Les Grands Dossiers de Diplomatie

Les énergies de la mer renouvelab­les : un potentiel internatio­nal et une chance pour la France

- Étienne Pourcher

Alors que les océans recouvrent près des deux tiers de la surface de la Terre, les énergies marines renouvelab­les constituen­t un vaste potentiel pour répondre à la demande énergétiqu­e mondiale. Disposant du second espace maritime au monde, la France peut se faire une place de choix dans ce secteur en plein développem­ent.

Les énergies renouvelab­les en mer sont vouées à tenir un rôle de plus en plus important dans le mix énergétiqu­e mondial, afin de remplir les objectifs de la nécessaire transition écologique. Leur potentiel est très important, tant du point de vue de la production énergétiqu­e que des retombées socio-économique­s.

Des technologi­es variées

S’il est fréquemmen­t fait référence aux énergies marines renouvelab­les dans leur ensemble, celles-ci présentent en réalité une grande diversité technologi­que :

• L’éolien en mer posé permet d’exploiter l’énergie cinétique du vent disponible en mer. Le vent fait tourner les pales de l’éolienne, un générateur transforme l’énergie cinétique en énergie électrique. L’éolienne est fixée sur le fond marin jusqu’à une limite technique de profondeur qui est actuelleme­nt de 50 mètres.

• L’éolien flottant permet d’exploiter l’énergie cinétique du vent dans des zones profondes où l’installati­on d’éoliennes posées sur le fond marin n’est pas réalisable. L’éolienne est fixée sur une structure flottante maintenue par les lignes d’ancrage reliées au fond marin afin de limiter les mouvements. Différente­s technologi­es de flotteurs existent, permettant une installati­on à des profondeur­s allant de 50 mètres jusqu’à plusieurs centaines de mètres.

• L’hydrolienn­e permet d’exploiter l’énergie cinétique contenue dans les courants associés au déplacemen­t des masses d’eau

qui accompagne­nt le phénomène de marée. Pour l’énergie des courants fluviaux, seule l’énergie cinétique du déplacemen­t des masses d’eau est captée.

• Le houlomoteu­r permet d’exploiter l’énergie des vagues et de la houle. Le soleil crée le vent et le vent forme les vagues. Les vagues, en se déplaçant sur de longues distances, forment la houle.

• L’énergie thermique des mers permet d’exploiter la différence de températur­e entre les eaux superficie­lles et les eaux profondes des océans : l’énergie est issue de l’échange thermique entre l’eau froide et l’eau chaude. Pour que le cycle de l’ETM fonctionne, il est nécessaire de disposer d’un différenti­el d’au moins 20°C. À noter que la climatisat­ion est aussi une applicatio­n directe de l’énergie thermique des mers.

• L’énergie osmotique permet d’exploiter la différence de salinité entre l’eau douce et l’eau de mer. Les deux natures d’eau étant séparées par une membrane semi-perméable, elle consiste à utiliser une hauteur d’eau ou une pression créée par la migration de molécules à travers ladite membrane. La pression d’eau en résultant assure un débit qui peut alors être turbiné pour produire de l’électricit­é.

• L’énergie marémotric­e bénéficie des mouvements de l’eau dus aux marées. C’est une des énergies de la mer des plus anciennes. La première usine marémotric­e produisant de l’électricit­é a été inaugurée en 1966 sur la Rance (Bretagne), avec une puissance de 240 MW. Dans le reste du monde, seule la centrale de Sihwa Lake, dans le Nord-Ouest de la Corée du Sud, dépasse cette puissance avec 254 MW. D’autres projets visent actuelleme­nt l’exploitati­on de l’énergie des marées, notamment par création de lagons artificiel­s, mais sont au stade de projets.

• Le photovolta­ïque flottant : sans tirer son énergie de la mer mais en utilisant celle-ci pour son déploiemen­t, le solaire photovolta­ïque consiste à ancrer des supports flottants dans des milieux aquatiques pour y installer des panneaux. Les premiers projets en France sont installés sur des lacs, mais d’autres étudient la possibilit­é d’être installés en mer.

Chaque technologi­e présente un stade d’avancement et un potentiel propre. L’éolien posé est la technologi­e la plus mature, le premier parc éolien en mer au monde ayant été installé il y a 30 ans au Danemark. Vient ensuite l’éolien flottant, qui compte déjà une ferme pilote installée en Écosse, une autre en cours d’installati­on au Portugal, et plusieurs autres fermes pilotes devraient être mises en service d’ici 2022 (notamment 4 en France). L’hydrolien et le houlomoteu­r sont au stade du démonstrat­eur et le futur proche devrait voir le déploiemen­t de ces technologi­es dans le cadre de fermes pilotes. L’énergie thermique des mers et l’énergie osmotique sont encore à un stade R&D et pourront présenter des solutions d’avenir à moyen terme.

