour ne pas dire plus, exprimé de façon vigoureuse par le président Erdogan, qui mène une guerre déterminée contre le PKK.
Il est vrai que ces forces kurdes ont joué un rôle important dans la lutte contre Daech dans le Nord de la Syrie, notamment lors de la prise de Rakka. Elles seraient en position de vulnérabilité si les troupes américaines devaient se retirer complètement. De fait les États-Unis sont devant un dilemme difficile à résoudre. S’ils restent, ils risquent d’arrêter leur mouvement de désengagement du Moyen-Orient, qu’ils estiment nécessaire, en Syrie comme en Irak et en Afghanistan, aussi bien pour des motifs de politique intérieure que des raisons stratégiques. S’ils se retirent, ceci signifie qu’ils lâchent leurs alliés de circonstances qui risquent d’être décimés par les troupes turques ; en outre, ils permettent éventuellement à la Turquie de se constituer une zone tampon sur son flanc sud, au nord de la Syrie. Une telle éventualité serait dommageable en termes d’image. Elle ne ferait que confirmer que les États-Unis ne sont pas fidèles à l’égard de leurs amis qu’ils abandonnent sèchement si leurs intérêts n’y trouvent pas leur compte.
En toute hypothèse, les relations entre Donald Trump et Recep Tayyip Erdogan sont condamnées à être tumultueuses compte tenu à la fois des caractères des deux présidents et des divergences de plus en plus évidentes entre les intérêts turcs et américains sur de nombreux sujets. Le rapprochement avec la Russie, qui relève certes de la realpolitik, est peut-être fragile, mais il paraît pour l’instant durable, ce qui ne peut qu’indisposer les États-Unis. La confirmation probable du contrat portant sur l’achat de missiles russes de nouvelle génération S-400 – une première pour un pays membre de l’Otan – accentuera le fossé entre les deux pays.
Le 30 octobre dernier, les États-Unis appelaient à la fin de la guerre au Yémen et à l’ouverture de négociations de paix. La crise humanitaire en cours et l’affaire Khashoggi sontelles les principales raisons qui ont motivé le changement de ton de Washington vis-à-vis du conflit au Yémen ?
Il est sûr que l’assassinat de Jamal Khashoggi et les conditions atroces dans lesquelles il a été commis ont provoqué une émotion d’autant plus forte dans les médias que l’image de l’Arabie saoudite était déjà très mauvaise aux États-Unis. Par ailleurs et dans le même temps, la réalité de la guerre et ses conséquences humanitaires, peu connues jusqu’alors, faute de médias sur place, ont enfin été dévoilées et ont suscité des réactions dans l’opinion comme au Congrès. L’Administration, manifestant une complaisance évidente à l’égard de MBS et de l’Arabie saoudite, devait en quelque sorte se racheter en prenant une initiative sur une guerre à laquelle les États-Unis participent de fait, à la fois par leur matériel, une coopération dans le domaine du renseignement et des conseillers : des officiers américains sont en effet dans la war room. Ainsi des pressions ont-elles été exercées sur l’Arabie saoudite pour qu’elle suspende son offensive sur Hodeïda et qu’elle enclenche un processus de paix. L’accord conclu à Stockholm le 13 décembre 2018 a institué une trêve et a prévu le retrait des combattants du port d’Hodeïda. Sous le contrôle de Martin Griffith, envoyé spécial des Nations Unies, la trêve tient, malgré de nombreux incidents ponctuels et résorbés, et une première phase de l’évacuation du port d’Hodeïda a été achevée. Mais cette trêve est fragile et un véritable processus de paix tarde à s’enclencher. Pour sa part, la Chambre des représentants a adopté une résolution demandant le retrait des forces américaines de tout engagement militaire au Yémen, y compris l’alimentation en vol des avions de chasse saoudiens. Il est probable que, si le Sénat vote aussi ce texte, Trump y opposera son véto. Cependant le Yemen Quad, groupe informel réunissant États-Unis, Grande-Bretagne, Arabie saoudite et Émirats arabes unis, a souligné qu’il y avait une « fenêtre d’opportunité » pour terminer le conflit et trouver une solution politique. Il ne reste qu’à mettre en pratique cette bonne intention. Ceci peut se révéler long et difficile compte tenu de l’opposition des points de vue en présence.
Alors que les relations entre Barack Obama et Benyamin Netanyahou étaient tumultueuses, les choses semblent s’être arrangées avec le Premier ministre israélien depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Quid des relations entre Israël et les États-Unis aujourd’hui ? Et où en est concrètement le « deal du siècle », ce plan de paix annoncé par le président américain pour résoudre le conflit israélo-palestinien ?
