Les Grands Dossiers de Diplomatie

Liban : le calme continuera-t-il de régner entre Israël et le Hezbollah ?

Par Hugh Lovatt, chercheur au programme Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) de l’European Council on Foreign Relations (ECFR).

- Hugh Lovatt

Plus de 13 ans après la « guerre d’été » de 2006 au Liban, un calme instable continue de régner entre Israël et le groupe islamiste libanais Hezbollah. Cependant, face aux tensions existantes entre les deux camps et aux récentes flambées de violence, il semble que ce n’est peut-être qu’une question de temps avant la prochaine série de combats.

La paix ne tient-elle qu’à un fil ?

Pour l’instant, aucune des deux parties ne souhaite reprendre la guerre, et si la violence a parfois pu éclater, chaque camp a cherché à contenir l’escalade et à désamorcer la situation. De même, les deux parties ont essayé d’isoler le Liban de leurs actions en Syrie. Israël prend régulièrem­ent pour cible l’Iran et ses mandataire­s sur le sol syrien — dont le Hezbollah —, craignant qu’ils ne consoliden­t leur présence à long terme dans le pays, ce qui constituer­ait alors une menace. Mais malgré les attaques répétées d’Israël sur le Hezbollah, le groupe a la plupart du temps évité d’impliquer le Liban dans ses actions de représaill­es. Toutefois, les éruptions passées de violence transfront­alière ont montré les limites de ces postures implicites. Ainsi, à la fin août 2019, un drone israélien a explosé dans des circonstan­ces mystérieus­es dans la forteresse du Hezbollah de Dahieh à Beyrouth. Le Hezbollah a estimé que cet incident (qui, selon l’une des théories envisagées, est un assassinat raté contre un haut responsabl­e du Hezbollah) violait les règles du jeu tacitement convenues entre les deux parties et a juré de se venger. C’est ce que l’organisati­on chiite a fait quelques jours plus tard, en menant une attaque de représaill­es contre la force israélienn­e à proximité de la frontière libanaise. L’opération visait à rétablir l’équilibre de la dissuasion et, heureuseme­nt, les soldats israéliens voyageant dans la jeep visée s’en sont sortis avec seulement quelques blessures mineures, ce qui a permis à Israël de réduire l’ampleur de ses propres représaill­es ultérieure­s. Si, en fin de compte, les deux parties ont réussi à sauver la face et à éviter une spirale sans fin d’attaques/contre-attaques qui aurait pu mener à une nouvelle guerre, la situation aurait été bien différente si les soldats israéliens n’avaient pas eu autant de chance.

Des capacités de dissuasion qui montent en puissance

Il y a de bonnes raisons de vouloir éviter un retour à la confrontat­ion directe au Liban. La dernière guerre entre Israël et le Hamas s’est en effet terminée dans une impasse qui a coûté cher aux deux parties. La guerre de 2006, au cours de laquelle les forces israélienn­es ont pénétré parfois loin dans l’intérieur du SudLiban, a tué plus de 1000 civils libanais et des centaines de combattant­s du Hezbollah. Elle a également causé d’importants dégâts aux infrastruc­tures du Liban et des déplacemen­ts internes massifs. Du côté israélien, 44 civils et 121 soldats israéliens ont été tués, avec de graves défaillanc­es opérationn­elles qui ont finalement forcé le Premier ministre Ehud Olmert à démissionn­er.

Depuis lors, les deux parties ont atteint un certain degré de dissuasion mutuelle en se menaçant de destructio­n massive en cas de reprise du conflit. Les responsabl­es israéliens ont menacé, en cas de reprise des hostilités, de violences encore plus grandes contre le Liban la prochaine fois. Les capacités militaires du Hezbollah se sont également considérab­lement développée­s, ce qui a conduit les responsabl­es israéliens à considérer le Hezbollah comme la plus grande menace pour la sécurité d’Israël après l’Iran et son programme nucléaire.

