Les Grands Dossiers de Diplomatie
Les énergies de la mer renouvelables : un potentiel international et une chance pour la France
Alors que les océans recouvrent près des deux tiers de la surface de la Terre, les énergies marines renouvelables constituent un vaste potentiel pour répondre à la demande énergétique mondiale. Disposant du second espace maritime au monde, la France peut se faire une place de choix dans ce secteur en plein développement.
Les énergies renouvelables en mer sont vouées à tenir un rôle de plus en plus important dans le mix énergétique mondial, afin de remplir les objectifs de la nécessaire transition écologique. Leur potentiel est très important, tant du point de vue de la production énergétique que des retombées socio-économiques.
Des technologies variées
S’il est fréquemment fait référence aux énergies marines renouvelables dans leur ensemble, celles-ci présentent en réalité une grande diversité technologique :
• L’éolien en mer posé permet d’exploiter l’énergie cinétique du vent disponible en mer. Le vent fait tourner les pales de l’éolienne, un générateur transforme l’énergie cinétique en énergie électrique. L’éolienne est fixée sur le fond marin jusqu’à une limite technique de profondeur qui est actuellement de 50 mètres.
• L’éolien flottant permet d’exploiter l’énergie cinétique du vent dans des zones profondes où l’installation d’éoliennes posées sur le fond marin n’est pas réalisable. L’éolienne est fixée sur une structure flottante maintenue par les lignes d’ancrage reliées au fond marin afin de limiter les mouvements. Différentes technologies de flotteurs existent, permettant une installation à des profondeurs allant de 50 mètres jusqu’à plusieurs centaines de mètres.
• L’hydrolienne permet d’exploiter l’énergie cinétique contenue dans les courants associés au déplacement des masses d’eau
qui accompagnent le phénomène de marée. Pour l’énergie des courants fluviaux, seule l’énergie cinétique du déplacement des masses d’eau est captée.
• Le houlomoteur permet d’exploiter l’énergie des vagues et de la houle. Le soleil crée le vent et le vent forme les vagues. Les vagues, en se déplaçant sur de longues distances, forment la houle.
• L’énergie thermique des mers permet d’exploiter la différence de température entre les eaux superficielles et les eaux profondes des océans : l’énergie est issue de l’échange thermique entre l’eau froide et l’eau chaude. Pour que le cycle de l’ETM fonctionne, il est nécessaire de disposer d’un différentiel d’au moins 20°C. À noter que la climatisation est aussi une application directe de l’énergie thermique des mers.
• L’énergie osmotique permet d’exploiter la différence de salinité entre l’eau douce et l’eau de mer. Les deux natures d’eau étant séparées par une membrane semi-perméable, elle consiste à utiliser une hauteur d’eau ou une pression créée par la migration de molécules à travers ladite membrane. La pression d’eau en résultant assure un débit qui peut alors être turbiné pour produire de l’électricité.
• L’énergie marémotrice bénéficie des mouvements de l’eau dus aux marées. C’est une des énergies de la mer des plus anciennes. La première usine marémotrice produisant de l’électricité a été inaugurée en 1966 sur la Rance (Bretagne), avec une puissance de 240 MW. Dans le reste du monde, seule la centrale de Sihwa Lake, dans le Nord-Ouest de la Corée du Sud, dépasse cette puissance avec 254 MW. D’autres projets visent actuellement l’exploitation de l’énergie des marées, notamment par création de lagons artificiels, mais sont au stade de projets.
• Le photovoltaïque flottant : sans tirer son énergie de la mer mais en utilisant celle-ci pour son déploiement, le solaire photovoltaïque consiste à ancrer des supports flottants dans des milieux aquatiques pour y installer des panneaux. Les premiers projets en France sont installés sur des lacs, mais d’autres étudient la possibilité d’être installés en mer.
Chaque technologie présente un stade d’avancement et un potentiel propre. L’éolien posé est la technologie la plus mature, le premier parc éolien en mer au monde ayant été installé il y a 30 ans au Danemark. Vient ensuite l’éolien flottant, qui compte déjà une ferme pilote installée en Écosse, une autre en cours d’installation au Portugal, et plusieurs autres fermes pilotes devraient être mises en service d’ici 2022 (notamment 4 en France). L’hydrolien et le houlomoteur sont au stade du démonstrateur et le futur proche devrait voir le déploiement de ces technologies dans le cadre de fermes pilotes. L’énergie thermique des mers et l’énergie osmotique sont encore à un stade R&D et pourront présenter des solutions d’avenir à moyen terme.