On sait que les relations entre Benyamin Netanyahou et Barack Obama étaient exécrables et qu’ils ne cachaient pas leur antipathie réciproque. Et pourtant, le président américain avait largement tenu compte des préoccupations israéliennes dans sa politique au Moyen-Orient : après une première tentative de relancer le processus de paix, qui a été un échec, il a renoncé à faire pression sur le gouvernement israélien et sous son mandat, l’aide militaire à Israël a été fortement augmentée. Benyamin Netanyahou a accueilli l’élection de Trump avec beaucoup de satisfaction. Tout d’abord le Président a confié le dossier de la question palestinienne et des relations avec Israël à son gendre, Jared Kushner, qui noua très vite avec le Premier ministre israélien des relations très amicales. De plus, Donald Trump nomma comme ambassadeur en Israël David Friedman, partisan de l’extension des colonies et de l’annexion par Israël de la Cisjordanie. Par la suite, il renonça à imposer la solution des deux États ; ordonna le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, ne s’opposa pas à l’extension des colonies de peuplement, réduisit l’aide aux Palestiniens… Toutes ces décisions ne pouvaient que plaire à Netanyahou. Mais la mise au point du « deal du siècle », le plan de paix annoncé par Trump dès sa prise de fonction, peine à se faire et n’est toujours pas bouclée. Une première raison en est qu’aucune relation de travail confiante n’a pu se mettre en place avec la partie palestinienne dans ce nouveau contexte. Il est probable aussi que le côté israélien, en position de force, n’est prêt à aucune concession significative. Une autre raison en est que l’Arabie saoudite, sur laquelle on compte pour avaliser un tel accord et faire pression sur l’Autorité palestinienne, hésite à s’engager. Il y a manifestement un désaccord entre le roi et son fils MBS, qui aurait été prêt à une telle validation. Le roi a clairement désavoué son fils sur le transfert de l’ambassade à Jérusalem, qu’il a condamné. Par ailleurs, le prince Turki, président de la fondation du roi Fayçal, qui reste une autorité morale, a déclaré de la façon la plus nette à la télévision israélienne Canal 13 que la solution de la question palestinienne était un préalable à l’établissement de relations « plus chaleureuses » avec les Arabes. En clair, il n’y aurait pas de « normalisation » des relations avec Israël tant que la question palestinienne ne serait pas résolue.
Or, ce que l’on sait de l’état d’avancement du plan Kushner montre qu’il a, à ce stade, une dimension essentiellement économique et que les questions les plus sensibles – existence d’un État, droit au retour, statut de Jérusalem, colonies de peuplement – sont escamotées. Du côté arabe – Autorité palestinienne comme Arabie saoudite –, personne n’est prêt à un tel renoncement. Il est probable que le deal est condamné à n’être qu’une initiative mort-née.
En décembre dernier, le président américain déclarait que les ÉtatsUnis n’avaient pas vocation à être « le gendarme du Moyen-Orient ». Les États-Unis pourraient-ils chercher à se désengager totalement du MoyenOrient ? Peuvent-ils se le permettre ? En réaction aux interventions aventureuses aux conséquences désastreuses de l’administration G. W. Bush, le président Obama marqua clairement son intention de se désengager du MoyenOrient. De ce point de vue, il était en phase avec son opinion publique et considérait que la diplomatie américaine devait se concentrer en priorité sur la zone du Pacifique et la menace que représentait le développement de la Chine pour les intérêts américains. Si des troupes américaines restèrent en Irak et furent engagées en Syrie, c’était pour combattre la menace terroriste, et plus spécialement Daech. Quant à l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, il fut conçu comme un moyen de régler un problème de non-prolifération et d’écarter toute option militaire, comme ceci avait pu être envisagé par son prédécesseur. Cette volonté de désengagement est confirmée pour l’essentiel par Donald Trump. À cet égard, il existe une certaine continuité de la politique américaine. Une exception notable est le cas de l’Iran. Revenant à la politique de sanctions et
La priorité donnée à la zone du Pacifique devrait rester une orientation structurante de la diplomatie américaine pour les années à venir. Ceci signifie-til pour autant que les États-Unis vont se désintéresser du Moyen-Orient ? C’est peu probable pour de nombreuses raisons.
de regime change menée traditionnellement depuis Reagan par les États-Unis et répondant aux préoccupations d’Israël et de l’Arabie saoudite, Donald Trump marque une rupture par rapport à son prédécesseur. Certes, il est peu probable qu’il s’engage dans un conflit ouvert, mais il existe à l’évidence une guerre de l’ombre et un appui aux forces ou aux pays qui pourraient déstabiliser le régime de la République islamique. À cette exception près, la priorité donnée à la zone du Pacifique devrait rester une orientation structurante de la diplomatie américaine pour les années à venir. Ceci signifie-t-il pour autant que les États-Unis vont se désintéresser du Moyen-Orient ? C’est peu probable pour de nombreuses raisons.
La sécurité d’Israël restera une préoccupation majeure de Washington compte tenu de ses liens étroits avec Israël et de l’influence qu’exerce Israël dans la politique intérieure américaine. Les liens, non seulement avec le parti démocrate, mais aussi avec la droite républicaine, y compris celle liée aux milieux évangélistes, resteront très forts même si une partie de l’establishment et une partie de la communauté juive américaine sont de plus en plus critiques à l’égard de la politique menée par Israël, qui ne coïncide pas forcément avec les intérêts américains.
Par ailleurs, le Moyen-Orient reste une zone stratégique à bien des points de vue. Même si les États-Unis sont devenus exportateurs nets d’hydrocarbures, ils ne peuvent accepter qu’il puisse être contrôlé par des puissances hostiles. En outre, ils entendent continuer à peser sur la régulation du prix du pétrole en conservant des liens étroits avec l’Arabie saoudite, qui reste un swing producer, en mesure d’exercer une influence significative sur l’évolution des prix. Ceci conduit à penser que les États-Unis ne renonceront pas à entretenir des bases militaires au Moyen-Orient, notamment dans le Golfe et dans son environnement immédiat comme en Turquie ou en Asie centrale, quitte à en réduire les effectifs. Enfin, le Moyen-Orient est déjà le terrain de la nouvelle guerre froide qui oppose les États-Unis à la Russie, mais surtout à la Chine. Celle-ci, à travers son projet phare des nouvelles routes de la soie, entend non seulement ancrer le MoyenOrient à son économie mais développer son influence politique dans cette zone stratégique. Autant de raisons qui laissent penser que les États-Unis resteront vigilants, même si on constate actuellement une certaine confusion dans leur diplomatie et un relâchement de cette vigilance.