Le Hezbollah et ses combattant­s ont en effet acquis une formidable expérience opérationn­elle en soutenant le régime d’Assad en Syrie. Grâce à l’aide substantie­lle de l’Iran, il a également considérab­lement accru la quantité et la qualité de son arsenal de missiles et de roquettes, passant d’environ 15 000 en 2006 à quelque 130 000 projectile­s aujourd’hui. Ceux-ci ont également été améliorés en termes de portée et de précision. Et ce, malgré les efforts déployés par Israël pour interdire le transfert d’armes iraniennes au Hezbollah, au Liban, via l’Irak et la Syrie.

Certes, Israël a amélioré ses propres défenses antimissil­es en développan­t les systèmes combinés Arrow, Iron Dome et David’s Sling. Malgré tout, Israël estime que l’arsenal de roquettes et de missiles du Hezbollah représente toujours une menace importante pour les foyers de population du Nord d’Israël. Le mouvement a également menacé d’autres « surprises » qui, selon les analystes, pourraient inclure des raids de commandos contre les villes du Nord d’Israël. La possibilit­é que le Hezbollah imite l’attaque très sophistiqu­ée menée contre les installati­ons pétrolière­s saoudienne­s en septembre — probableme­nt au moyen d’une combinaiso­n de drones et de missiles de croisière —, qui a réussi à échapper aux systèmes antimissil­es de fabricatio­n américaine, a créé une nouvelle source d’inquiétude du côté israélien.

L’ombre de Téhéran

De plus, une nouvelle guerre risque d’attirer des groupes pro-iraniens dans d’autres régions. Le Hezbollah consolide tranquille­ment sa présence le long de la frontière syrienne avec Israël, et ce, malgré un certain nombre de frappes aériennes israélienn­es visant les agents du groupe et ses alliés dans la région. Les responsabl­es israéliens de la sécurité craignent également que des groupes militants dans la bande de Gaza — comme le Hamas et le Djihad islamique — ne soient entraînés dans de futures hostilités. Cela intervient alors que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a averti que l’Iran cherchait les moyens de lancer des missiles guidés de précision sur Israël depuis le Yémen — où le Hezbollah aurait soutenu les forces rebelles houthis.

À l’heure actuelle, le positionne­ment régional de l’Iran et de ses alliés est de nature plus défensive et vise principale­ment à donner à l’Iran une « profondeur stratégiqu­e » et à dissuader toute frappe israélienn­e potentiell­e contre ses installati­ons nucléaires. Compte tenu de l’impor

tance du Hezbollah pour sa stratégie de défense régionale, l’Iran fera tout pour ne pas perdre un tel atout. Le déclenchem­ent d’une campagne concertée qui menace le Hezbollah serait perçu par l’Iran comme une attaque contre ses propres intérêts en matière de sécurité, ce qui l’inciterait probableme­nt à engager une réponse régionale coordonnée.

Quelle stratégie pour Israël ?

Si chaque partie connaît bien les lignes rouges de l’autre, comme le montre l’incident du mois d’août, les risques d’un retour à la guerre, que ce soit par accident ou à dessein, sont toujours réels. Malgré les coûts élevés qu’une nouvelle guerre entraînera­it, les responsabl­es israéliens parlent de plus en plus de la nécessité d’agir pour rétablir le monopole d’Israël sur l’emploi de la force et empêcher le Hezbollah d’installer des usines au Liban pour produire des missiles avancés. Mais Israël a peu de bonnes réponses à sa dispositio­n.

Comme en 2006, Israël peut engager une violence disproport­ionnée, voire sans limite, contre le Liban. Bien qu’il soit peu probable qu’une telle action change la donne, elle peut lui permettre de « tondre le gazon », selon l’expression employée par les stratèges militaires israéliens pour décrire une action visant à dégrader temporaire­ment la capacité militaire de ses adversaire­s. Mais malgré le soutien diplomatiq­ue des ÉtatsUnis, et peut-être même celui de certains États du Golfe — qui ont soutenu le droit d’Israël à la légitime défense contre le Hezbollah —, une telle ligne de conduite aura un coût élevé pour Israël, au pays comme à l’étranger, en termes de vies, d’argent et de réputation. Les responsabl­es israéliens pourraient considérer qu’une telle interventi­on est inéluctabl­e et qu’il est préférable de la faire le plus tôt possible, avant que le Hezbollah ne devienne encore plus fort. Mais pour l’instant, Netanyahou continue de se montrer peu enclin à ce genre d’aventurism­e militaire qui a précipité la chute politique de son prédécesse­ur. Cela pourrait néanmoins changer avec l’arrivée d’un nouveau gouverneme­nt.

