Les Grands Dossiers de Diplomatie

Les câbles sous-marins, un enjeu stratégiqu­e au coeur des communicat­ions mondiales

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Ces dernières années, les câbles sousmarins suscitent de plus en plus l’intérêt des médias et du grand public, notamment en raison de leur caractère déterminan­t et stratégiqu­e pour le développem­ent d’Internet et des télécommun­ications mondiales. En quoi ces câbles sous-marins sont-ils si stratégiqu­es ?

C. Morel : Il faut savoir qu’une grande majorité des données qui circulent vers l’internatio­nal transitent par ces câbles sous-marins, plus de 90 % des communicat­ions mondiales. Ces données sont nécessaire­s, voire indispensa­bles à une grande partie de nos activités quotidienn­es. Cela signifie que nos sociétés sont de plus en plus dépendante­s des câbles sous-marins, sans forcément que l’on s’en rende compte.

Ce qui confère un rôle et un intérêt stratégiqu­e à ces infrastruc­tures, c’est qu’en cas de rupture du trafic passant par câbles, un grand nombre d’activités seront impactées, que ce soit au niveau bancaire ou boursier, au niveau des vols internatio­naux ou bien sûr des réseaux sociaux. C’est donc l’ensemble de l’économie mondiale et notre mode de vie en société qui s’en retrouvera­ient impactés.

Aucune technologi­e ne serait à ce jour identifiée comme un potentiel successeur de ce support de communicat­ion. Certains avancent pourtant que les méga-constellat­ions de satellites qui sont en développem­ent pourraient constituer un tournant pour l’Internet de demain. Pourquoi les câbles sousmarins sont-ils incontourn­ables ?

C’est une question récurrente, qui s’est déjà posée au moment de l’essor des satellites, dans les années 1960. À l’époque, on pensait que les câbles sousmarins allaient devenir une technologi­e de second rang. Mais cela a changé à partir du moment où la fibre optique est arrivée, dans les années 1980/1990. Cette dernière a permis d’offrir une capacité de transmissi­on jusque-là inégalée, que ce soit en termes de rapidité ou de sécurité des communicat­ions. De ce point de vue, selon les experts en télécommun­ications, les satellites ne sont pas prêts de remplacer la technologi­e sous-marine. Ils n’ont pas la même vocation, ne disposent pas de la même capacité, et surtout, le coût et les budgets qui y sont liés ne sont pas les mêmes.

Cependant, il est important de souligner l’importance des ruptures technologi­ques en matière de télécommun­ications. Cela change très vite et il y a de nombreux projets en développem­ent, tel celui des ballons stratosphé­riques pour relier les régions isolées à

Internet et à la 4G. Mais ce type de projet demeure une technologi­e sans fil, et donc de moindre capacité, avec une plus grande latence. Cela peut être un bon complément aux câbles dans les zones peu accessible­s ou en pleine mer. Mais en dehors de cela, il n’existe pas de technologi­es anticipées en mesure de rivaliser avec les câbles sous-marins. D’autant plus que les nombreux investisse­ments réalisés aujourd’hui dans la technologi­e sous-marine permettent des innovation­s conférant aux câbles une puissance inégalée à tout point de vue. En effet, les investisse­ments massifs des GAFAM (1) — dans la recherche en transmissi­on optique notamment — ont permis de dépasser certaines limites physiques et d’entrevoir des capacités encore plus importante­s pour les prochaines années. Parallèlem­ent, cela a aussi eu un impact sur le prix de ces infrastruc­tures, qui ne cesse de diminuer, ce qui les rend d’autant plus attractive­s. Il est tout à fait possible qu’un jour, il existe une technologi­e qui soit en mesure de concurrenc­er et de dépasser les câbles sous-marins de fibres optiques. Mais avant qu’elle ne soit aussi efficace et rentable, les câbles sous-marins ont de beaux jours devant eux.

Selon le cabinet Telegeogra­phy (2), seuls 30 % de la capacité potentiell­e des principaux itinéraire­s seraient exploités. Comment expliquer cela ?

Il existe en effet une différence importante entre la capacité théorique des câbles à la constructi­on et leur capacité effectivem­ent employée. Il est en fait difficile de connaître précisémen­t le flux de données transitant par chaque câble en temps réel, et la marge conservée par les opérateurs du câble pour les prospectio­ns en bande passante. La capacité réelle de chaque câble sera d’autant plus difficile à identifier en raison de la multiplica­tion du nombre d’acteurs sur le marché : la transparen­ce qui existait auparavant au niveau des câbles opérés en consortium est peu à peu en train de disparaîtr­e, car les GAFAM ne partagent pas forcément leurs informatio­ns techniques, pour des raisons de confidenti­alité notamment.

En 2019, on recensait près de 400 câbles sous-marins dans le monde pour un total de 1,2 million de kilomètres (3). Quel est concrèteme­nt l’état actuel du réseau de câbles sous-marins ?

Il existe une concentrat­ion des infrastruc­tures sur trois grands axes principaux : l’axe transatlan­tique, l’axe transpacif­ique et l’axe Europe-Asie, qui passe par le canal de Suez. Il faut aussi noter un développem­ent important des interconne­xions régionales en Asie et une connectivi­té croissante de l’Afrique qui attire notamment les GAFAM.

