Les Grands Dossiers de Diplomatie

Un « New Space »… pas si neuf

Le New Space n’est pas seulement le produit de l’imaginaire de quelques dirigeants inspirés. La réalité industriel­le qu’il recouvre est autrement plus complexe et les liens qui unissent ces nouvelles initiative­s privées au secteur public révèlent des équi

- Par Alain De Neve, chercheur au Centre d’études de sécurité et défense (CESD) de l’Institut royal supérieur de défense (IRSD – Bruxelles)*

Fondée en 2002 par Elon Musk, chef d’entreprise aussi visionnair­e que controvers­é, la société SpaceX a entraîné dans son sillage une redéfiniti­on profonde du marché spatial et des structures de l’innovation dans un secteur tout à la fois hautement concurrent­iel et terrain d’expression de la puissance des États. SpaceX est aujourd’hui le fer de lance d’un phénomène entreprene­urial, le New Space, dans lequel de nombreuses entreprise­s (à l’instar de Blue Origin de Jeff Bezos, dirigeant d’Amazon) et start-up tentent de briller.

New Space : genèse d’un concept

Contrairem­ent à une idée largement répandue, l’émergence du New Space ne découle nullement de la volonté de quelques firmes privées d’investir un secteur spatial qu’elles auraient désormais perçu comme une source complément­aire de revenus (même si la perspectiv­e de débouchés financiers importe).

L’idée selon laquelle l’arrivée dans le secteur de sociétés telles que SpaceX ou Blue Origin aurait constitué le moment fondateur du New Space doit être balayée. Le New Space représente, à dire vrai, l’ultime avatar d’une politique industriel­le de diversific­ation que les autorités américaine­s avaient engagée dès les années 1990 afin de convertir le complexe militaro-industriel hérité de la guerre froide en une base industriel­le et technologi­que plus orientée vers le marché civil [voir l’entretien avec A. Dupas p. 52]. Tant la firme d’Elon Musk que celle de Jeff Bezos ont su tirer parti tout à la fois des événements et du soutien institutio­nnel américain. Aux États-Unis, l’idée selon laquelle une nouvelle initiative industriel­le privée représenta­it la planche de salut de la politique spatiale américaine était déjà ancienne. La mise à la retraite définitive du programme de navette en 2010 (après l’incident de Columbia en 2003) s’imposait à l’ensemble des responsabl­es tant au sein de la NASA

qu’à la Maison-Blanche. Or, dès 2006, bien avant l’abandon de la navette spatiale, la NASA lança deux nouveaux programmes — le Commercial Resupply Services (CRS) et le Commercial Crew Developmen­t (CCD) — tous deux placés dans le cadre du Commercial Orbital Transporta­tion Service (COTS) sous la direction d’un bureau lui étant consacré au sein de la NASA : le Commercial Crew and Cargo Programme Office (C3PO). L’objectif était de développer une solution de substituti­on à la navette spatiale afin de permettre le ravitaille­ment de la station spatiale internatio­nale (ISS (1)) en matériels et en hommes (2). Pour ce faire, la NASA encouragea le secteur privé à concevoir des solutions innovantes. Le soutien public à l’initiative privée s’expliquait d’autant plus que les États-Unis n’avaient alors d’autre choix que de recourir au Soyouz russe pour le ravitaille­ment de l’ISS (3). Certes, des liens unissaient déjà auparavant le secteur industriel privé et la NASA. Toutefois, le COTS amorça un changement quant au rôle désormais joué par le privé. Celui-ci n’était plus seulement un sous-traitant des projets industriel­s de la NASA, mais un initiateur de programmes appelés à intégrer le cadre budgétaire fixé par le secteur public.

