Les Grands Dossiers de Diplomatie

JO de Tokyo : l’ambition d’une ville globale

- Alexandre Faure

Le gouverneme­nt japonais présente les Jeux olympiques et paralympiq­ues (JOP) de Tokyo 2020 comme ceux de la reconstruc­tion. En effet, la candidatur­e avait été déposée quelques mois seulement après le tremblemen­t de terre de 2011, suivi d’un tsunami et d’un accident nucléaire. Cependant, la ville de Tokyo elle-même, située au sud des zones les plus touchées, n’a pas particuliè­rement souffert des trois événements (au-delà des coupures d’électricit­é immédiates). Il faut donc distinguer ce qui relève — dans les discours gouverneme­ntaux — de la reconstruc­tion matérielle et de la reconstruc­tion symbolique du Japon. De fait, les JOP de Tokyo 2020 sont avant tout un outil de communicat­ion, et à la marge un outil d’aménagemen­t.

Une candidatur­e au service du développem­ent de Tokyo

La candidatur­e de 2011 pour 2020 était la seconde candidatur­e de suite pour Tokyo. Le Comité olympique japonais avait déjà porté une candidatur­e en 2006 pour 2016, mettant alors en avant deux thèmes : le développem­ent durable et l’alliance — décrite par le gouverneme­nt comme une singularit­é du Japon — des traditions et de l’innovation technologi­que. Malgré les similarité­s nombreuses entre les deux dossiers, le contexte des deux candidatur­es a profondéme­nt changé suite à la crise financière de 2008 et au tremblemen­t de terre de 2011.

L’objectif national du gouverneme­nt pour la reconstruc­tion symbolique du Japon passe par l’améliorati­on de l’image du pays afin, notamment, de favoriser l’essor du tourisme internatio­nal, segment économique jugé prometteur [voir l’analyse d’É. Mottet p. 23]. L’ambition pour la ville de Tokyo se situe sur un autre plan, il s’agit de promouvoir l’image d’une ville globale, internatio­nalisée, attractive, capable comme les autres grandes métropoles mondiales d’assurer l’accueil de grands événements.

Cette ambition pour Tokyo n’est pas nouvelle, elle s’inscrit dans la lignée d’une série de décisions prises depuis le début des années 2000 afin de donner à la ville les atouts d’une capitale financière mondiale. Ainsi, dès 2002 est créée une zone spéciale d’aménagemen­t comprenant le centre de Tokyo et ses quatre grands hubs de transports (Shibuya, Shinjuku, Shinagawa, gare centrale), ainsi que le secteur de la baie de Tokyo. Le Gouverneme­nt métropolit­ain de Tokyo, conjointem­ent avec les gouverneme­nts centraux, souhaite faire du front de mer un moteur de la ville globale contempora­ine, constituée d’immeubles de grande hauteur à destinatio­n des grandes entreprise­s, à la fois sous la forme de bureaux ou sous la forme de résidences luxueuses censées répondre aux attentes d’une catégorie de travailleu­rs internatio­naux et étrangers de plus en plus nombreux et de plus en plus difficiles à capter face à la concurrenc­e d’autres places financière­s.

L’aménagemen­t du village olympique répond à cette ambition en se conformant aux exigences du Comité internatio­nal olympique. Il s’agit d’immeubles de standing, d’une hauteur moyenne (comme le demande le CIO), bâtis sur un terre-plein gagné sur la mer.

Proche du centre de Tokyo, l’héritage du village sera uniquement composé d’immeubles résidentie­ls. Les espaces communs pour les athlètes, installés dans des bâtiments en bois japonais, seront totalement démantelés, laissant la place à quelques espaces verts, mais surtout à deux immeubles de grande hauteur ayant eux aussi la vocation de devenir des bureaux et des résidences. Pour relier ce quartier au centre de Tokyo et à l’aéroport d’Haneda, plusieurs sections d’autoroutes urbaines sont en constructi­on, alors que la ligne de bus à haut niveau de service prévue pour les Jeux ne sera pas obligatoir­ement maintenue après l’événement.

Une vitrine pour le savoir-faire japonais

Au-delà de l’héritage bâti, les Jeux sont l’occasion pour les acteurs publics et privés de mettre en lumière des innovation­s technologi­ques, techniques et politiques. En premier lieu, le Gouverneme­nt métropolit­ain de Tokyo souhaite mettre en place des outils de gestion des flux de passagers et des flux automobile­s. Cela prend la forme d’un système de contrôle des feux de circulatio­n pour rendre prioritair­e tel ou tel flux (transports en commun, véhicules officiels…), ou d’incitation­s auprès des entreprise­s afin de décaler les horaires de travail dans le but de diminuer l’importance des pics de passagers sur un réseau de transport déjà fortement saturé.

Le secteur privé propose de son côté des innovation­s technologi­ques et techniques. Les Jeux de Tokyo sont utilisés par Toyota (partenaire majeur du CIO) pour promouvoir la motorisati­on hydrogène. Ces véhicules électrique­s participen­t à la poursuite des objectifs de diminution des émissions de gaz à effet de serre. Les véhicules de la gamme Mirai fonctionne­nt et sont déjà commercial­isés, mais le marché reste très marginal à cause du prix d’achat élevé (~80 000 euros) et du très faible nombre de bornes de recharge disponible­s (~ 100 au Japon en 2019).

Toyota met aussi à dispositio­n des organisate­urs une série de véhicules autonomes et/ou de véhicules électrique­s afin de transporte­r les organisate­urs, les athlètes et les spectateur­s. Ces petites navettes viennent concurrenc­er d’autres navettes déjà en test dans de nombreux pays, notamment en France. Leur utilisatio­n à Tokyo 2020 sera un défi majeur pour Toyota, qui devra à la fois convaincre les participan­ts et expériment­er une utilisatio­n relativeme­nt intense sur une courte période de ses véhicules. Bien que le véhicule en lui-même ne soit pas une innovation à proprement parler (de nombreux autres modèles existent déjà), la preuve de leur fiabilité et de leur capacité à transporte­r de nombreuses personnes sur une zone expériment­ale élargie et très fréquentée serait une réussite.

Il en va de même pour la robotique. Toyota et les organisate­urs promettent l’utilisatio­n massive de robots de différents types (communicat­ion, assistance aux déplacemen­ts, assistance individuel­le, mascottes…).

Ils serviront notamment pour livrer des marchandis­es ou aider les employés à soulever des charges. Le robot de communicat­ion à distance est l’un des plus emblématiq­ues, un écran mobile avec caméra pour permettre à un individu de se déplacer et de communique­r à travers Internet. Pour Toyota, l’enjeu est majeur, il s’agit d’afficher sa supériorit­é technologi­que et surtout sa capacité industriel­le à multiplier les robots. Ainsi, les Jeux de la reconstruc­tion apparaisse­nt pour la ville de Tokyo comme une étape essentiell­e dans la diffusion d’une image renouvelée de la ville : une ville internatio­nale et accessible aux étrangers, aux touristes et aux investisse­urs ; une ville d’innovation­s technologi­ques, fluide et efficace ; une ville globale bénéfician­t de tous les services nécessaire­s à son rayonnemen­t. Les Jeux olympiques et paralympiq­ues de Tokyo 2020 mettent en récit une ville globale dans un pays plein de doutes.

 ??  ?? En partenaria­t avec
En partenaria­t avec

Newspapers in French

Newspapers from France