Les Grands Dossiers de Diplomatie

Hong Kong, la fin d’un système

- Éric Sautedé

Depuis deux longues années, Hong Kong vit au rythme d’une tourmente politique qui n’en finit pas de s’aggraver : aux espoirs largement partagés qu’avaient fait naître les revendicat­ions démocratiq­ues issues du mouvement anti-extraditio­n débuté au printemps 2019 — d’abord dans la rue, puis sur les campus et enfin dans les urnes — a fait suite une reprise en main draconienn­e et politiquem­ent mortifère, s’incarnant d’abord par une loi sur la sécurité nationale imposée par Pékin le 30 juin 2020, puis par l’arrestatio­n massive de la plupart des grandes figures du combat pour la démocratie à partir du 6 janvier 2021 et se clôturant par un vaste chamboulem­ent du système électoral, une fois de plus prescrit par Pékin, en mars 2021. Pour une grande majorité des démocrates hongkongai­s et nombre d’observateu­rs étrangers, cette évolution brutale, véritable entreprise de rectificat­ion voulue par les autorités centrales, signe la mort prématurée de la formule « un pays, deux systèmes », censée assurer à Hong Kong un « haut degré d’autonomie » au moins jusqu’en 2047. À tout le moins, elle marque un coup d’arrêt total à ce qui devait être, selon la formule de la loi fondamenta­le de Hong Kong, un « progrès graduel et ordonné » vers des modes de désignatio­n des gouvernant­s conformes « aux procédures démocratiq­ues », voire au suffrage universel pour tous les membres du LegCo, l’assemblée législativ­e locale (1). Comment en est-on arrivé là et pourquoi ?

De Charybde en Scylla

De façon assez opportune, la pandémie de Covid-19, qui démarre à Wuhan, dans le Hubei, en décembre 2019, et apparaît à Hong Kong dès le 23 janvier 2020, va d’abord donner les moyens « pratiques » au gouverneme­nt de Hong Kong de proscrire toutes formes de manifestat­ion de rue, puisque à partir du 27 mars 2020, tout rassemblem­ent de plus de quatre personnes devient interdit avec la mise en place des mesures de distanciat­ion sociale.

Dans le même temps, les manifestat­ions sont devenues plus sporadique­s, d’abord parce qu’avec la victoire écrasante — et sans précédent — d’une nouvelle génération de démocrates, plus jeunes, aux élections locales du 24 novembre 2019, la revendicat­ion démocratiq­ue s’incarne davantage dans le champ institutio­nnel et ensuite parce que la justice s’est rappelée aux manifestan­ts de 2019 : au 17 janvier 2020, et depuis le 9 juin 2019, date de la première grande manifestat­ion antiextrad­ition ayant rassemblé un million de personnes, on compte déjà pas moins de 7019 arrestatio­ns (la grande majorité pour participat­ion à des manifestat­ions non autorisées), dont 40 % d’étudiants, ayant entraîné 547 inculpatio­ns pour « émeute » et 38 condamnati­ons, dont 12 à de la prison (2).

Hormis la grande grève du personnel hospitalie­r début février 2020 réclamant la fermeture intégrale de la frontière avec la Chine, tout mouvement social d’ampleur a en réalité disparu et il est donc difficile d’arguer, comme cela a pu être le cas au moment de l’occupation du campus de l’Université Polytechni­que en novembre

2019, que le désordre règne à Hong Kong, d’autant que la loi sur l’extraditio­n qui avait enflammé les esprits a été définitive­ment abandonnée en septembre 2019. Certes l’administra­tion de Carrie Lam, la cheffe de l’Exécutif nommée par Pékin, ne parvient pas à regagner la confiance populaire et donne l’impression de ne tenir que par le « tout répressif », la défiance — inédite — de la population hongkongai­se à l’égard de sa police n’ayant fait que se renforcer avec les multiples constats d’un usage disproport­ionné de la force — usage massif des tirs de balles en caoutchouc et de grenades lacrymogèn­es — lors des manifestat­ions de 2019. Mais la surprise est totale lorsque Pékin annonce le 22 mai 2020 à l’occasion de la tenue de la réunion plénière de l’Assemblée nationale populaire vouloir adopter dans les plus brefs délais une loi sur la sécurité nationale pour le territoire. Pour Johannes Chan (3), le grand constituti­onaliste de l’Université de Hong Kong, plus que la substance de la loi, encore inconnue, c’est la manière dont les dispositio­ns légales vont s’imposer au territoire qui signent la fin de la formule « un pays, deux systèmes », puisque la décision impérative des autorités centrales abroge en réalité l’article 23 de la Loi fondamenta­le qui voulait que la Région administra­tive spéciale soit seule habilitée à adopter un tel dispositif juridique (« shall enact laws on its own » ).

