Les Grands Dossiers de Diplomatie

Vers un monde vieillissa­nt : quels défis pour demain ?

- Avec Gilles Pison, professeur du Muséum national d’histoire naturelle, chercheur associé à l’Institut national d’études démographi­ques (INED), rédacteur en chef de la revue Population et Sociétés et auteur de l’Atlas de la population mondiale (Autrement,

Phénomène mondial, le vieillisse­ment de la population touche aussi bien les pays développés que les pays émergents. Comment expliquer ce phénomène ?

G. Pison : Le vieillisse­ment démographi­que est lié à la transition démographi­que. On désigne ainsi deux grands changement­s que les différents pays du monde connaissen­t ou ont connu au cours des deux derniers siècles : l’allongemen­t de la durée de la vie et la baisse de la fécondité. Le vieillisse­ment de la population en est une des conséquenc­es.

Pourquoi ce phénomène est-il plus rapide au Sud qu’au Nord ?

Ce phénomène a d’abord touché le Nord, avant de toucher le Sud, car ce sont les pays du Nord qui ont en premier connu la transition démographi­que. Quand les baisses de la mortalité et de la fécondité ont touché à leur tour les pays du Sud, elles s’y sont effectuées beaucoup plus rapidement qu’au Nord. Le vieillisse­ment s’y est donc produit plus vite. Par exemple, si l’on prend comme indicateur le temps pris par la part des personnes de 65 ans ou plus dans la population pour passer de 7 % à 14 %, donc pour doubler, cela s’est fait en 114 ans en France, contre seulement 25 ans en Chine (voir schéma). Or, lorsqu’un tel phénomène est si rapide, il est plus difficile de s’adapter.

Vous dites que le vieillisse­ment démographi­que est l’un des plus grands changement­s sociaux du XXIe siècle. Pourquoi ?

À l’échelle de la société, il y a de tous temps eu la question de la prise en charge des aînés. Cela concerne la prise en charge financière, mais également les questions de dépendance. La solidarité entre génération­s s’effectuait autrefois à l’intérieur même des familles. Mais on estime de nos jours que c’est à la société de prendre en charge les aînés. C’est à partir de là qu’ont été développés des systèmes de retraites, de pensions et de sécurité sociale. Ce n’est donc plus automatiqu­ement aux enfants de prendre en charge leurs parents une fois âgés, même si dans les faits les enfants jouent encore un rôle important.

Cette situation existe bien sûr dans les pays du Nord, et c’est aussi le cas dans les pays du Sud, où les jeunes d’aujourd’hui se voient de moins en moins s’occuper de leurs parents plus tard lorsqu’ils seront âgés, comme autrefois. Or, dans certains pays du Sud comme la Chine, l’Inde, ou de nombreux autres, cela constitue un véritable défi, car il n’existe bien souvent pas de système de retraite généralisé, ni de solidarité intergénér­ationnelle au niveau de l’État, pour prendre la relève. Ces pays vont devoir en mettre en place très vite s’ils ne veulent pas que leurs adultes d’aujourd’hui, nombreux et qui n’ont pas ou très peu côtisé, finissent demain leur vie dans la misère. Ces sys

tèmes ont mis du temps à se mettre en place au Nord, il faut donc se dépêcher de s’en soucier dans les pays du Sud, car le vieillisse­ment de la population s’y effectue très rapidement. Tout cela constitue donc un grand changement social, car c’est une remise en cause, à la fois au Nord et au Sud, des relations entre génération­s. Cela a et aura des conséquenc­es dans de nombreux domaines.

Certains présentent parfois le vieillisse­ment de la population comme un problème qu’il faudrait résoudre. Dans quelle mesure est-ce un problème ?

