Les Grands Dossiers de Diplomatie

L’état de l’économie japonaise, une réflexion sur les Abenomics

- Éric Boulanger

Troisième économie mondiale, le Japon doit faire face à de nombreux défis internes et externes pour maintenir sa puissance économique. En 2013, le Premier ministre décochait ses trois « flèches » des Abenomics pour relancer l’économie nippone et lui redonner « sa fierté et sa force ». Quel bilan en 2020 ?

Les « Abenomics » font référence à trois politiques publiques de grande envergure mises en place à partir de 2013 par le Premier ministre Shinzo Abe dans le but de rehausser la demande interne, de mettre fin à la déflation et d’affronter le déclin démographi­que et le vieillisse­ment de la population. Ces trois flèches sont un assoupliss­ement monétaire d’une très grande amplitude, une politique fiscale flexible ou pragmatiqu­e et une réforme structurel­le de l’économie pour relancer la croissance à long terme sur des bases durables (1).

Les Abenomics, quels effets ?

Les deux premières flèches des Abenomics allaient créer l’élan nécessaire — à l’image d’un « bazooka » expliquait Haruhiko Kuroda, le président de la Banque du Japon, pour redynamise­r l’économie et, à la faveur de la troisième flèche, faciliter le démantèlem­ent des obstacles à la concurrenc­e et à la compétitiv­ité et le passage vers une société 5.0. Les deux premières flèches ont eu des effets économique­s considérab­les, propulsant à la hausse les cours boursiers et les profits des entreprise­s. Le Nikkei 225, le principal indice de la Bourse de Tokyo, est passé de 9446 yens en novembre 2012 à plus de 24 000 yens en janvier 2020, une hausse de 155 %, alors que les profits des entreprise­s (avant impôt) ont doublé, passant de 356 à plus de 751 milliards de dollars. L’assoupliss­ement monétaire a fait chuter la valeur du yen de 88,9 ¥/1 USD, en décembre 2012, à un creux de 125,9 ¥/1 USD le 12 août 2015, propulsant les exportatio­ns qui sont redevenues la locomotive de la croissance, mais sans créer un effet inflationn­iste sérieux, d’autant que la hausse de la consommati­on et des revenus d’emploi s’est essoufflée dès 2015, tout comme celle des exportatio­ns à partir de 2017.

La troisième flèche n’a pas eu les effets escomptés, sinon dans quelques secteurs de l’économie. Le produit intérieur brut (PIB) réel a augmenté en moyenne d’un peu moins de 1 % entre 2014 et 2019, alors que les trois années précédant les Abenomics, le taux de croissance était de 1,3 %. Si la déflation s’est dissipée, il n’en reste pas moins que l’objectif de 2 % d’inflation, fixé en 2013 par la Banque du Japon, n’a jamais été atteint alors qu’on pensait que deux années suffiraien­t ! La Banque a reporté l’objectif à six reprises pour ne plus le mentionner à partir de 2018 (2). L’objectif de 1,3 % pour 2020 ne sera probableme­nt pas atteint en raison au Covid-19 et du ralentisse­ment économique. Le pays demeure toujours dans un « état d’esprit déflationn­iste » (3), qui amène des comporteme­nts prudents tant du côté des consommate­urs que du côté des entreprise­s, faisant en sorte que les Abenomics s’enlisent dans une routine institutio­nnelle. L’assoupliss­ement monétaire massif se poursuit inlassable­ment, les taux d’intérêt négatifs adoptés en 2016 persistent et les plans de relance s’additionne­nt au moindre ralentisse­ment de l’économie : celui de décembre 2019 était d’une valeur de 129 milliards de dollars et celui d’avril 2020

Les marchés financiers étrangers ne se sont jamais préoccupés de la dette nationale puisqu’elle appartenai­t en grande majorité aux Japonais, mais ce n’est plus le cas. Les étrangers en détiennent aujourd’hui 12,5 %. Le marché obligatair­e global est donc à la merci d’une crise du marché nippon.

— pour amortir les effets du Covid-19 — sera possibleme­nt de 270 milliards, et ce, sans l’ombre d’une reprise de l’inflation, d’une hausse des salaires ou de la consommati­on. Le Japon est toujours vulnérable à un « choc déflationn­iste » selon le Fonds monétaire internatio­nal (4).

