Les Grands Dossiers de Diplomatie
Les ressources minérales marines : un enjeu géopolitique mondial pour le XXIe siècle ?
Le saviez-vous ? On connaît mieux la surface de la Lune que le fond de nos océans. Ceux-ci recèlent des richesses parfois inexplorées, au mieux inconnues, à savoir des minerais sur le sol et le sous-sol sous-marin.
Trois types de ressources existent, les premières ayant été découvertes dès 1870 par les expéditions océanographiques du HMS Challenger sous la houlette de Sir Charles Wyville Thomson de l’Université d’Édimbourg, d’abord dans la mer de Kara, dans l’océan Arctique, au large des côtes sibériennes, puis en constatant qu’on en trouvait dans la plupart des océans du globe.
Tout d’abord les nodules polymétalliques (ou nodules de manganèse) : des concrétions de roche formées de couches concentriques d’hydroxides de fer et de manganèse disposées autour d’un noyau, que l’on trouve posées sur le sol des plaines abyssales par des profondeurs de 400 à 5000 mètres de fond, notamment dans le Pacifique, dans la zone dite de « Clarion
Clipperton », dans le bassin du Pérou dans le Pacifique sud-est et au centre de l’océan Indien.
Ensuite, les encroûtement cobaltifères : concrétions rocheuses massives, qui peuvent atteindre 25 cm d’épaisseur, que l’on trouve par des profondeurs variant entre 400 et 4000 mètres, sur les monts sous-marins isolés et les alignements volcaniques, particulièrement dans les régions Ouest-Pacifique, et en Polynésie française.
Enfin, les sulfures hydrothermaux : grâce la plongée du submersible américain Alvin au niveau de l’Équateur en 1977, sont mises au jour les cheminées hydrothermales, les sources hydrothermales ou fumeurs actifs comme on les appelle, situées à proximité des dorsales océaniques, avec des minéralisations
sulfurées qui se sont formées au fur et à mesure des dépôts et des cheminées inactives. On trouve ces dépôts à des profondeurs comprises ente 800 et 5000 mètres, dans l’océan Atlantique et Pacifique Sud.
Un intérêt marqué pour la recherche et l’exploitation
Ces ressources minérales marines font l’objet de recherches plus concrètes depuis les années 1960-1970, avec l’implication de consortiums d’entreprises et d’organismes scientifiques, telle l’Association française pour l’étude et la recherche des nodules océaniques (AFERNOD), composée du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), des Chantiers France-Dunkerque, du Centre national pour l’exploitation des océans (CNEXO) (1) et de la société Le Nickel (SLN), tel le consortium Deep Ocean Research Development (DORD) avec 49 sociétés japonaises, ou encore telle l’International Nickel Corporation (INCO) associée avec quatre sociétés minières et métallurgiques allemandes et l’Ocean Management Inc.
Des recherches, dans les eaux internationales, en « haute mer », c’est-à-dire hors de la juridiction des États dans leurs zones économiques exclusives, mais également dans les eaux territoriales, comme en témoignent les campagnes océanographiques de l’AFERNOD dans le Pacifique entre 1974 et 1976, ou encore la campagne « Futuna » du consortium comprenant l’Ifremer, Areva, Eramet, Technip, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l’Agence des aires marines protégées, dans les eaux territoriales françaises de Wallis et Futuna entre 2010 et 2012.
Commence alors une véritable « course aux abysses », course de fond puisqu’elle démarre au XIXe siècle et est toujours d’actualité ; course au fond également pour localiser les gisements, comprendre la géologie sédimentaire et son écosystème, développer et construire les outils pour explorer puis exploiter ces ressources, puisque c’est aussi une course économique.
En effet, pour répondre à la demande croissante de la consommation des ménages et des industries de pointe — nouvelles technologies (smartphone, ordinateur) ou batteries électriques, avec des ressources minières limitées à terre ou monopolisées (terres rares) par la Chine, et une densité de minerais de l’ordre de 7 à 12 %, c’est-à-dire supérieure à celles que l’on peut trouver on-shore —, les ressources minérales marines semblent constituer une nouvelle source d’approvisionnement et de diversification d’exploitation.
Mise en place d’une régulation internationale et d’une gouvernance
Puisque la majorité des zones « propices » se trouvent hors des ZEE, un outil a été créé conformément à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (2), à savoir l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) ou International Seabed Authority (ISA) (3). Organisation internationale intergouvernementale autonome, elle est l’intermédiaire par lequel les États parties à la Convention de Montego Bay, conformément au régime établi pour les fonds marins et leur sous-sol au-delà des limites de la juridiction nationale, organisent et contrôlent les activités menées en haute mer, notamment aux fins de l’administration de ses ressources. L’AIFM est organisée autour d’une assemblée, composée d’États membres (4) (dont la France) et d’observateurs, d’une Commission juridique et technique, et d’une Commission des finances. L’ensemble est suivi par un Conseil qui « arrête les politiques spécifiques à suivre, en conformité avec la Convention et avec la politique générale définie par l’Assemblée. Il surveille et coordonne l’application du régime complexe prévu par la Convention pour promouvoir et réglementer les activités d’exploration et d’exploitation des ressources minérales des grands fonds marins menées par des États, des entreprises ou d’autres entités. » (5)
Outre la rédaction d’un code d’exploitation minière, l’AIFM prépare un code environnemental et émet des recommandations pour l’exploration et l’exploitation.