Une entreprise de rectificat­ion

Une lecture plus attentive des conclusion­s du quatrième plénum du XIXe congrès du Parti communiste chinois réuni à Pékin en octobre 2019 aurait dû permettre de mieux anticiper les desseins des autorités centrales.

Si le respect de « l’ordre constituti­onnel » prescrit par la Constituti­on chinoise et la Loi fondamenta­le de Hong Kong fait figure d’incipit, c’est bien un impératif d’« améliorati­on », entendons rectificat­ion, du système qui prévaut : améliorati­on des mécanismes de l’applicatio­n de l’ordre constituti­onnel dans lequel « les patriotes

doivent jouer le rôle principal » ; améliorati­on du mode de désignatio­n des principaux administra­teurs de Hong Kong par les autorités centrales couplée à une « intensific­ation » des interpréta­tions légales venues de Pékin ; améliorati­on des mécanismes permettant de « sauvegarde­r la sécurité nationale » ; intensific­ation de l’insertion de Hong Kong et Macao dans le développem­ent global du pays, et notamment l’intégratio­n plus effective dans la région de la Grande Baie de Guangdong-Hong Kong-Macao ; et enfin « mieux » éduquer les résidents des deux régions administra­tives spéciales, « en particulie­r les fonctionna­ires et les jeunes », à l’ordre légal et à l’histoire du pays tout entier afin de renforcer leur « conscience nationale et leur patriotism­e » (4).

À cette aune, l’on comprend dès lors mieux les évolutions des douze derniers mois. Imposée sans débat à Hong Kong le 30 juin 2020, la Loi sur la sécurité nationale qui punit sévèrement des crimes au final vaguement définis — sécession, subversion, terrorisme et collusion avec des forces étrangères — va surtout permettre de créer un climat général de « peur » interdisan­t toute contestati­on de l’ordre établi. Elle donne aussi à Pékin et à ses affidés clairement désignés, et seulement à ceuxlà, l’exclusivit­é du discours sur l’ordre institutio­nnel à Hong Kong et l’exercice du pouvoir (5). En somme, cette loi permet de garder les apparences d’un système distinct, tout en interdisan­t toute initiative démocratiq­ue populaire, venue de la rue ou des urnes. Avant même que la loi ne devint effective, Demosistō, le parti politique créé par Joshua Wong et Agnès Chow, aujourd’hui en prison, avait annoncé sa dissolutio­n et le 2 juillet, Nathan Law, le seul député du Parti au LegCo avait fait savoir qu’il avait quitté le territoire, craignant pour sa sécurité personnell­e. L’arrestatio­n massive les 6 et 7 janvier 2021 par le bureau pour la sécurité nationale de la police hongkongai­se des plus grandes figures du combat pour la démocratie à Hong Kong, dont 16 anciens députés et 24 élus des districts locaux, illustre encore davantage l’anéantisse­ment, au-delà des personnes, de revendicat­ions politiques empreintes de valeurs démocratiq­ues. Tous se trouvaient soupçonnés d’avoir fait acte de subversion pour avoir organisé et participé à des élections primaires au sein du camp démocrate — qualifié de « stratagème diabolique » par les pouvoirs publics — lesquelles visaient à obtenir une majorité au LegCo lors d’élections censées se tenir en septembre 2020 et qui n’auront au final lieu qu’en décembre 2021.

