Les Grands Dossiers de Diplomatie
La diplomatie chinoise de l’Union européenne sur la corde raide
Pour les relations Chine-Union européenne, l’année 2021 avait commencé en fanfare avec la signature, dans les dernières heures de la présidence allemande du Conseil européen, d’un Accord global sur les investissements (AGI). Pourtant, cet accord est aujourd’hui suspendu par l’UE suite aux sanctions chinoises à l’encontre de responsables européens. Quels augures pour les relations à venir entre l’Europe et la Chine ?
Emmenée par la chancelière Angela Merkel, la Commission européenne considérait, après sept années de discussions UE-Chine, qu’elle avait obtenu tout ce qu’elle pouvait, des engagements ayant été pris in extremis par Pékin eu égard aux normes de l’Organisation internationale du Travail, et en matière de développement durable et de lutte contre le changement climatique. La Chine — avec l’implication personnelle du président Xi Jinping, qui avait inscrit en 2020 la relation avec l’Europe comme l’une des priorités de sa politique étrangère — était prête à faire quelques concessions. Et surtout, c’était la dernière chance pour Angela Merkel
— après douze voyages en Chine depuis 2005 — de trouver un accord avec Pékin avant de se retirer de la scène politique. Le moment choisi pour l’annonce de l’AGI, trois semaines avant l’investiture du président Joe Biden — engagé dans une nouvelle approche consistant à réunir les alliés démocratiques des États-Unis pour dialoguer avec la Chine (1) — a vite fait froncer des sourcils à Washington, d’autant plus que le conseiller à la Sécurité nationale désigné, Jake Sullivan, avait tweeté le 21 décembre (2) que la nouvelle administration serait « heureuse de tenir des consultations rapides avec ses partenaires européens sur nos préoccupations communes concernant les pra
tiques économiques de la Chine ». Bien qu’elle n’ait pas été en mesure d’échanger de manière officielle avec l’Union européenne ou les gouvernements européens avant d’entrer en fonction, l’équipe Biden semblait clairement désireuse de s’engager avec eux sur les pratiques déloyales de la Chine telles que les subventions d’État (3), les transferts forcés de technologies, et l’absence de réciprocité dans l’accès aux marchés. Pourquoi l’Union européenne, qui prétend avoir des préoccupations similaires et qui avait critiqué l’approche unilatérale de l’administration Trump à cet égard, a-t-elle préféré faire cavalier seul ? Il semble que Mme Merkel ait à l’origine opté en faveur d’un accord économique, tout en maintenant la pression sur la Chine dans d’autres aspects de la relation, à l’image des sanctions imposées à l’encontre de plusieurs cadres chinois responsables de la répression dans la région autonome du Xinjiang contre la minorité ouïghoure. À ces sanctions, Pékin a répliqué en sanctionnant de nombreuses personnalités européennes, parmi lesquelles : des députés qui se sont déjà prononcés contre l’accord, l’ensemble des ambassadeurs au COPS (Comité politique et de sécurité de l’UE), ainsi qu’une assez longue liste de chercheurs et instituts de recherche. Au lieu de surenchérir sur le même registre, Bruxelles a finalement suspendu le processus de ratification de l’AGI « en raison des sanctions imposées contre plusieurs membres importants du Parlement européen ». Le 4 mai, le vice-président de la Commission en charge des questions économiques Valdis Dombrovskis expliquait d’ailleurs que les efforts de ses services pour faire ratifier l’accord sur les investissements avaient été « suspendus » : « Dans la situation actuelle (...), l’environnement n’est pas propice à la ratification » du texte. « Les prochaines étapes de la ratification de l’accord dépendront de l’évolution de la situation », avait-il ajouté, jugeant « regrettables » les sanctions chinoises.
Retour sur l’accord
La Commission s’était félicitée fin décembre d’avoir obtenu de la part de la Chine « des ouvertures et des engagements dans l’accès aux nouveaux marchés », dont la cruciale élimination des exigences de co-entreprise dans des secteurs tels que ceux de l’industrie (automobile, chimie, santé), des services financiers et d’assurance, des hôpitaux privés, des ressources biologiques, du transport aérien, de l’immobilier et des services environnementaux (et même des services Cloud, qui devaient être ouverts aux investisseurs européens « sous réserve d’un plafond de 50 % de capitaux propres »). Un an après la signature, par l’administration Trump, de la « Phase 1 » de l’accord commercial sinoaméricain — qui avait ouvert certains secteurs à des entreprises américaines —, l’UE s’est ainsi sentie obligée de faire en sorte que les entreprises européennes ne soient pas laissées pour compte.
