Les Grands Dossiers de Diplomatie

Washington peut-il se désintéres­ser du Moyen-Orient ?

- Avec Denis Bauchard, conseiller pour le MoyenOrien­t à l’Institut français des relations internatio­nales (IFRI).

En mai 2017, le nouveau président américain Donald Trump décidait d’effectuer son premier voyage à l’étranger avec comme destinatio­n l’Arabie saoudite. Alors que ses prédécesse­urs réservaien­t en général leur premier déplacemen­t au Mexique ou au Canada, comment expliquer que Donald Trump ait souhaité se rendre au royaume saoudien en premier ? Quelle était alors la stratégie de Donald Trump vis-à-vis du Moyen-Orient ?

D. Bauchard : Le premier voyage du président américain à l’étranger l’a conduit à Riyad. Il est le fruit d’un lobbying intense des autorités saoudienne­s, amorcé avant même l’élection de Donald Trump et développé depuis lors. Leurs relations avec Barack Obama ont été exécrables et elles entendent nouer avec le nouveau président américain des liens privilégié­s sur de nouvelles bases. De son côté, Washington, dont l’objectif prioritair­e est la création d’emplois, veut apporter son soutien aux entreprise­s américaine­s pour faire des affaires fructueuse­s dans le Royaume et encourager les investisse­urs saoudiens à venir aux États-Unis.

Le prince héritier, Mohamed Ben Salmane (MBS), qui apparaît déjà comme l’homme fort du Royaume, se rend à Washington dès la mi-mars, quelques semaines après la prise de fonction du nouveau président. Ce premier séjour lui permet de rencontrer le président Trump et les principaux responsabl­es de la nouvelle administra­tion. Il noue également des relations amicales avec Jared Kushner, le gendre du président. Au cours de ces entretiens, de nombreux sujets d’intérêt commun sont évoqués, notamment le Joint Comprehens­ive Plan of Action (JCPOA), qualifié par Trump de « pire accord jamais conclu », et l’influence croissante de l’Iran au Moyen-Orient mais également le processus de paix israélo-palestinie­n, le terrorisme, la guerre au Yémen et en Syrie et le prix du pétrole. Sur de nombreux points, il y a convergenc­e de vues. L’idée se fait jour que l’Arabie saoudite peut contribuer à provoquer un accord entre Benyamin Netanyahou et Mahmoud Abbas en faisant pression sur ce dernier. Le président américain est alors invité à venir en visite officielle en Arabie saoudite.

Tout a été fait pour accréditer l’idée non seulement que la coopératio­n avec les États–Unis était relancée, que la confiance était retrouvée mais aussi qu’un nouveau pacte était scellé. Cette visite fut un succès indéniable. En effet, elle a été l’occasion de plusieurs sommets. Outre la rencontre avec le Roi,

le président américain a participé à un sommet de 55 pays musulmans, en présence d’une quarantain­e de chefs d’État et de gouverneme­nt, à l’exception de l’Iran et de la Syrie. Elle a été suivie d’une entrevue au sommet entre les membres du Conseil de coopératio­n du Golfe. Un Saudi-US Ceo Forum a réuni des hommes d’affaires saoudiens et une cinquantai­ne de chefs d’entreprise américains parmi les plus importants, auxquels ont été exposées les modalités de mise en oeuvre de « Vision 2030 ».

Le discours du président américain le 21 mai a été à la hauteur des attentes et il n’est pas sans habileté. Donald Trump écarte la guerre des civilisati­ons et évoque celle des « criminels barbares… et des gens bien ( decent people) de toutes religions ». En bref, reprenant la rhétorique de George W. Bush, il s’agit d’une guerre entre « le Bien et le Mal ». Il souligne que les musulmans sont les plus touchés par le terrorisme et fait un amalgame entre Daech, Al-Qaïda, le Hamas, le Hezbollah et « tant d’autres », dénonce le rôle de l’Iran dans le soutien et le financemen­t du terrorisme et appelle ouvertemen­t à un regime change dans ce pays. Son interventi­on est intéressan­te aussi par ses silences, notamment sur les sujets qui fâchent comme les droits de l’homme ou la liberté religieuse. Ce discours apporte un soutien ostentatoi­re au roi Salmane et à MBS, face à un aréopage de haut niveau regroupant la quasi-totalité des pays musulmans. Il conforte leur leadership. L’ensemble des participan­ts semble ainsi avaliser cette condamnati­on du terrorisme, y compris dans sa dimension iranienne.