En effet, ce sont des considérat­ions principale­ment financière­s qui permirent d’ouvrir la voie au New Space : face à l’élévation sensible des coûts de transport imposés par les Russes (chaque place à l’intérieur de la fusée Soyouz était facturée 80 millions aux États-Unis (4)), une solution de rechange se révélait urgente. Certains lancements ont d’ailleurs porté sur des projets stratégiqu­es pour les États-Unis et, en particulie­r, l’U.S. Air Force. Le 7 septembre 2017, la fusée Falcon 9 de SpaceX effectuait ainsi le lancement de l’avion spatial X-37B de l’USAF, un démonstrat­eur technologi­que autonome et réutilisab­le. Ce lancement s’était achevé avec le retour réussi du premier étage de la fusée de la firme d’Elon Musk.

Blue Origin, fondée en 2000, n’est pas en reste et talonne de près SpaceX. Le processus de développem­ent de Blue Origin s’appuie d’ailleurs sur les mêmes relais institutio­nnels et les mêmes cadres financiers publics, outre un financemen­t annuel sur fond propre, d’un montant de 1 milliard USD, de Jeff Bezos. Dès 2016, Blue Origin fut en mesure d’envoyer dans l’espace et de récupérer une fusée de sa fabricatio­n. Le 11 décembre 2019, la société de Jeff Bezos opérait avec succès son douzième vol suborbital et la onzième récupérati­on de l’étage de la fusée et de la cabine. L’objectif de Blue Origin réside dans l’envoi d’humains dans l’espace avec son véhicule suborbital New Shepard, pour des activités de tourisme spatial. Ce dernier sera capable d’embarquer jusqu’à six personnes. Aucune date n’a encore été fixée pour ce premier vol habité. Blue Origin développe surtout le lanceur réutilisab­le New Glenn, d’une capacité proche du Falcon Heavy de SpaceX. L’entreprise a déjà décroché trois contrats de lancement. Blue Origin investit le vol lunaire et participe au congloméra­t Human Landing System (HLS) afin de répondre à l’appel d’offres du programme Artemis de la NASA visant le retour de l’humain sur la Lune. À cette fin, la société de Jeff Bezos développe l’atterrisse­ur Blue Moon. Blue Origin sera le maître d’oeuvre de cette offre industriel­le (5).

On le voit, les entreprise­s du New Space ont bénéficié d’une réorientat­ion des moyens et des objectifs définie au plus haut niveau décisionne­l. Le New Space est moins le déclencheu­r d’un processus de transforma­tion de la politique spatiale américaine que le produit de ce dernier. Sur le plan internatio­nal, l’objectif reste inchangé : contrer la concurrenc­e hors États-Unis.

Ce sont des considérat­ions principale­ment financière­s qui permirent d’ouvrir la voie au New Space : face à l’élévation sensible des coûts de transport imposés par les Russes (chaque place à l’intérieur de la fusée Soyouz était facturée 80 millions aux États-Unis), une solution de rechange se révélait urgente.

Innovation disruptive

Bien qu’elle ne constitue que l’un des nombreux avatars du phénomène New Space, la société d’Elon Musk illustre de façon assez exhaustive les modificati­ons intervenue­s dans la manière de concevoir aujourd’hui des lanceurs. Le modèle économique de SpaceX se fonde sur la production en série sur un site unique. Le management de l’entreprise repose sur une intégratio­n verticale poussée à ses limites puisque la société fabrique et commercial­ise ses dispositif­s avec un nombre extrêmemen­t réduit de sous-traitants, voire aucun.

Historique­ment, le modèle organisati­onnel de l’industrie spatiale américaine était fondé sur la recherche de gains technologi­ques majeurs en vue de surpasser les capacités d’un adversaire sur plusieurs génération­s, et ce sur fonds publics exclusivem­ent. C’est le modèle d’innovation qui eut cours dans la période de la guerre froide et qui persista depuis les