Le potentiel techniquement exploitable des EMR est évalué à environ 100 000 TWh/an (soit cinq fois la consommation électrique mondiale).
Un potentiel mondial prometteur pour des marchés déjà matures
À l’échelle du monde, les EMR ne représentent actuellement que 0,03 % du mix énergétique mondial, mais leur progression est fulgurante. Le potentiel techniquement exploitable des EMR est évalué à environ 100 000 TWh/an (soit cinq fois la consommation électrique mondiale) par le World Energy Council, tandis que le potentiel théorique serait de 2 millions de TWh/an. L’éolien offshore domine le marché européen des EMR et pourrait passer d’une capacité installée de 20 GW actuellement à 70 GW en 2030, puis entre 230 GW et 450 GW en 2050 en Europe (200 GW en Chine et 86 GW aux États-Unis à horizon 2050) selon WindEurope. Les capacités de l’éolien en mer pourraient être multipliées par 15 dans le monde pour atteindre 562 GW en 2040 selon l’Agence internationale de l’énergie. Ces cinq prochaines années, 150 nouveaux parcs devraient ainsi voir le jour. L’éolien flottant pourrait ouvrir de nouveaux marchés dans des territoires jusqu’à présent inaccessibles, l’AIE évoquant un potentiel de 420 000 TWh/an (soit onze fois la demande mondiale) pour l’éolien offshore grâce à la technologie flottante. Le potentiel mondial pour l’éolien offshore est ainsi qualifié de presque illimité par l’AIE, tandis que le potentiel pour l’hydrolien est estimé à 100 GW.
Une place de choix pour la France
Avec 10 millions de kilomètres carrés (en incluant l’OutreMer), la France dispose du second espace maritime mondial. Son potentiel pour l’éolien en mer, compris entre 30 et 70 GW (en incluant l’éolien flottant), la place au second rang de l’Union européenne, derrière le Royaume-Uni. Le potentiel français pour l’hydrolien est estimé entre 2,5 et 3,5 GW selon l’ADEME, et celui des autres énergies à environ 1 GW.
La France a d’ores et déjà attribué 7 projets de parcs commerciaux éoliens posés, dont 6 devraient entrer en fonction d’ici 2023 pour un total d’environ 3,5 GW. La construction du parc de Saint-Nazaire et de son raccordement a d’ailleurs déjà commencé. Le projet de PPE (Programmation pluri-annuelle de l’énergie) qui devrait être fixée prochainement par décret
ambitionne un volume installé d’1 GW par an d’éolien en mer d’ici 2024. Il prévoit notamment plusieurs appels d’offres : une concertation publique pour l’attribution d’un huitième parc au large de la Normandie pour une puissance d’1 GW a commencé fin 2019. Concernant l’éolien flottant, 4 fermes pilotes (d’environ 25 à 30 MW) ont été attribuées et sont en cours de développement pour une installation envisagée entre 2021 et 2022. À court terme, des appels d’offres pour des parcs commerciaux seront lancés en Bretagne-Sud et Méditerranée pour 250 MW chacun, extensibles à 750 MW suivant les retours d’expérience. Une concertation publique va ainsi être prochainement lancée en Bretagne pour attribuer le premier parc commercial d’éolien flottant en France.
Le rayonnement de la France à l’export
La compétitivité des entreprises permet à la France de prendre sa place sur le marché export en créant des emplois en France.