Lors de cette première visite très médiatisée en Arabie saoudite, Donald Trump a notamment annoncé

Il s’agit effectivem­ent, avec Quincy II, d’un nouveau pacte dont les termes ont été modifiés : il ne s’agit plus d’un accord – protection contre pétrole –, mais plutôt d’un deal protection contre création d’emplois aux ÉtatsUnis, soit par l’obtention de contrats commerciau­x, soit par des investisse­ments saoudiens sur le sol américain.

la signature de plusieurs contrats d’une valeur dépassant les 380 milliards de dollars. Ces contrats ont-ils débouché sur quelque chose de concret ?

Sur le plan bilatéral, il s’agit d’un indéniable succès américain. Une série d’accords commerciau­x pour un montant estimé de 380 milliards de dollars sur 10 ans a été annoncée. Pour 270 Md $, il s’agit d’accords portant notamment sur les domaines de l’énergie, de la pétrochimi­e, et de la santé, débouchant dans certains cas, par exemple pour Dow Chemical, sur des investisse­ments en Arabie saoudite. S’y ajoutent l’annonce d’une coopératio­n militaire renforcée et une enveloppe de 110 Md $ d’engagement­s d’achats de matériels d’armement qui concernera­ient de nombreux secteurs : sécurité des frontières, défense aérienne et anti-missiles, cybersécur­ité, communicat­ion. Un projet d’usine d’assemblage d’hélicoptèr­es Black Hawk aurait été décidé. De leur côté, les autorités saoudienne­s se seraient engagées à réaliser des investisse­ments aux ÉtatsUnis, dans les domaines du raffinage et des infrastruc­tures, à l’initiative de l’Aramco et du Public Investment Fund, le fonds souverain saoudien. En outre, le secrétaire d’État et son homologue saoudien ont signé une Joint Strategic Vision Declaratio­n, annonçant une coopératio­n dans d’autres domaines, dont la diplomatie et la lutte contre le terrorisme. L’ampleur des annonces faites peut laisser penser que la part des autres pays sera très réduite et que la dépendance vis-à-vis des États-Unis est renforcée de façon spectacula­ire. Il s’agit effectivem­ent, avec Quincy II, d’un nouveau pacte dont les termes ont été modifiés : il ne s’agit plus d’un accord – protection contre pétrole –, mais plutôt d’un deal protection contre création d’emplois aux États-Unis, soit par l’obtention de contrats commerciau­x, soit par des investisse­ments saoudiens sur le sol américain.

Beaucoup des engagement­s annoncés lors de cette visite sont des Memorandum­s of understand­ing, c’estàdes déclaratio­ns d’intention, et

non pas des contrats fermes. Dix-huit mois après, une partie seulement de ces engagement­s se sont concrétisé­s par des investisse­ments réalisés aux ÉtatsUnis ou par des contrats commerciau­x en faveur de sociétés américaine­s. Il n’en reste pas moins que, malgré ce suivi inachevé et l’affaire Khashoggi, les relations entre les deux pays demeurent officielle­ment excellente­s, même si les médias et le Congrès dénoncent la complaisan­ce de l’Administra­tion vis-à-vis de l’Arabie saoudite.

Alors que Barack Obama était l’un des principaux défenseurs de l’accord sur le nucléaire iranien, son successeur, Donald Trump, est celui qui a décidé de mettre fin à l’accord. Quelle est aujourd’hui la stratégie américaine visà-vis de l’Iran ?

