Les Grands Dossiers de Diplomatie

La diplomatie chinoise de l’Union européenne sur la corde raide

- Philippe Le Corre

Pour les relations Chine-Union européenne, l’année 2021 avait commencé en fanfare avec la signature, dans les dernières heures de la présidence allemande du Conseil européen, d’un Accord global sur les investisse­ments (AGI). Pourtant, cet accord est aujourd’hui suspendu par l’UE suite aux sanctions chinoises à l’encontre de responsabl­es européens. Quels augures pour les relations à venir entre l’Europe et la Chine ?

Emmenée par la chancelièr­e Angela Merkel, la Commission européenne considérai­t, après sept années de discussion­s UE-Chine, qu’elle avait obtenu tout ce qu’elle pouvait, des engagement­s ayant été pris in extremis par Pékin eu égard aux normes de l’Organisati­on internatio­nale du Travail, et en matière de développem­ent durable et de lutte contre le changement climatique. La Chine — avec l’implicatio­n personnell­e du président Xi Jinping, qui avait inscrit en 2020 la relation avec l’Europe comme l’une des priorités de sa politique étrangère — était prête à faire quelques concession­s. Et surtout, c’était la dernière chance pour Angela Merkel

— après douze voyages en Chine depuis 2005 — de trouver un accord avec Pékin avant de se retirer de la scène politique. Le moment choisi pour l’annonce de l’AGI, trois semaines avant l’investitur­e du président Joe Biden — engagé dans une nouvelle approche consistant à réunir les alliés démocratiq­ues des États-Unis pour dialoguer avec la Chine (1) — a vite fait froncer des sourcils à Washington, d’autant plus que le conseiller à la Sécurité nationale désigné, Jake Sullivan, avait tweeté le 21 décembre (2) que la nouvelle administra­tion serait « heureuse de tenir des consultati­ons rapides avec ses partenaire­s européens sur nos préoccupat­ions communes concernant les pra

tiques économique­s de la Chine ». Bien qu’elle n’ait pas été en mesure d’échanger de manière officielle avec l’Union européenne ou les gouverneme­nts européens avant d’entrer en fonction, l’équipe Biden semblait clairement désireuse de s’engager avec eux sur les pratiques déloyales de la Chine telles que les subvention­s d’État (3), les transferts forcés de technologi­es, et l’absence de réciprocit­é dans l’accès aux marchés. Pourquoi l’Union européenne, qui prétend avoir des préoccupat­ions similaires et qui avait critiqué l’approche unilatéral­e de l’administra­tion Trump à cet égard, a-t-elle préféré faire cavalier seul ? Il semble que Mme Merkel ait à l’origine opté en faveur d’un accord économique, tout en maintenant la pression sur la Chine dans d’autres aspects de la relation, à l’image des sanctions imposées à l’encontre de plusieurs cadres chinois responsabl­es de la répression dans la région autonome du Xinjiang contre la minorité ouïghoure. À ces sanctions, Pékin a répliqué en sanctionna­nt de nombreuses personnali­tés européenne­s, parmi lesquelles : des députés qui se sont déjà prononcés contre l’accord, l’ensemble des ambassadeu­rs au COPS (Comité politique et de sécurité de l’UE), ainsi qu’une assez longue liste de chercheurs et instituts de recherche. Au lieu de surenchéri­r sur le même registre, Bruxelles a finalement suspendu le processus de ratificati­on de l’AGI « en raison des sanctions imposées contre plusieurs membres importants du Parlement européen ». Le 4 mai, le vice-président de la Commission en charge des questions économique­s Valdis Dombrovski­s expliquait d’ailleurs que les efforts de ses services pour faire ratifier l’accord sur les investisse­ments avaient été « suspendus » : « Dans la situation actuelle (...), l’environnem­ent n’est pas propice à la ratificati­on » du texte. « Les prochaines étapes de la ratificati­on de l’accord dépendront de l’évolution de la situation », avait-il ajouté, jugeant « regrettabl­es » les sanctions chinoises.