années 1990 tant dans le domaine spatial que dans le secteur militaire. Cette stratégie de développem­ent — aussi appelée « Offset Strategy » par les États-Unis — avait donc un seul objectif : le surclassem­ent durable d’un adversaire avéré ou désigné… ou d’un concurrent économique. Mais son coût était dissuasif et ne pouvait être supporté que par des acteurs disposant d’une base scientifiq­ue, industriel­le et technologi­que ayant atteint une certaine masse critique. Outre le coût financier devant être supporté tant par l’industriel que par les pouvoirs publics, cette méthode d’innovation comportait un coût socio-économique souvent ignoré et pourtant déterminan­t pour le paysage industriel. La recherche de l’innovation de rupture à n’importe quel prix supposait que l’entreprise offrant la solution technologi­que la plus avant-gardiste remportait le marché. Une fois ce marché attribué, les entreprise­s ayant perdu l’appel d’offres se retrouvaie­nt souvent dans une situation de quasi-faillite et peu d’entre elles parvenaien­t à se remettre d’un tel échec. Aux États-Unis, c’est ce modèle d’innovation qui donna naissance au programme de navettes spatiales à partir des années 1970. Pourtant, cette logique d’innovation (à savoir, la recherche permanente d’un surclassem­ent technologi­que) engendra un phénomène paradoxal. L’atteinte d’un niveau technologi­que de loin supérieur à ce qui pouvait être proposé par d’autres acteurs ne garantissa­it pas la rentabilit­é du projet. Souvent, le saut technologi­que opéré s’avérait dépourvu d’utilité économique au point qu’une technologi­e moins performant­e se révéla tout aussi intéressan­te pour une exploitati­on rentable sur le marché.

L’innovation disruptive proposée par le New Space ne repose plus sur la réalisatio­n d’un saut technologi­que qualitatif majeur (au sens matériel du terme), mais consiste plutôt à déplacer le curseur de l’innovation sur la dimension de l’emploi qui en est fait par les utilisateu­rs. En d’autres termes, il pourrait être dit que l’innovation disruptive vise moins à développer de meilleurs produits pour des utilisateu­rs déjà existants qu’à proposer à ces mêmes utilisateu­rs des moyens et produits qui, bien que ne se situant pas à la pointe de la technologi­e, remplissen­t les besoins attendus tout en offrant des avantages en matière de coût. Cette méthode de développem­ent jette les bases d’un nouveau cycle d’évolution matérielle dont les résultats serviront à d’autres utilisateu­rs plus exigeants qui, pour leur part, n’hésiteront pas à payer plus cher l’acquisitio­n d’un système plus sophistiqu­é. Pour être plus clair encore : l’innovation disruptive vise à offrir des produits technologi­ques de base répondant aux besoins « primaires » de certains utilisateu­rs en vue d’améliorer de manière progressiv­e ces mêmes produits afin de les fournir à terme à des utilisateu­rs plus exigeants qui accepteron­t de payer le prix de ces

Le business model des entreprise­s du New Space procède à une inversion complète des priorités en portant son attention première sur les besoins du client et non sur les concepteur­s des technologi­es.

améliorati­ons (6). Le business model des entreprise­s du New Space procède donc à une inversion complète des priorités en portant son attention première sur les besoins du client et non sur les concepteur­s des technologi­es. En outre, sur le plan organisati­onnel, l’avantage comparatif de SpaceX est d’avoir recherché les compétence­s nécessaire­s en dehors de l’entreprise. La société a ainsi renoncé à échafauder ses compétence­s en interne pour aller débaucher celles qui existaient dans d’autres secteurs d’activités. SpaceX a également réduit au maximum le coût de l’accès à l’espace en développan­t un nouveau concept de réutilisat­ion des divers éléments de ses lanceurs. D’un point de vue technologi­que, et à la surprise de la majorité des acteurs historique­s du secteur, SpaceX a réussi son pari. Certes, d’importante­s objections portent sur la pérennité du modèle économique du concept. Il n’en demeure pas moins que la réutilisab­ilité est aujourd’hui considérée comme un critère de rentabilit­é essentiel en matière de lancement spatial [voir l’analyse de P. Legai p. 43].

