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Papouasie indonésienne : une amélioration des conditions mais la persistance de tensions
Depuis la mi-août 2019, la Papouasie indonésienne est marquée par des émeutes de grande ampleur ayant causé la mort de plus de 30 personnes. Composée de deux provinces — Papouasie et Papouasie occidentale —, la Papouasie indonésienne est la région la plus excentrée du pays. Les ressources naturelles de l’île — or, cuivre, gaz naturel, ressources halieutiques, etc. — sont nombreuses et suscitent l’intérêt de nombreux acteurs. Pour la nation indonésienne — qui conçoit sa souveraineté territoriale « de Sabang (Aceh) à Merauke (Papouasie) » —, ces heurts ont ravivé des craintes liées aux volontés séparatistes de ses régions situées aux marches du pays. La situation en Papouasie indonésienne peutelle donner lieu à un nouveau Timor-Oriental ? Rien n’est moins sûr.
Une assimilation remise en question mais progressive
Lorsque l’Indonésie obtient son indépendance totale, en 1949, la région la plus orientale de l’archipel — connue sous le nom de « Papouasie de l’Ouest » ou « Irian occidentale » — reste sous le contrôle des Pays-Bas. Au début des années 1960, par crainte de voir l’Indonésie — alors leader des non-alignés — basculer dans le bloc communiste, les États-Unis vont soutenir des pourparlers entre Jakarta et l’ancienne puissance coloniale, visant l’intégration de la Papouasie occidentale à l’Indonésie. Celle-ci se fera en 1969 par un référendum — contesté — et connu sous le nom d’Act of Free
Choice. Une politique d’assimilation sera menée par le gouvernement indonésien. Celle-ci se caractérise notamment par une politique de transmigration, visant à déplacer des populations javanaises ou de Sulawesi, vers la Papouasie, mais aussi par une politique d’intégration, par le biais de la formation des élites des provinces dans différentes universités du pays.
Néanmoins, de nombreux cas de discriminations envers les Indonésiens d’ethnies papoues ont pu fomenter un sentiment de délaissement, de ségrégation, voire d’abandon. Ainsi, nombreux sont les observateurs qui font état d’une inégalité des chances pour la population originaire des provinces de Papouasie. Inégalité des chances dans l’accès à l’éducation, mais aussi concernant l’emploi. Par ailleurs, certains anthropologues notent la prédominance d’une forme de racisme au sein d’une frange de la population indonésienne, à l’encontre des ethnies originaires de Papouasie.
Une région en marge de l’archipel
Il convient de reconnaître que pendant de nombreuses années, la Papouasie n’était pas vraiment une priorité dans la politique de développement de l’Indonésie. Du fait de son éloignement géographique, mais aussi de sa topographie, la population résidant en Papouasie indonésienne doit faire face à des défis importants en termes de logistique. Les services de l’État — malgré les vagues de décentralisation menées depuis le début de la Reformasi —, le coût de la vie dans la région pour des produits considérés de base, tels que le carburant, a longtemps été multiplié par rapport au reste de l’archipel. L’absence relative de l’État pendant de nombreuses années (éducation, soins, sécurité), une décentralisation en demi-teinte et la création de potentats locaux ont sans doute alimenté un sentiment d’être laissés pour compte pour certaines franges de la population locale. Cependant, lors de son premier mandat (20142019), le président indonésien Joko Widodo a fait de la région sa priorité pour le développement économique. Des progrès notables sont à noter, avec notamment un développement des infrastructures logistiques, notamment routières et portuaires. L’un des projets majeurs est la route transpapouasienne — 4400 kilomètres —, dont le chantier fut visé en décembre 2018 par une attaque d’un groupe armé séparatiste, causant la mort de 19 ouvriers et d’un soldat. Toutefois, cette attaque n’a pas remis en question l’engagement du gouvernement à poursuivre sa stratégie, tout en insistant sur ses succès (renégociation du contrat de la mine de Freeport) et en augmentant le nombre de militaires et policiers déployés afin de sécuriser la région.
Campagnes d’influence sur les réseaux sociaux
Les récents heurts ont pu réveiller certaines craintes au sein de la société et du microcosme politique indonésien. Il convient de préciser que la souveraineté de Jakarta sur l’ensemble du territoire est une notion prédominante dans la société indonésienne. Il est souvent rappelé que l’intégrité territoriale doit être défendue à tout prix (« NKRI harga mati » (1)). Ceci peut s’expliquer par le traumatisme indonésien lié aux mouvances séparatistes à Aceh et à l’indépendance du Timor oriental. Depuis des années, les provinces de Papouasie sont soumises à une insurrection de basse intensité, menée par des groupes minoritaires, mais maîtrisant parfaitement leur environnement. Les récentes tensions ont débuté sur Java, lorsque des étudiants originaires de Papouasie ont été pris à partie par des membres de la population locale. Ces derniers reprochaient aux étudiants de ne pas respecter le drapeau indonésien, en marge de la fête nationale indonésienne, le 17 août dernier.
Des insultes à caractère raciste ont été proférées contre les étudiants, et relayées sur les réseaux sociaux. Il convient de noter que les affrontements entre étudiants originaires de Papouasie et communautés locales sont fréquents, notamment à Java, avec des conséquences limitées. Néanmoins, la situation s’est embrasée cette année, principalement dans les villes de Wamena, Jayapura et Timika. Les émeutes ont été marquées par des poussées de violence jusqu’alors rares et limitées, menant le gouvernement indonésien à déployer des forces de polices supplémentaires et à bloquer l’accès à Internet dans la région, afin de limiter l’impact des hoaxes et des fake news, relativement courants sur l’Internet indonésien. Il faut dire que des enquêtes indépendantes ont révélé des manipulations sur les réseaux sociaux (2), dignes d’une véritable campagne d’influence (et de contre-influence), y compris soutenue depuis l’étranger (3), notamment par des organisations telles que le United Liberation Movement
for West Papua (ULMWP), avaient eu lieu. Par ailleurs, des États océaniens — tels que le Vanuatu (4) — participent aussi à un intense lobbying en faveur de l’indépendance des provinces. La situation sur le terrain est bien plus complexe. Si les insurgés bénéficient d’un soutien logistique indéniable, le soutien à l’indépendance semble beaucoup moins marqué. En parallèle, une grande majorité des Indonésiens ont montré leur attachement à la Papouasie lors de la crise, notamment sur les réseaux sociaux, alors que le gouvernement a décidé de prendre de nouvelles mesures favorisant l’intégration des Indonésiens issus des provinces de Papouasie. Par ailleurs, sous l’impulsion du nouveau ministre de l’Intérieur et ancien chef de la police indonésienne, Tito Karnavian, le gouvernement réfléchit à la création d’une à deux provinces supplémentaires en Papouasie indonésienne.
Un défi pour le gouvernement
Les récentes violences en Papouasie indonésienne sont avant tout liées à des problématiques structurelles et identitaires. La stratégie de développement économique mise en oeuvre par le président Widodo commence à porter ses fruits, avec une réduction des coûts logistiques et un meilleur accès aux services de l’État pour les populations locales. En parallèle, les mouvances séparatistes ont surtout bénéficié d’une mobilisation indirecte, liée a un sentiment de ségrégation et d’oubli. Le gouvernement indonésien récemment inauguré (20 octobre) se voit donc face à un enjeu majeur, qui pourrait être celui d’une nouvelle phase d’intégration des minorités.