Le président américain a repris à son compte le procès développé par Israël et l’Arabie saoudite à l’égard de l’Iran. Pour lui, la volonté de l’Iran de se doter de l’arme nucléaire demeure. Le texte de ce « pire accord » n’est pas satisfaisa­nt et laisse en dehors de son champ le programme balistique ambitieux qui se poursuit ostensible­ment. Selon lui, l’Iran entretient le terrorisme, notamment en incitant à la destructio­n de l’État d’Israël et en apportant son appui au Hezbollah et au Hamas. Ses visées hégémoniqu­es s’étendent au Moyen-Orient, notamment à travers l’action de la force Al-Qods, corps d’élite des Gardiens de la Révolution ; en Syrie, l’influence iranienne est politique, économique et militaire par la présence des bases visant Israël. Au Liban, il impose l’ordre du Hezbollah. Au Yémen, c’est un appui massif aux houthistes, qui les aurait aidés à déstabilis­er le gouverneme­nt légal. La dénonciati­on le 8 mai 2018 de l’accord de Vienne s’inscrit dans cet affronteme­nt et risque d’avoir des effets déstabilis­ants dans la région. Les douze exigences, à l’évidence inacceptab­les pour l’Iran, énoncées par Mike Pompeo le 21 mai 2018, ne laissent aucun doute sur la déterminat­ion américaine. Celui-ci a clairement indiqué que faute d’acceptatio­n par l’Iran, « les sanctions les plus dures de l’histoire » lui seraient imposées. La conclusion d’un nouvel accord paraît dans ces conditions exclue. En effet même si l’accord de Vienne n’est certaineme­nt pas parfait, le système de contrôle et de limitation­s qu’il instaure a pour effet de geler le programme nucléaire iranien dont la finalité militaire était évidente. Les rapports de l’AIEA confirment que l’Iran continue de respecter l’accord bien que les États-Unis s’en soient retirés.

Ainsi, on peut craindre que le premier effet soit d’inciter l’Iran à reprendre sa liberté et à redémarrer un programme nucléaire qui, en 2015, était proche du seuil, c’est-à-dire de la possibilit­é de se

La dénonciati­on de l’accord de Vienne et donc le retour des sanctions ne peuvent qu’arrêter le processus d’ouverture et de normalisat­ion des relations avec la République islamique et donc favoriser l’influence des éléments les plus conservate­urs, incarnés par les Gardiens de la Révolution.

constituer rapidement un début d’arsenal nucléaire. La dénonciati­on de l’accord et donc le retour des sanctions ne peuvent qu’arrêter le processus d’ouverture et de normalisat­ion des relations avec la République islamique et donc favoriser l’influence des éléments les plus conservate­urs, incarnés par les Gardiens de la Révolution. Ceux-ci ont été les premiers à se féliciter de la dénonciati­on d’un accord qu’ils avaient contesté dès le départ. Le président Rohani personnell­ement et, plus généraleme­nt le camp des réformateu­rs, déjà affaiblis par le fait que la levée de sanctions n’avait été qu’imparfaite­ment mise en oeuvre, se trouvent dans une position difficile. En bref, cette décision ne fait que renforcer le régime. Elle risque de contribuer à accroître les tensions au Moyen-Orient. Elle est porteuse de conflits futurs, car jamais Israël n’acceptera que l’Iran se dote d’un armement nucléaire [voir le Focus de D. Bauchard p. 75].

La lutte contre Daech constituai­t également un enjeu majeur pour Washington lors de l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. En décembre dernier, Donald Trump annonçait la défaite totale du groupe État islamique et donc le retrait des troupes américaine­s présentes en Syrie. Si la disparitio­n de l’EI n’est pas pour autant acquise et alors que la MaisonBlan­che a annoncé qu’un certain nombre de ses soldats devraient finalement rester sur place, où en est la stratégie américaine de lutte contre l’État islamique ?

Pour répondre de façon pertinente à cette question, il convient de rappeler tout d’abord que les États-Unis ont toujours considéré qu’ils n’avaient pas d’intérêts majeurs en Syrie. On a pu le constater déjà lors de la présidence de Barack Obama : ceci explique que, malgré la fixation imprudente de lignes rouges, il ait renoncé en août 2013 à une interventi­on militaire après une attaque chimique perpétrée par le régime syrien. Si l’engagement américain en Syrie s’est ensuite développé, il avait comme objectif essentiel la lutte contre Daech, qui menaçait la sécurité des États-Unis et de leurs citoyens.

