Les Grands Dossiers de Diplomatie
Le Japon à l’ONU : un rôle modeste et un espoir frustré
Le rôle du Japon aux Nations Unies est modeste, si l’on tient compte de sa population et de sa place dans l’économie internationale. État de 126 millions d’habitants, il est le troisième contributeur au budget ordinaire des Nations Unies avec 8,564 %, derrière les États-Unis (22 %) et la Chine (12 %). Mais il n’est pas membre permanent du Conseil de sécurité, contrairement à la France et au Royaume-Uni, au rôle politique et aux capacités militaires beaucoup plus importantes, et à la Russie, qui avec 146 millions d’habitants et une contribution de 2,45 %, joue pourtant un rôle majeur. Après avoir atteint un niveau de développement remarquable, le Japon a pu se sentir victime d’une injustice institutionnelle, comme le Brésil et surtout l’Inde, puissance nucléaire de facto. Toutefois, ces États ne jouent pas le même rôle dans l’économie mondiale, contrairement à l’Allemagne, plus proche de la situation du Japon.
Cette ressemblance s’explique par des raisons historiques. Le Japon, comme l’Allemagne, ne fait pas partie des membres originels. Il n’y est entré qu’en 1956, onze ans après les débuts de l’Organisation, mais bien avant les deux Allemagnes (en 1973), après être sorti des situations créées par la guerre froide. Une fois aux Nations Unies, le Japon, qui connut jusqu’aux années 1980 un essor économique impressionnant, ne se fera pas la place que lui autorisaient ses moyens, du fait de son statut très particulier en matière de défense. Même si le verrou empêchant de modifier la composition du Conseil de sécurité sautait, permettant d’augmenter le nombre des membres permanents avec droit de veto, son statut l’empêcherait encore, très probablement, d’accéder au club fermé des grandes puissances institutionnellement reconnues.
Le retour dans la Communauté internationale : l’entrée du Japon à l’ONU
Lorsque l’ONU voit le jour, le Japon vient de capituler, le 2 septembre 1945. Il est, selon la Charte (article 107), comme l’Allemagne, un « État ennemi » et va être occupé par les forces américaines. Pour accéder à l’Organisation, il doit sortir de cette situation. L’évolution de l’Asie, après 1945, particulièrement la guerre de Corée, va favoriser un changement rapide de ses relations avec les États-Unis. L’occupation s’achèvera avec l’entrée en vigueur, le 28 avril 1952, du traité de San Francisco, qui fait radicalement évoluer la relation entre le Japon et les Occidentaux : ils ne sont plus ennemis et vont devenir alliés. Mais l’URSS, qui a refusé de le signer, et la Chine, qui n’était pas invitée à San Francisco, ne sont pas parties au traité. L’admission étant décidée par l’Assemblée générale, sur proposition du Conseil de sécurité (art. 4 §2), il faudra, pour que le Japon entre aux Nations Unies, attendre le feu vert de l’URSS.
Le Japon déposa sa candidature dès le 23 juin 1952. À quatre reprises, la demande fut bloquée par le veto soviétique. Le 18 septembre 1952, l’URSS le justifia au motif que le Japon, sous le contrôle des forces américaines, n’était pas un État souverain et, ayant participé à la guerre de Corée aux côtés des États-Unis, n’était pas un État pacifique. La conclusion du traité de paix avec l’URSS et la Chine était un préalable à l’adhésion. L’Assemblée générale, qui avait reconnu le 21 décembre 1952 que le Japon remplissait les conditions posées par l’article 4 de la Charte, finit par adopter, le 8 décembre 1955, le principe d’une « admission en bloc » et non au cas par cas, mais l’URSS maintint son veto en représailles au veto de la Chine nationaliste contre la Mongolie. À deux reprises encore, elle allait l’utiliser pour faire pression sur la négociation du traité de paix, notamment sur la question des îles Kouriles [voir p. 78]. C’est une déclaration commune du 19 octobre 1956 qui mit fin à l’état de guerre entre l’URSS et le Japon, repoussant la restitution des îles au Japon « après la conclusion d’un traité de paix » entre les deux États. Le 12 décembre 1956, au Conseil de sécurité, l’URSS soutenait une résolution recommandant l’admission du Japon, adoptée à l’unanimité. Le 18 décembre 1956, il devint par le vote des 77 États présents à l’Assemblée générale le 80e membre de l’Organisation.
