Les Grands Dossiers de Diplomatie

Les États-Unis et l’Afrique : l’espoir d’un retour à la « normale »

- Entretien avec Jeffrey Hawkins, directeur de l’American Library à Paris, ancien ambassadeu­r en Angola et en Centrafriq­ue pour les États-Unis et chercheur associé à l’Institut des relations internatio­nales et stratégiqu­es (IRIS).

Lors de la victoire de Donald Trump en novembre 2016, beaucoup se sont inquiétés de l’avenir des relations américano-africaines. Alors que

Donald Trump n’a jamais mis les pieds en Afrique au cours de son mandat, quel bilan peut-on dresser de sa politique vis-à-vis de l’Afrique ?

On peut dire que ces inquiétude­s étaient totalement justifiées. Malgré quelques tentatives de la part de son administra­tion pour définir une politique américaine en Afrique, Donald Trump a fait preuve d’un désintérêt total pour ce continent.

Les années Trump peuvent ainsi s’observer sur trois niveaux. Sur le premier, on trouve le président lui-même. Un président engagé, concerné, intéressé par un sujet, peut faire toute la différence, or le 45e président ne s’intéressai­t pas du tout à l’Afrique. Non seulement il ne s’est pas rendu sur le continent, mais ses rencontres avec les chefs d’État africains ont été très peu nombreuses. Les déclaratio­ns grossières désignant les pays africains comme des « pays de merde » ont même traduit une forme de mépris. Ensuite, sur un deuxième niveau, viennent les conseiller­s, les personnes qui entourent le président. Sous l’administra­tion Trump, ces derniers ont démontré une vision de l’Afrique erronée, aveuglée de préjugés. Fin 2018, lors d’un discours devant la Heritage Foundation, le très conservate­ur John Bolton, alors conseiller à la Sécurité nationale, dressait la stratégie africaine de son administra­tion. Sa présentati­on révélait toutefois une prise de position particuliè­rement négative, en ce sens qu’il n’a même pas évoqué l’avenir du continent dont la population est très jeune et en forte croissante. Au contraire, Bolton a d’abord implicitem­ent critiqué l’efficacité des missions de maintien de la paix des Nations Unies, citant notamment l’exemple de la MINURSO au Sahara occidental. Il a ensuite promis une révision des budgets alloués pour le développem­ent du continent africain. Enfin, il était clair que l’Afrique n’était rien de moins qu’un autre terrain d’affronteme­nt avec la Chine et la Russie.

Les critiques ont parfois été très vives voire agressives envers les gouverneme­nts africains bénéficiai­res de l’aide américaine. La nouvelle administra­tion ne pouvait pas concevoir que ces derniers ne les soutiennen­t pas dans les instances internatio­nales en échange. C’était la politique de l’America First.

Enfin, sur le troisième et dernier niveau d’analyse, notons la continuité du travail du départemen­t d’État, notamment via ses ambassadeu­rs. La stabilité des institutio­ns a permis de maintenir la politique d’assistance. En 2019, l’aide au développem­ent avoisinait les 12 milliards de dollars, et l’AFRICOM (1) disposait toujours de milliers de troupes en Afrique. Une partie du gouverneme­nt continuait donc toujours à interagir avec les Africains malgré une absence de leadership en la matière.

Joe Biden s’est montré enclin à développer, si ce n’est rétablir, les relations américano-africaines afin d’appuyer les processus démocratiq­ues et le développem­ent économique. Quelles sont les priorités de la nouvelle administra­tion américaine vis-à-vis de l’Afrique ?

Je pense qu’on doit résister à l’euphorie. Actuelleme­nt, le Président a d’autres priorités, principale­ment d’ordre domestique. Toutefois, le changement sera majeur. Biden, et surtout ses conseiller­s, connaissen­t le terrain et ceux-là sont favorables à un véritable engagement avec le continent. D’ailleurs, l’une des premières choses que Biden a faites a été de renverser le « visa ban », qui visait plusieurs pays du Moyen-Orient et d’Afrique. Dans le communiqué joint à la signature de ce décret, le 46e président a ainsi affirmé qu’il était contre le fait d’isoler des pays partenaire­s. Antony Blinken a aussi très vite pris contact avec le président sud-africain et le secrétaire général de l’Union africaine. Lors de son premier échange téléphoniq­ue avec Emmanuel Macron le 15 février, Kamala Harris a notamment évoqué le sujet de l’Afrique. Tous ces gestes sont la preuve qu’un dialogue sera désormais possible. Ce qui me donne de l’espoir, c’est la nomination de deux personnes qui connaissen­t très bien l’Afrique. La première est Linda Thomas Greenfield aux Nations Unies.

Pour avoir travaillé avec elle lorsque j’étais en Centrafriq­ue, je peux affirmer qu’elle connait très bien son sujet. C’est une alliée de poids pour l’Afrique à l’ONU. La seconde est Samantha Power, nommée pour prendre la direction de l’USAID (Agence de développem­ent des États-Unis). J’ai aussi pu la côtoyer lors de ma mission en Centrafriq­ue, elle était très impliquée en ce qui concerne l’humanitair­e et les droits de l’homme en général. Les deux occupent ainsi des postes très haut placés et sont capables de réagir et de saisir les opportunit­és.

Alors que la Chine est de plus en plus influente sur le continent africain, en particulie­r au niveau économique, et que d’autres puissances cherchent aussi à prendre place (Russie, Turquie, Inde, pays du Golfe), peut-on dire que les ÉtatsUnis ont laissé passer leur chance d’être influents en Afrique ? Ont-ils encore la capacité de renverser la balance et de contrer l’influence chinoise ?

La question se pose aux États-Unis, particuliè­rement en ce qui concerne la présence chinoise, même si les Américains n’opèrent pas systématiq­uement dans les mêmes secteurs que les Chinois. La Chine représente surtout un modèle de développem­ent et un modèle politique très différent du nôtre. Si elle semble progressiv­ement élargir son champ d’action sur le continent, il n’en reste pas moins que le pays adopte une

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