Les Grands Dossiers de Diplomatie
Donald Trump peut-il régler la question nucléaire nord-coréenne ?
Par Marianne Peron-Doise, chercheure Asie du Nord-Est (Japon-Corées) et chargée du programme Sécurité maritime internationale à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) depuis 2015 ; chercheur associé au CERISciences Po. L’absence d’accord suivant le deuxième sommet entre Donald Trump et Kim Jongun à Hanoï le 27 avril dernier a suscité des questions sur la politique nord-coréenne du président américain. La reconnaissance par l’intéressé que tout était préférable à un « mauvais accord » a été saluée comme un retour au réalisme (1). Donald Trump avait d’ailleurs essayé de se prévaloir contre toute critique d’angélisme ou de naïveté en maintenant la primauté des sanctions depuis le début de ses échanges avec Pyongyang.
Confrontés depuis 30 ans à la question nucléaire nord-coréenne, les États-Unis ont essayé plusieurs formats de discussions, bilatérales et multilatérales ainsi que divers modes de négociations, de l’incitation à la contrainte. Ainsi l’accord de Genève promu par l’administration Clinton en 1994 proposait à Pyongyang la construction de deux réacteurs à eaux légères en échange de l’abandon d’un programme nucléaire encore embryonnaire. Toutefois, l’engagement à répondre au besoin énergétique nordcoréen et à soutenir son développement économique n’avait pas comblé l’important déficit de confiance entre les protagonistes.
L’approche préconisée par Donald Trump visait à investir cette dimension en instaurant des relations directes avec son homologue nord-coréen. Au demeurant, la personnalisation extrême des relations entre le président des États-Unis et le dirigeant d’un pays autrefois labellisé membre de l’axe du mal et attaqué pour ses manquements aux droits de l’homme par d’autres présidents américains avait soulevé bien des critiques.
La méthode Trump version un : entre conviction et illusion
Le Sommet de Singapour entre Donald Trump et Kim Jong-un en juin 2018 a inauguré cette nouvelle ligne diplomatique (2). L’argument du président américain était que les experts en négociations ayant échoué à obtenir un quelconque engagement à dénucléariser de la Corée du Nord, il convenait de hisser le niveau des discussions aux cercles décisionnels. Cette approche n’a été que partiellement validée (3). Les deux dirigeants ont signé une déclaration en quatre points évoquant la dénucléarisation de la péninsule Coréenne et un traité de paix, mais l’absence d’une feuille de route avec un calendrier encadrant ces actions ont suscité des réserves sur la méthode. Cependant, pour le président Trump comme pour son secrétaire d’État Mike Pompeo, le fait que les deux protagonistes s’étaient compris sur leurs attentes respectives durant leurs échanges privés suffirait à garantir le bon déroulement des discussions à venir. La restitution des restes de soldats américains datant de la guerre de Corée comme le démantèlement d’un site de lancement de satellites par la Corée du Nord furent ainsi présentés comme des avancées tangibles reflétant la confiance créée. Donald Trump, persuadé du bien-fondé de sa diplomatie transactionnelle et de sa proximité avec Kim Jong-un, alla même jusqu’à expliquer que le problème nucléaire nord-coréen était résolu. Son optimisme parut à peine entamé quand quelques semaines après le sommet de Singapour, des images satellites montrèrent des signes d’activités sur les sites de production de missiles nucléaires nord-coréens (4).
La décision de Donald Trump, au demeurant soutenue par le président sud-coréen Moon Jae-in, de suspendre les exercices majeurs d’entraînement conjoints américanosud-coréens, illustrait la possibilité d’autres initiatives tout aussi inédites, mais aussi le souci de créer des « relations spéciales » avec un jeune dirigeant nord-coréen désireux de faire entrer son pays dans la modernité. Pour autant, Kim Jong-un est-il prêt à abandonner son programme nucléaire en échange de garanties de sécurité et d’une assistance économique internationale ? Ou bien est-il prisonnier de l’héritage nucléaire
légué par son grand-père et père qu’il ne peut remettre en cause sauf à entamer la légitimité du régime ?
Si le sommet de Singapour a été salué comme un évènement de portée historique, il ne constituait qu’une étape préliminaire aux négociations concernant la dénucléarisation de la Corée du Nord et la levée des sanctions. Pyongyang a abordé cette première rencontre dans une position confortable en raison des soutiens de la Corée du Sud et de la Chine. Séoul s’est en effet déclarée à plusieurs reprises prête à reprendre et à développer la coopération économique intercoréenne entamée dans les années 2000 à la faveur de la politique d’ouverture ou « Sunshine Policy » mise en place par le président Kim Dae-jung.
