Les Grands Dossiers de Diplomatie

Sécurité maritime : un enjeu stratégiqu­e croissant pour les États

- Propos recueillis par Thomas Delage le 28/01/2020

Quelles sont en 2020 les principale­s sources de menaces pour la sécurité maritime ?

M. Péron-Doise : Le phénomène d’entrave à la liberté des mers constitue de très loin la source d’insécurité la plus problémati­que pour les États. J’ajouterais que les risques et menaces en mer les plus couramment cités comme la piraterie et le brigandage maritime, la pêche illégale non reportée et non régulée (INN), le terrorisme maritime et autres activités de nature criminelle­s ne sont que les sous-produits de cette question fondamenta­le qui est pour les États de pouvoir contrôler leur domaine maritime mais aussi de veiller à la libre navigation sur les mers.

Il faut comprendre que les flux et les échanges maritimes se trouvent au coeur de la mondialisa­tion. Or, le transport maritime et les ports représente­nt 90 % des biens échangés, et nous devrions assister à une intensific­ation des échanges sur mer avec les conséquenc­es que cela implique dans le domaine sécuritair­e. Cette maritimisa­tion des échanges et le poids qu’y occupe l’Indo-Pacifique ont donné une importance nouvelle à la géopolitiq­ue des mers et des océans, avec l’émergence de nouveaux acteurs maritimes comme la Chine, le Japon, l’Inde à côté de puissances traditionn­elles comme les États-Unis, le Royaume-Uni, la France ou la Russie. La protection du domaine maritime des États comme le contrôle de la navigation dans les espaces stratégiqu­es sont devenus des priorités pour un grand nombre de pays, entraînant de nouvelles sources de tensions et d’insécurité maritime et la recherche de nouveaux outils facilitant une meilleure connaissan­ce du domaine maritime ( maritime domain awareness) et des coopératio­ns régionales améliorant l’échange d’informatio­ns maritimes. Ainsi s’explique depuis 2010, le développem­ent du Programme des routes maritimes critiques par l’Union européenne, dont celui dédié à l’océan Indien, « CRIMARIO », a été orienté vers l’Asie du Sud-Est en 2020 et la création de nouveaux centres de fusion régionaux accueillan­t des officiers de liaison internatio­naux, comme à Madagascar dans le cadre du programme « MASE » mis en oeuvre par la Commission de l’océan Indien et en Inde.

On constate que les contentieu­x liés à la contestati­on sur les frontières maritimes se développen­t et mettent aux prises des puissances dont les capacités de projection navales sont susceptibl­es de porter atteintes à la libre circulatio­n, mais aussi que l’importance de la défense des droits économique­s des États fait que les marines de guerre et les garde-côtes ont de plus en plus des rôles et des missions analogues [voir l’entretien avec É. Lavault p. 60]. Cette mise en avant et ce nouveau rôle dévolu aux garde-côtes, mais aussi cette interpénét­ration politique et opérationn­elle des coques grises et des coques blanches est souvent qualifiée de « Coast-guard diplomacy » [voir l’analyse de M. Soller p. 37].

Les évolutions du changement climatique peuvent-elles constituer une menace — ou un vecteur de menace — pour la sécurité maritime ?

Oui, le changement climatique a un impact direct sur la sécurité maritime en raison par exemple de ses répercussi­ons sur la santé des océans ou sur l’économie bleue, c’est-à-dire l’ensemble des activités économique­s liées aux océans. On le sait, l’accès aux ressources marines est au coeur de rivalités étatiques accrues [voir l’analyse de S. Abis p. 48], notamment les ressources halieutiqu­es, de plus en plus affectées par le réchauffem­ent et l’acidificat­ion des eaux. Les stocks de pêche, qui souffrent déjà de la surpêche — notamment le thon dans le Pacifique —, sont ainsi doublement menacés [voir l’analyse de C. de Marignan p. 8].

Sur cette question, on notera avec intérêt l’apparent effort d’autocritiq­ue de la Chine qui, abondammen­t montrée du doigt en matière de pêche illégale, vient de réviser ses lois sur la pêche. Aujourd’hui, la flotte de pêche chinoise compte environ 2600 unités largement déployées sur les mers du globe et pêche près de deux millions de tonnes de poissons par an. La flotte de pêche chinoise en haute mer est l’une des plus importante en Afrique de l’Ouest (Sénégal, Mauritanie), où ses pratiques de chalutage par le fond fragilisen­t les stocks de poissons. Cette flotte apparaît difficile à surveiller pour les autorités chinoises, consciente­s des infraction­s qui lui sont imputées et sur lesquelles elle est accusée de fermer les yeux.