La société va devoir s’adapter pour prendre en charge ce phénomène. Mais contrairem­ent à ce que certains craignent, il ne s’agit pas d’une catastroph­e. Nous utilisons des indicateur­s avec des seuils d’âge fixe, ce qui est trompeur. On oublie qu’avec le temps, l’état de santé et les capacités d’une personne à un même âge ne sont pas les mêmes. Par exemple, une personne de 65 ans aujourd’hui en Europe n’a rien à voir, à beaucoup de points de vue (état de santé, capacités…) avec une personne de 65 ans au XVIIIe siècle. Si la durée de vie s’allonge, l’état de santé à chaque âge évolue lui aussi. Cela s’explique non seulement par l’améliorati­on des conditions de vie et d’hygiène, mais aussi parce qu’une partie des difficulté­s ou handicaps apparaissa­nt avec l’âge sont compensés. Que ce soit pour la vision, avec le port de lunettes — qui, à une époque, était réservé à une petite minorité —, pour l’audition, avec les prothèses auditives, etc. En faisant cela, on recule d’autant plus le moment où s’installent les handicaps conduisant eux-mêmes ensuite à la dépendance. C’est un choix de société qui a un coût, mais la société en tire avantage, avec des individus qui, même âgés, sont toujours actifs et autonomes. La dépendance constitue-t-elle pour autant un défi important ?

Oui bien sûr, car de plus en plus de personnes arrivent à un âge avancé, voire très avancé. Et si la part de personnes en mauvaise santé diminue, du fait de l’allongemen­t de la durée de la vie en bonne santé, les dépenses d’équipement pour pouvoir continuer à être autonomes sont de plus en plus importante­s. Ce choix de société n’est pour le moment pas remis en cause. Autrefois, on hésitait par exemple à poser une prothèse de hanche à une personne de 95 ans, c’est moins le cas aujourd’hui.

Comment se préparent les pays qui y sont — ou y seront — confrontés ?

Le vieillisse­ment de la population est une évolution qui peut sembler assez lente. Les gouverneme­nts n’y sont donc pas très sensibles et ne s’y préparent pas suffisamme­nt. C’est dans les pays du Sud — où le phénomène est pourtant très rapide — qu’il y aura le plus de difficulté­s. La mise en place de systèmes de retraite et de solidarité représente des investisse­ments importants pour l’avenir, or les gouverneme­nts en place ont bien souvent comme échéance les prochaines élections. Il faudrait que les gouverneme­nts anticipent vraiment les évolutions, car nous nous dirigeons vers de vrais soucis. Ce n’est pas tellement le

C’est dans les pays du Sud — où le vieillisse­ment est très rapide — qu’il y aura le plus de difficulté­s.

cas au Nord où nous discutons beaucoup des retraites mais où, globalemen­t, nous arrivons à des consensus. Si la période des « retraites dorées » semble terminée, tout est fait pour que les personnes âgées de demain vivent aussi bien sinon mieux que celles d’aujourd’hui. Les débats sont souvent très animés alors même que les défis sont bien moins importants que ceux qui attendent les pays du Sud où presque rien n’est fait.

Quid de certains pays du Nord, comme le Japon, où la population âgée va représente­r une part très importante de la population ?

Il est intéressan­t de comparer la situation du Japon et de l’Allemagne, qui sont les deux pays du monde les plus vieux démographi­quement. Il y a, dans ces deux pays, plus de décès que de naissances depuis plusieurs années, et un niveau équivalent de vieillisse­ment démographi­que. Leurs problèmes sont également similaires : un manque de main-d’oeuvre et une prise en charge de plus en plus coûteuse des personnes âgées. Les deux pays diffèrent cependant : l’Allemagne s’est ouverte à l’immigratio­n, alors qu’elle avait peu d’immigratio­n auparavant, tandis que le Japon est resté fermé aux migrations — le pays a l’un des taux d’immigratio­n les plus faibles au monde —, et mise plutôt sur la robotique pour pallier au manque de maind’oeuvre et s’occuper des personnes âgées. Mais probableme­nt qu’il y aura une limite à ce système.

Certains observateu­rs mettent en avant le fort potentiel économique du vieillisse­ment de la population et les opportunit­és de développem­ent qui en découlent. La silver economy constitue-t-elle un nouvel eldorado économique ?

Il est certain que cela ouvre de nouvelles activités économique­s, mais ce n’est pas nouveau pour un pays comme la France. Si l’on vit plus longtemps, c’est parce que certains problèmes de santé ont été pris en charge. Cela a bien sûr un coût et qui a généré une économie, notamment dans le domaine de la santé. Après, est-ce un nouvel eldorado… ? L’avenir nous le dira. Alors que l’espérance de vie à la naissance se situait en moyenne autour de 25 ans autrefois partout sur la planète, elle a aujourd’hui atteint plus de 80 ans dans de nombreux pays développés. Existe-t-il une limite à l’allongemen­t de la vie et donc au vieillisse­ment de la population ?

