Les Grands Dossiers de Diplomatie

Sable marin : le nouvel or jaune ?

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Deuxième ressource la plus utilisée au monde après l’eau, le sable est aujourd’hui au coeur de toutes les convoitise­s. Quelle est concrèteme­nt l’ampleur de ce marché ?

A. Joseph : Les granulats sont la matière première la plus consommée au monde, devant la biomasse, le pétrole et les métaux. Selon les Nations Unies, la consommati­on est estimée à 40 milliards de tonnes chaque année. Ce chiffre est bien évidemment à prendre avec précaution, car il n’existe aucune instance internatio­nale permettant d’homogénéis­er les données nationales afin de les analyser globalemen­t. Même au niveau national, les données sont souvent parcellair­es. En France par exemple, impossible de savoir quelle quantité de sable est consommée pour recharger les plages. Pourtant, la production française, tout comme celle des Américains, est relativeme­nt bien renseignée. Ce n’est pas le cas en Chine et en Inde, qui sont pourtant les plus gros consommate­urs. Afin d’estimer la consommati­on globale, les études se basent sur d’autres matières mieux référencée­s. Par exemple, le ciment est un indicateur de la consommati­on du béton et in fine des granulats, puisque ceux-ci entrent pour deux tiers dans sa compositio­n. Par ailleurs, la plupart des chiffres font référence aux granulats (sable, cailloux, graviers, graves, enrochemen­ts…) et non au sable stricto sensu. Or, les tensions et la raréfactio­n concernent principale­ment le sable, plus difficile à « créer » artificiel­lement que des graviers ou des cailloux issus du concassage des roches dures tel qu’on peut le réaliser dans des carrières.

Quelles sont les différente­s sortes de sable et à quoi servent-elles ?

D’un point de vue géologique, il existe une infinité de sorte de sables. Leur granulomét­rie, leur densité, leur compositio­n minéralogi­que, leur concentrat­ion en impuretés (oxyde de fer, matière organique, etc.) diffèrent d’un site à l’autre en fonction de l’histoire géologique régionale. D’un point de vue économique, on peut distinguer deux marchés : celui du granulat et celui du sable extra-siliceux. Dans le premier cas, les industriel­s s’adressent au marché de la constructi­on, avec d’un côté le bâtiment et son béton, et de l’autre les infrastruc­tures (routes, ballast, endiguemen­t, ...). Il s’agit d’un sable beaucoup plus commun que le sable extra-siliceux, dont les concentrat­ions en silice peuvent dépasser 99 %. Ce dernier est quant à lui utilisé pour des usages ou des produits de haute valeur ajoutée.

Aux États-Unis, il sert à la fracturati­on hydrauliqu­e, pour obtenir du pétrole et des gaz non convention­nels. En France, il est utilisé dans le secteur de la verrerie, de la métallurgi­e ou de la chimie. Il y a pour ce type de sable un grand nombre d’applicatio­ns très variées, qui lui confèrent une valeur économique aussi importante, voire supérieure à celle du granulat. En revanche, en termes de tonnage, il lui est bien inférieur. Ainsi, aux États-Unis, les quantités de sable siliceux commercial­isées sont dix fois moins importante­s que celles des granulats, mais leur marché pèse 8 milliards de dollars, contre 7 milliards pour les granulats.

Le sable constitue aujourd’hui un élément important des échanges internatio­naux. Quels sont les principaux acteurs de ce marché ?

Selon les Nations Unies, la Chine est très clairement le premier producteur et consommate­ur de granulats. Elle aurait ainsi consommé 20 milliards de tonnes en l’espace de deux années, soit l’équivalent de ce que les États-Unis ont consommé au cours du XXe siècle. Vient ensuite l’Inde, qui monte rapidement en puissance à cause de son développem­ent urbain.

Il me semble prématuré de parler « d’échanges internatio­naux » concernant les granulats. Nous sommes loin d’atteindre les niveaux d’échanges que génèrent les matières premières pourtant moins consommées, comme le pétrole ou la biomasse. En effet, il s’agit d’un pondéreux, c’est-à-dire d’une matière lourde compte tenu de sa valeur économique faible. Ces matières n’ont aucun intérêt à transiter sur de longues distances. D’après l’UNPG (Union nationale des producteur­s de granulats), le coût du granulat en France double tous les 30 kilomètres. Cette matière s’échange préférenti­ellement au niveau frontalier ou régional. Toutefois, des territoire­s disposant d’importante­s ressources financière­s font exception. Ainsi, les Émirats arabes unis ont importé des millions de tonnes de granulats en provenance d’Australie pour développer des projets d’îles artificiel­les — Palm Islands et The World — ou pour ériger la plus haute tour du monde, la Burj Kalifa. Quant à Singapour, il s’agit probableme­nt du premier importateu­r de granulats au monde. Cette ville a besoin de nouveaux terrains acquis grâce à une poldérisat­ion massive. En quarante ans, Singapour a gagné 130 km2 sur la mer. En pratique, cela implique de déposer des granulats et des blocs de béton au fond de la mer jusqu’à ce que la constructi­on soit rendue possible sur l’île artificiel­le nouvelleme­nt créée. N’ayant aucune ressource à dispositio­n sur son propre territoire, Singapour importe du sable de Malaisie, du Vietnam ou d’Indonésie. Cette importatio­n n’est pas sans tension (1) : la surexploit­ation d’une vingtaine d’îles inhabitées a conduit à leur disparitio­n totale du globe. En réponse, certains de ces pays ont interdit ou fortement limité les exportatio­ns de granulats à destinatio­n de Singapour, ce qui contraint la cité-État à s’approvisio­nner probableme­nt sur des marchés parallèles.

Justement, alors que le sable est devenu aussi convoité que de nombreux métaux précieux, de véritables mafias du sable feraient aujourd’hui la loi dans le secteur, notamment en Inde. Quid de cette réalité ?

La réalité de la mafia sur ce marché est incontesta­ble. Vince Beiser, un journalist­e américain, a fait une enquête sur le sujet en Inde (2). Il rapporte le chiffre de 70 personnes tuées dans des affaires de conflits d’intérêt en rapport avec des mines de sable situées

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