Les Grands Dossiers de Diplomatie
Maîtriser le récit : l’enjeu de la guerre informationnelle chinoise
Le terme de guerre hybride semble être apparu au début des années 2000. Pouvez-vous en rappeler les contours et les marqueurs principaux ? Quels en sont les acteurs ?
P. Charon : La notion de « guerre hybride » (il ne s’agit pas à proprement parler d’un « concept ») s’est imposée dans le débat stratégique — l’OTAN comme l’UE l’ont adoptée — mais demeure critiquée par le monde académique en raison de son caractère peu heuristique. Nombre de chercheurs estiment en effet que les guerres ont toujours comporté une dimension hybride, le phénomène ne serait pas nouveau et la notion par conséquent peu utile. En forgeant cette expression, James Mattis et Frank Hoffmann entendaient saisir l’émergence de nouvelles menaces et acteurs qui combineraient des moyens de guerre conventionnels et d’autres moyens irréguliers, tels que le terrorisme ou la guérilla. Mais depuis sa conception, la notion de « guerre hybride » a connu des aménagements et semble insister désormais sur trois caractéristiques : l’ambiguïté — qui tient à l’incertitude sur la réalité et la nature de l’attaque, les acteurs jouant alors sur le déni plausible —, l’asymétrie et le brouillage de la dichotomie classique entre la guerre et la paix par la mise en oeuvre d’opérations en zone grise demeurant sous le seuil de la guerre. Cette notion est assurément imprécise mais présente l’intérêt de souligner la recrudescence de ce type d’activités depuis une vingtaine d’années.
Cette notion est essentiellement employée par les puissances occidentales pour qualifier les stratégies russes et, depuis peu, chinoises, plus rarement celles d’autres États. Il s’agit donc d’une notion éminemment politique qui vise aussi à stigmatiser un adversaire. Dans le cas de la Chine, il faut toutefois préciser que, pour ce que nous en savons, la « guerre hybride » n’est pas une expression utilisée par l’Armée populaire de libération (APL) ou les services de renseignement chinois. Pour analyser les opérations d’influence ou la lutte informationnelle mises en oeuvre par le Parti communiste chinois (PCC), il est donc préférable de partir des concepts forgés par celui-ci. C’est dans sa langue en somme qu’il faut le comprendre. Le concept le plus proche de l’idée de « guerre hybride » est sans doute la doctrine des « Trois guerres » ( san zhong zhanfa) élaborée en 2003 par l’APL.
À quoi correspond ce modèle chinois des « Trois guerres » ? Il faut avant tout comprendre la place de l’armée dans le système chinois. Celle-ci n’est pas une armée nationale mais le bras armé du PCC, elle a donc pour mission première d’assurer la pérennité du régime et d’accroître le pouvoir politique du Parti, autrement dit sa capacité d’influence. Ce rôle politique de l’APL a été défini par Mao Zedong lors de la conférence de Gutian de décembre 1929, également connue sous le titre : « Comment éliminer les conceptions erronées dans le Parti ».
C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’élaboration de la doctrine des « Trois guerres » qui constitue donc une forme de guerre politique ( zhengzhi zhan) qui cultive des homologies avec la notion américaine de political warfare.
La doctrine des « Trois guerres » est composée de la guerre de l’opinion publique, de la guerre psychologique et de la guerre du droit. La guerre de l’opinion publique ( yulun zhan) vise, selon les théoriciens de l’APL, à façonner une opinion publique favorable à l’initiative politique et à la victoire militaire par l’utilisation de divers moyens médiatiques et ressources informationnelles. Pour l’APL, la guerre de l’opinion publique consiste à faire de « l’orientation cognitive » ( yindao renzhi) des publics, à « exciter leurs émotions » ( jifa qinggan) et à « contraindre leur comportement » ( yueshu xingwei). L’idée est donc d’imposer un récit. Cela peut conduire, par exemple, à agir sur l’opinion politique américaine afin qu’un conflit avec la Chine devienne inimaginable. Ce type d’opération est mis en oeuvre en temps de guerre comme en temps de paix.
La guerre psychologique ( xinli zhan) vise à démoraliser les forces ennemies, à les dissuader de toute action, à saper leur volonté de combattre. Elle peut également avoir pour objectif de briser le lien de confiance entre gouvernants et gouvernés, ou de perturber le processus décisionnel du pays ennemi. L’idée est donc de vaincre sans avoir à combattre ( bu zhan er sheng). À titre d’exemple, l’APL, via différents canaux (dont des faux comptes sur les réseaux sociaux), diffuse au sein de la société taïwanaise l’idée que l’armée nationaliste serait en état de déliquescence prononcé et incapable de résister à une invasion. La guerre du droit ( falü zhan), enfin, consiste à adopter un usage stratégique du droit dont l’ambition est de limiter la liberté d’action de son adversaire, avéré ou potentiel, ou a contrario d’accroître celle de la Chine. Il s’agit donc moins d’une « guerre juridique » que d’un affrontement de discours, l’objectif étant de montrer que la Chine est dans son droit. Les discours déployés autour du jugement de la Cour internationale d’arbitrage de La Haye sur le différend avec les Philippines en mer de Chine méridionale en 2016, ou encore les poursuites en diffamation de chercheurs ou de journalistes dans le but de les contraindre au silence, sont des illustrations de cette guerre du droit aux caractéristiques chinoises.