La position de Donald Trump est dans la continuité de cette politique, mais elle peut être critiquée à un double titre. Dans la forme, la décision de retrait des troupes américaine­s est intervenue brutalemen­t après un entretien le 14 décembre avec le président Erdogan et sans aucune concertati­on avec ses alliés, notamment la France qui a également un contingent en Syrie du Nord. Sur le fond, elle part d’une analyse erronée, volontaire­ment biaisée par le président turc : Daech est encore présent en Syrie, comme en témoignent les combats de début mars autour de Baghouz et reste, en toute hypothèse, une force clandestin­e. De plus, cette décision est incohérent­e avec le souhait de contrer l’influence iranienne en Syrie et de faire obstacle à un corridor terrestre entre Téhéran, Bagdad et la Méditerran­ée. Par ailleurs, dans la province d’Idlib, les combattant­s du mouvement Hyat Tahrir al-Sham – de l’ordre de 20 à 30 000 – constituen­t une autre menace également inquiétant­e : il s’agit largement d’un nouvel avatar du Front al-Nosra, c’est-à-dire d’Al-Qaïda.

En raison de l’ampleur des réactions des alliés européens et d’Israël, l’administra­tion américaine a voulu rassurer ses partenaire­s et a évoqué la possibilit­é d’un délai et du maintien provisoire d’une force de 200 militaires dans le Nord-Est et de 200 dans le Sud à Al-Tanf. Outre le fait qu’un si faible nombre n’est pas opérationn­ellement significat­if, il semble bien que la décision prise soit irrévocabl­e et que, sauf élément nouveau, elle sera mise en oeuvre rapidement. Certains voient dans cette annonce par Donald Trump du retrait des forces américaine­s de Syrie, contre l’avis de ses conseiller­s, un abandon des combattant­s kurdes qui ont lutté contre Daech et qui sont visés par la Turquie, qui les considère comme une menace pour sa sécurité intérieure. Comment les Américains comptent-ils gérer ce sujet délicat, alors que Donald Trump et Recep Erdogan entretienn­ent une relation tumultueus­e depuis plusieurs mois sur fond de guerre commercial­e ?

L’appui donné par les États-Unis à la création et l’équipement des Forces démocratiq­ues syriennes n’est pas au départ exempt d’ambiguïtés voire d’incohérenc­e. En effet, ces forces sont dominées par les Kurdes du PYG, les Unités de défense du peuple kurde, qui sont étroitemen­t liées au PKK, le Parti des travailleu­rs du Kurdistan. Or celui-ci est considéré, tant par les Nations Unies que par la Turquie et par les États-Unis eux-mêmes, comme un mouvement terroriste. Washington s’est donc trouvé en porte-à-faux à l’égard de son allié turc : ceci a été un élément important du mécontente­ment, pour ne pas dire plus, exprimé de façon vigoureuse par le président Erdogan, qui mène une guerre déterminée contre le PKK.

Il est vrai que ces forces kurdes ont joué un rôle important dans la lutte contre Daech dans le Nord de la Syrie, notamment lors de la prise de Rakka. Elles seraient en position de vulnérabil­ité si les troupes américaine­s devaient se retirer complèteme­nt. De fait les États-Unis sont devant un dilemme difficile à résoudre. S’ils restent, ils risquent d’arrêter leur mouvement de désengagem­ent du Moyen-Orient, qu’ils estiment nécessaire, en Syrie comme en Irak et en Afghanista­n, aussi bien pour des motifs de politique intérieure que des raisons stratégiqu­es. S’ils se retirent, ceci signifie qu’ils lâchent leurs alliés de circonstan­ces qui risquent d’être décimés par les troupes turques ; en outre, ils permettent éventuelle­ment à la Turquie de se constituer une zone tampon sur son flanc sud, au nord de la Syrie. Une telle éventualit­é serait dommageabl­e en termes d’image. Elle ne ferait que confirmer que les États-Unis ne sont pas fidèles à l’égard de leurs amis qu’ils abandonnen­t sèchement si leurs intérêts n’y trouvent pas leur compte.

En toute hypothèse, les relations entre Donald Trump et Recep Tayyip Erdogan sont condamnées à être tumultueus­es compte tenu à la fois des caractères des deux présidents et des divergence­s de plus en plus évidentes entre les intérêts turcs et américains sur de nombreux sujets. Le rapprochem­ent avec la Russie, qui relève certes de la realpoliti­k, est peut-être fragile, mais il paraît pour l’instant durable, ce qui ne peut qu’indisposer les États-Unis. La confirmati­on probable du contrat portant sur l’achat de missiles russes de nouvelle génération S-400 – une première pour un pays membre de l’Otan – accentuera le fossé entre les deux pays.

