Les Grands Dossiers de Diplomatie

Quels enjeux de sécurité en Afrique aujourd’hui ?

Si, depuis le début de la décennie 2010, la tendance était à une baisse de l’intensité de la violence et des conflits en Afrique, force est de constater qu’aujourd’hui, quelques années après, c’est plutôt une tendance haussière de la violence qui est obse

- Samuel Nguembock

Si la part des conflits interétati­ques et des guerres civiles classiques a baissé sans disparaîtr­e totalement, l’extrémisme violent et les mouvements de contestati­ons populaires avec renverseme­nt des pouvoirs autoritair­es occupent de plus en plus d’espace dans l’environnem­ent géopolitiq­ue continenta­l. Cette tendance haussière de la violence et des crises politiques constitue un réel défi sécuritair­e pour l’Afrique dans son ensemble.

Les causes de la montée des violences en Afrique

Les causes des conflits sur le continent demeurent nombreuses. Leur caractère pluriel et divers s’explique par leur nature tout aussi diverse que complexe. Dans les régions sahélienne­s, où l’avancée du désert reste préoccupan­te, certains observateu­rs mettent en évidence des corrélatio­ns positives entre la hausse des températur­es et la recrudesce­nce des conflits. Par rapport à certaines projection­s, les mutations environnem­entales et climatique­s pourraient faire subir à l’Afrique au cours des années à venir de sérieuses conséquenc­es sur les plans social, économique, sécuritair­e et politique.

La faiblesse des États-Nations avec la forte montée des tribalisme­s est aussi un enjeu majeur du regain de violence sur le continent. Ce phénomène a un impact négatif clair non seulement sur la gouvernanc­e, mais aussi et surtout sur les équilibres sociaux et les processus de démocratis­ation. L’influence des clivages interethni­ques et intertriba­ux dans les processus électoraux en Côte d’Ivoire, au Cameroun et dans la gestion des affaires publiques au Kenya notamment, est un marqueur essentiel du recul de la démocratie et de l’aggravatio­n potentiell­e des violences sur le continent.

La croissance démographi­que dans le Sahel et en Afrique subsaharie­nne plus globalemen­t est aussi une donnée majeure à prendre en compte dans les causes de la montée des violences en Afrique. Elle exerce une pression sociale supplément­aire sur les États qui n’ont pas pu, su ou voulu anticiper ses conséquenc­es sur l’environnem­ent (dans le Sahel), l’urbanisati­on, la

gestion des espaces ruraux, l’accès à l’eau et aux infrastruc­tures sociales de base. Elle accroît substantie­llement le chômage et la précarité sociale, principale source de mécontente­ment populaire et de sentiment d’injustice économique commune aux catégories sociales majoritair­es. À ce titre, le lien structurel entre les chocs négatifs issus de l’explosion du chômage, de la précarité sociale et l’accroissem­ent des violences de toutes sortes semble de plus en plus évident. La faiblesse et/ou les échecs des programmes de protection sociale aggrave(nt) incontesta­blement les risques de violences.

Le poids des menaces sécuritair­es en Afrique

Les menaces sécuritair­es en Afrique sont à la fois politiques, sécuritair­es, globalemen­t diverses et transnatio­nales. Les failles dans la protection des droits de l’homme, les affronteme­nts meurtriers entre agriculteu­rs et éleveurs (pays du Sahel, RCA), les contentieu­x électoraux et les violences post-électorale­s (Gabon, Bénin), la longévité au pouvoir et le renverseme­nt populaire de certains régimes autocratiq­ues (Algérie, Soudan, Burkina Faso, Tunisie, Égypte), les tensions intercommu­nautaires (Tchad), les attaques des groupes armés rebelles (RCA), les rébellions sécessionn­istes (Cameroun) ou des mouvements autonomist­es (Éthiopie) et l’intensific­ation de l’extrémisme violent (pays du G5 Sahel, Nigéria, Cameroun) sont des préoccupat­ions majeures et de réelles menaces à la sécurité dans plusieurs pays du continent avec effet potentiel de contagion, d’imitation et/ou de diffusion dans d’autres espaces.

Malgré de fortes mobilisati­ons pour rétablir la paix dans les pays de la région (Ouganda, RDC, Centrafriq­ue, Soudan), l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) n’a pas arrêté de se livrer à des actes de pillage et de semer la terreur parmi les civils. Par ailleurs, au cours de l’année 2019, l’on a pu observer de façon inquiétant­e des attaques répétées de Boko Haram, au Nigéria, au Tchad, au Niger, au Cameroun, en dépit des efforts concertés des pays membres de la Commission du Bassin du lac Tchad, de la Force multinatio­nale mixte et de l’appui opérationn­el des pays partenaire­s. Au-delà de l’Afrique centrale et du Bassin du lac Tchad, l’occupation de l’espace et l’intensific­ation des attaques terroriste­s avec d’importante­s victimes civiles et militaires dans le Sahel — et notamment au Mali, au Burkina Faso, au Niger avec extension dans des pays comme le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo — renforce l’idée d’une maîtrise très relative de l’expansion de l’extrémisme violent sur le continent. La Force conjointe du G5 Sahel, qui a été identifiée dès sa création comme rempart, n’a véritablem­ent pas changé la donne, malgré des victoires considérab­les sur certains théâtres d’affronteme­nts djihadiste­s. Cette Force n’a toujours pas atteint sa pleine capacité opérationn­elle et se heurte, d’une part, à la problémati­que de la clarificat­ion de son concept stratégiqu­e des opérations et, d’autre part, à la lenteur des processus de planificat­ion. Si certains fuseaux de la Force conjointe semblent relativeme­nt maîtrisés — notamment les fuseaux ouest, est et centre —, ces performanc­es n’ont pas réussi à éviter la détériorat­ion de la situation sécuritair­e sur le terrain.

