Les Grands Dossiers de Diplomatie
À l’ère de la Covid-19, l’affirmation de la diplomatie chinoise des « loups guerriers »
Ces dernières années, la Chine s’est mise à développer une communication agressive, via notamment les réseaux sociaux, pour défendre haut et fort le discours officiel. Qu’est-ce qui a poussé Pékin à développer cette diplomatie du « loup guerrier », qui s’est accentuée suite à la pandémie de Covid-19, et quels sont les bénéfices ou les risques pour la Chine ?
La diplomatie américaine d’aujourd’hui s’est abaissée à l’intimidation, aux mensonges et aux sanctions. Il est arrogant et absurde pour un pays dont l’histoire remonte à moins de 250 ans de croire qu’il peut changer un grand pays dont la civilisation politique a plus de 4000 ans. » (1) C’est en ces termes que s’exprimait la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Hua Chunying dans une publication Twitter datant de septembre 2020. Ce tweet reflète le style de la rhétorique désormais fréquemment adoptée par les diplomates chinois dans leurs prises de parole, en particulier vis-à-vis des États-Unis.
La diplomatie du « loup guerrier »
Depuis le début de la pandémie en 2020, la rivalité entre Pékin et Washington s’est intensifiée [voir p. 58], accentuant une tendance amorcée depuis l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump. À la compétition technologique et commerciale que se livrent les deux puissances s’est ajoutée une « guerre des mots » d’une acuité inédite, et beaucoup ont vu dans cette escalade verbale le signe d’une véritable métamorphose de la diplomatie chinoise, qui semble être passée à l’offensive. Cette ligne plus « combative » a très vite été qualifiée de diplomatie du « loup guerrier », un terme tiré du titre d’un blockbuster
nationaliste chinois sorti en 2017, Wolf Warrior 2 [voir p. 14]. Il fait référence au style de communication délibérément agressif adopté par certains diplomates en réponse aux critiques adressées à la Chine, et à leur vigoureuse promotion du discours officiel sans considération pour les frictions provoquées. Le qualificatif de « loup guerrier » semble pourtant déplaire à Pékin. Lors d’une visioconférence datant de juin 2020, Lu Shaye, ambassadeur de Chine en France, assurait ainsi qu’il était une « étiquette collée par les autres », en ajoutant néanmoins que « face aux attaques malveillantes, la Chine réagit bien sûr pour défendre son honneur et sa dignité » (2). Cette ligne rhétorique est fréquemment employée par Pékin pour justifier l’agressivité de sa communication diplomatique, qui se positionne comme une diplomatie défensive, qui ne ferait que riposter face à d’injustes accusations.
Si les sorties acerbes et les publications Twitter au vitriol des « loups guerriers » accaparent l’attention des médias internationaux depuis un an environ, ce phénomène ne date pas du début de la pandémie. L’apparition de cette diplomatie plus musclée est à replacer dans un projet d’affirmation de puissance élaboré par la Chine au cours des dix dernières années. En effet, forte de ses capacités économiques, technologiques et militaires accrues, la Chine de Xi Jinping cherche à développer une diplomatie à la mesure de la superpuissance qu’elle aspire à devenir. Appuyant un activisme diplomatique plus soutenu que ses prédécesseurs, Xi Jinping s’est distancié de la doctrine du « profil bas » préconisée par Deng Xiaoping. La diplomatie chinoise s’est désormais engagée dans une voie placée sous les auspices du « grand renouveau de la nation chinoise » ( zhonghua minzu weida fuxing), projet national dont Xi Jinping s’est fait le porte-étendard et qui vise à restaurer la Chine dans le rôle de grande puissance qui lui reviendrait de droit. Xi confirme ce choix d’une diplomatie « offensive », lorsqu’il recommande aux cadres du Parti lors d’un discours à l’École centrale du Parti en septembre 2019 de renforcer leur « esprit combattant », notamment dans le « travail diplomatique », pour « combattre les forces du mal » (3).
Les déclarations agressives sont ainsi devenues de plus en plus fréquentes ces dernières années. En 2018, l’ambassadeur en Suède Gui Congyou s’expose aux remontrances de la ministre suédoise des Affaires étrangères lorsqu’il déclare, dans le contexte de l’affaire Gui Minhai, que la Suède était un « boxeur poids plume » qui « chercherait la bagarre » avec un « boxeur poids lourd » (4). Pékin et Stockholm sont alors en proie à de fortes tensions diplomatiques au sujet de ce libraire et éditeur naturalisé suédois condamné à dix ans de prison en Chine après avoir été accusé de « fournir illégalement des informations à l’étranger » (5). L’ambassadeur de Chine en Suède n’est pas le seul à faire preuve de virulence dès cette époque. La rhétorique martiale qui s’est aujourd’hui banalisée dans la diplomatie chinoise était déjà observable, notamment sur des sujets dont la Chine considérait qu’ils relevaient de ses « intérêts fondamentaux », à l’instar de la question taïwanaise. En 2017, par exemple, Li Kexin, un diplomate chinois en poste à Washington, affirmait que « le jour où un navire de la marine américaine arrive à Kaohsiung est le jour où l’Armée populaire de libération unifie Taïwan par la force militaire » (6).