À la demande de la France, la Commission européenne avait également veillé à ce que le développement durable soit inclus dans l’accord. Pour la direction chinoise, le changement climatique est une préoccupation réelle et Xi Jinping s’est engagé à ce que la Chine — premier émetteur de gaz à effet de serre au monde — atteigne la neutralité carbone d’ici à 2060 [voir p. 30]. Il faut néanmoins ajouter que les engagements pris lors de l’Accord de Paris sur le climat de 2015 n’ont pas été tenus par Pékin : la production de charbon en Chine était ainsi bien plus importante en 2019-2020 qu’elle ne l’était avant l’accord.
L’AGI qui entendait répondre aux demandes des entreprises allemandes
L’AGI répondait aussi aux demandes des entreprises européennes déjà installées en Chine et qui voyaient depuis plusieurs années leur marge de manoeuvre se réduire, au moment où de nombreux champions industriels chinois voyaient le jour. Depuis 2016, ces entreprises se plaignent aussi du décalage de plus en plus évident en matière d’accès au marché. Bien que les IDE de l’Union européenne en Chine soient restés légèrement au-dessus des IDE chinois dans l’UE (140 milliards d’euros contre 120 milliards d’euros sur les vingt dernières années), les industriels européens ont souvent constaté qu’en Chine, ils ne pouvaient lutter à armes égales contre les champions nationaux chinois — particulièrement les entreprises d’État. En 2016, le niveau des IDE chinois dans l’UE avait atteint un record de 37,2 milliards, dont des fusions et des acquisitions et des investissements en installations nouvelles.
Mais, alors que la Chine était devenue le second plus grand investisseur mondial en 2016, les IDE européens en Chine stagnaient en raison de la hausse des restrictions sur le marché domestique et d’une concurrence locale de plus en plus forte, encouragée par l’État. La Chambre de commerce de l’UE en Chine soulignait à juste titre des « règles restrictives disproportionnées » dans l’accès aux mar
Bien que les IDE de l’Union européenne en Chine soient restés légèrement audessus des IDE chinois dans l’UE), les industriels européens ont souvent constaté qu’en Chine, ils ne pouvaient lutter à armes égales contre les champions nationaux chinois — particulièrement les entreprises d’État.
chés. L’AGI tentait d’apporter des réponses à ces questions, Bruxelles estimant que la Chine ne s’était jamais engagée aussi clairement avec un ensemble d’États.
Cependant, même avant le « gel » des négociations, de nombreuses questions se posaient côté européen. Comment la Chine exécuterait-elle sa part de l’accord, en particulier en ce qui concerne les normes de l’Organisation internationale du Travail, qu’elle avait promis de respecter, sans donner de date claire sur la ratification des conventions concernées ? Il semble très peu probable que Pékin signe les conventions de l’OIT avant la ratification de l’AGI, désormais suspendue. Contrairement au Vietnam lorsqu’il avait négocié son accord commercial avec l’UE en 2019, la Chine n’a pas donné son accord pour ratifier la Convention sur le droit d’organisation et de négociation collective de l’OIT.
Dans la dernière ligne droite des négociations, Pékin s’était engagée à un meilleur accès aux marchés pour les investisseurs européens et a publié une liste d’industries dans lesquelles l’investissement étranger serait autorisé si l’investisseur remplit « certaines conditions ». Dans les annexes de l’accord publié par la Commission européenne, l’UE aborde également les secteurs où les entités étrangères ne peuvent pas investir. Mais Pékin a aussi promulgué, le 1er décembre 2020, des réglementations pour l’examen des investissement étrangers, avec de nouveaux obstacles pour les sociétés (notamment le préinvestissement obligatoire et l’élargissement du cadre d’application de la réglementation). En outre, le 9 janvier 2021, le ministre chinois du Commerce a publié un ordre visant à empêcher « l’application extraterritoriale injustifiée de la législation étrangère » dans le cadre d’éventuelles sanctions internationales qui pourraient cibler des entreprises chinoises à l’avenir.