Elle délivre également des permis d’exploration vers des contractants, étatiques ou privés, pour une durée de 15 ans, permettant d’explorer une zone bien identifiée ne s’étendant pas au-delà de 150 000 kilomètres carrés. Aucun permis d’exploitation n’a encore été délivré. Il est intéressant de se pencher sur les trente contractants qui ont signé un accord avec l’AIFM pour l’exploration des nodules polymétalliques, les sulfures polymétalliques et les agrégats ferromanganèses riches en cobalt dans les grands fonds marins, car cela permet de bien comprendre les enjeux géopolitiques liés à ces ressources minérales marines.
Une compétition mondiale pour le contrôle des minerais ?
À ce jour, dix-huit des contrats AIFM sont pour l’exploration des nodules polymétalliques dans la zone de fracture Clarion–Clipperton (16 contrats) (6), dans l’océan Pacifique occidental (1 contrat : Chine) et dans le bassin central de l’océan Indien (1 contrat : Inde).
Il y a sept contrats pour l’exploration des sulfures polymétalliques dans la dorsale sud-ouest indienne (Chine), la dorsale centrale indienne (Corée du Sud, Allemagne, Inde), et la dorsale médio-atlantique (Pologne, France, Russie) ;
Et enfin, on peut compter cinq contrats pour l’exploration des encroûtements riches en cobalt dans l’océan Pacifique occidental (Chine, Japon, Corée du Sud, Brésil, Russie).
Cela donne une bonne cartographie des acteurs en place et des États qui s’intéressent de près à ces ressources minérales marines.
À noter que la France dispose d’un permis « nodules » dans la zone de Clarion-Clipperton depuis juin 2001, renouvelé en juin 2016 jusqu’en juin 2021, ainsi qu’un permis « sulfures » sur la zone de la dorsale médio-atlantique, attribué en novembre 2014 jusqu’en novembre 2029 ; ces contrats sont confiés à l’Ifremer qui mène les campagnes océanographiques.
Les premiers contractants ont été dès 2001 la France, le Japon, l’Inde, la Russie et la Chine, bientôt rejoints par les autres États cités plus haut, le dernier en date étant la Pologne en 2018, et la Chine pour un troisième contrat en 2019.
Les ressources minérales marines en haute mer ayant été déclarées « patrimoine commun de l’humanité », les contractants sont tenus de verser à l’AIFM le résultat de leurs campagnes océanographiques, et dans l’optique de la demande d’un permis d’exploitation, la moitié de la zone explorée deviendra un secteur réservé (7) pour des États en développement, l’autre au bénéfice du contractant.
En dehors de la haute mer, il est possible de mener des explorations en vue d’exploitation dans les ZEE des États ; ainsi la France (8) comme le Japon, la Chine et l’Inde disposent — on le sait de par les recherches océanographiques — de zones de géologies sédimentaires d’intérêt, de même que les nations des îles du Pacifique, telle la Papouasie-Nouvelle-Guinée, seul État à ce jour ayant signé un contrat d’exploitation avec une société privée australo-canadienne, dont les déboires techniques, juridiques et financiers s’étalent dans la presse…
Car au-delà de l’enjeu international de possession de ces richesses des grands fonds, se posent des défis environnementaux, ainsi que des défis scientifiques et techniques, qu’il ne faut pas ignorer, afin de permettre que se déroulent au mieux les prochaines étapes suivant l’exploration, à savoir l’exploitation de ces minerais sous-marins.
Le cas de la France
Titulaire de deux permis AIFM, l’un pour les nodules dans la zone de ClarionClipperton et l’autre pour les sulfures dans la zone de la dorsale médio-atlantique, la France s’est dotée d’une Stratégie nationale relative à l’exploration et à l’exploitation minières des grands fonds marins (9), approuvée en Conseil interministériel de la mer en octobre 2015.
Elle fait suite aux nombreuses recherches menés par la CNEXO puis l’Ifremer depuis 1970, aux campagnes d’exploration dans les eaux françaises de Wallis et Futuna en 2010, et aux travaux du groupe de travail « Grands fonds marins » du Cluster Maritime Français (CMF) (10).
Ce groupe « synergie » est présidé par Francis Vallat, président d’honneur et fondateur du CMF, avec pour coordinateur technique la société TechnipFMC, et rassemble les entreprises et organismes actifs sur ce sujet tels que Abyssa, Ifremer, Comex, Créocean, Bourbon, Naval Group, Eramet, Cervval et de nombreux autres qui me pardonneront de ne pas tous les citer. Dans le cadre de la coopération internationale, le Cluster Maritime Français a signé en 2015 un Memorandum of Understanding avec la Deep Sea Mining Alliance allemande (11), accord pour la recherche et l’innovation vers l’exploitation des ressources minérales marines.