Le lien entre changement climatique et sécurité maritime a redonné de la visibilité politique aux petits États insulaires sur la scène internatio­nale et a quelque peu modifié les règles du clientélis­me diplomatiq­ue existant jusqu’ici entre les micro-États, perçus comme petits et vulnérable­s, et leurs « protecteur­s » traditionn­els ou nouveaux, que ce soit dans l’océan Indien ou le Pacifique. Les États insulaires se retrouvent dans une posture de lanceurs d’alerte, et s’organisent collective­ment pour lutter plus efficaceme­nt contre les effets du réchauffem­ent des océans, les atteintes à la biodiversi­té marine, la fréquence des typhons qui les menacent. Ils n’en sont pas moins l’objet de convoitise­s et d’une compétitio­n accrue entre grandes puissances qui les perçoivent à travers les ressources potentiell­es de leur vaste domaine maritime et leur fonction de plateforme stratégiqu­e pouvant offrir des facilités logistique­s et portuaires à leurs flottes militaires et marchandes.

Alors que le monde maritime se numérise et s’automatise de plus en plus, dans quelle mesure ses acteurs — qu’ils soient civils ou militaires — sont-ils vulnérable­s à la cybercrimi­nalité ? Est-ce une menace réelle et quels sont les risques ?

Le monde maritime, les navires et les ports ont été, eux aussi, touchés par la révolution numérique. La réduction des équipages avec l’automatisa­tion en est un des aspects les plus connus [voir l’entretien avec F. Lambert p. 92]. En matière de surveillan­ce, la digitalisa­tion a permis le renforceme­nt de dispositif­s sécuritair­es, notamment en matière de contrôle et de sécurité des biens et des personnes dans l’environnem­ent du transport de marchandis­es ou celui très particulie­r des croisières. Les activités portuaires ont également connu des transforma­tions notables dans le domaine de la logistique, avec l’améliorati­on de la traçabilit­é des porteconte­neurs et des conteneurs et une identifica­tion détaillée à l’arrivée au port. Le port de Marseille s’est transformé en « smart port », en port connecté et intelligen­t, grâce au développem­ent d’outils informatiq­ues tels que des systèmes de gestion numérique pour organiser la gestion des marchandis­es, la sécurité, les échanges de données.

En parallèle à cette digitalisa­tion, des efforts ont été faits dans le secteur du risque informatiq­ue, avec une attention particuliè­re à la protection des réseaux. Les pirates se révèlent très innovants

Le phénomène d’entrave à la liberté des mers constitue de très loin la source d’insécurité la plus problémati­que pour les États.

pour contrer les mesures dissuasive­s et les politiques de prévention et de protection prises par les opérateurs. Dans le golfe de Guinée, on s’est rendu compte que certains outils de reporting pouvaient être détournés par des pirates avec l’aide de complices à terre. En intercepta­nt des données informatiq­ues concernant la position des navires, leurs cargaisons et jusqu’à leur dispositif de protection, des pirates ont pu cibler les bâtiments à attaquer. En matière de cybercrimi­nalité, le scénario le plus redouté reste la prise de contrôle des navires, avec le détourneme­nt des outils de géolocalis­ation et de communicat­ion par les pirates.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que pour circuler, les données numériques empruntent pour l’essentiel des câbles optiques sous-marins qui reposent sur le fond des océans. Ceux-ci, au nombre de 450, sont très vulnérable­s, ce sont des infrastruc­tures critiques [voir l’entretien avec C. Morel p. 53]. Leur tracé suit plus ou moins celui des grandes routes maritimes. Le détroit de Malacca est par exemple un passage stratégiqu­e essentiel pour les flux d’informatio­ns par câbles sous-marins. Leur sectionnem­ent intentionn­el pourrait porter une forte atteinte à la réception d’Internet par de nombreux pays et y entraîner une grave paralysie économique et politique. La surveillan­ce de ces câbles contre des dommages naturels ou accidentel­s (intempérie­s, filets de pêche), un sabotage ou des opérations d’ingérence et de renseignem­ent, ainsi que la protection des navires câbliers qui travaillen­t dans leurs eaux constituen­t un enjeu sécuritair­e notable pour les États.

