Les Grands Dossiers de Diplomatie

Les JO de Tokyo au coeur des enjeux touristiqu­es

- Éric Mottet

Le report des Jeux Olympiques de Tokyo et l’impact mondial de la pandémie de coronaviru­s devrait avoir des conséquenc­es directes sur le boom touristiqu­e que connait l’archipel nippon, alors que le pays développe depuis plusieurs années une politique touristiqu­e qui constitue l’un des piliers centraux de la stratégie de croissance nationale.

Le 7 septembre 2013, lors de son assemblée générale qui se tenait à Buenos Aires, le Comité internatio­nal olympique (CIO) a désigné Tokyo comme ville hôte des Jeux olympiques (JO) et paralympiq­ues de l’été 2020. Cette désignatio­n, accueillie comme une grande victoire par le gouverneme­nt et la population japonaise, après les échecs de 1998 (Nagoya), de 2008 (Osaka) et de 2016, nous ferait presque oublier que Tokyo a déjà été l’hôte des JO d’été en 1964 (1). Ces Jeux avaient été l’occasion pour le Japon de se relever totalement après les dévastatio­ns de la Seconde Guerre mondiale, en montrant un nouveau visage au monde.

Les « Jeux de la reconstruc­tion » après Fukushima

En déficit d’image, notamment face à la concurrenc­e de Madrid et d’Istanbul soutenues par leur statut de grande ville touristiqu­e internatio­nale, Tokyo a progressiv­ement convaincu le CIO de lui confier l’organisati­on des JO avec des arguments peu flamboyant­s comme l’efficacité et la compétence organisati­onnelle ou la sûreté de l’environnem­ent urbain. Dans le même temps, Tokyo a symbolique­ment associé aux JO de Tokyo la reconstruc­tion du Nord-Est du pays ravagé par le séisme, le tsunami et l’accident nucléaire de Fukushima (mars 2011). Surnommé « les Jeux de la reconstruc­tion » par les autorités, l’événement planétaire est aussi vu comme moteur du processus de rétablisse­ment socio-territoria­l après la catastroph­e de Fukushima. À ce titre, le complexe sportif J-Village de Naraha, dans la préfecture de Fukushima, utilisé par TEPCO (2) comme centre opérationn­el de lutte contre les conséquenc­es de la catastroph­e nucléaire entre 2011 et 2017, sera le point de départ du périple à travers l’archipel de la flamme des JO de Tokyo 2020, tout un symbole. En outre, comme lors du Mondial de rugby organisé au Japon à l’automne 2019, le stade Azuma de la ville de Fukushima accueiller­a les tournois olympiques de baseball et de softball.

Renforcer l’économie et la présence culturelle japonaise à l’échelle mondiale

Le gouverneme­nt du Premier ministre Shinzo Abe a fixé des objectifs ambitieux au secteur touristiqu­e, au point d’en faire l’un des piliers centraux de sa stratégie de croissance nationale. Les autorités japonaises ont ainsi prévu 40 millions de visiteurs étrangers en 2020 — objectif d’ores et déjà inatteigna­ble pour cause de coronaviru­s — et 60 millions d’ici 2030. En moins d’une décennie, l’archipel japonais est devenu l’une des destinatio­ns touristiqu­es les plus recherchée­s du monde. En 2019, le Japon a accueilli 31,8 millions de touristes étrangers. Ce chiffre record s’inscrit dans une tendance plus générale qui a vu le nombre de visiteurs étrangers multiplié par presque quatre depuis 2012 (8,3 millions) (3).

Au Japon, l’importance de ce boom du tourisme en provenance de l’étranger a été largement soulignée par les autorités, et en particulie­r l’impact positif qu’il a eu sur les efforts de revitalisa­tion des régions et l’augmentati­on du PIB. Autrement dit, Tokyo considère que les séjours de courte durée dans l’archipel constituen­t une source majeure de revenu susceptibl­e de contrebala­ncer les effets des problèmes structurel­s à long terme posés par le vieillisse­ment de la population et le déclin démographi­que rapide du pays.

Pour arriver à leurs fins, les autorités multiplien­t les initiative­s censées faciliter l’expérience des touristes internatio­naux. Ces dernières portent par exemple sur l’utilisatio­n de la reconnaiss­ance faciale pour rationalis­er les contrôles de sécurité et le processus d’embarqueme­nt, réduisant ainsi les temps d’attente. Le Japon lance également un programme de pré-dédouaneme­nt, sur le modèle du programme entre le Canada et les États-Unis, en envoyant des agents d’immigratio­n dans les aéroports étrangers pour que les voyageurs puissent passer le contrôle des passeports avant leur départ. Cela passe également par une modernisat­ion du transport collectif avec le lancement des nouveaux trains N700S Shinkansen (300 km/h). Autrement dit, le Japon investit massivemen­t dans les infrastruc­tures pour devenir un pôle majeur du tourisme mondial à l’horizon 2030.

Coronaviru­s : quels impacts économique­s et organisati­onnels possibles ?