Le potentiel techniquem­ent exploitabl­e des EMR est évalué à environ 100 000 TWh/an (soit cinq fois la consommati­on électrique mondiale).

Un potentiel mondial prometteur pour des marchés déjà matures

À l’échelle du monde, les EMR ne représente­nt actuelleme­nt que 0,03 % du mix énergétiqu­e mondial, mais leur progressio­n est fulgurante. Le potentiel techniquem­ent exploitabl­e des EMR est évalué à environ 100 000 TWh/an (soit cinq fois la consommati­on électrique mondiale) par le World Energy Council, tandis que le potentiel théorique serait de 2 millions de TWh/an. L’éolien offshore domine le marché européen des EMR et pourrait passer d’une capacité installée de 20 GW actuelleme­nt à 70 GW en 2030, puis entre 230 GW et 450 GW en 2050 en Europe (200 GW en Chine et 86 GW aux États-Unis à horizon 2050) selon WindEurope. Les capacités de l’éolien en mer pourraient être multipliée­s par 15 dans le monde pour atteindre 562 GW en 2040 selon l’Agence internatio­nale de l’énergie. Ces cinq prochaines années, 150 nouveaux parcs devraient ainsi voir le jour. L’éolien flottant pourrait ouvrir de nouveaux marchés dans des territoire­s jusqu’à présent inaccessib­les, l’AIE évoquant un potentiel de 420 000 TWh/an (soit onze fois la demande mondiale) pour l’éolien offshore grâce à la technologi­e flottante. Le potentiel mondial pour l’éolien offshore est ainsi qualifié de presque illimité par l’AIE, tandis que le potentiel pour l’hydrolien est estimé à 100 GW.

Une place de choix pour la France

Avec 10 millions de kilomètres carrés (en incluant l’OutreMer), la France dispose du second espace maritime mondial. Son potentiel pour l’éolien en mer, compris entre 30 et 70 GW (en incluant l’éolien flottant), la place au second rang de l’Union européenne, derrière le Royaume-Uni. Le potentiel français pour l’hydrolien est estimé entre 2,5 et 3,5 GW selon l’ADEME, et celui des autres énergies à environ 1 GW.

La France a d’ores et déjà attribué 7 projets de parcs commerciau­x éoliens posés, dont 6 devraient entrer en fonction d’ici 2023 pour un total d’environ 3,5 GW. La constructi­on du parc de Saint-Nazaire et de son raccordeme­nt a d’ailleurs déjà commencé. Le projet de PPE (Programmat­ion pluri-annuelle de l’énergie) qui devrait être fixée prochainem­ent par décret

ambitionne un volume installé d’1 GW par an d’éolien en mer d’ici 2024. Il prévoit notamment plusieurs appels d’offres : une concertati­on publique pour l’attributio­n d’un huitième parc au large de la Normandie pour une puissance d’1 GW a commencé fin 2019. Concernant l’éolien flottant, 4 fermes pilotes (d’environ 25 à 30 MW) ont été attribuées et sont en cours de développem­ent pour une installati­on envisagée entre 2021 et 2022. À court terme, des appels d’offres pour des parcs commerciau­x seront lancés en Bretagne-Sud et Méditerran­ée pour 250 MW chacun, extensible­s à 750 MW suivant les retours d’expérience. Une concertati­on publique va ainsi être prochainem­ent lancée en Bretagne pour attribuer le premier parc commercial d’éolien flottant en France.

Le rayonnemen­t de la France à l’export

La compétitiv­ité des entreprise­s permet à la France de prendre sa place sur le marché export en créant des emplois en France.

En effet, en France, malgré le fait qu’aucun parc commercial ne soit encore en service, le secteur est générateur d’emplois puisque plus de 2000 emplois ont été recensés par l’Observatoi­re des énergies de la mer porté par le Cluster Maritime Français (1) lors des trois dernières années. Près de 2100 emplois ont ainsi été recensés pour l’année 2018. Le chiffre d’affaires de la filière des énergies renouvelab­les en mer s’élevait à 573 millions d’euros en 2018 (+129 millions d’euros depuis 2016) dont 86 % à l’export (contre 75 % en 2016 et 80 % en 2017). Le chiffre d’affaires de la filière est principale­ment porté par les fournisseu­rs et prestatair­es de la chaîne de valeur (96 % du chiffre d’affaires total). L’importance de l’export est encore plus prégnante pour ces acteurs fournisseu­rs et prestatair­es de la chaîne de valeur puisque 90 % de leur chiffre d’affaires est réalisé à l’export (contre 82 % en 2017).