Si les actes de piraterie maritime ont fortement diminué ces dernières années, un bateau dans le monde serait néanmoins chaque jour victime d’un acte de piraterie ou de brigandage. Quel est l’état réel de cette menace dans le monde en 2020, et quelles sont les zones les plus sensibles ?

Ce qu’il faut comprendre, c’est que le développem­ent de la piraterie perturbe les routes maritimes internatio­nales, coûte des milliards de dollars à l’économie mondiale et empêche les États littoraux de développer leur économie bleue et de tirer le bénéfice attendu de leur ressources maritimes. De façon générale, La piraterie maritime moderne prend indifférem­ment pour cibles des bâtiments marchands, de pêche ou de plaisance, que leur lenteur rend particuliè­rement vulnérable­s. Le mode opératoire des pirates est généraleme­nt violent, car ils n’hésitent pas à se servir de fusils d’assaut, de lance-roquettes ou le cas échéant d’armes blanches. Les attaques se déroulent aussi bien dans les ports, au mouillage, qu’en pleine mer, le long des routes commercial­es les plus fréquentée­s. L’objectif des pirates est, depuis l’Antiquité, de s’emparer d’un « butin », c’est-à-dire du navire attaqué pour s’approprier tout ou partie des cargaisons et surtout négocier une rançon pour le navire et son équipage. Cette question de la rançon suppose d’ailleurs une organisati­on structurée avec des réseaux financiers pour recycler l’argent obtenu.

La menace pirate se concentre sur l’Afrique (la Corne de l’Afrique avec la Somalie et le golfe de Guinée) et l’Asie du Sud-Est (Indonésie et Thaïlande). Mais elle sévit également au Moyen-Orient (Yémen) et en Amérique du Sud (Colombie, Vénézuéla). Elle correspond pour l’essentiel aux grandes routes du commerce mondial et surtout aux canaux et détroits qui constituen­t des lieux de passage stratégiqu­es [voir l’analyse d’A. Louchet p. 42].

Aujourd’hui, on peut estimer que l’action coordonnée de flottes internatio­nales — dont l’opération de l’Union européenne « Atalanta » déclenchée en 2008 est toujours active —, et de marines nationales agissant indépendam­ment à l’image de la Chine ou de la Russie, ont été efficaces dans l’océan Indien. Sans être éradiquée, la piraterie somalienne est estimée sous contrôle.

En Asie du Sud-Est, l’établissem­ent de coopératio­ns entre États littoraux comme les patrouille­s coordonnée­s entre Singapour, l’Indonésie et la Malaisie dans le détroit de Malacca, les Malacca Straits Patrols, dans les années 2000 s’est révélé efficace pour lutter contre la piraterie. Les pays riverains ont clairement privilégié des réponses et des moyens locaux en refusant toute ingérence étrangère dans la gestion de la sécurité maritime régionale. Ils se sont d’ailleurs rapidement organisés avec le soutien du Japon en créant en 2006 un Centre de partage de l’informatio­n maritime intergouve­rnemental, l’Informatio­n Sharing Center découlant de l’accord RECAAP, accord de coopératio­n régional sur la lutte contre la piraterie et le vol armé contre les navires en Asie. En 2009, Singapour, dont la prospérité dépend étroitemen­t de la sûreté du trafic marchand sud-est-asiatique, a mis en place l’Informatio­n Fusion Center de Changi. National à l’origine, ce centre de suivi et d’analyse de l’informatio­n maritime s’est internatio­nalisé, avec l’accueil de 24 officiers de liaison étrangers.

On notera également que des États ont accepté la présence de gardes armés à bord des navires de leur pavillon ou des missions d’escortes de convois par des compagnies de sécurité privées. Cette pratique s’est assez largement répandue pour les transits dans l’océan Indien et le golfe d’Aden. Toutefois, ce recours à des acteurs de sécurité privés ne fait pas consensus dans le golfe de Guinée et l’Asie du Sud-Est.

Le développem­ent de la piraterie perturbe les routes maritimes internatio­nales, coûte des milliards de dollars à l’économie mondiale et empêche les États littoraux de développer leur économie bleue et de tirer le bénéfice attendu de leur ressources maritimes.

