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L’Asie du Sud-Est sera-t-elle vieille avant d’être riche ?
sera-t-elle vieille avant d’être riche ?
Pris en étau par les deux géants démographiques que sont la Chine (1,4 milliard d’habitants en 2018 (1)) et l’Inde (1,37 milliard), les onze pays qui forment l’Asie du Sud-Est (2) regroupent 650 millions d’individus (3). Cette dernière représente
8,5 % de la population mondiale (7,621 milliards), ce qui lui permet de talonner le continent européen (746 millions) et de dépasser largement l’Amérique du Nord
(365 millions). De plus, l’Asie du Sud-Est inclut les 4e, 13e et 14e pays les plus peuplés au monde, à savoir l’Indonésie (265 millions), les Philippines (107 millions) et le Vietnam (95 millions). Dans la région, l’Indonésie fait donc figure de grande puissance démographique, d’autant que les projections pour 2050 avancent le chiffre de
320 millions d’habitants. Les Philippines et le Vietnam auraient respectivement 151 et 115 millions d’habitants. Outre son poids démographique, l’Asie du Sud-Est présente de nombreuses particularités qui jouent un rôle important dans les transformations sociales, économiques et politiques de la région.
Densité urbaine et transition majeure
L’Asie du Sud-Est a longtemps été une région aux territoires pas ou peu habités, hormis dans les deltas fluviaux, parsemés d’îlots de peuplement de taille fort disparate. Entre le XIXe et le début du XXIe siècle, la population est pratiquement multipliée par 22, passant de 30 millions en 1800 à 650 millions en 2018.
Ce rythme d’expansion, trois fois plus rapide que celui du reste du monde, a engendré une forte densité sur l’île indonésienne de Java (1170 habitants/km2) et dans la plupart des deltas et des zones urbaines. Toutefois, les contrastes de densité de population entre pays de la région, ainsi qu’au sein des pays eux-mêmes, restent très importants. De par sa particularité de ville-État insulaire (720 km2), Singapour connaît la plus forte densité régionale avec 8150 habitants au km2. Les Philippines et le Vietnam, de superficies quasi équivalentes (300 400 et 330 967 km2), affichent des densités moyennes très élevées, respectivement 350 et 285 habitants au km2, alors que l’archipel indonésien compte près de 140 habitants au km2. En revanche, les autres pays de la région demeurent peu densément peuplés, tels le Laos (30 habitants au km2). Ces moyennes nationales, fortement contrastées entre pays, le sont encore davantage au niveau local, notamment entre les plaines, deltas et les territoires montagneux. Au Vietnam, près de 1000 habitants au km2 se concentrent dans le delta du fleuve Rouge, alors que les régions montagneuses du Nord du pays connaissent des densités inférieures à 150 habitants au km2, voire moins comme dans la province de Lai Chau à la frontière avec la Chine (50 habitants au km2).
Une des transformations majeures de l’Asie du Sud-Est, à l’instar de bien des lieux du monde, est l’urbanisation rapide des dernières décennies. Très majoritairement rurale en 1950 (85 % de la population), la région compte désormais presque autant d’urbains que de ruraux (48 %) (4). Comme dans le cas des densités, les situations domestiques sont très contrastées, des fortes populations urbaines de Singapour
(100 %), de Brunei (78 %) et de la Malaisie (75 %) aux faibles taux du Cambodge
(23 %), du Myanmar (29 %), du Laos (35 %) et du Vietnam (35 %). La particularité de ces pays est d’avoir été dirigés par des régimes communistes ou autocratiques qui ont usé de mesures légales coercitives de maintien ou de redéploiement des populations dans les zones rurales, éloignées (Indonésie) et montagneuses (Vietnam). Dans ces pays ruraux, on observe toutefois les taux les plus vigoureux de croissance urbaine (entre 3 % et 4,5 % par an) du fait d’un exode rural accéléré, causé par le relâchement du contrôle politique des migrations internes dû en très grande partie au passage progressif d’une économie centralisée et planifiée vers une économie de marché mondialisée, ouverte aux investissements étrangers principalement localisés dans les villes et leur périphérie proche (5). La conjonction d’une croissance économique soutenue, de fortes densités rurales, et d’un étalement urbain a fait apparaître, d’une part, des espaces mi-ruraux mi-urbains en périphérie des villes, et d’autre part, des agglomérations présentes dans les classements internationaux. En 2018, trois grandes métropoles du monde dépassant 10 millions d’habitants se situent en Asie du Sud-Est (Manille, Jakarta et Bangkok) (6). D’ici 2030, ces trois agglomérations seront rejointes par Kuala Lumpur et Hô Chi Minh-Ville. En outre, le réseau urbain s’y densifie et les métropoles dont la population dépasse le million d’habitants y sont de plus en plus nombreuses, soit 30 en 2018 (14 en Indonésie,
5 au Vietnam et 2 aux Philippines). En Asie du Sud-Est, l’urbanisation rapide de la population est un des défis majeurs du XXIe siècle.
Une transition démographique en phase finale
Si, jusqu’aux années 1970, le rythme de la croissance démographique s’est accru par recul de la mortalité (7 pour 1000 habitants en 2018) et maintien de la natalité (18 pour 1000 habitants), l’expansion démographique ralentit désormais en Asie du SudEst. Le taux de croissance démographique a été divisé par deux en trente ans dans la région (de +2,5 % à la fin des années 1980 à +1,1 % en 2018) (7). Il s’effondre en Thaïlande (+0,2 %), où la population commencera à diminuer à partir de 2028 (8). En Asie du Sud-Est, la transition démographique est dans sa phase finale. La plupart des pays l’ont achevée (Singapour, Thaïlande) ou sont sur le point de la faire, comme le Brunei, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines et le Vietnam. Le Laos, le Cambodge — dont l’évolution démographique a été bouleversée par les massacres du régime des Khmers rouges (2 millions de morts entre 1975 et 1979) [voir p. 20] — et le Timor oriental, territoire occupé et en guerre de 1975 à 1999, font partie des pays dont la transition est tardive et lente.