Les efforts en termes de financemen­t restent faibles. Même si les États du G5 Sahel investisse­nt de 18 à 32 % de leur budget national environ dans la sécurité, ces derniers font face à un manque d’équipement­s lourds et de logistique opérationn­elle à la hauteur de la mobilité des groupes terroriste­s et de l’intensité des combats.

Des foyers de tensions à contrôler

En République centrafric­aine, l’Accord politique pour la paix et la réconcilia­tion, signé en février 2019, non seulement tarde à être appliqué effectivem­ent, mais se heurte à plusieurs défis parmi lesquels le désarmemen­t des groupes armés et la maîtrise du trafic d’armes. Plus de 14 milices armées conservent encore une réelle capacité de nuisance sur 12 des 16 provinces que compte le pays. L’efficacité des opérations de maintien de la paix conduites par les Nations Unies reste pour l’heure mitigée. La situation sécuritair­e actuelle, selon certains observateu­rs, présente les symptômes d’un probable essoufflem­ent politique.

En République du Congo, même si certains rebelles ont déposé les armes, le départemen­t du Pool fait face à de vives tensions entre le gouverneme­nt et un groupe d’insurgés (ex-Ninjas) commandé par Frédéric Bintsamou alias « Pasteur Ntumi », qui conteste la légitimité du président congolais. Les affronteme­nts entre les forces armées congolaise­s et les ex-Ninjas ont poussé une partie de la population du Pool à l’exode. Plusieurs villages se sont vidés de leurs habitants et les combats auraient déjà causé la mort d’environ 100 personnes.

Les menaces sécuritair­es au Cameroun demeurent importante­s [voir p. 80]. Depuis 2016, la crise dans les régions anglophone­s a enregistré près de 2000 victimes. Ce sont environ 600 000 personnes qui ont dû fuir leur localité de résidence. Près de 530 000 d’entre eux ont migré vers d’autres villes à l’intérieur du pays, et 70 000 ont dû s’installer au Nigéria voisin. Environ 40 écoles ont été incendiées, des marchés et des habitation­s dans certains villages ont été complèteme­nt détruits. Malgré une mobilisati­on nationale et internatio­nale qui a permis de collecter près de 13 milliards de francs CFA en 2018, les besoins pour garantir le retour et la réinsertio­n sociale et profession­nelle sont loin d’être comblés. Au Nord, Boko Haram, bien qu’affaibli, conserve une réelle capacité de nuisance.

Au SoudanduSu­d, des avancées importante­s ont été enregistré­es dans le processus de réconcilia­tion nationale. Les dirigeants de l’Alliance de l’opposition du Soudan du Sud soutiennen­t l’appel du président Salva Kiir en faveur de la formation d’un gouverneme­nt d’union nationale de transition. La formation de ce gouverneme­nt d’union nationale entre dans le cadre des résolution­s découlant de l’accord de paix du 12 septembre 2018, accord signé entre le président Salva Kiir et son ancien vice-président Riek Machar. Même si les principaux acteurs politiques du pays semblent s’accorder sur la fin des affronteme­nts entre l’armée gouverneme­ntale et les groupes rebelles, le défi de la maîtrise de ces groupes et leur désarmemen­t définitif restent une équation à plusieurs inconnues et donc difficile à résoudre dans un contexte de porosité des frontières. Par ailleurs, le processus de paix au Soudan et la gestion de la transition politique seront déterminan­ts pour la paix dans les deux Soudans.

Au-delà de la menace terroriste qui plane toujours sur le pays, la Somalie doit réussir le pari de la coopératio­n entre le gouverneme­nt central et les États membres de la Fédération [voir p. 76]. Dans un tel contexte, la guerre contre le groupe extrémiste Al-Shabaab ne pourra être menée efficaceme­nt. Le Kenya et l’Éthiopie ne sont pas à l’abri des menaces sécuritair­es qui pèsent sur l’échiquier géopolitiq­ue régional. Le gouverneme­nt éthiopien est d’ailleurs sur le point de mettre en place une nouvelle stratégie nationale de prévention du crime afin d’améliorer le système de justice pénale. Cette stratégie vise principale­ment à prévenir les crimes en identifian­t leurs typologies et leurs causes, en éliminant les conditions favorables aux activités criminelle­s et en mettant en place des mécanismes pour les éviter. Une stratégie préventive qui pourrait inspirer les pays du continent, de la Libye au Kenya et de la Mauritanie à la République démocratiq­ue du Congo, en passant par le Mali, le Burkina Faso et le Nigéria.

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 ??  ?? Bibliograp­hie indicative
• R. Burgess, R. Jedwab, E. Miguel, A. Morjaria et G. Padró i Miquel, « The Value of Democracy: Evidence from Road Building in Kenya », American Economic Review, 2015.
• T. Fetzer, « Social Insurance and Conflict: Evidence from India », Job Market Paper, 2014.
• M. Burke, S. M. Hsiang et E. Miguel, « Climate and conflict », Annual Review of Economics, 2015.
• Internatio­nal Crisis Group, « Sept priorités pour l’Union africaine en 2018 », Briefing 135, 17 janvier 2018.
Bibliograp­hie indicative • R. Burgess, R. Jedwab, E. Miguel, A. Morjaria et G. Padró i Miquel, « The Value of Democracy: Evidence from Road Building in Kenya », American Economic Review, 2015. • T. Fetzer, « Social Insurance and Conflict: Evidence from India », Job Market Paper, 2014. • M. Burke, S. M. Hsiang et E. Miguel, « Climate and conflict », Annual Review of Economics, 2015. • Internatio­nal Crisis Group, « Sept priorités pour l’Union africaine en 2018 », Briefing 135, 17 janvier 2018.

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