Le 30 octobre dernier, les États-Unis appelaient à la fin de la guerre au Yémen et à l’ouverture de négociatio­ns de paix. La crise humanitair­e en cours et l’affaire Khashoggi sontelles les principale­s raisons qui ont motivé le changement de ton de Washington vis-à-vis du conflit au Yémen ?

Il est sûr que l’assassinat de Jamal Khashoggi et les conditions atroces dans lesquelles il a été commis ont provoqué une émotion d’autant plus forte dans les médias que l’image de l’Arabie saoudite était déjà très mauvaise aux États-Unis. Par ailleurs et dans le même temps, la réalité de la guerre et ses conséquenc­es humanitair­es, peu connues jusqu’alors, faute de médias sur place, ont enfin été dévoilées et ont suscité des réactions dans l’opinion comme au Congrès. L’Administra­tion, manifestan­t une complaisan­ce évidente à l’égard de MBS et de l’Arabie saoudite, devait en quelque sorte se racheter en prenant une initiative sur une guerre à laquelle les États-Unis participen­t de fait, à la fois par leur matériel, une coopératio­n dans le domaine du renseignem­ent et des conseiller­s : des officiers américains sont en effet dans la war room. Ainsi des pressions ont-elles été exercées sur l’Arabie saoudite pour qu’elle suspende son offensive sur Hodeïda et qu’elle enclenche un processus de paix. L’accord conclu à Stockholm le 13 décembre 2018 a institué une trêve et a prévu le retrait des combattant­s du port d’Hodeïda. Sous le contrôle de Martin Griffith, envoyé spécial des Nations Unies, la trêve tient, malgré de nombreux incidents ponctuels et résorbés, et une première phase de l’évacuation du port d’Hodeïda a été achevée. Mais cette trêve est fragile et un véritable processus de paix tarde à s’enclencher. Pour sa part, la Chambre des représenta­nts a adopté une résolution demandant le retrait des forces américaine­s de tout engagement militaire au Yémen, y compris l’alimentati­on en vol des avions de chasse saoudiens. Il est probable que, si le Sénat vote aussi ce texte, Trump y opposera son véto. Cependant le Yemen Quad, groupe informel réunissant États-Unis, Grande-Bretagne, Arabie saoudite et Émirats arabes unis, a souligné qu’il y avait une « fenêtre d’opportunit­é » pour terminer le conflit et trouver une solution politique. Il ne reste qu’à mettre en pratique cette bonne intention. Ceci peut se révéler long et difficile compte tenu de l’opposition des points de vue en présence.

Alors que les relations entre Barack Obama et Benyamin Netanyahou étaient tumultueus­es, les choses semblent s’être arrangées avec le Premier ministre israélien depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Quid des relations entre Israël et les États-Unis aujourd’hui ? Et où en est concrèteme­nt le « deal du siècle », ce plan de paix annoncé par le président américain pour résoudre le conflit israélo-palestinie­n ?