Mais la doctrine des « Trois guerres » n’est qu’une infime partie de la pensée stratégique chinoise qui fait preuve, depuis plusieurs années, d’une extrême vitalité. Les chercheurs et stratégistes chinois ont en effet mis au jour plusieurs concepts pour penser la guerre et les opérations d’influence. De nombreux travaux s’intéressent ainsi à ce que les Chinois nomment la « lutte dans le domaine cognitif » ( renzhi lingyu zuozhan). Il s’agit d’opérations destinées à établir un « pouvoir sur les cerveaux » ( zhinao quan), autrement dit façonner et contrôler les capacités cognitives de l’ennemi. Ce concept a notamment été développé par Zeng Huafeng, le doyen de l’école des humanités et sciences sociales de l’université nationale des technologies de défense basée à Changsha. Ces approches mêlent étroitement l’apport des sciences sociales, des sciences cognitives et, de plus en plus, de l’intelligence artificielle. Elles pourraient conduire à une évolution importante des opérations chinoises. Les Chinois ont également emprunté la notion de pouvoir discursif ( huayu quan) à Michel Foucault pour souligner la nécessité de construire la capacité de modeler informations, croyances et mentalités par la parole. Ces développements soulignent une dimension fondamentale : l’asymétrie de connaissance. Les Chinois connaissent en effet bien mieux nos travaux que nous ne connaissons les leurs. Le problème prend sa source dans le trop faible nombre de chercheurs ou experts susceptibles de faire connaître cette pensée stratégique en France et, plus largement, en Europe. Pour le dire autrement : nous manquons de « passeurs » capables de nous aider à appréhender cette pensée en mouvement.
Lorsque l’on parle d’opérations d’influence, un autre concept chinois demeure incontournable, celui de Front uni. Le terme renvoie d’abord à l’alliance forgée par les communistes et les nationalistes pour affronter l’ennemi commun japonais durant la Seconde Guerre mondiale ; mais le Front uni ne se limite pas à cette coalition, ni même à celles construites avec des forces non commu
La doctrine des « Trois guerres » n’est qu’une infime partie de la pensée stratégique chinoise qui fait preuve, depuis plusieurs années, d’une extrême vitalité. De nombreux travaux s’intéressent ainsi à ce que les Chinois nomment la « lutte dans le domaine cognitif ». Il s’agit d’opérations destinées à établir un « pouvoir sur les cerveaux », autrement dit façonner et contrôler les capacités cognitives de l’ennemi.
nistes afin de conquérir le pouvoir et faire advenir la révolution. Le Front uni consiste avant tout à « mobiliser les amis du Parti pour frapper ses ennemis » (Peter Mattis). Autrement dit, il s’agit de façonner les forces externes au Parti pour assurer sa pérennité. Élaboré à l’origine par Lénine dans son essai La maladie infantile du communisme (1920), le Front uni est l’une des trois « armes magiques » ( fabao) théorisées par Mao Zedong en 1938, les deux autres étant la lutte armée et la construction du Parti. Il s’agit donc d’entraver l’émergence de toute menace qui pourrait peser sur le Parti. Ces stratégies de front uni se déploient par cercles concentriques d’abord en Chine, où il s’agit d’éviter la constitution d’une force sociale hors du Parti, puis au sein des diasporas — celles-ci sont vues d’abord comme une menace car maîtrisant la langue et les codes culturels chinois tout en ayant été exposées aux idées libérales, elles sont les plus susceptibles d’importer en Chine ces ferments d’instabilité. L’un des objectifs fondamentaux du Front uni va donc être de contrôler les récits sur la Chine, au sein de la diaspora avant d’agir au-delà.
Une dernière notion mérite d’être évoquée : celle de « mesures actives ». Ce n’est pas une expression chinoise mais soviétique. Les mesures actives ( aktivnye meropriyatiya) étaient des opérations mises en oeuvre par le Service A de la Première direction générale du KGB (ancêtre du SVR) afin d’exercer une influence sur la vie politique d’un pays ou sa politique étrangère, mais aussi de saper sa volonté, semer la discorde ou attiser les tensions existantes. Même si les services chinois ne semblent pas employer cette notion, leurs opérations d’influence puisent indéniablement dans le répertoire d’actions constitué par le KGB. C’est ce que révèle par exemple l’étude minutieuse des opérations mises en oeuvre au début de la pandémie.