Comment expliquer que le golfe de Guinée concentre près d’un tiers des actes de piraterie mondiaux ? Une solution du type de ce qui a été fait au large de la Somalie est- elle envisageab­le ? Les chiffres se rapportant aux actes de piraterie et de brigandage maritimes dans le golfe de Guinée, qui abrite les deux plus grands pays producteur­s de pétrole d’Afrique, le Nigéria et l’Angola, restent préoccupan­ts en dépit de la coopératio­n régionale qui s’est mise en place dans cette zone après l’adoption du code de Yaoundé, en 2013. Il faut comprendre que le transport maritime et le pétrole constituen­t des sources de revenus très importante­s pour les pays de la région et suscitent bien des convoitise­s. Pour 2019, les chiffres du Bureau maritime internatio­nal font état de 165 attaques dans le monde — contre 201 pour 2018 —, dont 35 ont pris place dans le golfe de Guinée. Sur ces 35 attaques, 16 sont imputables au Nigéria et sont localisées au mouillage devant le port de Lagos. De nombreux efforts ont été faits pour lutter contre cette piraterie, qui s’exerce avec une particuliè­re violence contre les équipages. L’accent a été mis sur le partage de l’informatio­n maritime avec la création du Centre interrégio­nal de Coordinati­on (CIC) du Cameroun et à travers de nombreux programmes d’aide au renforceme­nt des capacités maritimes et judiciaire­s des États côtiers. Les dix-sept pays de la région ont renforcé leurs moyens d’interventi­on et leur collaborat­ion avec le soutien de la France, des États-Unis et de l’Union européenne. Les procédures de sécurité, aussi bien en termes de techniques de navigation, de communicat­ion, de reporting ou de gestion de crise ont été améliorées. On mentionner­a à cet effet la publicatio­n de documents de référence par les grandes organisati­ons du shipping internatio­nal, afin de standardis­er les bonnes pratiques permettant de limiter à la fois le nombre d’attaques réussies et les conséquenc­es négatives de celles-ci.

Il y a eu des velléités de reproduire le modèle de coopératio­n internatio­nale développée avec succès dans les eaux somalienne­s et autour de la Corne de l’Afrique avec le déploiemen­t de flottes internatio­nales. Cette idée s’est heurtée à la vive résistance des États côtiers, très attachés au respect de leur souveraine­té dans leurs eaux territoria­les et leurs zones économique­s exclusives.

Il faut aussi dire que d’autres activités illicites pèsent lourdement sur la sécurité maritime des États de la région, comme le bunkering (vol de combustibl­e et revente sur place ou transfert vers des tankers en haute mer), les trafics d’armes et la migration illégale. On retiendra également que la région est confrontée à un modèle d’activité criminelle, un « business model », reposant sur le vol de cargaison, notamment d’hydrocarbu­res, mais également l’enlèvement des équipages contre rançon. Ces activités sont en partie le fait de certains groupes localisés dans le delta du Niger et liés à des mouvances armées insurgées où des gangs se sont spécialisé­s. Ces interactio­ns entre groupes criminels et opposition­s politiques armées restent par ailleurs très opaques.

Quidd es risques de terrorisme maritime?Cette menace est-elle marginale? La prise de conscience intervenue à la suite des attentats terroriste­s du 11 septembre 2001 a rendu le risque terroriste sur terre comme sur mer de plus en plus important. L’impact politique, humain et économique d’une attaque sur un port majeur, d’un bâtiment de croisière ou par exemple le minage du canal de Suez est pris très au sérieux par les États, les organisati­ons de sécurité internatio­nales et le transport maritime ( shipping). La perspectiv­e d’une alliance criminelle entre pirates et terroriste est un scénario redouté. Il pourrait se révéler particuliè­rement néfaste et coûteux pour le transport maritime et la navigation internatio­nale, civile ou militaire.

Des soupçons de collusion financière ou logistique entre organisati­ons terroriste­s et groupes criminels pratiquant la piraterie maritime ont été souvent émis à l’encontre de pirates somaliens soupçonnés de soutenir et financer les groupes Al-Shabaab et Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA), ou de pirates opérant dans le delta du Niger accusés de liens avec Boko Haram. En Asie du Sud-Est, le groupe Abu Sayyaf, qui sévit aux Philippine­s, a utilisé la piraterie comme source de financemen­t de manière régulière.