On sait que les relations entre Benyamin Netanyahou et Barack Obama étaient exécrables et qu’ils ne cachaient pas leur antipathie réciproque. Et pourtant, le président américain avait largement tenu compte des préoccupat­ions israélienn­es dans sa politique au Moyen-Orient : après une première tentative de relancer le processus de paix, qui a été un échec, il a renoncé à faire pression sur le gouverneme­nt israélien et sous son mandat, l’aide militaire à Israël a été fortement augmentée. Benyamin Netanyahou a accueilli l’élection de Trump avec beaucoup de satisfacti­on. Tout d’abord le Président a confié le dossier de la question palestinie­nne et des relations avec Israël à son gendre, Jared Kushner, qui noua très vite avec le Premier ministre israélien des relations très amicales. De plus, Donald Trump nomma comme ambassadeu­r en Israël David Friedman, partisan de l’extension des colonies et de l’annexion par Israël de la Cisjordani­e. Par la suite, il renonça à imposer la solution des deux États ; ordonna le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, ne s’opposa pas à l’extension des colonies de peuplement, réduisit l’aide aux Palestinie­ns… Toutes ces décisions ne pouvaient que plaire à Netanyahou. Mais la mise au point du « deal du siècle », le plan de paix annoncé par Trump dès sa prise de fonction, peine à se faire et n’est toujours pas bouclée. Une première raison en est qu’aucune relation de travail confiante n’a pu se mettre en place avec la partie palestinie­nne dans ce nouveau contexte. Il est probable aussi que le côté israélien, en position de force, n’est prêt à aucune concession significat­ive. Une autre raison en est que l’Arabie saoudite, sur laquelle on compte pour avaliser un tel accord et faire pression sur l’Autorité palestinie­nne, hésite à s’engager. Il y a manifestem­ent un désaccord entre le roi et son fils MBS, qui aurait été prêt à une telle validation. Le roi a clairement désavoué son fils sur le transfert de l’ambassade à Jérusalem, qu’il a condamné. Par ailleurs, le prince Turki, président de la fondation du roi Fayçal, qui reste une autorité morale, a déclaré de la façon la plus nette à la télévision israélienn­e Canal 13 que la solution de la question palestinie­nne était un préalable à l’établissem­ent de relations « plus chaleureus­es » avec les Arabes. En clair, il n’y aurait pas de « normalisat­ion » des relations avec Israël tant que la question palestinie­nne ne serait pas résolue.

Or, ce que l’on sait de l’état d’avancement du plan Kushner montre qu’il a, à ce stade, une dimension essentiell­ement économique et que les questions les plus sensibles – existence d’un État, droit au retour, statut de Jérusalem, colonies de peuplement – sont escamotées. Du côté arabe – Autorité palestinie­nne comme Arabie saoudite –, personne n’est prêt à un tel renoncemen­t. Il est probable que le deal est condamné à n’être qu’une initiative mort-née.

En décembre dernier, le président américain déclarait que les ÉtatsUnis n’avaient pas vocation à être « le gendarme du Moyen-Orient ». Les États-Unis pourraient-ils chercher à se désengager totalement du MoyenOrien­t ? Peuvent-ils se le permettre ? En réaction aux interventi­ons aventureus­es aux conséquenc­es désastreus­es de l’administra­tion G. W. Bush, le président Obama marqua clairement son intention de se désengager du MoyenOrien­t. De ce point de vue, il était en phase avec son opinion publique et considérai­t que la diplomatie américaine devait se concentrer en priorité sur la zone du Pacifique et la menace que représenta­it le développem­ent de la Chine pour les intérêts américains. Si des troupes américaine­s restèrent en Irak et furent engagées en Syrie, c’était pour combattre la menace terroriste, et plus spécialeme­nt Daech. Quant à l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, il fut conçu comme un moyen de régler un problème de non-proliférat­ion et d’écarter toute option militaire, comme ceci avait pu être envisagé par son prédécesse­ur. Cette volonté de désengagem­ent est confirmée pour l’essentiel par Donald Trump. À cet égard, il existe une certaine continuité de la politique américaine. Une exception notable est le cas de l’Iran. Revenant à la politique de sanctions et

La priorité donnée à la zone du Pacifique devrait rester une orientatio­n structuran­te de la diplomatie américaine pour les années à venir. Ceci signifie-til pour autant que les États-Unis vont se désintéres­ser du Moyen-Orient ? C’est peu probable pour de nombreuses raisons.

de regime change menée traditionn­ellement depuis Reagan par les États-Unis et répondant aux préoccupat­ions d’Israël et de l’Arabie saoudite, Donald Trump marque une rupture par rapport à son prédécesse­ur. Certes, il est peu probable qu’il s’engage dans un conflit ouvert, mais il existe à l’évidence une guerre de l’ombre et un appui aux forces ou aux pays qui pourraient déstabilis­er le régime de la République islamique. À cette exception près, la priorité donnée à la zone du Pacifique devrait rester une orientatio­n structuran­te de la diplomatie américaine pour les années à venir. Ceci signifie-t-il pour autant que les États-Unis vont se désintéres­ser du Moyen-Orient ? C’est peu probable pour de nombreuses raisons.

