Les Grands Dossiers de Diplomatie
Travailleurs nord-coréens à l’étranger : la population au service du régime
L’envoi à l’étranger de travailleurs par la Corée du Nord est tant un problème de respect de droits de l’homme qu’un problème de financement de la prolifération. Non seulement ces ressortissants sont sous surveillance étroite dans des conditions de travail assimilées à du travail forcé, se faisant notamment confisquer la majorité de leur salaire, mais les revenus obtenus ainsi par le régime nord-coréen permettent de financer, entre autres, ses programmes nucléaire et balistique. Depuis 2017 et l’adoption d’une série de résolutions par le Conseil de sécurité de l’ONU, le nombre de travailleurs nord-coréens à l’étranger s’est fortement réduit sans que cette pratique ne se soit toutefois encore arrêtée (1).
Une manne financière
La Corée du Nord aurait envoyé en Union soviétique des ouvriers pour travailler dans l’industrie du bois dès la fin des années 1940, avant que la pratique ne s’étende en Afrique dans les années 1970, puis au reste du monde dans les années 1990 (2). L’effondrement du système économique dans les années 1990 et surtout l’adoption progressive de sanctions internationales compliquant les activités illicites du régime afin d’acquérir des devises étrangères ont poussé le régime à multiplier l’envoi de travailleurs à l’étranger, notamment en Chine.
Les estimations varient considérablement tant pour le nombre total de travailleurs nord-coréens à l’étranger que pour les revenus qu’ils génèrent. En 2015, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme en Corée du Nord évoquait
50 000 travailleurs rapportant annuellement entre 1,2 et 2,3 milliards de dollars aux Nord-Coréens, des estimations critiquées pour sous-estimer le nombre de travailleurs et surestimer les revenus du régime. Une étude sud-coréenne de 2017 évoquait entre 115 000 et 150 000 travailleurs, dont une majorité en Chine et en Russie, mais également près de 5000 au Koweït, et environ 2000 aux Émirats arabes unis, au
Qatar ou encore en Mongolie (3). En décembre 2017, la mission américaine auprès des Nations Unies évoquait le chiffre de 100 000 travailleurs nord-coréens à l’étranger, dont 50 000 en Chine et 30 000 en Russie, rapportant près de 500 millions de dollars au régime, des chiffres depuis largement repris (4).
Un esclavage d’État ?
Les activités de ces travailleurs nord-coréens à l’étranger sont diversifiées et les articles de presse évoquent la gestion de restaurants coréens en Chine, la construction des stades de la Coupe du monde au Qatar et en Russie, l’assemblage sur des chantiers navals en Pologne, la fourniture de services médicaux en Mongolie et en Tanzanie, ou encore la participation à des équipages sur des bateaux aux Fidji, en Uruguay ou encore au Pérou. Notons également la forte présence de travailleurs nord-coréens hautement qualifiés dans les nouvelles technologies, et notamment la programmation informatique. Plusieurs dizaines de pays seraient donc concernés de l’Algérie au Népal, de l’Éthiopie aux Émirats arabes unis, du Bangladesh à Malte.
Les conditions de travail de ces ressortissants nord-coréens sont généralement déplorables. Selon le rapport annuel de Human Rights Watch pour 2019, le traitement des travailleurs nord-coréens à l’étranger n’est pas conforme aux normes internationales du travail : « Sans droit à la liberté d’association ou d’expression, avec un contrôle par des gardiens qui limitent la liberté de mouvement et l’accès à l’information du monde extérieur, avec de longues heures de travail et sans droit de refuser les heures supplémentaires. » Ces pratiques sont en violation directe du Pacte international relatif aux droits civils et politiques pourtant ratifié par la Corée du Nord en 1981. De plus, les entreprises employant des travailleurs nord-coréens versent leurs salaires directement à des intermédiaires liés au régime nord-coréen, ces premiers n’en percevant qu’une infime partie (5).
Ironiquement, ce travail forcé bénéficie à toutes les parties concernées : le régime nord-coréen et ses intermédiaires du fait des bénéfices financiers, les travailleurs nord-coréens eux-mêmes qui malgré les abus ont des conditions de travail et des rémunérations meilleures qu’en Corée du Nord, et les employeurs locaux qui bénéficient d’une main-d’oeuvre à bon marché et compétente.
Vers la fin du système ?
Depuis 2017, une série de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU interdit l’envoi, et à terme la présence, de travailleurs nord-coréens à l’étranger. En réaction à la multiplication des essais balistiques et nucléaires par le régime nord-coréen, l’objectif est d’assécher les sources de devises étrangères par la Corée du Nord à travers l’adoption de diverses sanctions à caractère économique : interdiction des exportations de minéraux, de produits textiles, etc. La résolution 2371 (2017) impose aux Étatsmembres de limiter le nombre total de permis de travail accordés à des ressortissants de la RPDC, la résolution 2375 (2017) a interdit aux États-membres de fournir à ces ressortissants de nouveaux permis de travail, et enfin la résolution 2397 (2017) impose aux États-membres de rapatrier l’ensemble de ces travailleurs nord-coréens en Corée du Nord d’ici décembre 2019. En décembre 2018, la Russie a indiqué que le nombre de Nord-Coréens « avec un permis de travail » en cours de validité sur son territoire était passé de 30 023 à 11 490. Les Émirats arabes unis ont annoncé qu’ils avaient rapatrié 823 personnes, alors que la Chine déclarait quant à elle avoir rapatrié « plus de la moitié de l’ensemble des ressortissants nord-coréens qui gagnent un revenu ». Antoine Bondaz
Notes
(1) Un excellent rapport interactif du C4ADS présente de nombreux cas d’études en Russie et en Chine à travers une approche de ces réseaux de travailleurs et leur lien avec le contournement par la Corée du Nord des sanctions internationales. C4ADS, « Dispatched: Mapping Overseas Forced Labor in North Korea’s Proliferation Finance System », 2018 (https://www.c4reports.org/dispatched). (2) Chan Hong Park, « Conditions of Labor and Human Rights: North Korean Overseas Laborers in Russia », Database Center for North Korean Human Rights, 2016.
(3) Sang-sin Lee et. al., 북한해외노동자실태연구(« Étude sur les travailleurs nord-coréens à l’étranger »), Korea Institute for National Unification, juillet 2017.
(4) United States Mission to the United Nations, « Fact sheet: UN Security Council Resolution 2397 on North Korea », 22 décembre 2017.
(5) Chang-Hoon Shin et Myong-Hyun Go, « Beyond the UN COI Report on Human Rights in DPRK », Asan Institute for Policy Studies, Seoul, 2014 ; Remco Breuker et Imke Van Gardingen, « Slaves to the System, North Korean Forced Labour in the European Union: The Polish Case », 2016.