Les Grands Dossiers de Diplomatie
Le Japon, un pays vieillissant qui se dépeuple
un pays vieillissant qui se dépeuple
La population du Japon ne cesse de décroître depuis plus de 10 ans : elle est passée de 128,01 millions en 2008 à 126,7 millions début 2019 (1). En même temps, cette population vieillit rapidement, à un rythme parmi les plus élevés au monde.
En 2018, près de 28 % de la population, soit
35,5 millions de personnes, avait 65 ans ou plus, comparé à moins de 15 % en 2000 (2). On prévoit que ce pourcentage atteindra 40 % en 2050. Environ 20 % de la population a dépassé 70 ans et il y a près de 70 000 centenaires dans le pays (3), la très grande majorité vivant dans des maisons de retraite. Depuis 2015, le nombre de personnes de plus de 65 ans représente plus de deux fois celui des enfants de moins de 15 ans (4).
Pourquoi la population ne se renouvelle-t-elle plus ?
Une espérance de vie élevée combinée à une très faible natalité et fertilité expliquent le phénomène du vieillissement et, au-delà, la diminution de la population.
L’espérance de vie à la naissance a dépassé 87 ans pour les femmes et 82 ans pour les hommes, pour une moyenne supérieure à 84 ans, la plus élevée au monde. Le taux de fertilité, en baisse depuis 2008, est quant à lui de 1,25, soit bien en dessous du seuil de remplacement qui est de 2,1 enfants par femme en âge d’enfanter. Ce taux n’est pas le plus bas au monde — Hong Kong, Singapour, la Corée du Sud et l’Italie ont des taux plus faibles —, mais il se situe parmi les plus bas. Et depuis 2017, le nombre de décès dépasse celui des naissances, ce dernier se situant désormais au-dessous d’un million (5). En raison de ce différentiel entre nombre de naissances et nombre de décès, l’année 2018 a vu la plus forte baisse de la population, avec une diminution de 448 000 personnes (6).
Les faibles taux de natalité (rapport entre le nombre annuel de naissances et la population totale) et de fertilité s’expliquent par plusieurs facteurs reliés entre eux. En effet, au Japon, comme dans plusieurs autres pays d’Asie de l’Est, il y a très peu de naissances hors mariage. Au Japon, le taux de ces naissances se situe à moins de 2 % du total. La norme est qu’il faut être marié pour avoir des enfants. Or, l’âge au mariage ne cesse de s’accroître, étant à plus de 29,7 ans pour les femmes et 31,1 ans pour les hommes en 2017 (7). L’augmentation du nombre de mariages tardifs est liée à la volonté d’attendre l’obtention d’une situation économique stable, ce qui est devenu difficile depuis 1995, la crise économique ayant entraîné une forte hausse du travail précaire. Cette augmentation de l’âge au mariage signifie une période plus courte pour avoir des enfants, ce qui affecte aussi le taux de fécondité. En outre, le nombre de personnes non mariées continue lui aussi d’augmenter, ce qui entraîne une baisse du nombre de couples susceptibles d’avoir des enfants. Plusieurs jeunes rejettent le mariage parce qu’ils veulent profiter de la vie et éviter les contraintes liées au fait d’avoir des enfants. Le coût économique des enfants en décourage aussi plus d’un. Enfin, les longues heures de travail et l’augmentation du travail des femmes entre 25 et 40 ans peut représenter un obstacle à la procréation si le gouvernement n’améliore pas rapidement les services de garderie et les incitatifs fiscaux. Le gouvernement de Shinzo Abe a déjà commencé à mettre en place de telles mesures. Le développement du travail précaire, dans un contexte de difficultés économiques qui perdurent partiellement en 2019, n’a pas seulement eu des conséquences sur le nombre de mariages et l’âge au mariage. Il a aussi, plus largement, entraîné une baisse de l’intérêt pour les relations amoureuses et la sexualité chez les jeunes. Les chiffres font état de près de 70 % d’hommes célibataires entre 18 et 34 ans et 60 % de femmes célibataires au même âge, selon une étude menée par le National Institute of Population and Social Security Research (8). Chez les jeunes hommes en particulier, on trouve de plus en plus d’« herbivores », surnommés ainsi par l’éditorialiste Maki Fukasawa en 2006 en raison de leur peu d’attrait pour la « chair » — on dirait « métrosexuels » dans les pays occidentaux. Doux et ignorant leur virilité, ils délaissent les relations avec l’autre sexe. Et ce, d’autant plus que les endroits de rencontre entre hommes et femmes sont peu nombreux au Japon.