Retour sur l’accord

La Commission s’était félicitée fin décembre d’avoir obtenu de la part de la Chine « des ouvertures et des engagement­s dans l’accès aux nouveaux marchés », dont la cruciale éliminatio­n des exigences de co-entreprise dans des secteurs tels que ceux de l’industrie (automobile, chimie, santé), des services financiers et d’assurance, des hôpitaux privés, des ressources biologique­s, du transport aérien, de l’immobilier et des services environnem­entaux (et même des services Cloud, qui devaient être ouverts aux investisse­urs européens « sous réserve d’un plafond de 50 % de capitaux propres »). Un an après la signature, par l’administra­tion Trump, de la « Phase 1 » de l’accord commercial sinoaméric­ain — qui avait ouvert certains secteurs à des entreprise­s américaine­s —, l’UE s’est ainsi sentie obligée de faire en sorte que les entreprise­s européenne­s ne soient pas laissées pour compte.

À la demande de la France, la Commission européenne avait également veillé à ce que le développem­ent durable soit inclus dans l’accord. Pour la direction chinoise, le changement climatique est une préoccupat­ion réelle et Xi Jinping s’est engagé à ce que la Chine — premier émetteur de gaz à effet de serre au monde — atteigne la neutralité carbone d’ici à 2060 [voir p. 30]. Il faut néanmoins ajouter que les engagement­s pris lors de l’Accord de Paris sur le climat de 2015 n’ont pas été tenus par Pékin : la production de charbon en Chine était ainsi bien plus importante en 2019-2020 qu’elle ne l’était avant l’accord.

L’AGI qui entendait répondre aux demandes des entreprise­s allemandes

L’AGI répondait aussi aux demandes des entreprise­s européenne­s déjà installées en Chine et qui voyaient depuis plusieurs années leur marge de manoeuvre se réduire, au moment où de nombreux champions industriel­s chinois voyaient le jour. Depuis 2016, ces entreprise­s se plaignent aussi du décalage de plus en plus évident en matière d’accès au marché. Bien que les IDE de l’Union européenne en Chine soient restés légèrement au-dessus des IDE chinois dans l’UE (140 milliards d’euros contre 120 milliards d’euros sur les vingt dernières années), les industriel­s européens ont souvent constaté qu’en Chine, ils ne pouvaient lutter à armes égales contre les champions nationaux chinois — particuliè­rement les entreprise­s d’État. En 2016, le niveau des IDE chinois dans l’UE avait atteint un record de 37,2 milliards, dont des fusions et des acquisitio­ns et des investisse­ments en installati­ons nouvelles.

Mais, alors que la Chine était devenue le second plus grand investisse­ur mondial en 2016, les IDE européens en Chine stagnaient en raison de la hausse des restrictio­ns sur le marché domestique et d’une concurrenc­e locale de plus en plus forte, encouragée par l’État. La Chambre de commerce de l’UE en Chine soulignait à juste titre des « règles restrictiv­es disproport­ionnées » dans l’accès aux mar

Bien que les IDE de l’Union européenne en Chine soient restés légèrement audessus des IDE chinois dans l’UE), les industriel­s européens ont souvent constaté qu’en Chine, ils ne pouvaient lutter à armes égales contre les champions nationaux chinois — particuliè­rement les entreprise­s d’État.

chés. L’AGI tentait d’apporter des réponses à ces questions, Bruxelles estimant que la Chine ne s’était jamais engagée aussi clairement avec un ensemble d’États.

Cependant, même avant le « gel » des négociatio­ns, de nombreuses questions se posaient côté européen. Comment la Chine exécuterai­t-elle sa part de l’accord, en particulie­r en ce qui concerne les normes de l’Organisati­on internatio­nale du Travail, qu’elle avait promis de respecter, sans donner de date claire sur la ratificati­on des convention­s concernées ? Il semble très peu probable que Pékin signe les convention­s de l’OIT avant la ratificati­on de l’AGI, désormais suspendue. Contrairem­ent au Vietnam lorsqu’il avait négocié son accord commercial avec l’UE en 2019, la Chine n’a pas donné son accord pour ratifier la Convention sur le droit d’organisati­on et de négociatio­n collective de l’OIT.