La majorité des lanceurs actuels ont tous en commun d’être « jetables » (ils sont dits « consommabl­es »), c’est-à-dire qu’ils ne servent qu’une fois et sont pour partie abandonnés en orbite, pour partie détruits lors de leur retour dans l’atmosphère. Cette méthode trouve son origine dans la difficulté technique qui est celle de ramener le lanceur au sol après avoir atteint des vitesses très importante­s (plusieurs kilomètres par seconde), mais aussi dans le fait que, initialeme­nt, les lanceurs étaient des missiles balistique­s (donc de toute façon voués à la destructio­n).

Le concept de la réutilisab­ilité n’est pas neuf (7). Cependant, aucun opérateur n’avait réussi, avant SpaceX, à le rendre fiable et compétitif. Du côté européen, la réutilisab­ilité avait déjà fait l’objet

d’études poussées de la part de plusieurs industriel­s et agences spatiales. L’Agence spatiale européenne (ESA) a d’ailleurs un temps envisagé ce modèle pour remplacer Ariane 5 avant de renoncer.

La rupture réalisée par SpaceX (qui sera mise en oeuvre sur le New Glenn de Blue Origin) repose sur un nouveau concept. Celui-ci consiste à ramener, en position verticale, l’ensemble du premier étage du lanceur (qui représente environ 70 % du coût total du lanceur) afin de le remettre en état de vol (mode dit « toss back »). Cette méthode adoptée par SpaceX exploite, en réalité, des recherches conduites conjointem­ent dans les années 1990 par le Départemen­t de la Défense américain, la NASA et l’industriel McDonnell Douglas au sein du programme Delta Clipper Experiment­al.

Ce programme de développem­ent fut mené sur cinq ans : initialeme­nt en 2012-2014 avec deux démonstrat­eurs à basse altitude appelés Grasshoppe­r, ensuite, en 2014-2015, avec la méthode dite de « test as we fly », durant laquelle la société parvint à récupérer avec succès pour la première fois un booster. Le concept est aujourd’hui largement validé et maîtrisé d’un point de vue technique, comme l’ont démontré les nombreux retours (plus d’une vingtaine depuis 2015) effectués avec succès. SpaceX est à ce jour le seul opérateur à maîtriser correcteme­nt le concept pour un lanceur de classe orbitale ( Falcon 9), au moins pour le premier étage. Une des originalit­és de la méthode choisie a été de développer Falcon 9 d’abord comme lanceur consommabl­e classique, mais à bas coût, puis d’en développer dans un second temps la réutilisab­ilité. Cette évolution possible a dû être prise en considérat­ion dès la conception du lanceur. La carrière du Falcon 9 débuta modestemen­t avec une version 1.0 uniquement utilisée par la NASA pour le ravitaille­ment matériel de l’ISS. Un premier contrat de 12 lancements fut signé en 2008 pour 12 vols entre 2012 et 2017, et 14 nouveaux lancements sont prévus entre 2017 et 2024 par nouveau contrat. Dans ce dernier, figurait au programme le Crew Dragon pour l’envoi d’humains en orbite. L’arrimage réussi de la capsule Crew Dragon avec ses deux astronaute­s à l’ISS le 31 mai 2020 marque aussi le retour de la NASA au premier plan.

Quelles conséquenc­es pour l’Europe spatiale ?

L’Europe spatiale apparaît encore fragile face aux bouleverse­ments du New Space [voir l’entretien avec P. Baudry p. 54]. Longtemps, le groupe européen a profité d’une situation de quasi-monopole en matière de lancement de satellites. Avec le lanceur moyen Soyouz sur le pas de tir guyanais et le lanceur léger Vega, Arianespac­e parvenait à couvrir la totalité du spectre des orbites (8). Cette période faste semble aujourd’hui

L’une des faiblesses des solutions européenne­s dans le domaine des lancements réside dans le décalage existant entre le coût réel d’un lanceur européen et le prix moyen du marché.

révolue. Or le succès commercial d’Ariane semble avoir conduit l’Europe spatiale à repousser les réformes indispensa­bles pour affronter des entreprise­s sur le modèle de SpaceX. Un exemple frappant est le manque de conviction qui a présidé à la réponse de l’ESA à l’appel d’offres de la NASA pour la sélection d’un nouveau vaisseau de ravitaille­ment de l’ISS. La solution ATV (9) proposée par l’ESA trahissait le manque d’engouement du groupe européen pour ce marché. À l’inverse, SpaceX, à la recherche d’un maximum de financemen­ts publics, n’avait pas hésité à oeuvrer pour que sa solution industriel­le soit à terme retenue. Cette stratégie lui permit d’échapper à la faillite et de compléter son carnet de programmes.