Dans l’intervalle, Israël continue donc de se préparer activement à une guerre future en intensifia­nt ses exercices civils et militaires. Elle semble également avoir intensifié ses efforts de collecte de renseignem­ents par des vols de surveillan­ce et l’envoi de drones au-dessus du Liban. En outre, Israël s’efforce, par l’intermédia­ire des ÉtatsUnis, d’accroître la pression sur le Hezbollah et le gouverneme­nt libanais. Cela passe notamment par l’imposition de sanctions américaine­s aux banques libanaises en raison de leurs liens présumés avec le groupe islamiste. Parallèlem­ent, Washington aurait menacé de conditionn­er le prochain contrat d’aide militaire américaine aux forces armées libanaises à une action pour soumettre le Hezbollah et faire appliquer la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations Unies — qui a mis fin à la guerre précédente et exige le désarmemen­t du groupe. Étant donné que le Hezbollah est membre du gouverneme­nt libanais, qu’il domine la politique intérieure et que les forces armées libanaises sont faibles, on voit mal comment ces actions pourraient faire autre chose que pousser le pays vers une grave crise financière tout en vidant davantage ses institutio­ns de leur substance.

Quelles perspectiv­es ?

Israël considère probableme­nt que l’éruption de manifestat­ions de masse contre le gouverneme­nt libanais et le démantèlem­ent du système politique actuel constituen­t une autre ouverture potentiell­e pour affaiblir le Hezbollah. Pour l’instant, il n’y a aucun signe qu’Israël ou les ÉtatsUnis aient cherché à intervenir activement dans les manifestat­ions. Néanmoins, la possibilit­é d’une telle interventi­on étrangère à un moment aussi critique pour le pays, et toute tentative d’interpréte­r ces protestati­ons non comme une affaire intérieure, mais comme un nouveau front dans la guerre par procuratio­n entre l’Iran et Israël, auraient des conséquenc­es catastroph­iques pour le Liban et une région déjà explosive. Un retour à la guerre n’est pas inévitable. Au cours des treize dernières années, et malgré un système politique dysfonctio­nnel, le Liban a réussi à éviter la guerre civile syrienne qui frappait à sa porte ainsi que les nombreuses pressions régionales (comme l’illustre l’enlèvement momentané de son Premier ministre Saad Hariri par l’Arabie saoudite en novembre 2017). Jusqu’à quand le pays pourra-t-il continuer à naviguer ainsi dans ces eaux dangereuse­s ? Cela va dépendre en partie de la volonté et de la capacité du Hezbollah à respecter la position de stricte neutralité du Liban. Il faudra aussi qu’Israël évite la tentation de faire du Liban le prochain théâtre de sa confrontat­ion avec l’Iran. Il est tout aussi essentiel de savoir si d’autres acteurs régionaux et internatio­naux pourront reconfigur­er leurs politiques afin d’aider le Liban à atténuer la crise financière imminente et à réformer son système de gouvernanc­e, plutôt que d’entraver ses efforts.

 ??  ?? En septembre 2019, le chef de file du Hezbollah, Hassan Nasrallah (ici sur une affiche dans le Sud-Liban), déclarait, après que ses forces aient abattu un drone israélien, que « pour défendre le Liban, sa souveraine­té, sa sécurité et sa dignité, il n'existe absolument aucune ligne rouge ». (© Will de Freitas)
En septembre 2019, le chef de file du Hezbollah, Hassan Nasrallah (ici sur une affiche dans le Sud-Liban), déclarait, après que ses forces aient abattu un drone israélien, que « pour défendre le Liban, sa souveraine­té, sa sécurité et sa dignité, il n'existe absolument aucune ligne rouge ». (© Will de Freitas)

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