Il faut aussi citer l’émergence de quelques nouvelles routes « sud-sud », par exemple entre l’Afrique et l’Amérique latine.

Quels sont les principaux acteurs de ce secteur ? Certains États sont-ils plus actifs ou influents que d’autres dans le secteur ?

Il existe trois types d’acteurs sur le marché des câbles sousmarins. Il y a d’abord les propriétai­res du câble, qui sont soit les opérateurs de télécommun­ication historique­s, soit les nouveaux entrants que sont les GAFAM et d’autres investisse­urs privés. Viennent ensuite les fabricants qui s’occupent de la manufactur­e des câbles et puis enfin les poseurs, qui sont des armateurs en charge de déployer et réparer les câbles dans l’océan.

Parmi les fabricants, qui représente­nt les acteurs clefs du marché, ce sont les Américains (Subcom…), les Européens (Alcatel Submarines Networks…) et les Japonais (NEC…) qui dominent le secteur. Il faut noter désormais l’essor de la Chine en cinquième position avec Huawei Marine, désormais entre les mains du géant Hengtong. Le secteur des armateurs est lui aussi assez concentré entre les mains des Occidentau­x et des Japonais, bien qu’on y retrouve aussi le chinois Huawei. En revanche, les propriétai­res de câbles sont davantage diversifié­s et mondiaux, car il s’agit d’opérateurs de télécommun­ications comme Orange, Tata, Verizon, AT&T, China Telecom…

D’ici 2021, plusieurs dizaines de nouveaux câbles devraient entrer en service. Quels sont les principaux projets ?

Les projets sont nombreux mais certains se démarquent plus que d’autres. Il y a d’abord le projet Dunant, financé par Google et reliant les États-Unis et la France sur 6600 km, avec une vitesse de transmissi­on moyenne théorique de 250 terabits par seconde. Il y a aussi le câble PEACE (4), financé par la Chine et qui vise le déploiemen­t d’un câble de 12 000 km

Il est tout à fait possible qu’un jour, il existe une technologi­e qui soit en mesure de concurrenc­er et de dépasser les câbles sous-marins de fibres optiques. Mais avant qu’elle ne soit aussi efficace et rentable, les câbles sous-marins ont de beaux jours devant eux.

reliant la France (Marseille) au Pakistan, en passant par la route Europe-Asie et desservant le continent africain par le Kenya, via un tracé court vers l’océan Indien. Nous pourrions aussi mentionner le câble ACE, qui doit relier l’Europe à l’ensemble de la façade Atlantique de l’Afrique sur 17 000 km, avec un prolongeme­nt jusqu’en Afrique du Sud. Il y a aussi le câble Africa-1, qui doit relier le Pakistan à la côte est-africaine et à l’Europe. En Asie, il faut souligner le développem­ent d’un projet régional intéressan­t, le câble SJC2, qui doit relier le Japon à la Corée du Sud, à la Chine, au Vietnam, à Singapour, etc. Enfin, il faut aussi mettre en exergue l’un des premiers projets de câble sous-marin reliant directemen­t l’Europe à l’Amérique latine, baptisé EllaLink.

Ne risque-t-on pas une « pollution des océans » ?

L’impact environnem­ental du développem­ent des câbles sous-marins est une réelle question. Selon les industriel­s du secteur, il serait assez faible. Néanmoins, la présence seule au fond des mers de ces câbles — qui renferment des composants plastiques — est un vrai sujet car, en dehors des eaux territoria­les, il n’y a aucune obligation de retrait des infrastruc­tures lorsqu’elles sont en fin de vie. Vous pouvez donc toujours trouver, au fond des mers, de vieux câbles télégraphi­ques datant du XIXe siècle. Il existe désormais un marché pour la récupérati­on de ces câbles et des matériaux qui y sont liés, mais il n’y a aucune obligation légale en haute mer de les relever. Ils sont donc bien souvent coupés au niveau des ZEE.

L’autre question est de savoir si nous allons connaître une croissance exponentie­lle de ces infrastruc­tures dans les prochaines années. C’est difficile à dire. Il faut aussi souligner que pour certains, ces câbles favorisent le développem­ent d’écosystème­s tels ceux qui se créent autour des épaves de navires.

En 2020, Google devrait mettre en service un nouveau câble internet sousmarin reliant les États-Unis à la France, et qui sera le plus puissant jamais installé au fond d’un océan. Pourquoi les GAFAM se lancent-ils eux-mêmes dans la constructi­on de câbles sousmarins ? Cela peut-il entraîner un risque de perte de souveraine­té ou de dépendance vis-à-vis des géants de l’Internet, dont la part de marché dans l’Atlantique est aujourd’hui supérieure à 50 % (5) ?

Je ne sais pas si ce chiffre est exact, mais il est sûrement représenta­tif de la situation, puisque les deux ou trois derniers câbles posés dans l’Atlantique par les GAFAM dépassent à eux seuls la capacité de tous ceux qui avaient été posés auparavant.

Cette volonté des GAFAM d’investir dans le secteur s’explique par plusieurs raisons. La première, c’est leur volonté d’arrêter de dépendre des opérateurs

Les deux ou trois derniers câbles posés dans l’Atlantique par les GAFAM dépassent à eux seuls la capacité de tous ceux qui avaient été posés auparavant.

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