Également, le CMF travaille étroitement avec le Secrétariat général de la mer (SGMer), organe interministériel qui anime et coordonne les travaux d’élaboration de la politique du Gouvernement en matière maritime. Le SGMer organise deux fois par an des réunions rassemblant les administrations concernées par le sujet des ressources minérales marines, les acteurs du secteur privé ainsi que les organisations non gouvernementales environnementales, et vient de nommer en octobre dernier un chargé de mission pour prendre en charge la stratégie nationale de 2015, qui « vise à permettre à la France de valoriser ses atouts dans le domaine de l’exploration et de l’exploitation minières des grands fonds marins, de contribuer à l’émergence d’une filière industrielle d’excellence créatrice de richesse, d’innovations technologiques et d’emplois et de
préserver, pour l’avenir, un élément-clé de son indépendance stratégique en métaux et de son développement économique tout en assurant la prise en compte de la dimension environnementale et sociétale. » (12)
Et demain ?
Le Secrétaire général de l’Autorité internationale des fonds marins, Michael Lodge, que le Cluster Maritime Français a reçu en décembre dernier, s’exprimait publiquement récemment en annonçant que la Chine serait certainement le premier pays à exploiter les ressources minérales marines, soit en demandant officiellement un permis d’exploitation à l’AIFM dans la poursuite des trois permis d’exploration dont elle est titulaire, soit en intervenant dans ses propres eaux territoriales.
Elle vient d’ailleurs de créer un centre de recherche et développement à Qingdao, et son chantier naval Mawei a construit en 2018 pour la société Nautilus Minerals le premier mining supply vessel. De son côté, le Japon a réalisé, au large d’Okinawa en 2017, le premier pilot mining test sur une zone possédant des sulfures hydrothermaux. À l’été 2018, les membres du consortium européen Blue Mining, dont le projet a été co-financé par la Commission européenne, ont procédé à des tests de matériel au large de l’Espagne, pour la collecte des nodules polymétalliques. Les exemples sont nombreux, les défis également. Défis technologiques, pour réussir à développer des solutions techniques pour la cartographie sousmarine, le monitoring des opérations, l’excavation, la remontée et le traitement du minerai — le Concours mondial de l’Innovation lancé via BpiFrance en 2014 a permis d’amorcer le financement de plusieurs projets innovants de sociétés dans l’ambition no 3 : « Valorisation des richesses marines : métaux et dessalement de l’eau de mer ». Défis environnementaux aussi, car sans reprendre la première phrase de cet article, le préalable à toute exploitation des ressources minérales marines est la connaissance que nous devons avoir des écosystèmes profonds sous-marins, tout à fait parcellaire aujourd’hui et qui mérite que des moyens conséquents soient mis en place afin de recenser les espèces (parfois inconnues), comprendre le fonctionnement et les interactions de la vie sous-marine tant de la faune que de la flore, estimer les impacts que pourrait générer une exploitation, construire les outils techniques permettant de limiter ces impacts (sonores, vibratoires, lumineux, et dispersions de poussières), ainsi que de cartographier précisément le fond de nos océans, afin de mener dans une logique de développement économique et de durabilité une exploitation raisonnée et raisonnable des ressources minérales marines.
Notes
(1) Ancêtre de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer).
(2) Convention dite « de Montego Bay ». (3) https://www.isa.org.jm/ (4) https://www.isa.org.jm/fr/member-states (5) https://bit.ly/3ax7QKU
(6) Chine (2 contrats), Îles Cook, Royaume-Uni (2 contrats), Singapour, Belgique, Kiribati, Tonga, Nauru, Allemagne, France, Japon, Corée du Sud, Russie, et un consortium Bulgarie/Cuba/République tchèque/Pologne/Russie/Slovaquie. (7) https://www.isa.org.jm/fr/secteurs-r%C3%A9serv%C3%A9s
(8) En Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna. (9) https://bit.ly/2THNhp5
(10) Le Cluster Maritime Français (CMF), présidé par Frédéric Moncany de SaintAignan, rassemble tous les acteurs de l’écosystème maritime, de l’industrie aux services et activités maritimes de toute nature. Il est aujourd’hui composé de plus de 430 entités : entreprises de toutes tailles, pôles de compétitivité, fédérations sectorielles, associations, laboratoires et centres de recherche, écoles et universités, centre de formation, collectivités et acteurs économiques locaux, ainsi que de la Marine nationale. Le CMF a trois actions clés : Communication institutionnelle, synergies opérationnelles, actions d’influence. Le CMF intervient auprès des décideurs et des pouvoirs publics à la demande de ses membres pour des dossiers stratégiques et essentiels à l’intérêt de l’ensemble de la filière maritime. Voir https://www.cluster-maritime.fr/ et le focus de M.-N. Tine p. 26. (11) https://www.deepsea-mining-alliance.com/ (12) https://bit.ly/30HFOYL
La Chine sera certainement le premier pays à exploiter les ressources minérales marines, soit en demandant officiellement un permis d’exploitation à l’AIFM dans la poursuite des trois permis d’exploration dont elle est titulaire, soit en intervenant dans ses propres eaux territoriales.