Malgré une croissance démographique considérable depuis les années 1950
(164 millions d’habitants), l’Asie du Sud-Est a connu une croissance relativement
modérée par rapport au reste du monde en développement (notamment l’Afrique), du fait d’une baisse précoce et importante de la fécondité (6 enfants par femme en 1960 et 2,3 enfants en 2018), qui constitue le déterminant principal (avec le taux de mortalité (9)) de la transition démographique.
Vers un vieillissement accéléré de la population
Depuis les années 1950, l’Asie du Sud-Est profite d’une longue période de fenêtre (ou dividende) démographique durant laquelle l’accroissement des populations d’âge actif représente une part majoritaire de la population totale. Cette particularité est un facteur clé du décollage économique de la région (entre un quart et un tiers des taux de croissance économique passés et actuels). En effet, les populations d’âge actif sont porteuses d’opportunités pour le développement économique (stimulation de la consommation, etc.) et social, avant d’avoir à affronter un vieillissement démographique dont le coût économico-social est important pour un pays. Néanmoins, dans un contexte de baisse très rapide de la fécondité dans certains pays de la région (1,2 enfant à Singapour en 2017, 1,5 en Thaïlande, 1,9 à Brunei, 2 en Malaisie), la part des personnes âgées s’accentue inéluctablement, dans des proportions bien plus rapides qu’en Occident (10). Alors qu’il a fallu 115 ans à la France pour que la part des personnes âgées passe de 7 % à 14 % (entre 1865 et 1979), cette mutation prendra 15 ans au Vietnam, environ 20 ans en Thaïlande, au Laos, en Malaisie et en Indonésie, près de 25 ans au Timor oriental, en Birmanie et au Cambodge. Quant aux Philippines, ce changement y prendra 35 ans.
Singapour et la Thaïlande sont déjà les plus concernés. Les plus de 65 ans y représentent déjà (2017), respectivement, 12 % et 11 % de la population, soit deux fois plus qu’aux Philippines (5 %) ou en Indonésie (5 %). Certes, l’Asie du Sud
Est reste jeune (âge médian de 28,5 ans en 2015), mais son vieillissement, sans atteindre le rythme de l’Asie du Nord-Est (Japon, Chine), s’accentue inexorablement. En comparaison, les pays les plus pauvres (Cambodge, Laos, Myanmar) ainsi que les Philippines (32 % de moins de 15 ans en 2017), l’Indonésie (28 %) et le Vietnam
(24 %) vieillissent moins vite.
Même si la proportion de la population d’âge actif n’a jamais été aussi élevée dans la région et que la majeure partie des personnes âgées vivent avec leurs enfants et petits-enfants, l’Asie du Sud-Est ne fera pas exception et sera confrontée d’ici une génération aux défis sociaux, économiques et politiques de la prise en charge des personnes âgées et de leur santé. Photo ci-contre : Alors que les Thaïlandais sont aujourd’hui de moins en moins nombreux et de plus en plus âgés, la charge que représentent les parents vieillissants sera de plus en plus lourde pour les actifs, dans un pays où l’absence de système de retraite ajoute une pression supplémentaire sur les travailleurs dont le tiers des revenus serait déjà consacré au soin apporté à leurs parents. En 2040, c’est un quart de la population actuelle qui aura plus de 65 ans, soit plus de 17 millions de personnes. (© Shutterstock/PongMoji) Photo ci-dessous : En 2017, le FMI exhortait les pays asiatiques à prendre la mesure de l’enjeu du vieillissement de la population alors que d’ici 2050, la croissance de la population asiatique sera nulle, mais que la part des plus de 65 ans y sera deux fois et demi plus importante. C’est notamment le cas au Vietnam, qui connaît l’un des vieillissements les plus rapides d’Asie et où la part des Vietnamiens âgés de plus de 65 ans va passer de 6,7 % en 2015 à 14,4 % en 2035, faisant basculer le pays d’une « société vieillissante » à une « société âgée ». Or, en 2013, lorsque la population active vietnamienne a atteint son pic démographique, le PIB dépassait tout juste les 5000 USD/hab./an. (© Shutterstock/Lahiru Ranasinghe) Fort de ces constats, l’avenir de la population de l’Asie du Sud-Est semble tout tracé : urbanisation accélérée, décélération rapide de la croissance démographique et vieillissement démographique. Notes
(1) Incluant Hong Kong et Macao.
(2) Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Myanmar, Philippines, Singapour, Thaïlande, Timor oriental et Vietnam.
(3) 2018 World Population Data Sheet, United Nations (http://www.worldpopdata.org/).
(4) Ibid.
(5) Catherine Scornet, « La population des pays d’Asie du Sud-Est face à ses défis », in Claire Thi Liên Tran et Christine Cabasset (dir.), L’Asie du Sud-Est 2019. Bilan, enjeux et perspectives, Bangkok, IRASEC, 2019, p. 28.
(6) The World’s Cities in 2018, United Nations (https://bit.ly/2VdSuC8).
(7) 2018 World Population Data Sheet, op.cit.
(8) World Population Prospects 2017, United Nations (https://population.un.org/wpp/).
(9) Depuis les années 1950, les habitants d’Asie du Sud-Est ont gagné en moyenne 30 années de vie.
(10) Live Long and Prosper. Aging in East Asia and Pacific, World Bank, 2016 (https://bit.ly/2H9keD0).