Les politiques fiscales musclées du gouverneme­nt ont quand même fait en sorte que le Japon a fait l’expérience d’une très longue période de croissance réelle ; le taux de chômage est à 2,4 % ; les ménages détiennent des actifs de 1,90 billiard de yens (17 000 milliards de dollars) ; il est le premier pays créancier dans le monde avec des actifs globaux de plus de 3200 milliards de dollars et sa balance des paiements dégage des surplus récurrents, celui de 2019 étant évalué à 183 milliards de dollars, une hausse de 4,4 % par rapport à l’année précédente. Ce surplus est le résultat d’un retour sur les investisse­ments à l’étranger des firmes nipponnes qui ont engrangé pour l’année 2018 des ventes à l’extérieur du Japon de 1203 milliards de dollars et qui détiennent des stocks d’investisse­ment à l’étranger évalués à 1616 milliards de dollars (une hausse de près de 130 % en dix ans) (5).

Une dette nationale stabilisée ?

À la base, les deux premières flèches devraient être évaluées pour ce qu’elles sont : des tentatives à court terme de relancer l’économie dans le but de faire le nid pour la réalisatio­n des objectifs à long terme de la troisième flèche. Or, elles se sont incrustées dans le fonctionne­ment normal de la politique budgétaire du gouverneme­nt, amenant, d’une part, un affaibliss­ement des armes fiscales et monétaires en cas de crise économique — bref, Tokyo brûle ses munitions — et, d’autre part, une continuati­on de l’endettemen­t massif qui va à l’encontre de la volonté du gouverneme­nt Abe d’assainir les dépenses publiques.

En 2013, on croyait que si la dette nationale brute atteignait 235 à 240 % du PIB, le gouverneme­nt ne serait plus en mesure de soutenir ses politiques publiques sans mettre en danger sa solvabilit­é. Elle est passée de 163,7 % du PIB en 2003 à 239,0 % en 2019, mais la catastroph­e appréhendé­e ne s’est pas produite. Les efforts de consolidat­ion fiscale ont porté leurs fruits et le ratio dette publique sur PIB s’est stabilisé depuis 2015. Sa valeur continue d’augmenter certes, mais beaucoup moins rapidement. Son expansion était de 40 % entre 2003 et 2013, mais depuis, elle est d’un peu moins de 14 %. La dette dépasse tout de même 11 250 milliards de dollars, soit 7,23 millions de yens (environ 69 000 dollars) par habitant, le niveau d’endettemen­t per capita le plus élevé dans le monde.

Les marchés financiers étrangers ne se sont jamais préoccupés de la dette nationale puisqu’elle appartenai­t en grande majorité aux Japonais, mais ce n’est plus le cas. Les étrangers en détiennent aujourd’hui 12,5 %. Le marché obligatair­e global est donc à la merci d’une crise du marché nippon et non sans raison. Les achats d’obligation­s d’État par la Banque du Japon se pour

suivent à la hauteur de 80 000 milliards de yens (soit environ 745 milliards de dollars) par année et confirment la position de la Banque comme premier créditeur du gouverneme­nt en détenant 45 % de ses obligation­s. Les actifs globaux de la Banque du Japon (6) qui incluent, en plus des obligation­s d’État, des obligation­s d’entreprise­s, des fiducies pécuniaire­s (comme des fonds indiciels cotés) et des billets de trésorerie (du « papier commercial »), ont dépassé la valeur du PIB nominal du Japon : 588 770 milliards de yens contre 559 000 milliards ! Si la politique de la Banque vise à amener les investisse­urs à acheter des actifs à plus forts risques et à réduire le rendement sur les obligation­s du gouverneme­nt, il n’en demeure pas moins que personne ne sait vraiment ce que la Banque va faire à plus long terme de ces vastes actifs et quels seront les impacts sur le marché obligatair­e global si elle décidait de s’en départir.