Le tournant de 2019
Les leaders européens, dont la chancelière Merkel et le président Emmanuel Macron, ont défendu l’idée selon laquelle l’investissement ne revêt que l’un des nombreux aspects de la relation avec la Chine. En janvier 2021, à Davos, Merkel se disait « très satisfaite » de l’AGI, alors que son homologue français jugeait au même moment une alliance de l’Occident contre la Chine « contre-productive ».
Pourtant, en mars 2019, l’UE avait donné une nouvelle dimension à la relation avec la Chine en déclarant qu’elle « était non seulement un partenaire mais aussi un concurrent économique et un rival systémique ». Cette formule a été abondamment rappelée par les responsables européens dans les semaines suivant la signature de l’AGI, la directrice de la Direction du commerce de la Commission Sabine Weyand elle-même insistant sur le fait que l’UE, « allait s’efforcer de relever les défis systémiques soulevés par la Chine ».
L’Allemagne a certes tiré avantage de ses interactions économiques profondes avec la Chine mieux que n’importe quel pays européen sur les trente dernières années. Mais à Berlin, le débat est loin d’être uniforme. Selon les critiques, l’AGI s’attaque aux problèmes des vieilles industries comme celle de l’automobile, mais pas à la menace, plus large, posée par la détermination de la Chine à vouloir accéder aux industries de haute-technologie sur tous les marchés mondiaux tout en restreignant sévèrement l’accès à son marché aux industries étrangères. Les fabricants de télécommunication ont ainsi vu leurs parts de marché se réduire drastiquement au cours des trois dernières décennies, alors que Huawei et ZTE ont prospéré en Europe et ont encore une chance de s’emparer de quelques parts du marché de la 5G en Allemagne et dans plusieurs autres pays.
À Berlin, les opposants politiques de Merkel ont exprimé de sérieux doutes quant à son approche. Quelques jours après la conclusion de l’AGI, Nils Schmid, porte-parole pour les Affaires étrangères du Parti Social-Démocrate (SPD) a déclaré que l’Allemagne avait besoin « d’une véritable politique étrangère pour la Chine » et de « découpler sa politique étrangère des intérêts commerciaux des grandes entreprises ». Le parti Alliance 90/Les Verts est devenu l’une des voix les plus critiques à Berlin mais aussi au Parlement européen, où son député Reinhard Bütikofer (4) préside la délégation pour les relations avec la Chine. Ce dernier a d’ailleurs déploré ce qu’il appelle le « langage excessivement faible qui ne promet rien vraiment » de l’AGI. Bütikofer avait également prédit que le Parlement bloquerait l’accord.
Les autres éléments de la « boite à outils » vis-à-vis de la Chine
Le gouvernement chinois a rappelé à plusieurs reprises que 2020 marquait les 45 ans de relations diplomatiques avec l’UE. Pour cette raison (et pour contrer la nouvelle administration américaine), il était important de remporter un succès à la fin d’une année au cours de laquelle les critiques européennes à l’égard de la Chine s’étaient intensifiées — que ce soit sur les origines de la Covid-19, les violations des droits de l’homme ou les arrestations répétées de militants démocrates à Hong Kong. Début janvier, une semaine seulement après la conclusion de l’accord, 53 fonctionnaires et activistes pro-démocratie étaient arrêtés à Hong Kong sur des accusations en vertu de la controversée loi sur la Sécurité nationale, et donc dans la violation complète du principe « un pays, deux systèmes », destiné à gouverner la région administrative spéciale jusqu’en 2049 [voir p. 44]. Le 28 février, 47 autres personnalités pro-démocratie étaient poursuivies pour « conspiration en vue de commettre un acte de subversion » en participant à une élection primaire démocratique informelle. L’UE a émis une condamnation diplomatique mais n’a pas encore imposé de sanctions aux responsables hongkongais.