Le Japon à l’ONU : un engagement limité
Les premières décennies de la participation du Japon à l’ONU coïncident avec sa remarquable réussite économique. Quand la guerre froide prit fin, il ambitionnait d’obtenir la consécration d’un siège permanent au Conseil de sécurité, mais son ascension fut suivie par une très longue stagnation. Après 1992 et avec la montée d’autres pays, notamment la Chine, le problème de la place du Japon devint moins aigû, du fait également des entraves qu’il mit lui-même au développement de son propre rôle dans le domaine du maintien de la paix. Le Japon n’a pas encore aux Nations Unies un statut en accord avec sa puissance.
Tokyo, dans un premier temps, a joué un rôle discret, Washington étant plus important que New York, comme le montrera le soutien aux positions américaines sur la question de l’adhésion de la République populaire de Chine. En 1982, le gouvernement s’engage dans une « stratégie d’influence et de légitimation » sans pour autant prendre trop de distance avec les États-Unis. Le succès de l’économie japonaise lui commandait de participer à la stabilité internationale, donc d’accroître son rôle au sein de l’Organisation. En même temps qu’il commençait à occuper des postes importants comme la direction du HCR de 1991 à 2000, ses contributions financières ont augmenté sensiblement jusqu’à dépasser la quote-part de 10 %. Mais en 2019, il a perdu son rang de deuxième contributeur au budget ordinaire de l’ONU au profit de la Chine, les États
Photo ci-contre :
Casques bleus japonais participant à la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS). (© UNMISS)
Unis conservant la première place. Dans la mesure où s’y ajoutent les contributions volontaires que le Japon destine en priorité à l’aide au développement, son apport financier à l’activité de l’ONU reste considérable, mais a parfois provoqué le reproche de se transformer en une « diplomatie du chéquier ». Le Japon joue aussi un rôle politique important. Il a été élu 22 fois au Conseil de sécurité entre 1958 et 2018, plus que n’importe quel membre non permanent et notamment que ses concurrents potentiels l’Inde, le Brésil et surtout l’Allemagne.
L’affirmation du statut international du Japon reste cependant incomplète. Troisième contributeur au budget des opérations de maintien de la paix derrière les États-Unis et la Chine avec une quote-part de 8,564 %, il se montre toutefois peu actif, estimant ne pas pouvoir s’engager du fait de l’article 9 de sa Constitution : « le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation ou à la menace ou à l’emploi de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux ». Le « pacifisme constitutionnel », soutenu par la population, ne s’atténue que lentement, sous la pression des États-Unis et du contexte régional (ascension de la puissance chinoise, tensions en mer de Chine, évolution de la question coréenne). En 1992 enfin, après que la non-intervention du Japon dans la guerre du Golfe ait été critiquée par ses alliés, la loi PKO (Peace Keeping Operations) a été adoptée, permettant sa participation aux opérations de paix à des conditions strictes : mise en oeuvre à la demande de l’ONU par au moins deux États, elle se limitera à une interposition, lorsqu’il existe un cessez-le-feu et avec le consentement de l’État concerné ; les Forces d’auto-défense (FAD) n’utiliseront que des armes de petit calibre et se retireront si l’une des conditions n’est plus remplie. Les FAD sont ainsi allées au Cambodge (1993) et au Timor oriental (2001- 2002), sans que leur participation ne soulève de problème. Toutefois, le Japon n’avait en 2017 participé qu’à treize opérations, y compris militaires. Il n’était que le 84e fournisseur de troupes à la fin de l’année 2009 et le
112e en novembre 2017, avec seulement quatre personnes mobilisées. Entretemps, le gouvernement japonais avait décidé d’arrêter l’envoi d’unités au Soudan du Sud, une fois leur mission achevée en mai 2018, l’instabilité risquant de les impliquer dans des combats. Cette réserve sur l’engagement au titre du maintien de la paix peut surprendre, car le Japon a participé à l’intervention non autorisée par le Conseil de sécurité des États-Unis de G. W. Bush en Irak en 2003. Certes, il ne s’agissait que d’un contingent de 600 personnes, affecté à des tâches humanitaires et dans des « zones de non-combat », mais le Japon, contrairement à ce que pose sa Constitution, avait participé à une guerre.