Quel impact économique et social ?
Le vieillissement de la population japonaise pose plusieurs problèmes économiques (9). Premièrement, il signifie une hausse, qui ne peut que s’accélérer, des coûts de santé et de sécurité sociale. Par exemple, on prévoit une hausse de 60 % des coûts de santé liés au vieillissement de la population entre 2018 et 2040, pour atteindre les 190 billions de yens annuels (10). De plus, couplé au faible taux de natalité, il entraîne un déséquilibre entre la population en âge de travailler, qui paie des taxes et donc soutient le système de protection sociale, et la population dépendante. Le Japon en est arrivé à une situation où il n’y a que deux travailleurs pour chaque personne de plus de 65 ans, ce qui n’est pas suffisant. Le gouvernement japonais prévoit que ce taux atteindra 1 pour 1 en 2050, si la natalité ou l’immigration n’augmente pas. Or, étant donné le faible taux de fertilité, la forte espérance de vie et la résistance à l’immigration (voir infra), ce déséquilibre ne pourra que s’aggraver (11).
Une solution proposée pour pallier le manque de maind’oeuvre est la hausse de l’âge de la retraite à plus de 65 ans. Notons que, déjà, des personnes âgées de 65 à 80 ans ayant peu de ressources travaillent, étant
donné l’insuffisance des pensions gouvernementales. Il s’agit le plus souvent d’emplois mal payés. En tout état de cause, l’état de santé des personnes âgées ne leur permet pas toujours d’assumer toutes les tâches associées à leur travail. C’est une limite importante à l’emploi des personnes âgées.
Les autres solutions proposées sont autant dans le domaine économique que dans le domaine social. Du point de vue économique, pour compenser le manque de main-d’oeuvre, le gouvernement a autorisé l’immigration permanente, mais limitée, de professionnels nécessaires à l’économie japonaise. Il a aussi autorisé l’immigration temporaire, pour des durées limitées, de travailleurs non qualifiés destinés à remplir les postes que la plupart des Japonais refusent, par exemple manoeuvres dans la construction ou préposés aux soins des personnes âgées. Le Japon fait également venir de l’étranger des infirmières, en particulier du Vietnam. Cependant, il existe une forte résistance à l’immigration au Japon, autant de la part des dirigeants politiques que de la population en général. Les grandes entreprises, qui manquent de main-d’oeuvre, font pression pour ouvrir davantage le pays aux immigrants. Le gouvernement du Premier ministre Abe a annoncé la mise en oeuvre, à partir du 1er avril, d’un programme visant à accueillir 47 550 immigrants en 2019 (12). On envisage aussi sérieusement la robotisation pour remplacer les travailleurs manquants, autant dans l’industrie que dans le soin aux personnes âgées. Du point de vue social, en même temps que le gouvernement songe à abaisser le montant des pensions, il se propose d’augmenter les dépenses pour les maisons de retraite, dont le niveau de qualité laisse beaucoup à désirer, sauf pour les personnes très riches qui peuvent se payer des établissements de luxe. Il a aussi mis en place des résidences mixtes, couplant maisons de retraite et garderies, pour assurer de la compagnie aux personnes âgées tout en les utilisant comme appoint dans les soins aux enfants en bas âge. Avec l’affaiblissement de la coutume qui voulait que les parents âgés habitent avec leur fils aîné, à la charge de l’épouse de ce dernier, plusieurs personnes de plus de 65 ans se retrouvent seules, dans de petits appartements. Le taux de personnes vivant seules dans l’ensemble des ménages se situait en 2015 à 34,5 %, alors que le pourcentage de couples avec enfant(s) est tombé à 26,9 % (13). Un fléau récent est celui des décès de personnes seules dont on retrouve le cadavre plusieurs jours ou semaines après leur décès.