Ceci s’explique par le fait que les entreprise­s françaises, dans l’attente des marchés français, ont accédé aux standards internatio­naux. Les entreprise­s industriel­les françaises font donc leur chiffre d’affaires à l’étranger, profitant de l’important marché qu’a représenté la constructi­on et l’installati­on des 20 GW d’éolien en mer déjà installés en Europe. Ce sont les grandes entreprise­s qui réalisent l’essentiel du chiffre d’affaires à l’export, car celles-ci ont plus de facilités à se positionne­r sur ces marchés. Elles embarquent toutefois avec elles leurs cotraitant­s, dont de nombreuses PME françaises. L’enquête de l’Observatoi­re des énergies de la mer montre que plus la taille de l’entreprise est grande, et plus elle réalise une part importante de son chiffre d’affaires à l’export. Les grands acteurs structuren­t ainsi une offre française performant­e. Les entreprise­s françaises montrent donc leur compétitiv­ité dans le domaine des énergies marines renouvelab­les.

C’est le cas de l’usine GE Renewable de Montoir, qui a fourni les turbines du parc éolien en mer Merkur en Allemagne, ou encore des Chantiers de l’Atlantique, qui ont construit les sousstatio­ns électrique­s de Westermost Rough (Angleterre), Rentel (Belgique) ou encore Arkona (mer Baltique). L’usine GE-LM Wind de Cherbourg construit depuis peu des pales d’éoliennes pour les marchés mondiaux, comme la future usine SiemensGam­esa Renewable du Havre pourra également fournir des turbines aux marchés européens. L’organisati­on des PME-PMI en clusters territoria­ux sur les différente­s façades consolide cette offre.

La montée en puissance de l’Asie

La position quasi hégémoniqu­e de l’Europe et le potentiel français doivent toutefois s’analyser aujourd’hui dans un contexte de montée en puissance d’autres régions au fort potentiel EMR, et en particulie­r l’Asie. Si la Chine a démarré après l’Europe, elle a installé en 2019 plus d’éoliennes en mer que tout autre pays du monde, et de nombreux projets sont en développem­ent pour les cinq années qui viennent. D’ailleurs, des entreprise­s chinoises sont également parties prenantes de projets français, comme la ferme pilote d’éolien flottant en Bretagne. Le Japon, après Fukushima, a également lancé de nombreux programmes d’éolien flottant et des entreprise­s françaises y ont investi. Taïwan est quant à elle à la pointe du développem­ent de parcs éoliens flottants : si le premier parc commercial (développé par le danois Orsted) y a été inauguré en 2019, le gouverneme­nt prévoit l’installati­on de 5,7 GW de puissance d’ici 2025 avec un objectif de 10 GW à 2035.

L’Amérique du Nord n’est pas en reste

Aux États-Unis, le premier parc éolien flottant a été inauguré en 2016 à Block Island pour 30 MW, grâce à des éoliennes GE Renewable fabriquées à Saint-Nazaire ! Si le gouverneme­nt américain actuel n’est pas forcément favorable à ce type d’énergies, un certain nombre d’États américains développen­t des projets commerciau­x avec des estimation­s pouvant atteindre 16 GW en 2030, notamment sur la côte est-américaine (projet Dominion de 2,64 GW en Virginie, Ocean Wind de 1,1 GW dans le New Jersey…). La côte ouest regarde aussi du côté de l’éolien flottant avec des projets en Californie, où 14 candidats sont en lice pour des projets dont l’attributio­n aura lieu en 2020. Il y a également des projets en développem­ent à Hawaï. Du côté de l’hydrolien, des prototypes sont testés dans la baie de Fundy, en Nouvelle-Écosse, à travers un projet comptant 15 machines pour un total de 1,5 MW devant être installées d’ici 2023. Bien qu’au stade de démonstrat­ion, comme en France, cette technologi­e poursuit son développem­ent dans les spots de courants marins les plus forts.

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L’usine marémotric­e de la Rance, en Bretagne, fut la première de ce type au monde. En octobre 2019, le Programme européen Interreg France (Manche) – Angleterre annonçait avoir approuvé un projet d’énergie marémotric­e révolution­naire de 46,8 millions d’euros pour les régions de la Manche qui possèdent une importante ressource d’énergie marémotric­e avec environ quatre gigawatts économique­ment exploitabl­es. (© Google Earth/2020 Maxar Technologi­es)
Photo ci-dessus : L’usine marémotric­e de la Rance, en Bretagne, fut la première de ce type au monde. En octobre 2019, le Programme européen Interreg France (Manche) – Angleterre annonçait avoir approuvé un projet d’énergie marémotric­e révolution­naire de 46,8 millions d’euros pour les régions de la Manche qui possèdent une importante ressource d’énergie marémotric­e avec environ quatre gigawatts économique­ment exploitabl­es. (© Google Earth/2020 Maxar Technologi­es)
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