Les Grands Dossiers de Diplomatie
Le Soudan en transition : le Darfour au coeur des enjeux ?
inscrits pour une armée malienne initiale de 16 000 personnes. Ces groupes armés « signataires », d’ethnies minoritaires (Touaregs et Arabes), libres de circuler, se sont encore battus entre eux et ont suscité les craintes des autres communautés majoritaires qui n’avaient pas pris part à l’insurrection du Nord (Songhoï et Peuls), lesquelles ont, pour se défendre, constitué leurs propres milices ou ont rejoint les djihadistes pour s’armer et se protéger. Les Songhoï ont notamment relancé les anciennes milices Ganda Koy et Ganda Izo (« Les enfants du pays ») et les Peuls ont créé en 2016 le Mouvement pour la défense de la patrie (MDP) et l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (ANSIPRJ).
• Deuxièmement, les communautés non parties prenantes à l’insurrection du Nord du Mali ont constaté les avantages concédés aux groupes armés minoritaires signataires et ont voulu en profiter aussi en prenant les armes à leur tour : ceci a entraîné une tribalisation armée de la région. Les djihadistes en ont tiré parti.
Aujourd’hui, l’accord d’Alger rencontre des blocages : les dirigeants des groupes signataires profitent du système per diem pour participer à des comités de gestion, voyages d’études (en Chine et en Norvège en 2018). Ils ne sont pas pressés d’être désarmés, craignent des élections qui risqueraient de les balayer. Bamako n’est pas plus pressé : le cessez-le-feu fonctionne déjà vis-à-vis de son armée, l’accord est impopulaire en raison des avantages qu’il confère à des minorités ethniques, l’armée ne souhaite pas intégrer des déserteurs ou « traîtres » ex-rebelles analphabètes, le risque d’un séparatisme légal est réel, etc. Inversement, il y a la demande de milliers de nomades voulant accéder à un emploi public (seulement 1250 ex-combattants sont en cours d’intégration dans l’armée fin 2019). Il y a enfin la pression extérieure, de la France principalement, qui pense que l’accord favorisera la paix en faisant disparaître, au nord, les groupes armés non djihadistes, ce qui simplifierait l’équation malienne. Mais le rapport des experts de l’ONU précédemment cité estime que l’accord est « [miné] par des rivalités entre groupes, des luttes intestines et la collusion de certains éléments avec les terroristes ». Le président Issoufou du Niger a publiquement déclaré que la situation de Kidal alimentait le terrorisme régional et les attentats au Niger.
Cependant, comme une épée de Damoclès, la principale disposition controversée de l’accord d’Alger reste encore inappliquée : la création de régions quasi autonomes dont le président serait élu au suffrage universel direct. C’est une concession majeure aux « ex »-séparatistes (la CMA), qui s’opposent à toute « relecture » de l’accord. C’est un risque d’éclatement pour un pays déjà très fragile.
Des remèdes qui s’avèrent inefficaces
Le premier remède a été l’intervention militaire de la France avec l’envoi de « Serval » en janvier 2013. « Serval » a permis l’arrêt de la colonne de djihadistes qui descendait vers le sud. Mais Iyad Ag Ghali n’a toujours pas pu être neutralisé par les Français, ce qui, surtout après les succès américains contre Ben Laden puis Abou Bakr al-Baghdadi, alimente au Mali l’idée d’une volonté de Paris de protéger Iyad et, donc, d’une duplicité française, s’ajoutant à celle de l’Algérie.
Le péché originel de la France est que son armée, qui avait besoin en 2013 d’un appui local, a alors coopéré avec le groupe séparatiste MNLA. D’autre part, « Serval » a également empêché l’armée malienne de reprendre la ville de Kidal, donnée au MNLA et donc aux Ifoghas, qui ont formé peu après un autre groupe armé, de tendance islamiste, le HCUA, dominant actuellement à Kidal. Le rapport de l’ONU note que la collusion entre le GSIM qui fédère les djihadistes sous l’autorité d’Iyad et certains éléments du HCUA est apparue au grand jour.
L’accord d’Alger a permis un cessez-le feu vis-à-vis de l’armée malienne. Mais il a consolidé l’occupation de Kidal par les « ex »-séparatistes. De ce fait, la population considère que tout le Nord n’a pas été libéré et que le projet séparatiste demeure : en 2019, des drapeaux maliens y ont été brûlés. Le 30 janvier 2019, la CMA (regroupement des exséparatistes) a publié une règlementation sur Kidal (retirée depuis) concernant la justice confiée à un juge islamique, sur le séjour des « étrangers », sur les boissons alcoolisées, qui semblait préfigurer un émirat indépendant.
« Serval » et, depuis 2014, « Barkhane » (agissant sur cinq pays du Sahel), avec l’aide des forces spéciales « Sabre », alliées aux armées nationales, ont rencontré trois autres difficultés :
Le terrain « nettoyé » des éléments djihadistes n’est pas administré par les autorités, faute de sous-préfet, maire, policiers ou gendarmes et juges. Il n’y a pas de quadrillage régalien et les djihadistes peuvent revenir.
« Barkhane » coopère actuellement avec d’autres milices ethniques touarègues : le GATIA du général Gamou (Imghads) et le MSA (scission du MNLA de la tribu touarègue des Daoussaks), ce qui lui fait courir le risque d’être instrumentalisé localement dans les luttes intercommunautaires.
L’affaire de Kidal a miné la crédibilité de « Barkhane » : la France est suspectée par la population d’être complice des séparatistes et même des djihadistes puisque Iyad Ag Ghali reste influent à Kidal à travers le HCUA.
Par ailleurs, le G5 Sahel, présenté comme la solution africaine, s’enlise dans les méandres bureaucratiques en raison de la complexité de ses financements extérieurs et des procédures, tant les bailleurs de fonds redoutent la corruption. Enfin, les casques bleus de la MINUSMA sont impopulaires en raison de leur absence d’engagement contre les groupes armés. L’encombrement sécuritaire local s’accompagne ainsi d’une augmentation régulière des attaques et attentats. Des régions entières sont désormais sous contrôle des djihadistes qui ciblent spécialement les enseignants et tout fonctionnaire.
Quelles sont les perspectives ?
De toute évidence, l’approche sécuritaire est nécessaire, mais non suffisante. Une action globale s’impose : restauration des fonctions régaliennes par des appuis bilatéraux renforcés, retrait des forces françaises en première ligne depuis sept ans et désormais rejetées par la population. La « communauté internationale » doit donc réviser ses modes d’action. L’initiative du président malien de « Dialogue national inclusif » est une excellente approche pour chercher enfin de nouvelles solutions et reconstruire un contrat social, mais l’opposition ne s’y est pas ralliée. Il y a un risque de dégradation politique à Bamako, avec une montée des mécontentements et une poussée islamiste et populiste dont pourraient tenter de profiter des opportunistes, militaires ou religieux, tels l’imam Mamoud Dicko, populaire bien que wahhabite et revendiquant une république islamique. Fort opportunément, Bamako a relancé, fin 2019, la lutte contre la corruption par quelques arrestations ou poursuites spectaculaires.
Notons enfin que ces conflits ont essentiellement des racines locales et sont très faiblement connectés au terrorisme international qui menace directement la France. Aucun Français n’a rejoint les djihadistes sahéliens.Aucun de ceux-ci n’a organisé d’attentat en France ou à l’extérieur du Sahel, sauf en Côte d’Ivoire (Grand Bassam en 2016) et une prise d’otages dans le Nord du Bénin (2019).