Quelles perspectives ?
Du point de vue international, cette situation démographique ne peut qu’entraîner une baisse de l’importance économique du Japon dans le monde. Remarquons toutefois que les voisins du Japon, soit la Chine [voir p. 36] et la Corée du Sud [voir p. 42], ont de faibles taux de fertilité et donc connaissent eux aussi un vieillissement de la population, quoique de moindre importance pour le moment. Ce décalage dans le vieillissement donnera pendant un certain temps un avantage économique à la Chine qui dispose encore d’une main-d’oeuvre excédentaire venant des campagnes. Quant au Japon, à moins de s’ouvrir davantage à l’immigration, il connaîtra des difficultés du point de vue de la quantité de main-d’oeuvre. Le Japon se trouve donc à la croisée des chemins.
Si le pays maintient sa fermeture partielle face à l’immigration, alors il connaîtra sans aucun doute la décroissance et probablement une baisse du revenu moyen. La politique de Shinzo Abe montre des signes d’ouverture, mais il s’agit encore de petits pas et la situation exige des mesures plus radicales. Reste à voir si le Premier ministre ou ses successeurs pourront orienter le Japon vers la voie qui mène au maintien de la croissance. Bernard Bernier
Notes (1) Il faut remarquer que les chiffres varient selon les sources, même si la plupart des institutions qui publient ces chiffres sont des organismes gouvernementaux. (2) « The Growing Senior Population in Japan’s Metropolitan Areas: Challenges for Japan, Hints for the World », JFS Newsletter, no 187, mars 2018 (https:// www.japanfs.org/en/news/archives/news_id036044. html), consulté le 12 avril 2019. (3) Justine McCurry, « Japanese centenarian Population Edges Toward 70,000 », The Guardian, 14 septembre 2018 (https://www.theguardian.com/world/2018/ sep/14/japanese-centenarian-population-edgestowards
(4) Emma Charlton, « Japan’s Population is Shrinking by a Quarter of a Million People a Year », World Economic
Forum, 18 avril 2019, Tableau 1 (https://www. weforum.org/agenda/2019/04/japan-is-losing-aquarter
(5) Justin McCurry, « Japan shrinking as birthdate falls to lowest level in history », The Guardian, 27 décembre 2018 (https://www.theguardian.com/world/2018/ dec/27/japan-shrinking-as-birthrate-falls-to-lowestlevelconsulté le 19 avril 2019.
(6) Emiko Jozuka, « Japan suffers biggest natural population decline ever in 2018 », CNN, 24 décembre 2018 (https://www.cnn.com/2018/12/23/health/ japan-birthrate-record-low-intl/index.html). (7) Statista, ND (https://www.statista.com/ statistics/611957/japan-mean-age-marriage-bygender).
(8) Mickaël Lesage, « La crise démographique au Japon : quel futur pour le pays du Soleil Levant ? », Journal du
Japon, 23 février 2018 (https://www.journaldujapon. com/2018/02/23/la-crise-demographique-au-japon/). (9) David Bloom, Paige Kirby, JP Sevilla et Andrew Stawasz, « Japan’s Age-Wave: challenges and
Solutions », VOX. CEPR Policy Portal, 3 décembre
2018. https://voxeu.org/article/japan-s-age-wavechallenges-and-solutions.
(10) « Aging Population Means Social Security Costs will Balloon to ¥190 Trillion in 2040 », Nippon.com, 18 juin 2018 (https://www.nippon.com/en/features/ h00214/aging-population-means-social-security-costswill(11) Bloom et al., op. cit.
(12) « New immigration rules to stir up Japan’s regional rentals scene – if they work », Rethink Tokyo, 27 mars 2019 (https://www.rethinktokyo.com/2019/03/27/ new-immigration-visa-rules-japan-foreign-workers). (13) « People Living Alone To Account for 40% of Japanese Households in 2040 », The Jakarta Post,
15 janvier 2018 (https://www.thejakartapost.com/ life/2018/01/15/people-living-alone-to-account-for40-of-japanese-households-in-2040.html).