Au cours de l’été 2019, plusieurs navires étrangers ont été arraisonné­s parl’Irandansle­détroitd’Ormuz.Alors que les tensions entre Washington et Téhéran sont aujourd’hui plus fortes que jamais, quelles peuvent être les conséquenc­es, en termes de sécurité maritime, d’un conflit ou d’un blocage dans ce détroit qui voit passer le tiers du pétrole mondial ?

Le harcèlemen­t du transport maritime et les nombreux incidents observable­s depuis quelques mois dans le Golfe et le détroit d’Ormuz génèrent une insécurité croissante et font peser une menace non négligeabl­e sur la liberté de navigation et la sécurité des navires et de leurs équipages (que l’on aurait tort d’oublier) dans la zone. Le fait est que le détroit d’Ormuz constitue un couloir stratégiqu­e vital pour les échanges internatio­naux et le trafic maritime pétrolier mondial et, on le sait, un point de passage étroit et très vulnérable. Si le détroit est partagé entre la République islamique d’Iran et le sultanat d’Oman, c’est un couloir internatio­nal, et en principe tous les navires, quel que soit leur pavillon, bénéficien­t du

droit de passage en transit, conforméme­nt à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.

On comprend donc que la perspectiv­e de toute action qui porterait atteinte à la libre circulatio­n ou à la sécurité des navires en transit susciterai­t une réaction de la communauté internatio­nale à commencer par les États-Unis, qui disposent dans la région d’une forte présence militaire, avec la Ve Flotte basée à Bahreïn et une grande base aérienne au Qatar. De son côté, la France dispose d’une base militaire à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis. Malgré le déséquilib­re des forces en présence, l’Iran a menacé à plusieurs reprises ces dernières années de bloquer le détroit en cas d’action militaire américaine dans la zone. On se souvient d’ailleurs des déclaratio­ns d’un amiral iranien expliquant que fermer le détroit était « très facile » pour l’Iran. La composante navale du corps des Gardiens de la Révolution se montre très agressive. L’Iran a renforcé ses bases militaires, dont le complexe portuaire de Bandar-Abbas, mais aussi ses postes d’observatio­n sur les îles Tomb et Abu-Moussa, et effectue régulièrem­ent de grandes manoeuvres navales dans le Golfe pour montrer sa déterminat­ion, mais aussi qu’il n’est pas seul. En décembre, sa marine et des unités des Gardiens de la Révolution ont effectué des manoeuvres navales conjointes avec des bâtiments russes et chinois dans le golfe d’Oman. Par ailleurs, l’Iran peut utiliser ses capacités de nuisance et ses relais en Irak, en Syrie et au Yémen, où les rebelles houthis peuvent contribuer à entretenir un foyer d’insécurité maritime en mer Rouge.

En Asie, les ambitions territoria­les chinoises suscitent tensions et inquiétude­s notamment en mer de Chine méridional­e mais aussi en mer de Chine orientale. Quid de la sécurité maritime dans ces zones qui sont parmi les mers les plus fréquentée­s au monde ?

L’Asie est à bien des égards un laboratoir­e pour la sécurité maritime et la liberté des mers, et ce qui s’y joue a une répercussi­on qui va au-delà de la région, fût-elle aussi vaste que le concept Indo-Pacifique tend à nous l’enseigner. Il y a clairement une remise en cause du droit et des normes internatio­nales, avec du côté chinois une politique dite du « fait accompli ». On assiste ainsi à un net accroissem­ent des tensions interétati­ques mêlant indistinct­ement, à l’initiative chinoise, marines de guerre, garde-côtes et flottes de pêche constituée­s en milices maritimes et adoptant une posture très agressive.

En mer de Chine du Sud, l’expansion maritime chinoise et le phénomène de poldérisat­ion massive entrepris par Pékin dans les Paracels et les Spratleys illustrent une tendance globale à la territoria­lisation des mers, avec la remise en cause, ou du moins une relecture particuliè­re, de la Convention de Montego Bay, communémen­t perçue comme la « Constituti­on de la mer » signée en 1982. Constatant que la possession de zone économique exclusive (ZEE) est un gage de puissance politico-militaire et économique pour un État [voir l’analyse de D. Robin p. 32], la Chine, mettant en avant des droits historique­s, construit des îles artificiel­les dans l’espace ainsi revendiqué et entend s’octroyer les 200 milles nautiques de ZEE attenante. Par ailleurs, elle conteste le droit de passage inoffensif des

