Les Grands Dossiers de Diplomatie
Les enjeux de l’élection américaine pour la cause palestinienne
À l’annonce de la victoire de Joe Biden à la course présidentielle américaine, le compte Twitter de l’ambassade des États-Unis en Israël est brièvement renommé « Ambassade d’Israël, de Gaza et de la Cisjordanie » (1). Ce canular témoigne de l’espoir suscité par le candidat démocrate chez les Palestiniens, durablement éprouvés par l’administration Trump.
Ses premiers pas n’augurent cependant pas de réelles avancées sur ce dossier.
Renouer des relations
Depuis Ramallah, le premier enjeu se situe sur le plan interne, avec l’objectif de détricotage de l’héritage territorial laissé par Donald Trump, compliquant de facto l’exercice d’une souveraineté palestinienne pleine et entière sur le terrain. En dépit de multiples déclarations en faveur d’une solution à deux États, force est de constater que la nouvelle administration est réticente à engager son capital politique pour y parvenir. Lors d’une interview accordée à CNN le 8 février dernier, Anthony Blinken a annoncé ne pas vouloir revenir sur la reconnaissance de la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan et sur Jérusalem, pourtant destinée à accueillir la capitale d’un futur État palestinien. Le secrétaire d’État américain a également évoqué la réouverture de la mission diplomatique palestinienne à Washington fermée en 2018, ainsi que d’un consulat à Jérusalem-Est, précisant toutefois qu’il ne préjugerait pas du futur statut de la ville sainte. Les gestes pris sur la restriction des colonies israéliennes en Cisjordanie, autre grand dossier sur lequel l’administration Trump avait fait une volte-face avec la visite de Mike Pompeo dans la très à droite colonie Psâgot, sont très attendus. Lors de sa campagne électorale de mars 2020, Benyamin Netanyahou avait promis à son électorat d’annexer près de 30 % de la Cisjordanie, avec la bénédiction de la Maison-Blanche. L’annonce au début de l’année 2021 par le Jewish National Fund (2) de relancer l’achat de terres palestiniennes en zone C remet ce dossier sur le devant de la scène. Devant l’occupation de la Cisjordanie, la grammaire politique palestinienne est tentée de se requalifier d’une lutte d’indépendance vers un mouvement des droits civiques contre un apartheid les privant des mêmes droits que les citoyens israéliens, un terme récusé par Israël.
Selon un sondage publié en août 2018 conjointement par le Tami Steinmetz Center for Peace Research et le Palestinian Center for Policy and Survey Research, seulement 43 % des Palestiniens soutenaient encore la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël. Cette réalité traduit davantage un découragement vis-à-vis de la réalité de terrain plutôt qu’un désaveu du projet politique d’une Palestine indépendante.
Une Autorité palestinienne fragilisée à l’international
La Palestine est fragilisée par les accords dits de « normalisation » par lesquels les Émirats arabes unis, le royaume du Bahreïn, le Soudan et le Maroc ont ouvert des liens diplomatiques avec Israël. Ces avancées d’une « diplomatie du deal » autoproclamée ont été obtenues en échange de concessions sur lesquelles Joe Biden pourrait avoir une marge de manoeuvre, dont la vente des bombardiers furtifs F-35 aux Émirats ou encore la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara oriental, bien qu’aucune déclaration en ce sens n’ait été faite à ce jour.