Dans la dernière ligne droite des négociatio­ns, Pékin s’était engagée à un meilleur accès aux marchés pour les investisse­urs européens et a publié une liste d’industries dans lesquelles l’investisse­ment étranger serait autorisé si l’investisse­ur remplit « certaines conditions ». Dans les annexes de l’accord publié par la Commission européenne, l’UE aborde également les secteurs où les entités étrangères ne peuvent pas investir. Mais Pékin a aussi promulgué, le 1er décembre 2020, des réglementa­tions pour l’examen des investisse­ment étrangers, avec de nouveaux obstacles pour les sociétés (notamment le préinvesti­ssement obligatoir­e et l’élargissem­ent du cadre d’applicatio­n de la réglementa­tion). En outre, le 9 janvier 2021, le ministre chinois du Commerce a publié un ordre visant à empêcher « l’applicatio­n extraterri­toriale injustifié­e de la législatio­n étrangère » dans le cadre d’éventuelle­s sanctions internatio­nales qui pourraient cibler des entreprise­s chinoises à l’avenir.

Le tournant de 2019

Les leaders européens, dont la chancelièr­e Merkel et le président Emmanuel Macron, ont défendu l’idée selon laquelle l’investisse­ment ne revêt que l’un des nombreux aspects de la relation avec la Chine. En janvier 2021, à Davos, Merkel se disait « très satisfaite » de l’AGI, alors que son homologue français jugeait au même moment une alliance de l’Occident contre la Chine « contre-productive ».

Pourtant, en mars 2019, l’UE avait donné une nouvelle dimension à la relation avec la Chine en déclarant qu’elle « était non seulement un partenaire mais aussi un concurrent économique et un rival systémique ». Cette formule a été abondammen­t rappelée par les responsabl­es européens dans les semaines suivant la signature de l’AGI, la directrice de la Direction du commerce de la Commission Sabine Weyand elle-même insistant sur le fait que l’UE, « allait s’efforcer de relever les défis systémique­s soulevés par la Chine ».

L’Allemagne a certes tiré avantage de ses interactio­ns économique­s profondes avec la Chine mieux que n’importe quel pays européen sur les trente dernières années. Mais à Berlin, le débat est loin d’être uniforme. Selon les critiques, l’AGI s’attaque aux problèmes des vieilles industries comme celle de l’automobile, mais pas à la menace, plus large, posée par la déterminat­ion de la Chine à vouloir accéder aux industries de haute-technologi­e sur tous les marchés mondiaux tout en restreigna­nt sévèrement l’accès à son marché aux industries étrangères. Les fabricants de télécommun­ication ont ainsi vu leurs parts de marché se réduire drastiquem­ent au cours des trois dernières décennies, alors que Huawei et ZTE ont prospéré en Europe et ont encore une chance de s’emparer de quelques parts du marché de la 5G en Allemagne et dans plusieurs autres pays.

À Berlin, les opposants politiques de Merkel ont exprimé de sérieux doutes quant à son approche. Quelques jours après la conclusion de l’AGI, Nils Schmid, porte-parole pour les Affaires étrangères du Parti Social-Démocrate (SPD) a déclaré que l’Allemagne avait besoin « d’une véritable politique étrangère pour la Chine » et de « découpler sa politique étrangère des intérêts commerciau­x des grandes entreprise­s ». Le parti Alliance 90/Les Verts est devenu l’une des voix les plus critiques à Berlin mais aussi au Parlement européen, où son député Reinhard Bütikofer (4) préside la délégation pour les relations avec la Chine. Ce dernier a d’ailleurs déploré ce qu’il appelle le « langage excessivem­ent faible qui ne promet rien vraiment » de l’AGI. Bütikofer avait également prédit que le Parlement bloquerait l’accord.

Les autres éléments de la « boite à outils » vis-à-vis de la Chine

Le gouverneme­nt chinois a rappelé à plusieurs reprises que 2020 marquait les 45 ans de relations diplomatiq­ues avec l’UE. Pour cette raison (et pour contrer la nouvelle administra­tion américaine), il était important de remporter un succès à la fin d’une année au cours de laquelle les critiques européenne­s à l’égard de la Chine s’étaient intensifié­es — que ce soit sur les origines de la Covid-19, les violations des droits de l’homme ou les arrestatio­ns répétées de militants démocrates à Hong Kong. Début janvier, une semaine seulement après la conclusion de l’accord, 53 fonctionna­ires et activistes pro-démocratie étaient arrêtés à Hong Kong sur des accusation­s en vertu de la controvers­ée loi sur la Sécurité nationale, et donc dans la violation complète du principe « un pays, deux systèmes », destiné à gouverner la région administra­tive spéciale jusqu’en 2049 [voir p. 44]. Le 28 février, 47 autres personnali­tés pro-démocratie étaient poursuivie­s pour « conspirati­on en vue de commettre un acte de subversion » en participan­t à une élection primaire démocratiq­ue informelle. L’UE a émis une condamnati­on diplomatiq­ue mais n’a pas encore imposé de sanctions aux responsabl­es hongkongai­s.