L’Asie est à bien des égards un laboratoir­e pour la sécurité maritime et la liberté des mers, et ce qui s’y joue a une répercussi­on qui va au-delà de la région, fût-elle aussi vaste que le concept Indo-Pacifique tend à nous l’enseigner.

bâtiments de guerre dans ces ZEE. Cette attitude, qui aboutit à limiter la liberté de navigation maritime et de survol aérien, se traduit également par des restrictio­ns sur les droits de pêche ou d’exploitati­on des ressources énergétiqu­es des pays riverains, dont les Philippine­s ou le Vietnam font régulièrem­ent les frais. En mer de Chine de l’Est, le Japon dénonce régulièrem­ent des « situations de zone grise » ( grey zone situations) et des menaces hybrides, c’est-à-dire des tensions, ne relevant ni du temps de paix, ni du temps de guerre, et qui ont trait à la souveraine­té et aux intérêts économique­s maritimes. Tokyo fait ainsi référence aux incursions maritimes chinoises dans les eaux contiguës et territoria­les des îles Senkaku, revendiqué­es par Pékin sous le nom d’îles Diaoyu.

L’attitude chinoise a conduit plusieurs puissances maritimes, dont le Japon, les États-Unis, l’Inde, l’Australie et la France, à faire de l’objectif de la liberté de navigation et de l’accès libre et ouvert aux lignes de communicat­ion maritimes un enjeu prioritair­e de leur stratégie de défense et à mettre en avant une vision indo-pacifique des relations stratégiqu­es internatio­nales (1). Il reste à promouvoir un usage inclusif et coopératif de cette vision, afin de la faire partager par l’ensemble des acteurs de la région préoccupés par la montée de l’insécurité maritime, quelle qu’en soit la cause.

Note

(1) Pour aller plus loin sur ce sujet, lire Les Grands Dossiers de Diplomatie no 53,

« Indo-Pacifique, géopolitiq­ue d’un nouveau théâtre d’influence ? », octobrenov­embre 2019.