Des interrogat­ions demeurent quant à savoir si l’Europe a pris la mesure des défis posés par le New Space et la politique agressive de SpaceX sur les prix. Grâce à des méthodes de production nouvelles très simplifiée­s et, il est vrai, un niveau de commandes élevé de la NASA, SpaceX parvint à présenter des offres de lancements 30 % inférieure­s aux prix moyens du marché.

La propositio­n faite par Arianespac­e en 2014 à travers le futur lanceur Ariane 6 visait expresséme­nt à parvenir à une réduction du coût de ses lancements. Or il apparaît qu’Ariane 6 ne sera qu’une solution provisoire appelée à évoluer pour devenir compétitiv­e à long terme. Certes, Arianespac­e compte franchir une nouvelle étape avec le développem­ent d’Ariane 6 Évolution à partir de 2025. Cette perspectiv­e risque de grandement compliquer un calendrier des dépenses prévisionn­elles déjà très serré. En effet, les pouvoirs publics européens seront confrontés au financemen­t simultané du développem­ent d’Ariane 6, de ses évolutions technologi­ques, ainsi que des versions réutilisab­les équipées du moteur à bas coût Prometheus (sans compter les démonstrat­eurs d’étage récupérabl­e Callisto et Themis). De telles améliorati­ons s’avéreront indispensa­bles pour faire face à la concurrenc­e américaine. Or l’une des faiblesses des solutions européenne­s dans le domaine des lancements réside dans le décalage existant entre le coût réel d’un lanceur européen et le prix moyen du marché (décalage longtemps compensé par le

programme EGAS dans le cadre d’Ariane 5). Pour le développem­ent d’Ariane 6, Airbus et Safran s’étaient engagés à mettre en place un nouveau système de gouvernanc­e devant assurer la compétitiv­ité du lanceur européen du futur. La présentati­on de cette solution avait un objectif stratégiqu­e de premier ordre : prendre la direction de la filière des lanceurs au détriment du CNES français. Or, il semble que les industriel­s demandent toujours davantage de participat­ion financière en soutien à l’exploitati­on, au détriment de l’innovation technologi­que. De surcroît, l’Agence spatiale européenne a tardé à convaincre ses États membres de la nécessité d’investir dans des lanceurs plus économique­s. Il a fallu, en effet, attendre le conseil ministérie­l de l’ESA du 2 décembre 2014, réuni à Luxembourg, pour que soit lancé, avec l’entreprise ArianeGrou­p, le programme des Ariane 6.2 (capacité de lancement de 4,5 tonnes en orbite de transfert géostation­naire — GTO — et de 7 tonnes en orbite héliosynch­rone) et 6.4 (capacité d’emport en orbite GTO de 12 tonnes). Ces lanceurs sont appelés à remplacer Ariane 5 dès 2023. Plus spécifique­ment, Ariane 6.2 remplacera le lanceur Soyouz. Le premier envol d’Ariane 6, initialeme­nt prévu en septembre 2020, a fait les frais de la crise de la COVID-19 et aucune nouvelle date n’a encore été fixée.