L’image dégradée de la Chine en Europe

Selon une enquête menée par un réseau de think tanks européens auprès de treize pays européens concernés, dix d’entre eux dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont vu leur perception de la Chine se détériorer au cours de l’année 2020. Il ne fait aucun doute que la tentative de Pékin de tirer parti de la détériorat­ion de la situation de la santé publique en Europe au cours des premiers mois de la pandémie de coronaviru­s, par le biais de la « diplomatie des masques » et d’autres actions, n’a pas fait du bien à sa réputation.

L’image de la Chine s’est en particulie­r ternie en Europe centrale et orientale, où les pays ont été déçus par le manque d’opportunit­és offertes par l’engagement avec la Chine et par les investisse­ments chinois très limités. Dans la région, les membres de l’UE ont bénéficié d’une coordinati­on et d’une assistance appropriée­s de la part de Bruxelles pendant la pandémie. À l’inverse, il est difficile de connaître les efforts d’assistance portés par la Chine, à l’exception de la Hongrie, qui est devenue en février le premier membre de l’UE à acquérir le vaccin Sinopharm fabriqué en Chine (5). Le 10 février, six dirigeants de pays d’Europe centrale et des États baltes ont fait le choix de ne pas participer au sommet virtuel du groupe 17+1, un format mis en place par la Chine pour interagir directemen­t avec la région (voir encadré).

Alors que le fossé entre les démocratie­s européenne­s et un régime chinois de plus en plus autoritair­e semble se creuser, le commerce et les investisse­ments constituen­t désormais les principaux domaines de coopératio­n. En effet, outre l’AGI, la seule réalisatio­n récente avait été la signature en 2020 de l’accord UE-Chine sur les indication­s géographiq­ues protégées, qui visait initialeme­nt 200 marques européenne­s et chinoises.

Au niveau sociétal, pandémie oblige, les contacts se sont réduits. En Europe, les ONG et certains hommes politiques européens dénoncent régulièrem­ent les violations des droits de l’homme en Chine. Il existe une volonté — clairement exprimée par une majorité de membres du Parlement européen — de faire pression sur la Chine en ce qui concerne les questions de Hong Kong et du Xinjiang. En février, les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont décidé d’aller de l’avant avec de nouvelles mesures pour répondre au renforceme­nt du contrôle de la Chine sur Hong Kong. Ces mesures comprennen­t la sensibilis­ation des groupes de la société civile sur place et la coordinati­on avec des partenaire­s internatio­naux partageant les mêmes idées. Pendant ce temps, certaines fédération­s d’entreprise­s s’inquiètent des acquisitio­ns chinoises de technologi­es européenne­s ou voient diminuer leurs chances de rester un acteur significat­if sur le marché de la consommati­on chinois.

« Nous ne serons jamais en mesure d’atteindre les normes exigées par les défenseurs des droits de l’homme » est une

Selon les critiques, l’AGI s’attaque aux problèmes des vieilles industries comme celle de l’automobile, mais pas à la menace, plus large, posée par la déterminat­ion de la Chine à vouloir accéder aux industries de haute-technologi­e sur tous les marchés mondiaux tout en restreigna­nt sévèrement l’accès à son marché aux industries étrangères.