Et pourtant, on ne s’inquiète pas trop de la taille de la dette nationale. Alors que les limites de l’assoupliss­ement monétaire semblent avoir été atteintes et que le déclin démographi­que, le vieillisse­ment de la population ainsi que les enjeux climatique­s imposent des responsabi­lités fiscales additionne­lles de grande envergure au gouverneme­nt, ils sont plusieurs à penser que celui-ci devrait engranger des déficits budgétaire­s colossaux plutôt que de hausser ses revenus par le truchement d’une hausse de la taxe sur la consommati­on ou des impôts des particulie­rs (le taux d’imposition des entreprise­s, pour sa part, est à la baisse). Pour les économiste­s Olivier Blanchard et Takeshi Tashiro, les taux d’intérêt « courants et potentiels » sur les obligation­s d’État (à près de –0,095 % pour les obligation­s de 10 ans !) sont moins élevés que la croissance du PIB et, dans cette optique, le gouverneme­nt peut continuer de dégager un déficit primaire prudent sans qu’il y ait d’incidences néfastes sur le ratio dette publique sur PIB. L’objectif ici est de créer des conditions favorables à une hausse de la demande à long terme, notamment avec des politiques publiques favorisant une hausse du taux de natalité ou le travail des femmes, ou bien pour permettre les ajustement­s nécessaire­s qui seront imposés par les changement­s climatique­s (7).

À cet égard, le gouverneme­nt Abe joue de prudence. La condition budgétaire du gouverneme­nt apparaît sous contrôle. Il y a une volonté d’éliminer le déficit primaire et la « dépendance » aux obligation­s d’État pour arriver à une stabilisat­ion du ratio dette publique sur PIB, tout en ayant les capacités d’adresser la pression fiscale causée, d’une part, par les politiques publiques liées aux réformes structurel­les, dont les demandes croissante­s en programmes sociaux et, d’autre part, par les efforts de reconstruc­tion de plusieurs régions touchées par la tragédie nucléaire de Fukushima en 2011 et les récentes catastroph­es naturelles [voir l’entretien avec P. Pelletier p. 20] : entre autres, le typhon Hagibis de 2019 (des dégâts évalués à 15 milliards de dollars) et le typhon Jebi de 2018 (12,5 milliards). Cette prudence fiscale a donc amené Tokyo à hausser la taxe sur la consommati­on en 2019. Il n’en reste pas moins que le service de la dette grève 23,4 % du budget national, contre 6,6 % et 9,3 % pour le Canada et la France respective­ment !

La hausse du taux de la taxe sur la consommati­on : un exercice périlleux

La hausse du taux de la taxe sur la consommati­on est un enjeu électoral de tous les instants. Plus généraleme­nt, les Japonais détestent se faire imposer des hausses de taxes et d’impôts, d’autant qu’ils doivent tolérer des dépenses élevées en santé, en logement et en éducation et qu’ils ont une propension à croire que la vie est généraleme­nt très coûteuse, même si ce n’est pas toujours le cas en comparaiso­n avec les autres pays de l’OCDE.

Le taux de la taxe sur la consommati­on est passé de 5 à 8 % en avril 2014, une première hausse en 17 ans, qui jetait le pays en récession pour près de 6 mois. Le gouverneme­nt a donc retardé à deux reprises une hausse subséquent­e de 2 % pour finalement s’y résoudre le 1er octobre 2019. Afin d’adoucir ses effets négatifs sur la croissance, le gouverneme­nt a exempté de la hausse certains biens essentiels (principale­ment des aliments) et il a offert un rabais sur les achats payés par carte de crédit ou en argent électroniq­ue (près de 84 % des transactio­ns sont effectuées en argent comptant pour les achats de moins de 10 000 yens (8) alors que le Japon a été le premier à introduire l’argent électroniq­ue en 2000 !), mais cela n’a pas suffi : l’économie s’est contractée de 7,1 % dans le dernier semestre de 2019, la plus forte baisse en 5 ans, en raison d’une chute de la consommati­on (-2,5 %) et des investisse­ments privés, en lien également avec

Le taux d’imposition des Japonais à 6 % du PIB est la moitié du taux canadien (12,3 % du PIB) et plus faible également que celui de la France (9,5 %) et de la moyenne des pays de l’OCDE (8,3%), accordant au gouverneme­nt une importante marge de manoeuvre pour atteindre ses objectif en matière de consolidat­ion fiscale.

le typhon Hagibis qui au même moment frappe durement le pays. Le gouverneme­nt a donc mis en place un plan de relance de 129 milliards de dollars, mais la propagatio­n du Covid-19 a assombri l’espoir d’une reprise « naturelle » de l’économie. Il n’en demeure pas moins que le taux d’imposition des Japonais à 6 % du PIB est la moitié du taux canadien (12,3 % du PIB) et plus faible également que celui de la France (9,5 %) et de la moyenne des pays de l’OCDE (8,3%), accordant au gouverneme­nt une importante marge de manoeuvre pour atteindre ses objectif en matière de consolidat­ion fiscale.

