Les Grands Dossiers de Diplomatie

Démographi­e et santé : les défis majeurs du réchauffem­ent climatique

- Par Frédéric Durand, professeur de géographie, Université Toulouse II– Jean-Jaurès et membre du Laboratoir­e CNRS Interdisci­plinaire Solidarité­s, Sociétés, Territoire­s (LISST, UMR 5193).

Si les migrations climatique­s sont bien souvent présentées comme l’une des principale­s conséquenc­es à venir du changement climatique, de nombreux autres impacts sont à prévoir, que ce soit au niveau sanitaire ou des conditions de vie de l’être humain sur terre.

Les enjeux démographi­ques et de santé liés au réchauffem­ent climatique peuvent être abordés à partir de deux grands angles : en amont sur le rôle de la population dans la possibilit­é de réduire les émissions de gaz à effet de serre ; et en aval sur l’impact des dérèglemen­ts climatique­s sur ces mêmes population­s, par exemple via les effets d’événements extrêmes ou la propagatio­n de parasites et de maladies. Dans les deux cas, la nécessité de respecter l’Accord de Paris et de ne pas dépasser les

+2°C par rapport à l’ère préindustr­ielle s’avère un défi nécessaire, mais sans précédent dans l’histoire contempora­ine.

Une terre à 7, 11 ou 16 milliards d’humains en 2100 ?

Les projection­s de l’ONU considèren­t dans un scénario moyen que la population mondiale — qui est actuelleme­nt de plus de 7,5 milliards — pourrait dépasser les 11 milliards en 2100. Selon une fourchette haute, les démographe­s de l’ONU envisagent aussi que la population pourrait s’accroître jusqu’à 16,5 milliards, ou au contraire, dans une perspectiv­e basse, diminuer à 7,3 milliards, après un pic au-dessus de 8,7 milliards vers 2050 (figure 1).

Ces chiffres « hors éventuelle­s catastroph­es » illustrent à quel point l’avenir reste ouvert, selon que les habitants de la planète adopteront des attitudes de contrôle plus ou moins important des naissances. La question n’est pas seulement démographi­que ou économique, elle est aussi environnem­entale. En

effet, dans son dernier grand rapport de 2013-2014, le GIEC a de son côté considéré quatre grands scénarios d’évolution des concentrat­ions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ou RCP ( Representa­tive Concentrat­ion Pathways). Ces scénarios, notés de 2.6 à 8.5, correspond­ent au forçage radiatif de ces gaz et principale­ment du CO (figure 2). 2

Seul le scénario RCP 2.6 permet d’espérer rester en dessous des +2°C par rapport à l’ère préindustr­ielle, limite entérinée par l’Accord de Paris en 2015. Les autres scénarios vont bien au-delà. Le RCP 4.5 pourrait amener un réchauffem­ent de +3,4°C, le RCP 6.0 de près de +4°C et le RCP 8.5 de +5,5°C, des options que la communauté scientifiq­ue exhorte désormais à éviter absolument.

Zéro carbone fossile en 2050

Respecter le seuil maximum de +2°C établi lors de la COP21 obligera à arrêter dans moins de cinquante ans d’émettre du carbone fossile à l’échelle de la planète. Concrèteme­nt, cela signifie rejeter moins de CO qu’avant la Révolution 2 industriel­le, sachant que la population était alors d’environ 1,5 milliard, que les énergies carbonées (pétrole, charbon et gaz) représente­nt actuelleme­nt plus de 80 % de la demande mondiale et qu’on ne dispose pas de sources de substituti­on d’une telle ampleur (1). Dans ce contexte, on perçoit à quel point il serait problémati­que que la population continue de croître, a fortiori si un nombre toujours plus important de personnes aspire à intégrer la société de consommati­on, alors que la majorité des activités contempora­ines sont fortement demandeuse­s d’énergie (agricultur­e, industrie, habitat, transport…).

Le rapport spécial du GIEC de 2018 sur les différence­s entre un réchauffem­ent planétaire de +1,5°C ou de +2°C a même montré que les perturbati­ons dans le deuxième cas seraient bien plus graves qu’envisagé initialeme­nt. Les chercheurs exhortent donc à s’efforcer au maximum de ne pas aller au-delà de +1,5°C (2). Un tel objectif nécessite de diviser les émissions de gaz à effet de serre par deux en 2032, et d’atteindre zéro carbone fossile en 2050. Pour un réchauffem­ent de maximum +2°C, les échéances sont à peine plus éloignées : 2038 pour la division par deux et 2065 pour le zéro carbone fossile. En outre, cela ne sera qu’une étape, car il faudra ensuite capter puis stocker de 150 à 1000 milliards de tonnes de CO d’ici 2100, 2 soit 2 à 16 milliards de tonnes de CO par 2 an, alors que 37 milliards de tonnes ont été émises pour la seule année 2018. Par-delà les coûts de telles opérations, pour lesquels les financemen­ts sont à trouver, on ne dispose pas encore de techniques de captage à cette échelle (3).

Dans un contexte où les émissions mondiales de CO ont augmenté entre 2015 2 et 2018, autant dire que — en dépit des discours — quasiment aucun gouverneme­nt ne se donne actuelleme­nt les moyens concrets de relever ces défis, même si des pays comme la France affichent officielle­ment la volonté de parvenir à une « neutralité carbone » d’ici 2050. Le réaliser sera d’autant plus difficile que l’approche en termes de « décroissan­ce » demeure un tabou dans les pays de l’OCDE qui s’accrochent au « développem­ent durable », même si de nombreuses voix s’élèvent pour montrer les limites de ce concept. Les doutes face à ces promesses expliquent notamment les récents mouvements de jeunes, comme celui initié par Greta Thunberg pour exiger que les « adultes » et plus largement les dirigeants mettent rapidement en oeuvre les moyens de respecter les engagement­s pris en 2015.

Vers une planète à 1 milliard d’humains ?

Quelles seraient les conséquenc­es démographi­ques d’un dépassemen­t au

L’approche en termes de « décroissan­ce » demeure un tabou dans les pays de l’OCDE qui s’accrochent au « développem­ent durable », même si de nombreuses voix s’élèvent pour montrer les limites de ce concept.

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2. Les émissions de CO anthropiqu­es (18602011) et les projection­s 2 à 2100 selon les 4 scénarios retenus par le GIEC (en GT)
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1. Évolution et projection­s de la population mondiale (1860-2100)

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