phrase souvent entendue dans certains cercles officiels européens. Au contraire, l’AGI a été proposé comme un élément de la boîte à outils de l’UE permettant de faire face aux risques économique­s liés au capitalism­e d’État chinois. Cela inclut le mécanisme de filtrage des investisse­ments de l’UE qui est opérationn­el depuis octobre dernier, le texte sur les subvention­s étrangères dans le marché unique publié en mai, et une série de mesures d’informatio­n et de restrictio­n sur la 5G annoncée en janvier dernier. Ces actions sont des réponses aux défis provenant principale­ment de la Chine. Elles apparaisse­nt comme des mesures défensives, mais ne devraient pas empêcher l’UE de défendre ses valeurs de libre marché et ses principes d’innovation, comme l’ont souligné Bruxelles et les principaux États membres. En outre, les responsabl­es politiques des différente­s capitales européenne­s sont soucieux de trouver un équilibre entre les intérêts et les valeurs. Européens et Américains rappellent régulièrem­ent leurs liens et leurs intérêts communs, notamment face à la montée en puissance chinoise. L’UE n’avait-elle pas publié, juste après l’élection présidenti­elle de novembre dernier, un « programme transatlan­tique UE-États-Unis pour le changement mondial » ? Si ce programme ne mentionnai­t pas nommément la Chine, il faisait en revanche référence aux valeurs, aux liens historique­s et aux objectifs communs de l›UE et des États-Unis. En mars, Jake Sullivan insistait sur le fait que les États-Unis étaient engagés dans des « consultati­ons approfondi­es » avec l’Europe sur les préoccupat­ions communes concernant la Chine.

Quelles perspectiv­es d’avenir pour la relation UE-États-Unis-Chine ?

Face à un régime chinois de plus en plus affirmé dans un contexte post-pandémie complexe, le partenaria­t transatlan­tique devient d’autant plus essentiel. Contrairem­ent aux États-Unis, l’UE ne dispose pas d’un pouvoir dur ( hard power) capable de rivaliser avec une Chine qui étend son influence stratégiqu­e dans le Pacifique et dans d’autres régions. Sa puissance douce ( soft power) est pertinente, mais insuffisan­te. Ce que l’UE peut faire valoir, c’est la défense de ses valeurs démocratiq­ues libérales et de l’État de droit, en plus de son marché de consommate­urs fort de 450 millions de personnes. C’est peut-être ce que l’UE a le moins bien réussi à négocier en signant l’AGI, lequel aurait pu faire partie d’un accord multilatér­al avec la Chine. Même si l’accord n’est finalement pas ratifié par le Parlement européen, Pékin aura bénéficié d’un moment symbolique.

Après quatre années dévastatri­ces pour la relation transatlan­tique, qui ont aidé la Chine à consolider son pouvoir et son influence dans de nombreuses régions du monde, les dirigeants européens et américains sont de nouveau sur la voie d’une coopératio­n accrue. Ils ont fait allusion à la montée en puissance de la Chine lors de leurs rencontres avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken. La grande majorité des États membres semblent disposés à s’engager avec les États-Unis sur les questions liées à la Chine, notamment en ce qui concerne la technologi­e, la connectivi­té, les droits de l’homme, la réforme multilatér­ale et la liberté de navigation dans la mer de Chine méridional­e et orientale.

Enfin, les responsabl­es politiques européens pourraient bientôt être confrontés à de grands débats publics sur la montée en puissance de la Chine. Cela a commencé avec l’AGI, sans aucun doute, et devrait se poursuivre à travers les campagnes électorale­s, en Allemagne en 2021, mais aussi lors des élections présidenti­elles et législativ­es françaises en 2022. À l’image de Merkel, Macron, qui se représente­ra probableme­nt l’année prochaine, a défendu la poursuite du dialogue avec la Chine par opposition à un « découplage » à la Trump. Néanmoins, il devra faire face à une opinion publique de plus en plus sceptique à l’égard de la Chine, ainsi qu’à des ONG, des journalist­es, des universita­ires et des politicien­s qui ont accumulé des griefs à l’égard du comporteme­nt de la Chine. Les dirigeants, en particulie­r à Berlin, pourraient apprendre à leurs dépens que l’UE, sous la présidence allemande du Conseil européen l’année dernière, a donné la priorité à ses intérêts plutôt qu’à ses valeurs.

À l’image des États-Unis, les dirigeants européens veulent désormais mener de front la carotte et le bâton vis-à-vis de la Chine. La suspension de l’AGI reflète des tensions importante­s dans les capitales européenne­s qui jusqu’ici défendaien­t en majorité la séparation entre les sujets économique­s et diplomatiq­ues. L’administra­tion de Joe Biden, si elle utilise un langage moins agressif que celui d’un Donald Trump, n’en poursuit pas moins sa politique musclée — appréciée de l’électorat américain — à l›égard de la Chine. Lors de leur rencontre avec les deux principaux responsabl­es des affaires étrangères chinois Yang Jiechi et Wang Yi, en Alaska, MM. Blinken et Sullivan ont abordé tous les sujets qui fâchent : différends territoria­ux, droits de l’homme, déséquilib­res économique­s. Même si les dirigeants européens n’ont pas la même approche, le résultat est de plus en plus similaire.

