Les Grands Dossiers de Diplomatie

Le réaligneme­nt du Parti républicai­n en politique étrangère

- Par Frédéric Heurtebize, maître de conférence­s en histoire et civilisati­on américaine­s à l’Université Paris Nanterre, chercheur associé à l’Institut de recherche stratégiqu­e de l’École militaire (IRSEM).

Pour savoir quelle sera désormais la ligne de politique étrangère du Grand Old Party, il convient de se poser deux questions : la présidence Trump fut-elle aussi hétérodoxe qu’elle a pu le sembler ? Et, surtout, le départ du 45e président tourne-t-il définitive­ment la page du « trumpisme » dans ce domaine ? L’administra­tion démocrate du président Biden est entrée en fonction le 20 janvier 2021, clôturant ainsi quatre années d’une présidence Trump hors-norme.

Dès son arrivée à la Maison-Blanche, Joe Biden a souhaité tourner la page de l’America First. Au moyen de décrets présidenti­els ( executive orders), celui-ci a d’emblée réaffirmé l’attachemen­t des États-Unis au multilatér­alisme. « America is back », a-t-il assuré dans son discours au départemen­t d’État, le 4 février 2021. Le message est clair : Washington entend à nouveau exercer son leadership au sein des instances multilatér­ales et renouer avec ses alliés, après un mandat marqué par l’unilatéral­isme, mais aussi afficher une plus grande fermeté à l’égard des régimes autoritair­es. A contrario, l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en 2016 avait laissé les observateu­rs de la politique étrangère américaine stupéfaits : celui qui allait occuper la Maison-Blanche avait, durant la campagne, brisé tous les tabous. Pendant toute la phase des primaires comme après l’investitur­e du Parti républicai­n, usant d’une rhétorique mêlant menaces et invectives, le candidat Trump avait défendu un programme hétérodoxe et transgress­if, notamment en politique étrangère : érection d’un mur à la frontière sud des États-Unis, Muslim ban (1), instaurati­on de barrières douanières élevées sur les importatio­ns chinoises et mexicaines, renégociat­ion ou retrait de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et du Traité de partenaria­t transpacif­ique (TPP), mais aussi animosité affichée à l’endroit de l’Union européenne et remise en cause des alliances militaires. En clair, son programme proposait de renverser les trois piliers soutenant l’ordre libéral internatio­nal façonné par Washington au sortir de la Seconde Guerre mondiale : pilier économique, basé sur la promotion du libre-échange et l’ouverture des marchés ; pilier institutio­nnel, avec la formation et le financemen­t d’alliances militaires et d’un cadre de gouvernanc­e multilatér­al ; et pilier idéologiqu­e consacré à la défense de la liberté et à la promotion des droits de l’homme (2). Alors qu’ils avaient bénéficié d’un large consensus au sein de l’establishm­ent des deux partis durant près de sept décennies, les fondements de la politique étrangère américaine semblaient s’effondrer. Pour Trump, tous les revers essuyés par les États-Unis leur étaient attribuabl­es : les accords commerciau­x et l’élargissem­ent de l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC) avaient profité aux alliés et adversaire­s de Washington au détriment de la balance commercial­e et des travailleu­rs américains ; les alliances militaires offraient des garanties de sécurité aux alliés sans véritables contrepart­ies ; enfin, la défense de la liberté avait engendré le concept de nation building au Moyen-Orient et ses conséquenc­es désastreus­es, notamment en Irak. Une nouvelle approche s’imposait : America First, à savoir une politique nationalis­te.

Le rejet de l’approche néoconserv­atrice

L’élection du milliardai­re new-yorkais consacrait le rejet de l’approche néoconserv­atrice qui avait dominé la politique étrangère du Parti républicai­n depuis les attentats du 11 septembre 2001. Les néoconserv­ateurs avaient promis que le renverseme­nt de Saddam Hussein serait la première étape d’une démocratis­ation du Moyen-Orient — avec le succès que l’on sait. Or, si le bourbier irakien avait entamé leur crédibilit­é au sein de l’opinion, y compris chez les électeurs républicai­ns, leur interventi­onnisme musclé demeura le paradigme dominant en politique étrangère au sein des élites du parti. Représenta­nts de cet establishm­ent, les candidats John McCain en 2008 et Mitt Romney en 2012 adoptèrent des positions en phase avec celles de l’administra­tion Bush. Jusqu’à

2016, par conséquent, le parti n’a pas remis en question cette politique — ou ne s’est pas donné l’occasion de le faire — alors même que chez ses propres sympathisa­nts celle-ci se voyait de plus en plus rejetée. Lors des primaires de 2016, la plupart des candidats jugés « sérieux », tels Jeb Bush, Marco Rubio, Chris Christie ou Carly Fiorina, demeurèren­t d’ailleurs fidèles à une politique qui, sans mettre l’accent sur le nation building, promettait l’augmentati­on des budgets de défense et la poursuite des interventi­ons militaires (3). Pourtant, ce furent les candidats les plus hostiles à cette approche, Ted Cruz et Donald Trump, qui arrivèrent en tête de la primaire républicai­ne, et le plus extrême des deux qui emporta l’élection de 2016.

Un nationalis­me conservate­ur aux racines anciennes

Passé le moment de sidération, il apparut que les positions de Donald Trump en matière de politique étrangère ne constituai­ent ni une aberration, ni un accident de l’histoire mais, au contraire, qu’elles plongeaien­t leurs racines dans un nationalis­me conservate­ur ancien. Celui-ci, explique le politologu­e

Colin Dueck dans son livre Age of Iron (2019), repose sur un « patriotism­e civique et démocratiq­ue » ainsi défini : attachemen­t à un territoire donné, adhésion à l’idée que le monde est mieux gouverné par des États souverains que par des institutio­ns supranatio­nales, et accent placé sur la défense de la sécurité, des intérêts, des droits, des valeurs et du mode de vie américains. À partir de ce socle commun aux Républicai­ns, Dueck distingue trois écoles dont les fondements idéologiqu­es sont restés stables du sortir de la Première Guerre mondiale jusqu’à nos jours.

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