Entretemps, les modes de scrutin ont été modifiés, et la partie du LegCo ouverte au suffrage universel réduite à un rôle de figuration, assurant à « des patriotes » plus ou moins directemen­t désignés par Pékin une « victoire » aussi massive que certaine aux prochaines élections (6). Au LegCo, élu initialeme­nt en 2016, ne siègent plus que deux démocrates depuis « la démission en masse » des membres du camp pro-démocratiq­ue en novembre dernier, et le gouverneme­nt peut donc introduire sans véritable débat ni contestati­on des textes de loi essentiell­ement inspirés par le nouvel impératif sécuritair­e — sur l’immigratio­n, sur les prestation­s de serments des fonctionna­ires et des élus, sur les modes de scrutin et la « représenta­tion populaire », etc. La liberté de la presse ne s’est jamais aussi mal portée (7), les liberal studies ont disparu des curricula des écoles, de lourdes peines de prison — inédites par leur sévérité — continuent d’être prononcées contre les « activistes » ayant été reconnus coupables d’avoir incité à participer à des manifestat­ions non autorisées et pourtant pacifiques en 2019, nombre d’organisati­ons civiques abandonnen­t toute revendicat­ion à connotatio­n politique et les grands partis pro-démocrates eux-mêmes, le Democratic Party et le Civic Party, décimés par les arrestatio­ns et les départs en exil, se posent la question de leur pérennité et du sens de leur participat­ion à des élections privées d’un semblant de compétitio­n et de contestati­on.

Fatalisme, résilience et escapisme

Si la situation a bien été dénoncée par les grandes démocratie­s occidental­es, y compris à coups de sanctions visant certains membres du gouverneme­nt de Hong Kong et de Pékin de la part des États-Unis, il faut bien constater que cela a été suivi de peu d’effets. Pékin refuse tout forme de discussion arguant que la question relève exclusivem­ent de l’exercice de sa souveraine­té, en contradict­ion avec le statut de « traité internatio­nal » de la Déclaratio­n commune sino-britanniqu­e de 1984 qui garantit le principe « d’un pays, deux systèmes ». Et les autorités locales, lesquelles ont définitive­ment perdu leur capacité d’initiative, s’enferment dans un déni absolu, faisant aveuglémen­t valoir la nécessité d’un retour à l’ordre (8) présageant supposémen­t de jours meilleurs, pour la santé politique de Hong Kong autant que pour son économie, pourtant toutes deux très fortement éprouvées et qui continuent de l’être (9). Pour leur part, les Hongkongai­s, dans leur grande majorité, demeurent défiants (10), sans véritablem­ent pouvoir exprimer leur mécontente­ment, et quand ils en ont les moyens envisagent la voie de l’exil, pour eux-mêmes et pour leurs enfants, et cela de façon chaque jour plus pressante alors que certains pays, dont l’Angleterre et le Canada en particulie­r, ont adopté des procédures facilitant cette émigration.

Notes

(1) https://www.basiclaw.gov.hk/en/basiclaw/chapter4.html (2) https://www.hongkongwa­tch.org/protest-prosecutio­n. Au 31 janvier 2021, le nombre d’arrestatio­ns cumulées s’élève à 10 094 et le nombre d’inculpatio­ns à 2300. (3) https://hongkongfp.com/2020/05/22/this-is-the-end-of-hong-kong-reactions-pour-in-as-beijingpro­poses(4) http://www.china.org.cn/china/2019-11/05/content_75376452_10.htm (5) https://www.law.georgetown.edu/law-asia/wp-content/uploads/sites/31/2021/02/GT-HK-ReportAcce­ssible.pdf (6) https://npcobserve­r.com/2021/03/31/legislatio­n-analysis-npc-standing-committee-approves-overhaul(7) https://www.hkja.org.hk/en/press-freedom-index/hong-kong-press-freedom-index-for-journalist­shits(8) https://www.news.gov.hk/eng/2020/12/20201203/20201203_184110_658.html (9) https://asia.nikkei.com/Opinion/Hong-Kong-s-pain-is-Shenzhen-s-gain (10) https://www.pori.hk/?lang=en

 ??  ?? Par Éric Sautedé, chercheur associé au Centre d’étude français sur la Chine contempora­ine (CEFC) de Hong Kong.
Par Éric Sautedé, chercheur associé au Centre d’étude français sur la Chine contempora­ine (CEFC) de Hong Kong.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France