Les Grands Dossiers de Diplomatie
« Le XXIe siècle sera maritime » : quelle place pour la France ?
Par Marie-Noëlle Tiné-Dyèvre, directrice du Cluster Maritime Français, responsable de l’international, conseillère du Commerce extérieur, co-fondatrice et animatrice du Groupe des experts de l’économie maritime (GEEM).
Le monde a connu plusieurs révolutions économiques et industrielles par le passé, la plus récente étant la révolution « Internet ». La prochaine révolution sera maritime, et elle est déjà engagée. Ainsi, le 3 décembre 2019, lors des Assises de la mer organisées à Montpellier, le président français Emmanuel Macron a déclaré que si « le XXe siècle fut continental, le
XXIe siècle sera maritime ». Le Cluster Maritime Français (voir encadré) croit fortement à cette vision du Président de la République. En effet, avec ses trois façades maritimes, et ses territoires outre-mer qui lui offrent plus de onze millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive — deuxième superficie maritime au monde — et grâce à ses leaders mondiaux, la France est naturellement vouée à devenir un champion de l’économie maritime et de la croissance bleue. C’est là l’ambition que s’est fixée le Cluster Maritime Français.
La maritimisation, un enjeu planétaire
En 2050, la planète comptera 9 milliards d’individus qui se nourriront, se soigneront, consommeront et auront besoin d’énergie. Face à cette pression, la planète Terre au sens terrestre est contrainte. Ses ressources ne sont pas inépuisables et les questions environnementales deviennent des enjeux majeurs, avec en particulier le dérèglement climatique. Vers quelle autre richesse pouvons-nous nous tourner, sinon les 70 % de la surface terrestre qui restent : les océans. Cependant, cela ne doit se faire qu’à la condition de le réaliser dans un esprit de développement durable, car les océans sont tout aussi vitaux [voir l’entretien avec F. Gaill p. 80]. En effet, l’océan nous protège, régule la température de la Terre, absorbe le CO , restitue de l’oxygène, et regorge 2 de ressources vitales, halieutiques, énergétiques, bioressources, etc.
Les océans et les mers représentent donc l’une des solutions aux problèmes soulevés par l’accroissement de la population mondiale. Inévitablement, ils constituent également un espace très convoité où se joue aussi la souveraineté des États [voir l’analyse de D. Robin p. 32].
La croissance « bleue »
Selon un chiffrage de l’OCDE, l’économie maritime mondiale représentait 1500 milliards de dollars en
2015 et devrait doubler d’ici 2030 pour atteindre les 3000 milliards de dollars. En France, la filière maritime réalise un chiffre d’affaires de l’ordre de 91 milliards d’euros pour environ 355 000 emplois directs (1), et
500 000 en incluant le tourisme. D’ici 2030, le Cluster Maritime estime qu’il devrait être possible d’atteindre un chiffre d’affaires de 150 milliards d’euros et environ 1 million d’emplois.
La croissance bleue est nécessairement une croissance durable, c’est-à-dire soucieuse de la préservation de la ressource. Elle s’appuie sur une économie bleue composée de trois piliers : social, environnemental et scientifique. La croissance bleue doit protéger et restaurer l’environnement, générant ainsi un développement de ses activités économiques.
Pour exploiter le potentiel maritime, la technologie est indispensable. On ne peut pas aller en mer sans un minimum de technique, de formation ou d’expertise. La révolution technologique, qui a déjà bien commencé, se met au service de cette nouvelle frontière, de cette conquête de l’espace maritime. Un exemple parmi tant d’autres : les satellites qui permettent une surveillance mondiale des océans au bénéfice de leur protection, du développement de l’activité maritime et du changement climatique.
Vingt raisons de croire à la France maritime
Comme le disait le cardinal de Richelieu en 1688 dans son Testament politique, « Dieu a donné à la France l’empire des mers ». Or, si elle dispose encore aujourd’hui de toutes les cartes dans le domaine, la France est un pays maritime qui s’ignore (2). Pourtant, il existe au moins vingt raisons pour lesquelles la France doit être l’une des toutes premières nations maritimes du monde d’ici 2030. C’est ce que le Cluster Maritime appelle le « facteur 20 ».
L’économie maritime française peut s’appuyer sur les cinq filières traditionnelles (transport maritime, industrie navale, produits de la mer, ressources énergétiques — pétrole et gaz — et télécommunications), ainsi que sur les cinq filières émergentes (énergies marines renouvelables, ressources minérales, biotechnologies, aquaculture, tourisme et croisière). Outre ces dix premières raisons, la France est un pays qui a des ressources d’ingénierie et d’expertise considérables dans au moins huit secteurs qui, sans être à proprement parler des secteurs maritimes, ont des retombées dans l’économie de la mer, à savoir : la protection de l’environnement (l’océanographie tricolore est en pointe), la formation, la construction d’infrastructures, le numérique, les sciences et l’innovation, les services d’assurance et les services de courtage, l’expertise de sécurité et de sûreté (la Marine nationale française, première marine d’Europe et seconde mondiale en termes de capacité opérationnelle [voir l’entretien avec E. Lavault p. 60]), et enfin l’expertise spatiale, qui sera demain le véritable gendarme de l’océan. Cela fait dixhuit raisons.