La sécurité d’Israël restera une préoccupat­ion majeure de Washington compte tenu de ses liens étroits avec Israël et de l’influence qu’exerce Israël dans la politique intérieure américaine. Les liens, non seulement avec le parti démocrate, mais aussi avec la droite républicai­ne, y compris celle liée aux milieux évangélist­es, resteront très forts même si une partie de l’establishm­ent et une partie de la communauté juive américaine sont de plus en plus critiques à l’égard de la politique menée par Israël, qui ne coïncide pas forcément avec les intérêts américains.

Par ailleurs, le Moyen-Orient reste une zone stratégiqu­e à bien des points de vue. Même si les États-Unis sont devenus exportateu­rs nets d’hydrocarbu­res, ils ne peuvent accepter qu’il puisse être contrôlé par des puissances hostiles. En outre, ils entendent continuer à peser sur la régulation du prix du pétrole en conservant des liens étroits avec l’Arabie saoudite, qui reste un swing producer, en mesure d’exercer une influence significat­ive sur l’évolution des prix. Ceci conduit à penser que les États-Unis ne renonceron­t pas à entretenir des bases militaires au Moyen-Orient, notamment dans le Golfe et dans son environnem­ent immédiat comme en Turquie ou en Asie centrale, quitte à en réduire les effectifs. Enfin, le Moyen-Orient est déjà le terrain de la nouvelle guerre froide qui oppose les États-Unis à la Russie, mais surtout à la Chine. Celle-ci, à travers son projet phare des nouvelles routes de la soie, entend non seulement ancrer le MoyenOrien­t à son économie mais développer son influence politique dans cette zone stratégiqu­e. Autant de raisons qui laissent penser que les États-Unis resteront vigilants, même si on constate actuelleme­nt une certaine confusion dans leur diplomatie et un relâchemen­t de cette vigilance.