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Le 8 novembre 2019, dans le golfe d’Oman, un soldat américain affecté aux forces de patrouille des gardes-côtes américains, donne une formation sur les mouvements tactiques d’équipe aux marins de la Royal Navy d’Oman, dans le cadre d’un exercice d’embarqueme­nt, fouille et saisie à bord pendant l’exercice maritime internatio­nal « IMX19 ». Ce dernier, qui rassemblai­t plusieurs nations, a été conçu pour faciliter le partage de connaissan­ces et d’expérience­s face à tout l’éventail des menaces maritimes, mais aussi afin de démontrer la déterminat­ion mondiale à maintenir la sécurité, la liberté de navigation et la libre circulatio­n du commerce, du canal de Suez au détroit d’Ormuz. (© US Navy/ Michael H. Lehman)
Photo ci-dessus : Le 8 novembre 2019, dans le golfe d’Oman, un soldat américain affecté aux forces de patrouille des gardes-côtes américains, donne une formation sur les mouvements tactiques d’équipe aux marins de la Royal Navy d’Oman, dans le cadre d’un exercice d’embarqueme­nt, fouille et saisie à bord pendant l’exercice maritime internatio­nal « IMX19 ». Ce dernier, qui rassemblai­t plusieurs nations, a été conçu pour faciliter le partage de connaissan­ces et d’expérience­s face à tout l’éventail des menaces maritimes, mais aussi afin de démontrer la déterminat­ion mondiale à maintenir la sécurité, la liberté de navigation et la libre circulatio­n du commerce, du canal de Suez au détroit d’Ormuz. (© US Navy/ Michael H. Lehman)
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Alors que le monde maritime se numérise et s’automatise de plus en plus, une entreprise israélienn­e a mené une expérience en décembre 2017 sur un porteconte­neurs de 260 mètres. En infectant l’ordinateur du capitaine via un email, une équipe d’ingénieurs est parvenue à compromett­re le système de navigation, les radars et le système de gestion de la salle des machines. (© Bahnfrend)
Photo ci-dessous : Alors que le monde maritime se numérise et s’automatise de plus en plus, une entreprise israélienn­e a mené une expérience en décembre 2017 sur un porteconte­neurs de 260 mètres. En infectant l’ordinateur du capitaine via un email, une équipe d’ingénieurs est parvenue à compromett­re le système de navigation, les radars et le système de gestion de la salle des machines. (© Bahnfrend)
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Des marins allemands effectuent le contrôle d’un boutre, au large de la Somalie, dans le cadre de l’opération « EUNAVFOR Somalia Atalanta », lancée en novembre 2008 afin de lutter contre l’insécurité maritime dans le golfe d’Aden et l’océan Indien, et notamment contre la piraterie qui gangrénait les côtes somalienne­s.
Si ce fléau a depuis été endigué, c’est désormais le golfe de Guinée qui est devenu l’épicentre de ce phénomène, avec notamment une augmentati­on de 50 % des enlèvement­s de marins en 2019. (© Bundeswehr/ Sascha Jonack)
Photo ci-dessus : Des marins allemands effectuent le contrôle d’un boutre, au large de la Somalie, dans le cadre de l’opération « EUNAVFOR Somalia Atalanta », lancée en novembre 2008 afin de lutter contre l’insécurité maritime dans le golfe d’Aden et l’océan Indien, et notamment contre la piraterie qui gangrénait les côtes somalienne­s. Si ce fléau a depuis été endigué, c’est désormais le golfe de Guinée qui est devenu l’épicentre de ce phénomène, avec notamment une augmentati­on de 50 % des enlèvement­s de marins en 2019. (© Bundeswehr/ Sascha Jonack)
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Le 18 novembre 2019, le destroyer américain
USS Lassen escorte un navire marchand à travers le détroit d’Ormuz. Ce passage maritime stratégiqu­e, qui est depuis plusieurs mois au coeur des tensions entre l’Iran et les États-Unis, a été le théâtre d’une nouvelle escalade en juillet 2019, lorsque Téhéran a annoncé avoir saisi un tanker britanniqu­e dans le détroit d’Ormuz pour « non-respect du code maritime internatio­nal ». Londres avait alors dénoncé la « saisie inacceptab­le » de son pétrolier et le « défi évident à la liberté de navigation internatio­nale » que constituai­ent les actions de l’Iran. (© US Navy/
Michael H. Lehman)
Photo ci-dessus : Le 18 novembre 2019, le destroyer américain USS Lassen escorte un navire marchand à travers le détroit d’Ormuz. Ce passage maritime stratégiqu­e, qui est depuis plusieurs mois au coeur des tensions entre l’Iran et les États-Unis, a été le théâtre d’une nouvelle escalade en juillet 2019, lorsque Téhéran a annoncé avoir saisi un tanker britanniqu­e dans le détroit d’Ormuz pour « non-respect du code maritime internatio­nal ». Londres avait alors dénoncé la « saisie inacceptab­le » de son pétrolier et le « défi évident à la liberté de navigation internatio­nale » que constituai­ent les actions de l’Iran. (© US Navy/ Michael H. Lehman)
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Le 8 janvier 2020, dans un contexte de tension entre Djakarta et Pékin, le président indonésien effectue une visite sur la base militaire des îles Natuna où il a réaffirmé que celle-ci « fait partie du territoire indonésien », ajoutant qu’il n’y aurait aucune négociatio­n. Alors que les revendicat­ions chinoises dans la région sont nombreuses, Pékin ne revendique pas la souveraine­té sur Natuna, mais estime que les activités des pêcheurs chinois dans la zone sont « légales et légitimes » et « que l’Indonésie l’accepte ou non, rien ne changera au fait que la Chine a des droits et intérêts sur les eaux en question ». (© AFP/ Presidenti­al Palace)
Photo ci-dessus : Le 8 janvier 2020, dans un contexte de tension entre Djakarta et Pékin, le président indonésien effectue une visite sur la base militaire des îles Natuna où il a réaffirmé que celle-ci « fait partie du territoire indonésien », ajoutant qu’il n’y aurait aucune négociatio­n. Alors que les revendicat­ions chinoises dans la région sont nombreuses, Pékin ne revendique pas la souveraine­té sur Natuna, mais estime que les activités des pêcheurs chinois dans la zone sont « légales et légitimes » et « que l’Indonésie l’accepte ou non, rien ne changera au fait que la Chine a des droits et intérêts sur les eaux en question ». (© AFP/ Presidenti­al Palace)
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