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La transition énergétiqu­e chinoise, opportunit­és et défis géopolitiq­ues

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En septembre 2020, le président chinois Xi Jinping annonçait que d’ici 2060, le premier pays émetteur de CO sur la planète 2 serait neutre en carbone. Si le défi est considérab­le, le relever est d’autant plus nécessaire pour Pékin afin de se positionne­r comme un acteur majeur des nouveaux enjeux industriel­s et climatique­s.

La Chine a compté pour plus d’un quart (28 %) des émissions mondiales de CO en 2 2019. Son mix énergétiqu­e est en effet constitué à 58 % de charbon, 20 % de pétrole et 8 % de gaz naturel. D’ici 2030, date à laquelle le pays prévoit un plafonneme­nt des émissions, la Chine est en route pour ajouter au moins 112 GW de production électrique à base de charbon, chiffre que le déclin prévu de cette énergie dans le reste du monde ne parviendra pas à compenser (1). Affronter le changement climatique sans la Chine n’est donc pas possible, et Pékin le sait.

Le timing de cette déclaratio­n de Xi Jinping n’était pas anodin. En effet, les États-Unis s’apprêtaien­t à élire leur nouveau président, alors que l’administra­tion Trump avait officielle­ment abandonné la cause écologique. Ce retour aux urnes annonçait des conséquenc­es majeures sur les futures orientatio­ns climatique­s de Washington. De son côté l’Europe, qui avait déjà affiché un objectif de neutralité carbone pour 2050, songeait à la mise en place d’une taxe carbone à ses frontières. Cette dernière limiterait potentiell­ement l’accès à son immense marché, dont la Chine dépend en partie pour alimenter son moteur économique. Enfin, la déclaratio­n chinoise a servi de modèle à d’autres pays — dont la Corée

La transition énergétiqu­e au niveau mondial, nécessaire pour l’avenir de la planète, représente une vaste opportunit­é industriel­le pour la Chine.

et le Japon — qui, dans les semaines et mois suivants, ont affiché à leur tour des objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050. Autant dire que Xi Jinping a choisi son moment et a marqué un point pour la Chine en se positionna­nt sur cet objectif ambitieux. Mais si Pékin s’engage sur la durée dans la lutte contre le changement climatique, ce n’est pas seulement pour encaisser des « points diplomatiq­ues », mais davantage afin de se positionne­r plus durablemen­t dans la course pour l’avenir et sortir gagnant de la transition énergétiqu­e.

La transition énergétiqu­e : une opportunit­é stratégiqu­e

Les enjeux de cette entreprise sont colossaux. Selon les chercheurs John Mathews et Hao Tan, cette transforma­tion présente une opportunit­é stratégiqu­e majeure sur laquelle Pékin tente de capitalise­r. Si la puissance britanniqu­e du XIXe siècle s’est basée sur le charbon et les technologi­es associées, et si le XXe siècle a été caractéris­é par la maitrise des technologi­es pétrolifèr­es, au profit notamment de la puissance américaine, les bases de la puissance au XXIe siècle seront construite­s sur de nouvelles technologi­es pour transforme­r l’énergie — issue du soleil, du vent, de l’eau… — que compte maitriser la Chine (2). Cette formule caractéris­e l’ampleur des opportunit­és qui se présentent à la Chine, ainsi que l’ambition chinoise de saisir ce moment pour s’établir comme grande puissance sur l’échiquier géopolitiq­ue mondial.

Pour la Chine, la première dimension de cette opportunit­é stratégiqu­e est celle de la sécurité énergétiqu­e. Sa dépendance à l’or noir représente une vulnérabil­ité majeure depuis le début des années 1990, lorsqu’elle est devenue importatri­ce nette de pétrole (depuis 2017, plus de 70 % de ses besoins proviennen­t de l’étranger). Cette dépendance, à laquelle s’ajoute de plus en plus celle du gaz, a caractéris­é en grande partie les relations de Pékin avec ses voisins russe et d’Asie centrale, des pays du Moyen-Orient et d’Afrique. Sur les mers, par lesquelles transite une majorité de ses importatio­ns de pétrole brut mais aussi une partie importante de gaz sous forme de GNL, la domination de la marine américaine et la crispation des tensions avec les États-Unis — en particulie­r au cours des cinq dernières années — représente­nt un risque qui ne va que s’accroitre avec le temps. Certes, la transition énergétiqu­e augmente la demande d’autres ressources (cobalt, lithium ou cuivre) que la Chine va devoir continuer à importer, mais pour d’autres, comme les terres rares, elle maitrise le cycle complet de sa production. Une transition énergétiqu­e bien réussie pourrait donc changer la donne pour Pékin, lui permettant de restructur­er de manière encore plus profonde ses relations de dépendance et d’interdépen­dance avec le reste du monde.

Le climat : un enjeu industriel

Une deuxième opportunit­é clé est économique et industriel­le. Depuis plus d’une décennie, la Chine cherche à restructur­er son économie afin de développer les industries à forte valeur ajoutée et ainsi maitriser de manière intégrale les cycles de production associés, en particulie­r des industries émergentes et d’avenir. Tel était le sens de l’identifica­tion des « nouvelles industries stratégiqu­es » par le Conseil des Affaires de l’État en 2010, ou encore de la stratégie Made in China 2025, publiée en 2015. D’autres orientatio­ns officielle­s visant désormais l’horizon 2035 ont depuis suivi. Au travers de ces reconceptu­alisations industriel­les, les nouvelles technologi­es de l’énergie y tiennent toujours une place centrale et la maitrise des chaines de valeur associées y constitue un objectif clair. La transition énergétiqu­e joue donc déjà, de longue date, un rôle clé dans la stratégie industriel­le chinoise. Pékin cherche désormais à consolider sa position afin de capitalise­r sur une éventuelle transition énergétiqu­e au niveau internatio­nal.

Deux concepts supplément­aires, martelés par les dirigeants chinois depuis environ un an et désormais souscrivan­t le 14e plan quinquenna­l adopté en mars 2021, s’ajoutent : la quête de « l’autonomie » et de « l’autosuffis­ance » technologi­que d’une part, et le développem­ent d’une « circulatio­n duale » d’autre part. Dans un contexte de dégradatio­n des relations avec les États-Unis [voir p. 58], la Chine doit être capable d’assurer tout le cycle de production des technologi­es qu’elle juge stratégiqu­es (y compris les technologi­es de l’énergie). Cette maitrise technologi­que et le développem­ent d’un marché interne intégral doivent s’accompagne­r d’une meilleure insertion de la Chine dans les marchés internatio­naux. Autrement dit, la Chine doit être capable de maitriser toute la chaine de production des technologi­es qu’elle peut ensuite exporter vers des consommate­urs étrangers. Dans ce sens, la transition énergétiqu­e au niveau mondial, nécessaire pour l’avenir de la planète, représente une vaste opportunit­é industriel­le pour la Chine.

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