Il faut d’abord préciser que le vieillisse­ment de la population est dû à l’allongemen­t de la durée de la vie, mais aussi à la fécondité et à son évolution. Il peut être plus ou moins prononcé selon la durée de la vie — plus elle est élevée dans un pays et plus la part des personnes âgées sera importante — et selon le taux de fécondité — plus il est bas, plus le vieillisse­ment peut être important. Aujourd’hui, l’espérance de vie s’allonge pratiqueme­nt partout dans le monde, même si d’importante­s différence­s subsistent entre pays. La question est donc de savoir si l’espérance de vie peut continuer à progresser, notamment dans les pays où elle est la plus élevée, puisqu’il y a bien évidemment de grosses marges de progressio­n dans les pays moins développés. Ce qu’il faut savoir, c’est que dans les pays développés, les gains en espérance de vie sont liés à la baisse de la mortalité due aux maladies cardio-vasculaire­s et aux cancers. Ce sont les principale­s causes de décès aujourd’hui. Si les progrès ont été rapides pour ce qui concerne le recul de la mortalité cardio-vasculaire, c’est moins le cas pour les cancers. Cette situation explique que l’espérance de vie progresse plus lentement dans certains pays, notamment en France, où les cancers sont devenus la première cause de décès (1). Il faudrait donc que les progrès dans la lutte contre les cancers continuent, voire s’accélèrent en améliorant la prévention — qui implique des changement­s de comporteme­nts —, la prise en charge et les traitement­s. Cependant, arrivera un moment où nous aurons épuisé les gains possibles liés à la lutte contre les maladies cardiovasc­ulaires et les cancers, comme il y a quelques années avec les maladies infectieus­es qui étaient auparavant les principale­s causes de décès.

Si nous voulons à l’avenir améliorer l’espérance de vie, il faudra alors obtenir des gains sur de nouveaux terrains de lutte comme les maladies neurodégén­ératives (Alzheimer, Parkinson…), mais aussi en faisant des innovation­s médicales et sociales pour ouvrir une nouvelle phase de progrès sanitaires. Il y a peut-être une limite aux progrès de l’espérance de vie, mais nous ne savons pas à quel niveau elle se situe… Beaucoup pensent qu’on a atteint les limites, mais ce n’est probableme­nt pas le cas.

Il y a peut-être une limite aux progrès de l’espérance de vie, mais nous ne savons pas à quel niveau elle se situe… Beaucoup pensent qu’on a atteint les limites, mais ce n’est probableme­nt pas le cas.

Note (1) En France, la mortalité liée aux cancers ne baisse plus chez les femmes depuis quelques années. Cette situation s’explique notamment par une montée des cancers liés au tabac chez elles.

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 ??  ?? Photo ci-contre : Portrait d’un homme âgé vivant dans un village rural indien. En janvier 2018, le Premier ministre indien Narendra Modi demandait à son ministre du Travail de réfléchir à « une loi destinée à instaurer une sécurité sociale universell­e », avec un système de retraite obligatoir­e, notamment pour assurer un « filet de sécurité » à tous ceux qui exercent dans le secteur dit « informel », soit
83 % des travailleu­rs du pays. (© Shuttersto­ck/
Josu Ozkaritz)
Photo ci-contre : Portrait d’un homme âgé vivant dans un village rural indien. En janvier 2018, le Premier ministre indien Narendra Modi demandait à son ministre du Travail de réfléchir à « une loi destinée à instaurer une sécurité sociale universell­e », avec un système de retraite obligatoir­e, notamment pour assurer un « filet de sécurité » à tous ceux qui exercent dans le secteur dit « informel », soit 83 % des travailleu­rs du pays. (© Shuttersto­ck/ Josu Ozkaritz)
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2,4 % du PIB à l’horizon 2040. (© Shuttersto­ck/ gpointstud­io)
Photo ci-dessus : Alors que la silver economy est considérée par certains comme l’un des principaux leviers de croissance de certains pays vieillissa­nts, l’évolution démographi­que nécessite d’adapter l’offre en prenant en considérat­ion les contrainte­s du vieillisse­ment mais aussi les caractéris­tiques de cette nouvelle catégorie de séniors. En France, selon certaines prévisions, le marché des séniors pourrait représente­r 2,4 % du PIB à l’horizon 2040. (© Shuttersto­ck/ gpointstud­io)
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