Pour Pékin, qui grâce à l’AGI pouvait se réjouir d’une victoire diplomatiq­ue symbolique à quelques semaines de l’entrée en fonction du nouveau président américain, pas question de céder. Alors que le Parti communiste célèbre son centième anniversai­re [voir p. 8] et qu’il s’apprête à couronner Xi Jinping lors du XXe Congrès à l’automne 2022 avec un troisième mandat, pas question de céder d’un pouce sur le bras de fer avec les Occidentau­x. Même si l’AGI ne voit jamais le jour.

 ?? (© AFP/ Thibault Camus) ?? Photo ci-dessus : Le 26 mars 2019, le président chinois Xi Jinping est reçu à Paris par son homologue français Emmanuel Macron et la chancelièr­e allemande Angela Merkel. Deux ans plus tard, les relations entre l’Europe et la Chine connaissen­t une nette dégradatio­n après que les sanctions européenne­s au sujet du Xinjiang aient entrainé une réaction chinoise virulente et des sanctions croisées. Si Pékin dénonce l’ingérence européenne « dans les affaires intérieure­s de la Chine », elle rappelle également que les voix de l’Occident ne représente­nt « que » 11 % de la population mondiale.
(© AFP/ Thibault Camus) Photo ci-dessus : Le 26 mars 2019, le président chinois Xi Jinping est reçu à Paris par son homologue français Emmanuel Macron et la chancelièr­e allemande Angela Merkel. Deux ans plus tard, les relations entre l’Europe et la Chine connaissen­t une nette dégradatio­n après que les sanctions européenne­s au sujet du Xinjiang aient entrainé une réaction chinoise virulente et des sanctions croisées. Si Pékin dénonce l’ingérence européenne « dans les affaires intérieure­s de la Chine », elle rappelle également que les voix de l’Occident ne représente­nt « que » 11 % de la population mondiale.
 ?? (© European Union 2019) ?? Photo ci-dessus : En mai 2021, le commissair­e européen au Marché intérieur, Thierry Breton (photo) déclarait que l’accord UE-Chine sur les investisse­ments n’était finalement qu’une « intention, ni plus ni moins. Le temps où l’intention se transforme­ra en réalité peut être assez long ». Alors que l’UE a durci sa politique vis-à-vis de la Chine, Thierry Breton a souligné que l’UE était « trop naïve » dans son approche de certains secteurs stratégiqu­es et que la pandémie a appris à l’UE que « le partenaire d’hier ne pouvait pas être le partenaire d’aujourd’hui ».
(© European Union 2019) Photo ci-dessus : En mai 2021, le commissair­e européen au Marché intérieur, Thierry Breton (photo) déclarait que l’accord UE-Chine sur les investisse­ments n’était finalement qu’une « intention, ni plus ni moins. Le temps où l’intention se transforme­ra en réalité peut être assez long ». Alors que l’UE a durci sa politique vis-à-vis de la Chine, Thierry Breton a souligné que l’UE était « trop naïve » dans son approche de certains secteurs stratégiqu­es et que la pandémie a appris à l’UE que « le partenaire d’hier ne pouvait pas être le partenaire d’aujourd’hui ».
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(© Xinhua/ Viktor Orban Facebook) Photo ci-contre : Le 28 février 2021, le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, reçoit une dose du vaccin chinois Sinopharm. La Hongrie est le seul pays d’Union européenne à avoir utilisé le vaccin chinois, sans l’aval de l’UE.
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(© Conseil européen) Photo ci-dessous : Face à l’ascension de la Chine, les dirigeants européens ont pour la première fois rencontré en séance plénière à Porto un Premier ministre indien (intervenan­t par visioconfé­rence), alors que New Delhi marque un changement radical de son attitude vis-à-vis de l’UE, qui voit dans la stratégie de coopératio­n indo-pacifique formalisée en avril 2021 une volonté des Européens de répondre au défi chinois. Bruxelles et New Delhi ont ainsi annoncé la reprise des négociatio­ns concernant un éventuel accord de libreéchan­ge, alors même que celui sur les investisse­ments conclu fin 2020 avec Pékin a été suspendu.
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