L’image dégradée de la Chine en Europe
Selon une enquête menée par un réseau de think tanks européens auprès de treize pays européens concernés, dix d’entre eux dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont vu leur perception de la Chine se détériorer au cours de l’année 2020. Il ne fait aucun doute que la tentative de Pékin de tirer parti de la détérioration de la situation de la santé publique en Europe au cours des premiers mois de la pandémie de coronavirus, par le biais de la « diplomatie des masques » et d’autres actions, n’a pas fait du bien à sa réputation.
L’image de la Chine s’est en particulier ternie en Europe centrale et orientale, où les pays ont été déçus par le manque d’opportunités offertes par l’engagement avec la Chine et par les investissements chinois très limités. Dans la région, les membres de l’UE ont bénéficié d’une coordination et d’une assistance appropriées de la part de Bruxelles pendant la pandémie. À l’inverse, il est difficile de connaître les efforts d’assistance portés par la Chine, à l’exception de la Hongrie, qui est devenue en février le premier membre de l’UE à acquérir le vaccin Sinopharm fabriqué en Chine (5). Le 10 février, six dirigeants de pays d’Europe centrale et des États baltes ont fait le choix de ne pas participer au sommet virtuel du groupe 17+1, un format mis en place par la Chine pour interagir directement avec la région (voir encadré).
Alors que le fossé entre les démocraties européennes et un régime chinois de plus en plus autoritaire semble se creuser, le commerce et les investissements constituent désormais les principaux domaines de coopération. En effet, outre l’AGI, la seule réalisation récente avait été la signature en 2020 de l’accord UE-Chine sur les indications géographiques protégées, qui visait initialement 200 marques européennes et chinoises.
Au niveau sociétal, pandémie oblige, les contacts se sont réduits. En Europe, les ONG et certains hommes politiques européens dénoncent régulièrement les violations des droits de l’homme en Chine. Il existe une volonté — clairement exprimée par une majorité de membres du Parlement européen — de faire pression sur la Chine en ce qui concerne les questions de Hong Kong et du Xinjiang. En février, les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont décidé d’aller de l’avant avec de nouvelles mesures pour répondre au renforcement du contrôle de la Chine sur Hong Kong. Ces mesures comprennent la sensibilisation des groupes de la société civile sur place et la coordination avec des partenaires internationaux partageant les mêmes idées. Pendant ce temps, certaines fédérations d’entreprises s’inquiètent des acquisitions chinoises de technologies européennes ou voient diminuer leurs chances de rester un acteur significatif sur le marché de la consommation chinois.
« Nous ne serons jamais en mesure d’atteindre les normes exigées par les défenseurs des droits de l’homme » est une
Selon les critiques, l’AGI s’attaque aux problèmes des vieilles industries comme celle de l’automobile, mais pas à la menace, plus large, posée par la détermination de la Chine à vouloir accéder aux industries de haute-technologie sur tous les marchés mondiaux tout en restreignant sévèrement l’accès à son marché aux industries étrangères.
phrase souvent entendue dans certains cercles officiels européens. Au contraire, l’AGI a été proposé comme un élément de la boîte à outils de l’UE permettant de faire face aux risques économiques liés au capitalisme d’État chinois. Cela inclut le mécanisme de filtrage des investissements de l’UE qui est opérationnel depuis octobre dernier, le texte sur les subventions étrangères dans le marché unique publié en mai, et une série de mesures d’information et de restriction sur la 5G annoncée en janvier dernier. Ces actions sont des réponses aux défis provenant principalement de la Chine. Elles apparaissent comme des mesures défensives, mais ne devraient pas empêcher l’UE de défendre ses valeurs de libre marché et ses principes d’innovation, comme l’ont souligné Bruxelles et les principaux États membres. En outre, les responsables politiques des différentes capitales européennes sont soucieux de trouver un équilibre entre les intérêts et les valeurs. Européens et Américains rappellent régulièrement leurs liens et leurs intérêts communs, notamment face à la montée en puissance chinoise. L’UE n’avait-elle pas publié, juste après l’élection présidentielle de novembre dernier, un « programme transatlantique UE-États-Unis pour le changement mondial » ? Si ce programme ne mentionnait pas nommément la Chine, il faisait en revanche référence aux valeurs, aux liens historiques et aux objectifs communs de l›UE et des États-Unis. En mars, Jake Sullivan insistait sur le fait que les États-Unis étaient engagés dans des « consultations approfondies » avec l’Europe sur les préoccupations communes concernant la Chine.