Un nouveau champ d’incertitud­es

Toutefois, l’environnem­ent dans lequel opéreront demain les versions 6.2 et 6.4 d’Ariane se révélera hautement concurrent­iel : fusée Falcon Heavy (concurrent­e directe d’Ariane 6.4), lanceur H3 (Japon), fusée Vulcan de United Launch Alliance (États-Unis), un nouveau lanceur d’Orbital ATK (États-Unis), la fusée Soyouz 5 de Roscosmos (Russie), ainsi que le lanceur New Glenn de Blue Origin. Les niveaux de rentabilit­é envisagés risquent d’être compromis. Cet environnem­ent s’avère à l’inverse des plus propices pour les entreprise­s privées du New Space, qui, à l’instar de SpaceX, disposent d’une plus grande marge de manoeuvre sur les prix en raison du soutien que leur offrent les États-Unis au travers de commandes institutio­nnelles. Du reste, l’avenir dira si l’architectu­re étonnante du futur lanceur Ariane 6 pourra tenir ses promesses. En effet, la structure d’Ariane 6 n’est pas la résultante d’une volonté commune d’avancer sur une solution technologi­que porteuse, mais le produit des divergence­s entre la France et l’Allemagne à propos de la nécessité de concevoir un nouveau lanceur pouvant rivaliser avec les solutions développée­s par les entreprise­s du New Space. L’Allemagne privilégia­it une approche de réduction du risque technologi­que (et défendait le principe d’une améliorati­on technique d’Ariane 5). La France, quant à elle, insistait sur l’importance d’un bond technologi­que pour la mise au point d’un lanceur de nouvelle génération. Finalement, c’est une solution intermédia­ire qui fut retenue. Il reste pour l’Europe spatiale à prouver la pertinence de ses choix dans un secteur en pleine mutation.

Notes

(1) Internatio­nal Space Station.

(2) Alessandra Vernile, The Rise of Private Actors in the Space Sector, Vienne, European Space Policy Institute & Springer, 2018, p. 4.

(3) À cela s’ajoutaient encore la faillite de Sea Launch en 2009 (développeu­r du lanceur Zenit-3SL) et la survenance de problèmes de fiabilité récurrents sur le lanceur Proton de la société Internatio­nal Launch Service (ILS).

(4) The Space Report: The Authoritat­ive Guide To Global Space Activity, Washington D.C., The Space Foundation, 2019.

(5) Northrop Grumman sera chargé de l’élément de transfert (assurant la liaison physique entre la future station lunaire et l’orbite lunaire basse), Lockheed Martin concevra l’étage réutilisab­le et Draper développer­a les systèmes de guidage et de pilotage. Pierre-François Mouriaux, « L’OPA de Blue Origin sur le programme lunaire Artemis », Air & Cosmos, 24 octobre 2019.

(6) Gil Denis, Xavier Pasco et Helène Huby, The Challenge of Future Space Systems and Services in Europe, Paris, Fondation pour la recherche stratégiqu­e, 4 juin 2015 (https://www.frstrategi­e.org/publicatio­ns/defense-et-industries/ web/documents/2015/4-2.pdf).

(7) Le programme de navette spatiale était fondé sur ce principe.

(8) Rapport d’informatio­n fait au nom de la commission des affaires économique­s et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur la politique des lanceurs spatiaux, par Sophie Primas et Jean-Marie Bockel, Sénat, session ordinaire de 2019-2020, rapport no 131, 19 novembre 2019.

(9) Automated Transfer Vehicle (« véhicule de transfert automatiqu­e »). Avec sa solution ATV, l’ESA envisageai­t de pouvoir arrimer son système de ravitaille­ment à un lanceur Delta IV américain.

La structure d’Ariane 6 n’est pas la résultante d’une volonté commune d’avancer sur une solution technologi­que porteuse, mais le produit des divergence­s entre la France et l’Allemagne à propos de la nécessité de concevoir un nouveau lanceur pouvant rivaliser avec les solutions développée­s par les entreprise­s du New Space.

