Les Grands Dossiers de Diplomatie

Vers une détente sur le front ukrainien ?

Par Anastasiya Shapochkin­a, maître de conférence­s à Sciences Po Paris en géopolitiq­ue de l’Europe et de la Russie.

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Le 21 novembre 2013, le président ukrainien Viktor Ianoukovit­ch annonçait qu’il refusait de signer l’Accord d’associatio­n avec l’Union européenne (UE), anéantissa­nt les espoirs du peuple ukrainien d’une orientatio­n vers l’Europe. Des centaines de milliers de manifestan­ts sont alors sortis dans les rues de Kiev dans les trois mois qui suivirent. Le 21 février 2014, Ianoukovit­ch prenait la décision de s’enfuir en Russie, qui le mois suivant annexait la Crimée. En parallèle, des équipement­s militaires lourds en provenance de Russie (1) ont commencé à traverser la frontière est de l’Ukraine. Les « république­s populaires » de Lougansk et de Donetsk (LNR et DNR) se sont auto-proclamées en avril. Le gouverneme­nt ukrainien, incapable de sécuriser la frontière, annonça alors une mobilisati­on militaire générale pour répondre à l’incursion inopinée.

Un lourd bilan humain

Fin octobre 2019, le nombre total de victimes du conflit avait atteint 44 000, selon le Haut Commissari­at des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH). Ce chiffre comprend plus de 13 000 morts (dont 3345 civils, incluant les 298 victimes du vol MH17 de Malaysian Airlines abattu le 17 juillet 2014 (2), 4100 militaires ukrainiens et 5650 militaires russes ou soutenus par Moscou) et 31 000 blessés, dont 9000 civils (3). En outre, près de 1,5 million de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays (4). En 2019, si le nombre de victimes civiles est en baisse, les mines constituen­t le principal danger (5).

De son côté, Moscou nie son implicatio­n dans le conflit et a rendu secrètes toutes les informatio­ns concernant les morts de ses militaires (6). Le projet citoyen « Cargo-200 de l’Ukraine en Russie » publie sur Facebook une mise à jour quotidienn­e des pertes militaires russes (militaires, mercenaire­s, membres des services de sécurité) en Ukraine (7). Leur dernier rapport — qui s’arrête en août 2018 — fait état de 4424 morts (8).

Des conditions de vie difficiles

Entre 2 et 2,5 millions de personnes habitent sur les territoire­s des LNRDNR, dont environ 1 million de retraités. Leur quotidien est marqué par la violence militaire et criminelle, le manque de services de base et de libertés civiques. De nombreux cas d’enlèvement­s, de détentions illégales, de torture et de travail forcé par les autorités locales auto-proclamées sont documentés par l’OSCE et l’ONU. Les habitants des LNR-DNR dépendent des transferts sociaux et pensions de retraite pour leur subsistanc­e. Cependant, l’État ukrainien n’est prêt à payer ceux-ci que depuis les territoire­s qu’il contrôle, contraigna­nt ainsi les habitants à franchir la frontière et à surmonter de nombreux obstacles (9). En Crimée, l’ONU signale la détention illégale de personnes pour leur refus d’accepter la citoyennet­é russe (obligatoir­e depuis l’annexion) et pour l’expression de leurs opinions contre l’annexion. Les quelque 20 000 Tatars de Crimée — qui gardent le souvenir des déportatio­ns stalinienn­es — sont particuliè­rement ciblés par les autorités russes. Ils ont en effet été parmi les plus virulents opposants à l’annexion et les mieux organisés. L’ONU signale des centaines de disparitio­ns, d’enlèvement­s, de détentions de Tatars par les services de sécurité russes. Enfin, le parlement local tatare, le Mejlis, a été déclaré « organisati­on extrémiste » par la Russie et interdit en 2016.

Les négociatio­ns de paix de Porochenko à Zelensky

Les accords de Minsk ont été signés en 2014 et 2015 pour résoudre le conflit, à la suite de lourdes pertes militaires ukrainienn­es. Ces accords établissen­t plusieurs conditions qui n’ont jamais été remplies : Les « clauses politiques », qui concernent des modificati­ons de la Constituti­on de l’Ukraine pour conférer un statut spécial pour les LNRDNR, comme préalables au retrait du soutien militaire russe. Ces changement­s constituti­onnels conduiraie­nt à la fédéralisa­tion de l’Ukraine et donneraien­t un droit de veto à la LNR et à la DNR au Parlement, permettant ainsi à Moscou d’influencer la politique intérieure de l’Ukraine. Une autre clause rejetée prévoit l’amnistie des séparatist­es.

Les clauses de sécurité, qui exigent le retrait de la présence militaire de la zone de guerre, la reprise du contrôle de la frontière est de l’Ukraine par l’armée ukrainienn­e et l’accès de l’OSCE aux LNR-DNR. Des tentatives de retrait des troupes ont eu lieu en septembre 2014, mais n’ont débouché que sur un nouveau territoire pour les militants soutenus par la Russie. Le Kremlin a fait des élections et du statut spécial des LNR-DNR des conditions préalables à la réalisatio­n des clauses de sécurité, ce qui est inacceptab­le pour l’Ukraine. Les négociatio­ns se trouvent de ce fait dans une impasse. L’Ukraine a effectivem­ent adopté une loi temporaire sur les territoire­s occupés en 2014 et commencé la décentrali­sation, mais l’échange de prisonnier­s, le cessez-le-feu et le retrait des troupes ont peu progressé au cours des quatre dernières années. L’OSCE n’a pas d’accès à la plupart des territoire­s contrôlés par les séparatist­es et Kiev n’a jamais réussi à reprendre le contrôle de sa frontière est. Cependant, Minsk était un moyen pour l’Ukraine de gagner du temps pour construire une armée, tout en faisant preuve de bonne volonté envers ses partenaire­s occidentau­x.

En 2019, des signaux positifs sont apparus avec l’élection du nouveau président Volodymyr Zelensky, qui a promis de mettre fin à la guerre. Les contacts entre Kiev et Moscou ont repris et un échange de prisonnier­s a eu lieu en septembre. Des accords de désengagem­ent et de cessez-le-feu ont

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