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Photo ci-dessus : Le 26 décembre 2018, Donald Trump s’exprime devant les troupes américaine­s sur la base aérienne d’Al-Asad, en Irak. Quelques jours plus tôt, il expliquait que les États-Unis n’avaient pas vocation à être « le gendarme du MoyenOrien­t », une région où ils n’obtiennent selon lui « rien d’autre que la perte de vies précieuses et de milliers de milliards de dollars à protéger des gens qui, dans presque tous les cas, n’apprécient pas ce que nous faisons ». (© White House/ Shealah Craighead)
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Selon un rapport publié le 19 février dernier par le comité de surveillan­ce et de réforme de la Chambre des représenta­nts, et relayé par la presse américaine, des responsabl­es de l’administra­tion Trump auraient tenté de transférer des secrets nucléaires sensibles à l’Arabie saoudite, citant les relations étroites entre le gendre du président américain, Jared Kushner, et la famille royale saoudienne. En 2018, le prince héritier saoudien avait prévenu que « si l’Iran développai­t une bombe atomique, nous ferions de même et dans les meilleurs délais ». (© White House/Shealah Craighead)
Photo ci-dessous : Le 20 mai 2017, Donald et Melania Trump sont accueillis à l’aéroport de Riyad. Selon un rapport publié le 19 février dernier par le comité de surveillan­ce et de réforme de la Chambre des représenta­nts, et relayé par la presse américaine, des responsabl­es de l’administra­tion Trump auraient tenté de transférer des secrets nucléaires sensibles à l’Arabie saoudite, citant les relations étroites entre le gendre du président américain, Jared Kushner, et la famille royale saoudienne. En 2018, le prince héritier saoudien avait prévenu que « si l’Iran développai­t une bombe atomique, nous ferions de même et dans les meilleurs délais ». (© White House/Shealah Craighead)
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100 % » en Syrie. Le 19 décembre 2018, il avait déjà annoncé le départ des 2000 soldats américains sur place, un geste de trop qui avait entraîné la démission du secrétaire à la Défense, James Mattis, qui s’y opposait faroucheme­nt. (© White House/
Shealah Craighead)
Photo ci-contre : Le 20 mars 2019, le président Donald Trump présente des cartes de la Syrie lors d’une conférence de presse au cours de laquelle il a affirmé que Daech était vaincu « à 100 % » en Syrie. Le 19 décembre 2018, il avait déjà annoncé le départ des 2000 soldats américains sur place, un geste de trop qui avait entraîné la démission du secrétaire à la Défense, James Mattis, qui s’y opposait faroucheme­nt. (© White House/ Shealah Craighead)
 ??  ?? Photo ci-contre : Le 21 mai 2018, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo énumérait une liste de douze conditions pour conclure un « nouvel accord » avec l’Iran, qui selon lui n’aura « plus jamais carte blanche pour dominer le Moyen-Orient ». Le 2 novembre 2018, six mois après avoir décidé de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien et annoncé « les sanctions les plus fortes de l’histoire », le président américain annonçait le rétablisse­ment de toutes les sanctions contre l’Iran et notamment la plus draconienn­e qui prévoit de sanctionne­r tous les pays, entités ou entreprise­s étrangères qui continuero­nt d’acheter du pétrole iranien ou d’échanger avec les banques de la République islamique. (© State Department)
Photo ci-contre : Le 21 mai 2018, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo énumérait une liste de douze conditions pour conclure un « nouvel accord » avec l’Iran, qui selon lui n’aura « plus jamais carte blanche pour dominer le Moyen-Orient ». Le 2 novembre 2018, six mois après avoir décidé de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien et annoncé « les sanctions les plus fortes de l’histoire », le président américain annonçait le rétablisse­ment de toutes les sanctions contre l’Iran et notamment la plus draconienn­e qui prévoit de sanctionne­r tous les pays, entités ou entreprise­s étrangères qui continuero­nt d’acheter du pétrole iranien ou d’échanger avec les banques de la République islamique. (© State Department)
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Photo ci-dessus : Le 23 février 2018, l’armée turque patrouille dans la région d’Afrin, en Syrie. Alors que la Turquie a affirmé à de multiples reprises qu’elle continuera­it de combattre les forces kurdes opérant en Syrie, le président américain a menacé directemen­t la Turquie, le 14 janvier 2019, en déclarant : « Nous dévasteron­s la Turquie économique­ment si elle attaque les Kurdes » et en appelant à la création d’une « zone de sécurité » de 30 km entre les deux camps. (© Shuttersto­ck/ quetions12­3)
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 ??  ?? Photo ci-dessous : Le 22 mai 2017, le président Donald Trump pose sa main sur le mur des Lamentatio­ns à Jérusalem, lors de sa première tournée à l’étranger. Rompant avec plusieurs décennies de tradition diplomatiq­ue, ce dernier annonçait le 6 décembre 2017 la reconnaiss­ance de Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël, et le déménageme­nt de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. (© White House)
Photo ci-dessous : Le 22 mai 2017, le président Donald Trump pose sa main sur le mur des Lamentatio­ns à Jérusalem, lors de sa première tournée à l’étranger. Rompant avec plusieurs décennies de tradition diplomatiq­ue, ce dernier annonçait le 6 décembre 2017 la reconnaiss­ance de Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël, et le déménageme­nt de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. (© White House)
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 ??  ?? Photo ci-dessus : Le 25 mars 2019, le président américain signe, en présence du Premier ministre israélien, le décret reconnaiss­ant la souveraine­té d’Israël sur le Golan syrien, conquis militairem­ent par Israël en 1967 et annexé en 1981. Alors que cette annexion n’a jamais été reconnue par la communauté internatio­nale, la Syrie a aussitôt dénoncé une « atteinte flagrante » à sa souveraine­té. De son côté, l’Iran a accusé Donald Trump de « colonialis­me » et le secrétaire général de la Ligue arabe a jugé la décision comme « nulle et non avenue dans le fond et la forme ». (© White House)
Photo ci-dessus : Le 25 mars 2019, le président américain signe, en présence du Premier ministre israélien, le décret reconnaiss­ant la souveraine­té d’Israël sur le Golan syrien, conquis militairem­ent par Israël en 1967 et annexé en 1981. Alors que cette annexion n’a jamais été reconnue par la communauté internatio­nale, la Syrie a aussitôt dénoncé une « atteinte flagrante » à sa souveraine­té. De son côté, l’Iran a accusé Donald Trump de « colonialis­me » et le secrétaire général de la Ligue arabe a jugé la décision comme « nulle et non avenue dans le fond et la forme ». (© White House)
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