Ce renforcement du caractère combatif de la diplomatie chinoise sous Xi Jinping s’accompagne d’un mouvement plus large d’expansion de la communication extérieure, notamment au travers des médias d’État à l’étranger. La Chine s’est progressivement dotée d’un arsenal médiatique tentaculaire qui doit lui permettre, en conjonction avec sa diplomatie, d’affirmer son discours officiel hors de ses frontières et de remodeler l’espace international de l’information à son avantage. La Chine estime en effet que la portée et l’influence de son discours ne sont pas aujourd’hui à la mesure de son statut de puissance : un complexe qu’elle attribue à son déficit de ce que l’on pourrait traduire par « droit de parole international » ou « pouvoir discursif international » ( guoji huayu quan). Il constitue le fil rouge du développement par Pékin de ses capacités de communication extérieures, où médias officiels et diplomates jouent le rôle de mégaphones du discours officiel chinois.
La pandémie a néanmoins été un catalyseur, rendant plus fréquentes et ostentatoires les manifestations des diplomates « loups guerriers ». En effet, la Chine a été assaillie de toutes parts dès le début de la crise sanitaire par des critiques, la communauté internationale mettant à l’index la lenteur de sa réponse ou encore le manque de transparence ou de fiabilité des informations communiquées. Craignant de perdre le contrôle de son image, et de dégrader encore son crédit international, la Chine a cherché à reprendre le contrôle du narratif qui s’est construit autour de sa gestion de la crise [voir p. 96]. Les diplomates chinois se sont employés à réfuter les critiques
Forte de ses capacités économiques, technologiques et militaires accrues, la Chine de Xi Jinping cherche à développer une diplomatie à la mesure de la superpuissance qu’elle aspire à devenir.
dont Pékin fait l’objet, parfois au moyen de menaces, d’invectives, ou encore de désinformation. Zhao Lijian, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, s’est notamment illustré en suggérant via son compte Twitter que l’armée américaine aurait apporté le virus sur le territoire chinois à l’occasion de sa participation aux Jeux mondiaux militaires à Wuhan en octobre 2019. Une partie du réseau diplomatique chinois a alors repris et amplifié ce message visant à instiller le doute quant à l’origine du virus.
Maîtriser l’image internationale de la Chine
Mais la nouvelle diplomatie chinoise ne repose pas uniquement sur l’attaque des détracteurs de Pékin : il s’agit aussi pour les autorités de façonner une image positive de leurs actions. Dans la pratique, la Chine a joué de la « diplomatie du masque » comme elle use désormais de la « diplomatie du vaccin ». À partir de la fin février 2020, la Chine a rapidement misé sur la fourniture d’assistance médicale à l’étranger pour se façonner une image de puissance bienveillante, grâce à sa position dominante dans la production d’équipements médicaux.
Ces efforts se sont doublés d’une médiatisation frénétique de ces envois, composés de dons et de ventes, grâce à une machine informationnelle bien huilée et tournant à plein régime. Cette communication hyperactive s’est largement appuyée sur son réseau de diplomates, qui, notamment à travers leurs comptes Twitter ou des articles publiés dans des quotidiens locaux, se sont employés à présenter la Chine comme la bienfaitrice de la communauté internationale — en insistant sur le contraste que présentait une administration Trump inefficace et repliée sur elle-même. La médiatisation quotidienne de cette assistance médicale s’est accompagnée de démonstrations de gratitude parfois hyperboliques dans les pays destinataires, comme dans le cas de la Serbie où le président Aleksandar Vucic a embrassé le drapeau chinois lors de la réception de matériel.
Car la maîtrise du narratif est essentielle aux yeux des autorités chinoises : il en va à la fois de la stabilité politique et sociale du régime en interne et de la crédibilité de son image de puissance responsable et inébranlable à l’extérieur. La ligne narrative officielle vise à présenter les efforts déployés par la Chine sous un jour triomphal, affirmant qu’ils ont permis à la communauté internationale de gagner un temps précieux pour se préparer à la crise. Ce succès autoproclamé se veut la preuve de la supériorité du modèle chinois. Lors d’un discours en octobre 2020, Xi Jinping affirme que les « réussites stratégiques majeures dans la lutte contre la Covid-19 » démontrent « les avantages notables du leadership du PCC et du système socialiste du pays » (7).
Ce discours triomphant vise directement les démocraties occidentales et leur gestion de la crise sanitaire. Alors que la vie à Wuhan semble avoir repris son cours et que Pékin est la seule grande puissance économique à avoir enregistré une croissance positive en 2020, les difficultés rencontrées par les ÉtatsUnis et d’autres démocraties occidentales durant la pandémie sont un des arguments que la Chine met en avant pour vanter les mérites de son système autoritaire. Elle le fait parfois sur un mode narquois, ainsi que l’illustre une série de tweets du compte de l’ambassade de Chine en France : « Certaines personnes, dans le fond, sont très admiratives des succès de la gouvernance chinoise. Ils envient l’efficacité de notre système politique et haïssent l’incapacité de leur propre pays à faire aussi bien ! » (8).
