Les Grands Dossiers de Diplomatie
Le réalignement du Parti républicain en politique étrangère
Pour savoir quelle sera désormais la ligne de politique étrangère du Grand Old Party, il convient de se poser deux questions : la présidence Trump fut-elle aussi hétérodoxe qu’elle a pu le sembler ? Et, surtout, le départ du 45e président tourne-t-il définitivement la page du « trumpisme » dans ce domaine ? L’administration démocrate du président Biden est entrée en fonction le 20 janvier 2021, clôturant ainsi quatre années d’une présidence Trump hors-norme.
Dès son arrivée à la Maison-Blanche, Joe Biden a souhaité tourner la page de l’America First. Au moyen de décrets présidentiels ( executive orders), celui-ci a d’emblée réaffirmé l’attachement des États-Unis au multilatéralisme. « America is back », a-t-il assuré dans son discours au département d’État, le 4 février 2021. Le message est clair : Washington entend à nouveau exercer son leadership au sein des instances multilatérales et renouer avec ses alliés, après un mandat marqué par l’unilatéralisme, mais aussi afficher une plus grande fermeté à l’égard des régimes autoritaires. A contrario, l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en 2016 avait laissé les observateurs de la politique étrangère américaine stupéfaits : celui qui allait occuper la Maison-Blanche avait, durant la campagne, brisé tous les tabous. Pendant toute la phase des primaires comme après l’investiture du Parti républicain, usant d’une rhétorique mêlant menaces et invectives, le candidat Trump avait défendu un programme hétérodoxe et transgressif, notamment en politique étrangère : érection d’un mur à la frontière sud des États-Unis, Muslim ban (1), instauration de barrières douanières élevées sur les importations chinoises et mexicaines, renégociation ou retrait de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et du Traité de partenariat transpacifique (TPP), mais aussi animosité affichée à l’endroit de l’Union européenne et remise en cause des alliances militaires. En clair, son programme proposait de renverser les trois piliers soutenant l’ordre libéral international façonné par Washington au sortir de la Seconde Guerre mondiale : pilier économique, basé sur la promotion du libre-échange et l’ouverture des marchés ; pilier institutionnel, avec la formation et le financement d’alliances militaires et d’un cadre de gouvernance multilatéral ; et pilier idéologique consacré à la défense de la liberté et à la promotion des droits de l’homme (2). Alors qu’ils avaient bénéficié d’un large consensus au sein de l’establishment des deux partis durant près de sept décennies, les fondements de la politique étrangère américaine semblaient s’effondrer. Pour Trump, tous les revers essuyés par les États-Unis leur étaient attribuables : les accords commerciaux et l’élargissement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avaient profité aux alliés et adversaires de Washington au détriment de la balance commerciale et des travailleurs américains ; les alliances militaires offraient des garanties de sécurité aux alliés sans véritables contreparties ; enfin, la défense de la liberté avait engendré le concept de nation building au Moyen-Orient et ses conséquences désastreuses, notamment en Irak. Une nouvelle approche s’imposait : America First, à savoir une politique nationaliste.
Le rejet de l’approche néoconservatrice
L’élection du milliardaire new-yorkais consacrait le rejet de l’approche néoconservatrice qui avait dominé la politique étrangère du Parti républicain depuis les attentats du 11 septembre 2001. Les néoconservateurs avaient promis que le renversement de Saddam Hussein serait la première étape d’une démocratisation du Moyen-Orient — avec le succès que l’on sait. Or, si le bourbier irakien avait entamé leur crédibilité au sein de l’opinion, y compris chez les électeurs républicains, leur interventionnisme musclé demeura le paradigme dominant en politique étrangère au sein des élites du parti. Représentants de cet establishment, les candidats John McCain en 2008 et Mitt Romney en 2012 adoptèrent des positions en phase avec celles de l’administration Bush. Jusqu’à
2016, par conséquent, le parti n’a pas remis en question cette politique — ou ne s’est pas donné l’occasion de le faire — alors même que chez ses propres sympathisants celle-ci se voyait de plus en plus rejetée. Lors des primaires de 2016, la plupart des candidats jugés « sérieux », tels Jeb Bush, Marco Rubio, Chris Christie ou Carly Fiorina, demeurèrent d’ailleurs fidèles à une politique qui, sans mettre l’accent sur le nation building, promettait l’augmentation des budgets de défense et la poursuite des interventions militaires (3). Pourtant, ce furent les candidats les plus hostiles à cette approche, Ted Cruz et Donald Trump, qui arrivèrent en tête de la primaire républicaine, et le plus extrême des deux qui emporta l’élection de 2016.
Un nationalisme conservateur aux racines anciennes
Passé le moment de sidération, il apparut que les positions de Donald Trump en matière de politique étrangère ne constituaient ni une aberration, ni un accident de l’histoire mais, au contraire, qu’elles plongeaient leurs racines dans un nationalisme conservateur ancien. Celui-ci, explique le politologue
Colin Dueck dans son livre Age of Iron (2019), repose sur un « patriotisme civique et démocratique » ainsi défini : attachement à un territoire donné, adhésion à l’idée que le monde est mieux gouverné par des États souverains que par des institutions supranationales, et accent placé sur la défense de la sécurité, des intérêts, des droits, des valeurs et du mode de vie américains. À partir de ce socle commun aux Républicains, Dueck distingue trois écoles dont les fondements idéologiques sont restés stables du sortir de la Première Guerre mondiale jusqu’à nos jours.