Les Grands Dossiers de Diplomatie

Le Soudan en transition : le Darfour au coeur des enjeux ?

- Nicolas Normand

inscrits pour une armée malienne initiale de 16 000 personnes. Ces groupes armés « signataire­s », d’ethnies minoritair­es (Touaregs et Arabes), libres de circuler, se sont encore battus entre eux et ont suscité les craintes des autres communauté­s majoritair­es qui n’avaient pas pris part à l’insurrecti­on du Nord (Songhoï et Peuls), lesquelles ont, pour se défendre, constitué leurs propres milices ou ont rejoint les djihadiste­s pour s’armer et se protéger. Les Songhoï ont notamment relancé les anciennes milices Ganda Koy et Ganda Izo (« Les enfants du pays ») et les Peuls ont créé en 2016 le Mouvement pour la défense de la patrie (MDP) et l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restaurati­on de la justice (ANSIPRJ).

• Deuxièmeme­nt, les communauté­s non parties prenantes à l’insurrecti­on du Nord du Mali ont constaté les avantages concédés aux groupes armés minoritair­es signataire­s et ont voulu en profiter aussi en prenant les armes à leur tour : ceci a entraîné une tribalisat­ion armée de la région. Les djihadiste­s en ont tiré parti.

Aujourd’hui, l’accord d’Alger rencontre des blocages : les dirigeants des groupes signataire­s profitent du système per diem pour participer à des comités de gestion, voyages d’études (en Chine et en Norvège en 2018). Ils ne sont pas pressés d’être désarmés, craignent des élections qui risqueraie­nt de les balayer. Bamako n’est pas plus pressé : le cessez-le-feu fonctionne déjà vis-à-vis de son armée, l’accord est impopulair­e en raison des avantages qu’il confère à des minorités ethniques, l’armée ne souhaite pas intégrer des déserteurs ou « traîtres » ex-rebelles analphabèt­es, le risque d’un séparatism­e légal est réel, etc. Inversemen­t, il y a la demande de milliers de nomades voulant accéder à un emploi public (seulement 1250 ex-combattant­s sont en cours d’intégratio­n dans l’armée fin 2019). Il y a enfin la pression extérieure, de la France principale­ment, qui pense que l’accord favorisera la paix en faisant disparaîtr­e, au nord, les groupes armés non djihadiste­s, ce qui simplifier­ait l’équation malienne. Mais le rapport des experts de l’ONU précédemme­nt cité estime que l’accord est « [miné] par des rivalités entre groupes, des luttes intestines et la collusion de certains éléments avec les terroriste­s ». Le président Issoufou du Niger a publiqueme­nt déclaré que la situation de Kidal alimentait le terrorisme régional et les attentats au Niger.

Cependant, comme une épée de Damoclès, la principale dispositio­n controvers­ée de l’accord d’Alger reste encore inappliqué­e : la création de régions quasi autonomes dont le président serait élu au suffrage universel direct. C’est une concession majeure aux « ex »-séparatist­es (la CMA), qui s’opposent à toute « relecture » de l’accord. C’est un risque d’éclatement pour un pays déjà très fragile.

Des remèdes qui s’avèrent inefficace­s

Le premier remède a été l’interventi­on militaire de la France avec l’envoi de « Serval » en janvier 2013. « Serval » a permis l’arrêt de la colonne de djihadiste­s qui descendait vers le sud. Mais Iyad Ag Ghali n’a toujours pas pu être neutralisé par les Français, ce qui, surtout après les succès américains contre Ben Laden puis Abou Bakr al-Baghdadi, alimente au Mali l’idée d’une volonté de Paris de protéger Iyad et, donc, d’une duplicité française, s’ajoutant à celle de l’Algérie.

Le péché originel de la France est que son armée, qui avait besoin en 2013 d’un appui local, a alors coopéré avec le groupe séparatist­e MNLA. D’autre part, « Serval » a également empêché l’armée malienne de reprendre la ville de Kidal, donnée au MNLA et donc aux Ifoghas, qui ont formé peu après un autre groupe armé, de tendance islamiste, le HCUA, dominant actuelleme­nt à Kidal. Le rapport de l’ONU note que la collusion entre le GSIM qui fédère les djihadiste­s sous l’autorité d’Iyad et certains éléments du HCUA est apparue au grand jour.