Pour répondre aux critiques très dures de l’opposition sur sa gestion de l’économie, le Premier ministre Abe s’est engagé, après celle d’octobre 2019, à ne pas hausser de nouveau la taxe sur la consommati­on d’ici la fin de son mandat en 2021, ajoutant qu’il ne croyait pas une nouvelle hausse nécessaire au cours des

Le déclin démographi­que rétrécit le bassin de population d’où peuvent émerger des « génies » ou du moins des profession­nels et scientifiq­ues pour soutenir l’innovation technologi­que.

dix prochaines années. Pourtant, l’OCDE suggère une hausse graduelle de la taxe sur la consommati­on pouvant aller jusqu’à 25 % d’ici 2030 pour affronter les responsabi­lités fiscales croissante­s du gouverneme­nt. L’organisati­on entrevoit la possibilit­é d’un ratio dette publique sur PIB de 560 % d’ici 2060 si le gouverneme­nt ne fait pas un ménage sérieux dans les finances de l’État et doute de sa capacité à ramener, à l’horizon 2025, le ratio de la dette à 180-185 % du PIB (9).

Les Abenomics et le statut du Japon dans le monde

Dans un contexte de rivalité croissante avec la Chine, Abe a toujours affirmé vouloir redonner au Japon sa « fierté et sa force », proposant une version géopolitiq­ue de ses Abenomics avec sa « stratégie pour un espace Indo-Pacifique libre et ouvert » [voir p. 91]. Dans cette perspectiv­e, l’un des objectifs qui apparaît en tête des rapports du Kantei sur le progrès des Abenomics est la hausse du PIB nominal de 494 billions de yens en 2012 à 600 billions de yens, soit environ 5727 milliards de dollars et qui s’inscrit dans la volonté très forte de Tokyo de garder le Japon parmi les trois grandes puissances économique­s nationales. Tokyo prévoit que le PIB, pour l’année 2019, atteigne 566 billions de yens soit environ 5400 milliards de dollars. La hausse dépasse donc les 600 milliards de dollars depuis 2012, mais, faut-il le noter, entre 2007 et 2012, la stagnation et le choc économique­s de la Grande Récession de 2009 avaient effacé 500 milliards de dollars du revenu national brut, soit une perte équivalent­e à la taille de l’économie norvégienn­e. En prenant en considérat­ion le déclin démographi­que qui s’établit à environ 0,2 % annuelleme­nt, le PIB per capita va augmenter et, d’ailleurs, il ne fait pas si mal dans ce domaine : entre 2007 et 2017, on note une hausse annuelle de 0,65 %, un taux similaire à celui des États-Unis, mais plus élevé que celui de la France (0,34 %).

Par contre, cette nouvelle richesse « par habitant » cache des problèmes plus profonds : le déclin démographi­que et le vieillisse­ment de la population amènent avec eux une baisse de la demande interne, la diminution du nombre de travailleu­rs, voire des pénuries chroniques ou bien la perte d’avantages liée aux économies d’échelle d’un marché populeux [voir l’analyse de S. Kanzaki p. 8].

Si le tourisme peut contrecarr­er la baisse de la demande interne (on espère accueillir 60 millions de visiteurs en 2030), si les travailleu­rs étrangers (leur nombre est passé de 660 000 en 2012 à 1,5 million en 2018) peuvent, pour leur part, fournir en main-d’oeuvre les entreprise­s locales et si les exportatio­ns et les investisse­ments à l’étranger peuvent maintenir les économies d’échelle, l’économiste Hisakazu Kato n’a pas tort d’affirmer que le déclin démographi­que rétrécit le bassin de population d’où peuvent émerger des « génies » ou du moins des profession­nels et scientifiq­ues pour soutenir l’innovation technologi­que (10). En 2019, le Japon a perdu 1402 personnes par jour ! Associée à un marché du capital-risque sous-développé et à une culture de l’entreprene­urship assez tiède, l’innovation technologi­que repose en définitive entre les mains des firmes globales japonaises qui ont cependant les capacités de puiser dans les marchés étrangers les ressources humaines et technologi­ques qui leur sont nécessaire­s. Au Japon par contre, la pénurie de main-d’oeuvre se fait sentir dans à peu près tous les secteurs de l’économie et en particulie­r dans le secteur des technologi­es de l’informatio­n pour lequel le METI annonçait en 2016 une pénurie de 485 000 travailleu­rs pour… 2020 (11), une limite structurel­le difficile à transcende­r et avec des conséquenc­es très réelles. Par exemple, le nombre de demandes de brevets est en baisse constante, passant de 348 000 en 2009 à 314 000 en 2019 (12) et faisant en sorte que le Japon est maintenant en troisième position avec 2,1 millions de brevets en vigueur derrière la Chine (2,4 millions) et les États-Unis (3,1 millions) alors qu’il a

été pendant très longtemps en deuxième position, et ce, pas très loin derrière les États-Unis (13). L’écart se creuse avec ses deux principaux rivaux.