Soucieuse de maîtriser l’image qu’elle projette, la Chine s’emploie à marteler l’efficacité de son modèle politique. Toutefois, le triomphalisme affiché par la diplomatie chinoise est loin de convaincre l’ensemble de la communauté internationale. Le bilan de la diplomatie du masque est médiocre, celle-ci étant perçue dans de nombreux pays comme une campagne de propagande peu subtile. D’autre part, la communication nationaliste et agressive des diplomates chinois durant la crise pandémique n’a pas eu les résultats escomptés, apparaissant contre-productive et ne servant qu’à braquer contre Pékin les publics étrangers.
La pandémie semble ainsi avoir constitué un point de basculement. L’activisme de la diplomatie chinoise face au défi posé par la crise sanitaire a visé à minimiser le rôle joué par la Chine dans la propagation du virus, et à promouvoir, de manière souvent agressive, une version des faits où Pékin joue le rôle de grande puissance responsable. Pékin a cherché à profiter de cette crise pour promouvoir une reconfiguration de la hiérarchie discursive au sein de l’ordre international à son avantage, sans grand succès.
Soucieuse de maîtriser l’image qu’elle projette, la Chine s’emploie à marteler l’efficacité de son modèle politique. Toutefois, le triomphalisme affiché par la diplomatie chinoise est loin de convaincre l’ensemble de la communauté internationale.
Quelles perspectives pour la diplomatie chinoise post-Covid ?
Malgré son caractère plutôt contreproductif, cette nouvelle diplomatie ne semble pas prête à s’infléchir. Des sujets ont émergé dans l’année écoulée qui ont suscité des réactions courroucées de la part des diplomates chinois. Contribuant à détériorer davantage l’image internationale de Pékin, les révélations sur le traitement de la minorité ouïghoure au Xinjiang ou encore la dégradation de la situation politique à Hong Kong sont un contrepoint délétère à l’image bienveillante que les autorités chinoises cherchent à diffuser. Ces sujets, devenus des enjeux internationaux largement relayés auprès des publics étrangers, ont constitué le cheval de bataille de nombreux diplomates « loups guerriers » au cours des derniers mois. Sur Twitter, les comptes diplomatiques s’emploient à lutter, de manière parfois erratique, contre les « allégations de “génocide” et de “travail forcé” au Xinjiang » qui sont les « mensonges du siècle », selon une publication de Zhao Lijian [porteparole du ministère chinois des Affaires étrangères] (9).
Enfin, l’approche d’échéances hautement symboliques comme le centenaire du PCC en juillet 2021 ou encore le XXe Congrès du PCC à l’automne 2022 rendent difficilement envisageable un infléchissement de la diplomatie chinoise. En effet, la légitimité politique de Xi Jinping — et plus largement celle du PCC — repose en partie sur sa capacité à tenir tête aux critiques et à défendre haut et fort les intérêts nationaux. Exalter la victoire de la Chine dans sa guerre contre l’épidémie et continuer à tenir tête à une Amérique dont la nouvelle administration semble disposée à maintenir une ligne dure vis-à-vis de Pékin, sont deux défis qui vont peser dans l’approche diplomatique de la Chine à court et moyen terme.
Les développements qui surviennent au printemps 2021 illustrent la crispation des relations entre la Chine et les pays occidentaux. En mars 2021, le sommet d’Anchorage en Alaska, qui a réuni le secrétaire d’État et le conseiller à la sécurité nationale américains d’un côté et les deux plus hauts diplomates chinois, Yang Jiechi et Wang Yi de l’autre, a donné lieu à des échanges exceptionnellement tendus. Les déclarations particulièrement acerbes des deux hauts responsables chinois ont mis en lumière toute l’animosité qui teinte actuellement les relations sino-américaines. Mais l’escalade des tensions ne se limite pas aux relations de Pékin et Washington. Elle semble aujourd’hui prendre une dimension proprement occidentale, comme l’illustrent la décision de l’Union européenne, le 22 mars 2021, de sanctionner quatre dirigeants chinois pour leur rôle dans la politique de répression de la minorité ouïghoure mise en oeuvre par la Chine dans le Xinjiang, et l’adoption de mesures similaires par le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada. La réplique de Pékin, qui a surenchéri avec des sanctions visant entre autres quatre organisations et dix personnalités européennes, reflète sa volonté de riposter coup pour coup et de ne pas céder un pouce de terrain face aux pays occidentaux. À la lumière de ces évènements, la perspective d’un assouplissement de la posture chinoise semble peu probable. Bien plutôt, ils confirment la nette dégradation des relations entre Pékin et l’Occident, et la tendance au raidissement de la diplomatie chinoise post-Covid-19.
L’approche d’échéances hautement symboliques comme le centenaire du PCC en juillet 2021 ou encore le XXe Congrès du PCC à l’automne 2022 rendent difficilement envisageable un infléchissement de la diplomatie chinoise.