L’initiative de paix arabe décidée en 2002 est au point mort, et les représentants palestiniens ont eu pour objectif principal de « limiter la casse » en conservant les alliances avec l’Arabie saoudite et le Qatar, qui a récemment approuvé le financement d’un gazoduc destiné à alimenter la bande de Gaza. Le calcul de l’administration Trump était de créer un axe contre l’Iran, Israël menant la danse, en droite ligne avec la volonté des États-Unis de se désengager du MoyenOrient via la doctrine « leading from behind » formulée par Barack Obama. Sur cette question, des évolutions sont possibles dans la mesure où Joe Biden a montré sa détermination à relancer les négociations avec l’Iran sur la base du JCPOA, et n’a visiblement pas apprécié les sorties critiques d’Avi Kohavi, le chef d’état-major de Tsahal. Les trois longues semaines attendues par Joe Biden avant d’appeler son allié Benyamin Netanyahou ont été perçues comme une volonté de prendre ses distances avec un proche de Trump, sans pour autant remettre en cause la relation privilégiée qui unit les deux pays. Pour les Palestiniens, le défi est donc de recréer une dynamique géopolitique susceptible de servir la cause palestinienne en perte de vitesse. La Turquie s’est déjà positionnée en ce sens, Erdogan multipliant les déclarations sur le caractère sacré de Jérusalem au service de sa rhétorique néo-ottomane. La visite à Istanbul de deux leaders du Hamas en février a ainsi suscité l’ire des États-Unis. Pour les Palestiniens, il faudra emprunter une ligne de crête afin de ne pas être évincé du jeu politique moyen-oriental et de conserver un solide réseau d’alliances. L’une des options est donc d’inclure de nouveaux acteurs par rapport à un allié américain dont la fiabilité apparait douteuse.
À ce titre, l’insistance de Mohammed Shtayyeh lors de son interview donnée à France 24 sur une approche multilatérale via le quartet (3) et en particulier la Russie, citée à plusieurs reprises, peut constituer un signal faible d’un repositionnement d’alliance.
Cependant, en dehors de propos déclaratoires, une telle politique étrangère apparait aujourd’hui dans l’impasse dans la mesure où peu d’alliés sont susceptibles de conjuguer déclarations pro-palestiniennes et actions substantielles, notamment en termes d’aides financières vitales à une économie sous perfusion. Si l’allié américain est peu fiable, il demeure incontournable. Gregory Meeks, le nouveau président de la commission des Affaires étrangères à la Chambre des représentants, s’est déclaré ainsi favorable à la reprise des aides financières américaines à destination de l’Autorité palestinienne. Si elle n’a pas été nommée, l’UNRWA, l’organisation des Nations Unies en charge des réfugiés palestiniens, est directement concernée tant son existence se trouve fragilisée par les baisses en dotation successives, la dernière en date étant celle des Émirats arabes unis. Sur le plan sanitaire, le récent refus de l’État hébreu de vacciner la population palestinienne, alors que ses stocks de vaccins sont excédentaires, a fait l’objet d’une vive critique par l’aile gauche du parti démocrate, sur laquelle les Palestiniens pourront s’appuyer à l’avenir pour peser sur l’administration Biden.
Perspectives
Ainsi, à l’aube de la présidence Biden, il s’agit pour les représentations palestiniennes de réinventer les moyens de leur lutte afin de la prémunir du désintérêt de la communauté internationale. La stratégie légaliste amorcée en 2011 par Mahmoud Abbas parait porter de timides fruits : la Cour pénale internationale s’est déclarée compétente le 5 février 2021 pour enquêter sur la situation en Palestine suite à son adhésion au traité de Rome en 2015. Cependant, la légitimité même de la Cour a été mise à rude épreuve par la présidence Trump, qui n’avait pas hésité à révoquer le visa de la procureure Fatou Bensouda, lui interdisant par là d’entrer sur le territoire américain, mesure assortie d’une série de sanctions visant plusieurs membres de la Cour pénale internationale. Le porte-parole du Département d’État Ned Price a déclaré « examiner méticuleusement ces sanctions », tout en répétant son « désaccord avec les actions de la CPI par rapport à l’Afghanistan et à la situation entre Israéliens et Palestiniens ». Les États-Unis sont eux-mêmes sous le coup d’une enquête dans le cadre de leur usage de la force en Afghanistan.
Les prochaines échéances électorales en Israël et en Palestine peuvent aboutir à un changement d’acteurs qui pourrait rebattre les cartes. Mis en cause dans plusieurs rapports d’ONG sur son bilan en matière de droits de l’homme, Mahmoud Abbas se trouve acculé à la tenue d’élections prévues en mai, en dépit de la division profonde qui existe entre le Fatah et le Hamas. Une défaite du premier au profit du second entrainerait un bouleversement de l’échiquier politique palestinien. La figure de Marwan Barghouti, qui brigue la présidence de l’Autorité palestinienne, émerge comme possible leader : enfermé dans les geôles israéliennes, son élection aurait la force d’un symbole pouvant remobiliser la communauté internationale.