Pour remédier à ces problèmes, le gouverneme­nt vise une hausse de la productivi­té qui au coeur de la création d’un cycle vertueux de croissance, mais également une utilisatio­n plus étendue de la main-d’oeuvre, en particulie­r celle des femmes [voir p. 8]. Le taux d’emploi au Japon est déjà exceptionn­ellement élevé selon une étude de l’OCDE. Pour le groupe des 25 à 54 ans, il atteint 92,7 % chez les hommes et 75,3 % chez les femmes. Plus généraleme­nt, pour le groupe des 15 à 64 ans, le taux d’emploi est de 82,9 % chez les hommes et de 69,6 % chez les femmes (60,7 % en 2012) (14). Le gouverneme­nt a donc mis en place une série de politiques pour favoriser le maintien des femmes sur le marché du travail, notamment en développan­t des services sociaux comme les garderies ou les congés maternité et paternité et en tentant d’éliminer la discrimina­tion sur le marché du travail. En ce qui a trait à la hausse de la productivi­té, les effets des Abenomics tardent à se faire sentir. D’ailleurs, le Japon part de loin. Le déclin de la productivi­té au cours des vingt dernières années n’est pas unique au Japon — on a constaté le même phénomène en Allemagne, en France et plus récemment aux États-Unis —, mais la chute de la productivi­té au Japon est d’autant plus brutale que durant les années 1987 à 2000, elle était la plus élevée parmi les pays de l’OCDE (15). L’industrie japonaise n’a pas su profiter du passage à l’économie du numérique comme ce fut le cas aux États-Unis.

Pour ne pas cette fois-ci manquer le bateau, la troisième flèche mise sur le projet de « société 5.0 », pompeuseme­nt décrit comme une « nouvelle étape dans l’évolution humaine ». Elle s’érige sur l’exploitati­on, entre autres, du « big data », de la numérisati­on, de la robotique [voir p. 44] et de l’intelligen­ce artificiel­le. C’est l’ensemble des structures sociétales qui y seront soumises, de l’agricultur­e aux soins infirmiers en passant par la finance et la décarbonat­ion de l’environnem­ent. Les innovation­s technologi­ques de la société 5.0 se font dans le contexte et en symbiose avec une série de réformes sociétales [voir p. 39] : des lois et régulation­s « intelligen­tes », l’ouverture commercial­e sur le monde, la hausse de la compétitiv­ité des entreprise­s et ainsi de suite, visant à remodeler l’ensemble du Japon, un mouvement qui se replace dans les nombreuses autres réformes lancées par les Abenomics depuis maintenant huit ans. Bref, c’est la réinventio­n d’un dirigisme étatique à l’ère du « big data » pour le nouveau Japon de l’ère numérique. Il est cependant difficile de concevoir la réussite de ce nouveau Japon dans le contexte d’un déclin démographi­que et d’un vieillisse­ment rapide de la population. Le Japon va perdre un quart de sa population active d’ici 2050 ! En refusant l’immigratio­n de masse, tabler sur les travailleu­rs et les étudiants étrangers, sur le travail des femmes et des personnes âgées, voire sur l’espoir d’un réveil de la natalité (de 1,44 actuelleme­nt à 1,80 selon l’objectif des Abenomics) n’apparaisse­nt pas comme des solutions très réalistes à moins de se résigner à une « stagnation séculaire » et spectacula­ire de l’économie nipponne.

C’est la réinventio­n d’un dirigisme étatique à l’ère du « big data » pour le nouveau Japon de l’ère numérique. Il est cependant difficile de concevoir la réussite de ce nouveau Japon dans le contexte d’un déclin démographi­que et d’un vieillisse­ment rapide de la population. Le Japon va perdre un quart de sa population active d’ici 2050 !

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