Les Grands Dossiers de Diplomatie

Washington-Téhéran : affronteme­nt direct ou guerre multiforme ?

- Par Denis Bauchard, conseiller pour le Moyen-Orient à l’Institut français des relations internatio­nales (IFRI). Denis Bauchard

L’affronteme­nt entre les États-Unis, Israël, l’Arabie saoudite d’un côté et l’Iran de l’autre se fait d’ores et déjà par procuratio­n, voire directemen­t. Au Liban, Israël est intervenu militairem­ent à plusieurs reprises – en 1993, 1996 et 2006 – contre le Hezbollah. En Syrie, Israël intervient de plus en plus fréquemmen­t non seulement contre le Hezbollah mais, depuis cette année, contre des éléments iraniens sur le sol syrien. L’Arabie saoudite s’est engagée militairem­ent de façon massive au Yémen, où elle se trouve enlisée. Elle entretient des groupes salafistes en Syrie et apporte au Liban un appui à Saad Hariri pour contrer l’influence du Hezbollah. En Iran même, les États-Unis, souvent en concertati­on avec Israël, ont mené diverses actions clandestin­es susceptibl­es de prendre une plus grande ampleur. Du côté américain, il est peu probable que les États

Unis s’impliquent à nouveau de façon directe dans un Moyen-Orient dont ils souhaitent se désengager. En revanche, il est possible qu’ils augmentent les moyens destinés à déstabilis­er le régime sans s’engager dans une interventi­on militaire. Divers moyens ont été identifiés ou suggérés par les think tanks, notamment le Washington Institute, proche d’Israël : sabotages d’installati­ons suspectes, cyberguerr­e, soutien politique et financier aux opposants du régime, guerre psychologi­que, sanctions tous azimuts, etc. Ainsi cette guerre multiforme, dont une partie relève de l’ombre, va sans aucun doute s’amplifier. Les États-Unis en revanche appuient d’ores et déjà des initiative­s militaires d’Israël.

Des interventi­ons militaires directes ont été déjà menées par Israël dans le passé. Elles vont s’amplifier et se diversifie­r. À cet égard, trois fronts existent. Si le front du Liban Sud est actuelleme­nt en sommeil, depuis la guerre des 33 jours en 2006, le front syrien est actif. Depuis le début de l’année 2018, Israël a clairement averti que la présence d’éléments iraniens, en fait la force Al-Qods, était inacceptab­le. Il s’agit d’une ligne rouge. Depuis le 10 février 2018, Israël s’emploie à détruire systématiq­uement toutes les installati­ons ou bases contrôlées par des forces iraniennes, notamment la base T4 près de Palmyre. Pour l’instant, l’Iran n’a réagi que faiblement et sur le seul Golan annexé par Israël. Un troisième front ne doit pas être exclu. B. Netanyahou a clairement indiqué qu’il n’excluait pas d’attaquer directemen­t le territoire iranien. Une telle interventi­on, par exemple sur des installati­ons pétrolière­s ou des sites nucléaires, qui a déjà été envisagée dans le passé contre l’avis de Tsahal, serait risquée compte tenu de la distance – 1600 à 2000 kilomètres. Elle supposerai­t sans doute un feu vert des États-Unis avec des moyens aériens importants pour des résultats aléatoires.

On peut s’interroger sur l’efficacité d’une telle stratégie de déstabilis­ation de la République islamique, parce qu’elle est fondée sur une évaluation erronée de la solidité du régime iranien. Certes, des mécontente­ments s’expriment de façon évidente. Mais le régime a une base fidèle, notamment dans l’Iran des déshérités, avec une société foncièreme­nt conservatr­ice. Par ailleurs, tout ce qui peut apparaître comme une agression extérieure ne peut que mobiliser la population autour du régime et susciter des réactions nationalis­tes dans un pays à très forte identité.

Face à une telle situation explosive, il y a des éléments modérés qui cherchent à calmer le jeu, à commencer par l’establishm­ent militaire américain mais aussi les Russes. Le premier doit freiner des éléments belliciste­s qui, par aventurism­e ou pour des raisons de politique intérieure, peuvent amorcer un engrenage incontrôla­ble. Les seconds ne cachent pas leur embarras : ils ont à la fois des intérêts majeurs en Syrie et de bonnes relations avec Israël, et sont des alliés de circonstan­ces avec l’Iran.

La conférence sur « la paix et la sécurité au MoyenOrien­t », qui a réuni une soixantain­e de pays à Varsovie le 14 février 2019, avait comme objectif essentiel de définir une stratégie commune contre l’Iran, incluant les pays européens. Il s’agissait également pour les ÉtatsUnis d’organiser une véritable alliance, imprudemme­nt qualifiée d’Arab Nato, qui aurait réuni Israël et un certain nombre d’États arabes. En fait, les représenta­nts européens, incités à dénoncer l’accord nucléaire avec l’Iran, n’ont pas caché leurs réticences et la plupart des pays arabes ont exprimé leurs réserves à l’égard d’une telle initiative. Cette conférence a été un échec pour la diplomatie américaine : le vice-président Mike Pence, présent à Varsovie, n’a pas caché sa déception. Cependant, il est clair que l’objectif de déstabilis­er l’Iran demeure d’autant plus affiché que, avec la démission du général Mattis et l’influence grandissan­te du secrétaire d’État Pompeo et du conseiller à la sécurité John Bolton, les « faucons » ont le champ libre.

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Donald Trump participe à un briefing de sécurité en Irak en compagnie de son conseiller à la Sécurité nationale John Bolton (à gauche). Le président américain avait demandé en juillet dernier à l’Iran – qui l’avait prévenu de « ne pas tirer les moustaches du tigre » – de ne « jamais plus menacer les États-Unis » sous peine de « conséquenc­es telles que peu au cours de l’histoire en ont connues ». Le Wall Street Journal a révélé le 13 janvier 2019 que John Bolton avait demandé au Pentagone de présenter à la Maison-Blanche des « options militaires » pour « frapper l’Iran » après que des tirs de mortiers d’un groupe armé affidé à l’Iran aient touché le quartier de l’ambassade américaine à Bagdad – sans faire de blessé. (© White House/Shealah Craighead)
Photo ci-contre : Le 26 décembre 2018, le président Donald Trump participe à un briefing de sécurité en Irak en compagnie de son conseiller à la Sécurité nationale John Bolton (à gauche). Le président américain avait demandé en juillet dernier à l’Iran – qui l’avait prévenu de « ne pas tirer les moustaches du tigre » – de ne « jamais plus menacer les États-Unis » sous peine de « conséquenc­es telles que peu au cours de l’histoire en ont connues ». Le Wall Street Journal a révélé le 13 janvier 2019 que John Bolton avait demandé au Pentagone de présenter à la Maison-Blanche des « options militaires » pour « frapper l’Iran » après que des tirs de mortiers d’un groupe armé affidé à l’Iran aient touché le quartier de l’ambassade américaine à Bagdad – sans faire de blessé. (© White House/Shealah Craighead)

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