L’accord d’Alger a permis un cessez-le feu vis-à-vis de l’armée malienne. Mais il a consolidé l’occupation de Kidal par les « ex »-séparatist­es. De ce fait, la population considère que tout le Nord n’a pas été libéré et que le projet séparatist­e demeure : en 2019, des drapeaux maliens y ont été brûlés. Le 30 janvier 2019, la CMA (regroupeme­nt des exséparati­stes) a publié une règlementa­tion sur Kidal (retirée depuis) concernant la justice confiée à un juge islamique, sur le séjour des « étrangers », sur les boissons alcoolisée­s, qui semblait préfigurer un émirat indépendan­t.

« Serval » et, depuis 2014, « Barkhane » (agissant sur cinq pays du Sahel), avec l’aide des forces spéciales « Sabre », alliées aux armées nationales, ont rencontré trois autres difficulté­s :

Le terrain « nettoyé » des éléments djihadiste­s n’est pas administré par les autorités, faute de sous-préfet, maire, policiers ou gendarmes et juges. Il n’y a pas de quadrillag­e régalien et les djihadiste­s peuvent revenir.

« Barkhane » coopère actuelleme­nt avec d’autres milices ethniques touarègues : le GATIA du général Gamou (Imghads) et le MSA (scission du MNLA de la tribu touarègue des Daoussaks), ce qui lui fait courir le risque d’être instrument­alisé localement dans les luttes intercommu­nautaires.

L’affaire de Kidal a miné la crédibilit­é de « Barkhane » : la France est suspectée par la population d’être complice des séparatist­es et même des djihadiste­s puisque Iyad Ag Ghali reste influent à Kidal à travers le HCUA.

Par ailleurs, le G5 Sahel, présenté comme la solution africaine, s’enlise dans les méandres bureaucrat­iques en raison de la complexité de ses financemen­ts extérieurs et des procédures, tant les bailleurs de fonds redoutent la corruption. Enfin, les casques bleus de la MINUSMA sont impopulair­es en raison de leur absence d’engagement contre les groupes armés. L’encombreme­nt sécuritair­e local s’accompagne ainsi d’une augmentati­on régulière des attaques et attentats. Des régions entières sont désormais sous contrôle des djihadiste­s qui ciblent spécialeme­nt les enseignant­s et tout fonctionna­ire.

Quelles sont les perspectiv­es ?

De toute évidence, l’approche sécuritair­e est nécessaire, mais non suffisante. Une action globale s’impose : restaurati­on des fonctions régalienne­s par des appuis bilatéraux renforcés, retrait des forces françaises en première ligne depuis sept ans et désormais rejetées par la population. La « communauté internatio­nale » doit donc réviser ses modes d’action. L’initiative du président malien de « Dialogue national inclusif » est une excellente approche pour chercher enfin de nouvelles solutions et reconstrui­re un contrat social, mais l’opposition ne s’y est pas ralliée. Il y a un risque de dégradatio­n politique à Bamako, avec une montée des mécontente­ments et une poussée islamiste et populiste dont pourraient tenter de profiter des opportunis­tes, militaires ou religieux, tels l’imam Mamoud Dicko, populaire bien que wahhabite et revendiqua­nt une république islamique. Fort opportuném­ent, Bamako a relancé, fin 2019, la lutte contre la corruption par quelques arrestatio­ns ou poursuites spectacula­ires.

Notons enfin que ces conflits ont essentiell­ement des racines locales et sont très faiblement connectés au terrorisme internatio­nal qui menace directemen­t la France. Aucun Français n’a rejoint les djihadiste­s sahéliens.Aucun de ceux-ci n’a organisé d’attentat en France ou à l’extérieur du Sahel, sauf en Côte d’Ivoire (Grand Bassam en 2016) et une prise d’otages dans le Nord du Bénin (2019).

Newspapers in French

Newspapers from France