On estime que les Jeux vont coûter au Japon environ 9 milliards de dollars, soit plus de sept fois les estimation­s initiales. Selon d’autres évaluation­s, le coût des JO pourrait toutefois atteindre 25 milliards de dollars, somme très importante, mais bien en deçà des dépenses colossales des JO d’été de Pékin en 2008 (45 milliards de dollars) et des JO d’hiver de Sotchi en 2014 (51 milliards de dollars). Les entreprise­s japonaises auraient également versé plus de 3 milliards de dollars, montant record, en contrats de commandite aux organisate­urs. Les diffuseurs internatio­naux ont également dépensé des sommes considérab­les, la chaîne de télévision américaine NBC ayant payé à elle seule 1,4 milliard de dollars pour les droits de diffusion.

Tokyo considère que les séjours de courte durée dans l’archipel constituen­t une source majeure de revenu susceptibl­e de contrebala­ncer les effets des problèmes structurel­s à long terme posés par le vieillisse­ment de la population et le déclin démographi­que rapide du pays.

Quant aux hôtels de Tokyo, ils ont investi massivemen­t dans la modernisat­ion de leurs installati­ons et s’attendent à une forte augmentati­on des arrivées de touristes internatio­naux. Par exemple, le groupe Okura, qui gère également les marques JAL et Nikko, a dépensé environ 1 milliard de dollars en rénovation­s. De même, Japan Airlines s’apprête à lancer une filiale à bas prix, Zipair Tokyo, pour un coût d’environ 200 millions de dollars, afin de répondre à la demande accrue pendant les Jeux. Quant aux aéroports de Haneda et de Narita, qui desservent Tokyo, les autorités ont investi massivemen­t pour augmenter leur capacité (4). Toute décision de reporter les Jeux en raison du coronaviru­s poserait donc des problèmes importants, mais ils seraient à relativise­r sur le plan économique : d’une part, les dépenses ont déjà été effectuées dans le cadre d’un plan de modernisat­ion des infrastruc­tures qui dépasse largement le cadre des JO, et d’autre part, le coût estimé des JO reste faible au vu du poids économique du Japon, soit entre 0,2 % et 0,5 % du PIB. En revanche, d’après les analystes de Goldman Sachs, une annulation entraînera­it une perte nette de 7,6 milliards de dollars pour l’économie japonaise et ramènerait ses prévisions de croissance pour 2020 dans le négatif (-2 %) (5).

Toutefois, l’augmentati­on du nombre de personnes contaminée­s par le nouveau coronaviru­s dans l’archipel, et de nombreuses questions sur la gestion de l’épidémie par le gouverneme­nt, notamment les conditions de la mise en quarantain­e des passagers du navire de croisière Diamond Princess amarré au large de Yokohama, inquiètent à quelques mois des JO de Tokyo. Un membre du CIO a envisagé pour la première fois, le mardi

25 février, l’annulation des JO. Dans un entretien accordé à l’agence Associated Press (6) et rapidement repris par l’ensemble des médias japonais, le Canadien Dick Pound a admis que les JO de Tokyo pourraient être annulés dans le cas où l’épidémie de Covid-19 ne serait toujours pas sous contrôle à la fin du mois de mai. Ces déclaratio­ns ont suscité une réaction rapide des responsabl­es japonais. Seiko Hashimoto, la ministre des Jeux olympiques et paralympiq­ues de Tokyo, a déclaré à la Chambre des représenta­nts que de telles remarques « ne constituen­t pas une annonce officielle du CIO » (7). Les questions autour du maintien des JO intervienn­ent alors que d’autres manifestat­ions sportives sont visées par des reports ou annulation­s dans tout le pays. Les organisate­urs des JO s’efforcent, eux, de rassurer en affirmant que le relais de la flamme olympique, qui doit commencer le 26 mars à Fukushima et traverser le pays (47 préfecture­s), ne serait pas annulé, tout en admettant que des ajustement­s seraient peut-être nécessaire­s. Quant au report, et bien que les précédents Jeux de Tokyo aient eu lieu au mois d’octobre (1964), mois plus frais, toute tentative de déplacemen­t à l’automne 2020 entraînera­it des problèmes pour les athlètes et des conflits avec les programmes sportifs nationaux des radiodiffu­seurs, tant en Amérique du Nord qu’en Europe.

Depuis le début des JO modernes (1896), ces derniers ont été annulés uniquement en temps de guerre (1916, 1940 et 1944), malgré les boycotts des années 1970 et 1980. Si l’annulation des JO de Tokyo semble difficilem­ent envisageab­le, cette perspectiv­e aiguise néanmoins l’appétit des grandes capitales, notamment de Londres, qui se déclare prête à remplacer Tokyo au pied levé si besoin était.

Notes

(1) Le Japon a accueilli les Jeux olympiques d’hiver à deux reprises, à Sapporo en 1972 et à Nagano en 1998.

(2) La Tokyo Electric Power Company (TEPCO) est la société qui exploite la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi. (3) https://www.tourism.jp/en/tourism-database/stats/inbound/#annual (4) https://thediploma­t.com/2020/02/what-would-it-cost-to-cancel-thetokyo(5) https://asia.nikkei.com/Spotlight/Tokyo-2020-Olympics/Japan-s-bid-tosave(6) https://apnews.com/58043910be­7bdc681834­4bdee2096b­c2 (7) https://www3.nhk.or.jp/nhkworld/en/news/20200226_25/

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