En effet, en France, malgré le fait qu’aucun parc commercial ne soit encore en service, le secteur est générateur d’emplois puisque plus de 2000 emplois ont été recensés par l’Observatoire des énergies de la mer porté par le Cluster Maritime Français (1) lors des trois dernières années. Près de 2100 emplois ont ainsi été recensés pour l’année 2018. Le chiffre d’affaires de la filière des énergies renouvelables en mer s’élevait à 573 millions d’euros en 2018 (+129 millions d’euros depuis 2016) dont 86 % à l’export (contre 75 % en 2016 et 80 % en 2017). Le chiffre d’affaires de la filière est principalement porté par les fournisseurs et prestataires de la chaîne de valeur (96 % du chiffre d’affaires total). L’importance de l’export est encore plus prégnante pour ces acteurs fournisseurs et prestataires de la chaîne de valeur puisque 90 % de leur chiffre d’affaires est réalisé à l’export (contre 82 % en 2017).
Ceci s’explique par le fait que les entreprises françaises, dans l’attente des marchés français, ont accédé aux standards internationaux. Les entreprises industrielles françaises font donc leur chiffre d’affaires à l’étranger, profitant de l’important marché qu’a représenté la construction et l’installation des 20 GW d’éolien en mer déjà installés en Europe. Ce sont les grandes entreprises qui réalisent l’essentiel du chiffre d’affaires à l’export, car celles-ci ont plus de facilités à se positionner sur ces marchés. Elles embarquent toutefois avec elles leurs cotraitants, dont de nombreuses PME françaises. L’enquête de l’Observatoire des énergies de la mer montre que plus la taille de l’entreprise est grande, et plus elle réalise une part importante de son chiffre d’affaires à l’export. Les grands acteurs structurent ainsi une offre française performante. Les entreprises françaises montrent donc leur compétitivité dans le domaine des énergies marines renouvelables.
C’est le cas de l’usine GE Renewable de Montoir, qui a fourni les turbines du parc éolien en mer Merkur en Allemagne, ou encore des Chantiers de l’Atlantique, qui ont construit les sousstations électriques de Westermost Rough (Angleterre), Rentel (Belgique) ou encore Arkona (mer Baltique). L’usine GE-LM Wind de Cherbourg construit depuis peu des pales d’éoliennes pour les marchés mondiaux, comme la future usine SiemensGamesa Renewable du Havre pourra également fournir des turbines aux marchés européens. L’organisation des PME-PMI en clusters territoriaux sur les différentes façades consolide cette offre.
La montée en puissance de l’Asie
La position quasi hégémonique de l’Europe et le potentiel français doivent toutefois s’analyser aujourd’hui dans un contexte de montée en puissance d’autres régions au fort potentiel EMR, et en particulier l’Asie. Si la Chine a démarré après l’Europe, elle a installé en 2019 plus d’éoliennes en mer que tout autre pays du monde, et de nombreux projets sont en développement pour les cinq années qui viennent. D’ailleurs, des entreprises chinoises sont également parties prenantes de projets français, comme la ferme pilote d’éolien flottant en Bretagne. Le Japon, après Fukushima, a également lancé de nombreux programmes d’éolien flottant et des entreprises françaises y ont investi. Taïwan est quant à elle à la pointe du développement de parcs éoliens flottants : si le premier parc commercial (développé par le danois Orsted) y a été inauguré en 2019, le gouvernement prévoit l’installation de 5,7 GW de puissance d’ici 2025 avec un objectif de 10 GW à 2035.
L’Amérique du Nord n’est pas en reste
Aux États-Unis, le premier parc éolien flottant a été inauguré en 2016 à Block Island pour 30 MW, grâce à des éoliennes GE Renewable fabriquées à Saint-Nazaire ! Si le gouvernement américain actuel n’est pas forcément favorable à ce type d’énergies, un certain nombre d’États américains développent des projets commerciaux avec des estimations pouvant atteindre 16 GW en 2030, notamment sur la côte est-américaine (projet Dominion de 2,64 GW en Virginie, Ocean Wind de 1,1 GW dans le New Jersey…). La côte ouest regarde aussi du côté de l’éolien flottant avec des projets en Californie, où 14 candidats sont en lice pour des projets dont l’attribution aura lieu en 2020. Il y a également des projets en développement à Hawaï. Du côté de l’hydrolien, des prototypes sont testés dans la baie de Fundy, en Nouvelle-Écosse, à travers un projet comptant 15 machines pour un total de 1,5 MW devant être installées d’ici 2023. Bien qu’au stade de démonstration, comme en France, cette technologie poursuit son développement dans les spots de courants marins les plus forts.