La dix-neuvième est la zone économique exclusive de la France : 11 millions de km2 qui offrent une présence française sur toutes les mers du globe et confèrent donc à notre pays un rôle fondamental sur le plan économique, environnemental et géostratégique (3).
Enfin, la vingtième raison est l’héritage de l’histoire avec ses leaders mondiaux dans quasiment tous les secteurs de l’économie maritime. Autant de facteurs qui doivent permettre à la France d’être au rendez-vous de la maritimisation.
Pour cela, la France peut s’appuyer sur de nombreux acteurs publics qui sont : le Secrétariat général de la Mer (service du Premier Ministre), la Marine nationale, la Direction des Affaires maritimes, les services diplomatiques, ses sept régions du
Littoral et ses territoires ultramarins. La France peut également compter sur les acteurs privés via le
Cluster Maritime ainsi que sur les filières maritimes citées précédemment, représentées par de grandes fédérations sectorielles qui sont le Groupement des
industries et activités navales, Armateurs de France, l’Union des ports de France, les Pôles Mer de compétitivité, la Fédération des industries nautiques, le Syndicat des énergies renouvelables, qui comptent parmi leurs adhérents, au total, plus d’une centaine d’entreprises françaises leaders mondiales, présentes à l’international et/ ou exportant leurs solutions et technologies, leurs savoir-faire, leurs produits et équipements :
• 90 % de biens et des produits fabriqués dans le monde sont transportés par voie maritime, notamment par nos champions mondiaux comme CMA-CGM, Louis Dreyfus Armateur, Socatra ;
• 75 % de la production de l’industrie nautique française est exportée entre autres par Beneteau, Fountaine Pajot ;
• 40 % du chiffre d’affaires de l’industrie navale est réalisé à l’export, par Naval Group, Chantiers de l’Atlantique, Piriou, Ocea, Eca, Ixsea, Thales, Safran, Airbus Defense & Space… ;
• 86 % du chiffre d’affaires de la filière des énergies marines est réalisé à l’export, par EDF Renouvelables, Engie, Akuo Energy, Ideol, Eolfi… ;
• les navires poseurs de câbles d’Orange Marine et Alcatel-Lucent sont parmi les leaders mondiaux dans un secteur stratégique qui voit transiter 97 % des communications mondiales [voir l’entretien avec C. Morel p. 53] ;
• les trois principaux ports de commerce français que sont Le Havre, Marseille et Dunkerque, voient transiter près de 85 % des échanges maritimes extérieurs de la France en volume et 66 % en valeur ;
• on peut compter aussi sur l’expertise reconnue des sociétés de classification tricolores comme Bureau Veritas, les compagnies d’assurance maritime, les courtiers, les cabinets d’avocats spécialisés en droit maritime… ;
• sans compter les start-ups et PME innovantes françaises qui dynamisent l’économie maritime tels que : Ecoslop, Energy Observer, Hemarina, Sea Proven, Sinay, Zephyr & Boree ;
• l’IFREMER est l’un des seuls établissements scientifiques au monde à disposer d’un sous-marin d’exploration capable d’aller à 6000 mètres de profondeur (97 % des fonds marins).
Alors qu’historiquement, toutes les civilisations et les nations qui ont compté ont fondé leur richesse sur le développement de l’économie maritime, la France ne doit pas tourner le dos à la mer. En s’appuyant sur ses acteurs publics et privés, ainsi que sur l’ensemble du tissu économique de la France maritime, il est possible de viser l’objectif de doubler le poids de l’économie maritime française en 2030.
Marie-Noëlle Tiné-Dyèvre
Notes
(1) Chiffres 2019 du Cluster Maritime Français.
(2) À ce sujet, lire Cyrille P. Coutansais, « L’empire maritime français : enjeux et défis », Les Grands Dossiers de Diplomatie no 44, p. 37-39 (NdlR).
(3) À ce sujet, lire Gérard Grignon, « Quelle politique maritime pour la France ? », Les Grands Dossiers de Diplomatie no 27, p. 17-21 (NdlR).
Photo ci-contre : Lors des Assises de la mer organisées à Montpellier en décembre 2019, le président français Emmanuel Macron s’est engagé à faire de la France un leader capable de montrer au monde « la voie bleue du progrès ». Selon lui, dans les années qui viennent, c’est dans l’espace maritime que « la France aura à se penser, à se vivre, et nous avons tous les atouts pour y réussir ». Il a également annoncé sa volonté de faire des ports de Dunkerque, Le Havre et Marseille, « des ports modèles du XXIe siècle ». (© AFP/Guillaume Horcajuelo)