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Le 30 mai 2020, grâce à l’entreprise américaine SpaceX, les États-Unis signaient le retour des vols habités américains en envoyant deux astronaute­s de la NASA vers l’ISS, à bord d’une capsule Crew Dragon et d’une fusée Falcon.
Cet évènement marquait aussi le premier envoi d’astronaute­s dans l’espace par une compagnie privée, un changement qui pourrait révolution­ner l’avenir de l’exploratio­n spatiale. (© SpaceX)
Photo ci-dessus : Le 30 mai 2020, grâce à l’entreprise américaine SpaceX, les États-Unis signaient le retour des vols habités américains en envoyant deux astronaute­s de la NASA vers l’ISS, à bord d’une capsule Crew Dragon et d’une fusée Falcon. Cet évènement marquait aussi le premier envoi d’astronaute­s dans l’espace par une compagnie privée, un changement qui pourrait révolution­ner l’avenir de l’exploratio­n spatiale. (© SpaceX)
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En 18 ans, Elon Musk, fondateur de SpaceX, a fait de son entreprise un acteur majeur de l’industrie spatiale. En s’associant avec cette entreprise qui symbolise le New Space, la NASA peut profiter d’un programme dont le coût se montre beaucoup moins élevé que si elle l’avait opéré seule. (© NASA/ Aubrey Gemignani)
Photo ci-dessus : En 18 ans, Elon Musk, fondateur de SpaceX, a fait de son entreprise un acteur majeur de l’industrie spatiale. En s’associant avec cette entreprise qui symbolise le New Space, la NASA peut profiter d’un programme dont le coût se montre beaucoup moins élevé que si elle l’avait opéré seule. (© NASA/ Aubrey Gemignani)
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La fusée Falcon 9 de SpaceX pourrait révolution­ner l’industrie spatiale en étant capable de redécoller une centaine de fois. À terme, l’entreprise américaine souhaitera­it pouvoir réutiliser un maximum d’éléments de la fusée, ce qui permettra de réaliser des économies conséquent­es. (© SpaceX)
Photo ci-dessus : La fusée Falcon 9 de SpaceX pourrait révolution­ner l’industrie spatiale en étant capable de redécoller une centaine de fois. À terme, l’entreprise américaine souhaitera­it pouvoir réutiliser un maximum d’éléments de la fusée, ce qui permettra de réaliser des économies conséquent­es. (© SpaceX)
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Prototype d’alunisseur présenté par Jeff Bezos le 9 mai 2020. Quelques mois plus tôt, en octobre 2019, ce dernier recevait pour sa société Blue
Origin le prix d’excellence dans l’industrie de la Fédération internatio­nale d’astronauti­que. À cette occasion, il a également fait une déclaratio­n jugée fracassant­e, en annonçant la mise en place d’un congloméra­t — avec Lockheed Martin, Northrop Grumman et Draper — en vue de répondre à l’appel à projets lancé par la
NASA pour développer un système d’atterrissa­ge habité (HLS) dans le cadre du programme lunaire Artemis. (© Blue Origin)
Photo ci-dessus : Prototype d’alunisseur présenté par Jeff Bezos le 9 mai 2020. Quelques mois plus tôt, en octobre 2019, ce dernier recevait pour sa société Blue Origin le prix d’excellence dans l’industrie de la Fédération internatio­nale d’astronauti­que. À cette occasion, il a également fait une déclaratio­n jugée fracassant­e, en annonçant la mise en place d’un congloméra­t — avec Lockheed Martin, Northrop Grumman et Draper — en vue de répondre à l’appel à projets lancé par la NASA pour développer un système d’atterrissa­ge habité (HLS) dans le cadre du programme lunaire Artemis. (© Blue Origin)
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Photo ci-dessus : Le 31 janvier 2019, Blue Origin, fondé par Jeff Bezos (à gauche), décrochait un nouveau contrat avec le quatrième opérateur mondial de télécommun­ication par satellites, le canadien Telesat. Les lancements de la constellat­ion Telesat LEO devraient être assurés par le futur lanceur lourd de Blue Origin, le New Glenn, qui concurrenc­era Ariane 6 et le Falcon 9 sur les marchés commerciau­x du lancement en orbite basse et en orbite de transfert géostation­naire. Le premier vol serait prévu pour 2021. (© Blue Origin)
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