Quant à la Chine, où Kim Jong-un s’est rendu à quatre reprises depuis mars 2018, inquiète d’une Corée du
Nord nucléarisée à sa porte, elle affiche un soutien de principe à la nouvelle politique américaine. Elle encourage un processus de négociation graduel, porté par les efforts réciproques des deux principaux protagonistes. À ses yeux, la dénucléarisation au long cours de Pyongyang et la signature d’un traité de paix régional pourrait déboucher sur une réduction de la présence militaire américaine en Asie du Nord. Toutefois, un rapprochement trop net de Pyongyang avec Washington et Séoul ne servirait pas ses intérêts.
L’après-sommet de Hanoï et le retour au statu quo ante ?
L’absence d’accord suivant le sommet de Hanoï et l’apparente difficulté des deux parties à s’entendre sur des propositions dont l’objectif était d’aller plus loin dans les négociations constituent une sérieuse remise en cause de la méthode Trump (5). Certes, Washington comme Pyongyang affirment garder de bonnes relations et vouloir poursuivre les discussions, mais ils s’accusent mutuellement du blocage apparent du processus. Par ailleurs, le choix du Vietnam, comme les références appuyées de Donald Trump au potentiel développement économique de la Corée du Nord, ont brouillé l’agenda de la rencontre. Après la menace de recourir à une option militaire en 2017 puis l’offre de discussion et les rencontres américano-nord-coréennes et intercoréennes de l’année 2018, l’année 2019 allaitelle porter sur l’aide à la transformation économique de la Corée du Nord ? C’est la lecture faite par le leadership nord-coréen dont l’objectif affiché à la veille du sommet de Hanoï est un allègement partiel des sanctions. En contrepartie, et selon l’aveu de Pyongyang qui s’y était préparé, l’offre de démantèlement du site de Yongbyon, incluant les installations de plutonium et d’uranium était la plus grande mesure de dénucléarisation envisageable à ce stade des discussions. Or, comme expliqué durant la conférence de presse de Donald Trump, la partie américaine a demandé davantage, notamment une liste des principaux sites nucléaires nord-coréens. Il semblerait donc que Donald Trump ait décidé d’arrêter la politique des « petits pas » pourtant décrite par son envoyé spécial pour la Corée du Nord, Stephen Biegun dans son discours à l’université de Stanford quelques semaines avant le sommet (6). Écoutant John Bolton et Mike Pompeo, Donald Trump serait au dernier moment revenu sur l’option du maintien de la pression afin d’obtenir plus tard beaucoup plus de Pyongyang. Soucieuse de justifier sa position, la délégation nord-coréenne a organisé une conférence de presse pour expliquer que la levée partielle des sanctions demandées était liée aux moyens de subsistance de la population et sans rapport avec les sanctions militaires. Ces sanctions au nombre de cinq sur les onze votées depuis mars 2016 sont les plus contraignantes pour l’économie nord-coréenne. Elles concernent l’énergie (pétrole, gaz naturel, charbon), l’exportation et l’importation de textile et l’exportation de travailleurs. Kim Jong-un pouvait difficilement concéder trop d’avantages stratégiques à Washington. Au plan interne, cela pouvait entamer son prestige et la « légitimité » du régime, qui reposent sur la mise en avant de la menace extérieure, notamment des États-Unis. Au plan externe, le nucléaire reste son unique levier de négociation avec la communauté internationale, ce qui permet de comprendre que le processus de démantèlement total et vérifiable prendra des années. Les faibles retombées du sommet de Hanoï ne constituent pourtant pas un revers. Kim Jong-un a pu poursuivre sa « normalisation » internationale en se positionnant comme négociant une nouvelle fois à parité avec le président américain et en effectuant une visite d’État au Vietnam, avec qui Pyongyang entretient des liens privilégiés. L’après-sommet d’Hanoï va-t-il se traduire par un retour à la situation de tension avec des risques d’affrontements armés de 2017 ? Donald Trump a déclaré que Kim Jong-un s’était engagé à ne pas reprendre les essais nucléaires et balistiques suspendus depuis le sommet de Singapour. De son côté, le président américain a confirmé le gel des exercices d’entraînement militaires majeurs avec la Corée du
Sud. Ainsi, la balance des vulnérabilités s’équilibre : la Corée du Nord arrête ses tirs mais poursuit ses activités d’enrichissement et reste une menace nucléaire entière. Les États-Unis rejouent la carte du temps pour laisser les sanctions peser de tout leur poids sur le régime, tout en maintenant leur garantie de sécurité vis-à-vis de leurs proches alliés. Ce schéma, assez proche de la patience stratégique de l’administration Obama, ne laissera d’autre choix à Pyongyang que de rechercher le soutien économique de la Chine. Il marque les limites de la politique de Donald Trump pour régler la question nucléaire nord-coréenne, sachant que la préparation des élections américaines de 2020 devrait rapidement l’accaparer.