Ainsi l’alliance américaine, constituée à la fin de l’occupation, reste la composante essentielle de la politique de sécurité et de défense du Japon [voir p. 87]. Le pays est très dépendant de la protection des États-Unis, même si l’importance de sa contribution se renforce. Cela représente une contrainte majeure dans un contexte asiatique en transformation profonde et pose constamment à Tokyo la question de la pertinence de ce choix. Sa retenue, par rapport à ce que devrait être un rôle à la hauteur de sa dimension humaine et économique, n’est pas de nature à faciliter une éventuelle accession au statut de membre permanent du Conseil de sécurité.
Un espoir frustré pour le Japon : le statut de membre permanent du Conseil de sécurité
Sa réussite économique, plus que la place acquise par le Japon au sein des Nations Unies, l’a conduit à solliciter un siège permanent au Conseil de sécurité en septembre 1994. Le Japon a développé une action diplomatique, individuellement et à travers le groupe G4 avec l’Allemagne, l’Inde et le Brésil, action fondée sur la nécessité d’aligner la représentation sur la puissance économique et la contribution financière, mais des considérations géopolitiques majeures font obstacle à sa candidature. La Chine y est résolument opposée, arguant de son caractère non pacifique et lui reprochant, soutenue par les deux Corées, l’absence de repentir pour les crimes commis durant la Seconde Guerre mondiale. Les États-Unis, mais aussi la France et le Royaume-Uni, qui associeraient cette adhésion à celle de l’Allemagne, y sont favorables. La Russie préfère l’Allemagne au Japon, plus inféodé à Washington, et en Asie, son candidat est d’abord l’Inde. En réalité, les membres permanents ne sont d’accord que sur le maintien du statu quo au Conseil. Leurs déclarations en faveur d’une réforme limitée, dont dépend le futur statut du Japon, ne s’expliquent que par l’impossibilité de la réaliser actuellement. Si le Japon, hors du G4, n’a pas renoncé officiellement à ses ambitions, acceptant même éventuellement le statut de membre permanent sans droit de veto, il ne se fait sans doute plus d’illusions. Il peut plus légitimement prétendre à un rôle au sein d’instances internationales ad hoc rassemblant des membres permanents du Conseil de sécurité et des puissances intéressées à un dossier particulier. Pour le Japon, la question internationale la plus sensible est certainement celle de la Corée, sous son double aspect : le nucléaire nord-coréen et l’évolution des relations intercoréennes. Il faisait partie, avec les deux Corées, les États-Unis, la Russie et la Chine du Groupe des Six, chargé de travailler à la solution du problème nucléaire, mais qui ne s’est plus réuni après le retrait de la Corée du Nord en avril 2009. Depuis que Pyongyang a réussi à se doter de capacités nucléaires et que ses relations se sont améliorées avec le Sud et les États-Unis, le Japon est le seul des Six qui n’est pas revenu dans le jeu diplomatique. Ses dirigeants saluent les rencontres entre la Corée du Nord et les États-Unis ou la Corée du Sud, mais redoutent une évolution qui pourrait affecter leur sécurité, notamment une concession sur les missiles de courte et moyenne portée ou un assouplissement des sanctions, qu’envisagent la Russie et la Chine. Ils défendent toujours une « dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible » et une ligne dure en matière de sanctions, position qui a été soutenue par le Japon en tant qu’État invité au Conseil de sécurité, en 2018 et 2019. Cette position, qui « colle » à celle de Washington, est actuellement assez facile à tenir, mais elle n’est peut-être plus adaptée au dossier coréen. Rester dans l’ombre des États-Unis est certainement l’un des éléments qui pousseraient à répondre « non » si, par extraordinaire, la possibilité s’offrait d’accorder au Japon un siège de membre permanent. Il est de l’intérêt de la sécurité collective et du bon fonctionnement du Conseil de sécurité que les détenteurs du veto, non seulement pèsent du point de vue économique, mais aussi aient une réelle identité politique et stratégique et les moyens militaires correspondants.