Quelles perspectives d’avenir pour la relation UE-États-Unis-Chine ?
Face à un régime chinois de plus en plus affirmé dans un contexte post-pandémie complexe, le partenariat transatlantique devient d’autant plus essentiel. Contrairement aux États-Unis, l’UE ne dispose pas d’un pouvoir dur ( hard power) capable de rivaliser avec une Chine qui étend son influence stratégique dans le Pacifique et dans d’autres régions. Sa puissance douce ( soft power) est pertinente, mais insuffisante. Ce que l’UE peut faire valoir, c’est la défense de ses valeurs démocratiques libérales et de l’État de droit, en plus de son marché de consommateurs fort de 450 millions de personnes. C’est peut-être ce que l’UE a le moins bien réussi à négocier en signant l’AGI, lequel aurait pu faire partie d’un accord multilatéral avec la Chine. Même si l’accord n’est finalement pas ratifié par le Parlement européen, Pékin aura bénéficié d’un moment symbolique.
Après quatre années dévastatrices pour la relation transatlantique, qui ont aidé la Chine à consolider son pouvoir et son influence dans de nombreuses régions du monde, les dirigeants européens et américains sont de nouveau sur la voie d’une coopération accrue. Ils ont fait allusion à la montée en puissance de la Chine lors de leurs rencontres avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken. La grande majorité des États membres semblent disposés à s’engager avec les États-Unis sur les questions liées à la Chine, notamment en ce qui concerne la technologie, la connectivité, les droits de l’homme, la réforme multilatérale et la liberté de navigation dans la mer de Chine méridionale et orientale.
Enfin, les responsables politiques européens pourraient bientôt être confrontés à de grands débats publics sur la montée en puissance de la Chine. Cela a commencé avec l’AGI, sans aucun doute, et devrait se poursuivre à travers les campagnes électorales, en Allemagne en 2021, mais aussi lors des élections présidentielles et législatives françaises en 2022. À l’image de Merkel, Macron, qui se représentera probablement l’année prochaine, a défendu la poursuite du dialogue avec la Chine par opposition à un « découplage » à la Trump. Néanmoins, il devra faire face à une opinion publique de plus en plus sceptique à l’égard de la Chine, ainsi qu’à des ONG, des journalistes, des universitaires et des politiciens qui ont accumulé des griefs à l’égard du comportement de la Chine. Les dirigeants, en particulier à Berlin, pourraient apprendre à leurs dépens que l’UE, sous la présidence allemande du Conseil européen l’année dernière, a donné la priorité à ses intérêts plutôt qu’à ses valeurs.
À l’image des États-Unis, les dirigeants européens veulent désormais mener de front la carotte et le bâton vis-à-vis de la Chine. La suspension de l’AGI reflète des tensions importantes dans les capitales européennes qui jusqu’ici défendaient en majorité la séparation entre les sujets économiques et diplomatiques. L’administration de Joe Biden, si elle utilise un langage moins agressif que celui d’un Donald Trump, n’en poursuit pas moins sa politique musclée — appréciée de l’électorat américain — à l›égard de la Chine. Lors de leur rencontre avec les deux principaux responsables des affaires étrangères chinois Yang Jiechi et Wang Yi, en Alaska, MM. Blinken et Sullivan ont abordé tous les sujets qui fâchent : différends territoriaux, droits de l’homme, déséquilibres économiques. Même si les dirigeants européens n’ont pas la même approche, le résultat est de plus en plus similaire.
Pour Pékin, qui grâce à l’AGI pouvait se réjouir d’une victoire diplomatique symbolique à quelques semaines de l’entrée en fonction du nouveau président américain, pas question de céder. Alors que le Parti communiste célèbre son centième anniversaire [voir p. 8] et qu’il s’apprête à couronner Xi Jinping lors du XXe Congrès à l’automne 2022 avec un troisième mandat, pas question de céder d’un pouce sur le bras de fer avec les Occidentaux. Même si l’AGI ne voit jamais le jour.