S’agit-il d’une stratégie de préservation, d’attaque ou de déstabilisation ?
L’objectif premier du PCC est naturellement la pérennisation du régime, le maintien de son monopole. Mais cette ambition ne doit pas être seulement appréhendée selon une logique interne. La politique étrangère, comme la politique de défense, sont également soumises à cet objectif. Les opérations menées parmi les diasporas font ainsi partie de cette stratégie de préservation du pouvoir. Elles prospèrent donc naturellement à l’étranger et accompagnent la montée en puissance de la Chine. Ces opérations, telles Protée, prennent toutefois des formes extrêmement variées : soutien financier à des hommes politiques prochinois (cf. le cas Sam Dastyari en Australie), prise de contrôle des médias sinophones partout dans le monde, création de faux-nez et de trolls sur les réseaux sociaux, mise en oeuvre de campagnes d’astroturfing [faux mouvements citoyens spontanés], création d’ONG internationales orientées contre les intérêts américains (No Cold War), sanctions économiques contre les entreprises et les États (NBA, H&M), « diplomatie des otages » (Michael Kovrig et Michael Spavor), efforts pour façonner les études chinoises, intimidation contre les chercheurs et journalistes (1), etc.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’obsession de la préservation de son monopole conduit progressivement le Parti à une ambition révisionniste sur la scène internationale. C’est le sens, il me semble, de deux des leitmotivs du Parti : « la communauté de destin pour l’humanité » ( renlei mingyun gongtongti) et la « solution chinoise » ( zhongguo fang’an). Cette communauté, que la Chine appelle de ses voeux, n’est rien d’autre qu’un système international plus conforme aux normes, valeurs et institutions chinoises. Cette ambition passe donc aussi naturellement par des campagnes de délégitimation de l’idée démocratique particulièrement observables durant le pic de l’épidémie. Les démocraties libérales étaient alors présentées comme incapables, du fait de la nature de leur régime politique, d’assumer la gestion sanitaire de l’épidémie.
Dans quelle mesure les outils de guerre informationnelle ont-ils été utiles à Pékin dans le contexte de pandémie mondiale, alors que l’image de la Chine a été sérieusement écornée ?
Depuis un an et demi, on assiste à un effondrement de l’image de la Chine. Elle est de plus en plus mal perçue, non seulement en Occident mais aussi presque partout dans le monde, y compris dans sa périphérie. En Corée, où elle jouissait pourtant jusqu’à peu d’une très bonne image [voir p. 60], le niveau de mécontentement atteint 75 % selon des études récentes. Cette image s’est dégradée du fait de sa gestion de la crise mais aussi en raison de sa nouvelle diplomatie des « loups guerriers » [voir p. 54] qui relève d’une posture plus coercitive. En somme, si la Chine a obtenu quelques succès locaux, comme en Serbie, c’est globalement un échec sur la scène internationale. Je serais toutefois plus réservé sur les diasporas, où les récits véhiculés par le Parti semblent mieux reçus.
Récemment, CGTN — la chaîne de télévision d’État chinoise autorisée à diffuser en français — a diffusé sur son site des articles d’une journaliste française ayant voyagé au Xinjiang et qui démentait les accusations de travail forcé des Ouïghours (2). Par quels biais intervient la stratégie chinoise ?
Les opérations d’influence chinoises sont menées par une multitude d’acteurs dont font partie les médias officiels tels CGTN. L’élaboration et la mise en oeuvre de ces politiques, à l’instar de toute politique publique en Chine, s’accompagnent souvent de redondances, de compétitions et d’incohérences bureaucra
tiques, chaque agence poursuivant son propre agenda. Il faut donc impérativement se déprendre de la représentation d’une Chine comme un bloc monolithique à l’efficacité administrative exceptionnelle. Le pouvoir est souvent contraint à de multiples compromis pour faire avancer ses projets et peine à coordonner son action.
Les acteurs d’opérations d’influence relèvent des trois piliers du régime que sont le PCC, l’État et l’armée, auxquels s’ajoutent des entreprises. Trois départements du comité central du PCC jouent ainsi un rôle direct en matière d’influence : le département du Travail de Front uni dont j’ai évoqué la mission, le département de la Propagande et le département des Liaisons internationales. À l’origine, ce dernier était chargé des relations de parti à parti avec le monde communiste, mais assume désormais une diplomatie parallèle avec l’ensemble des partis politiques. À la marge du Parti, il faut également citer la Ligue de la Jeunesse communiste (LJC), une organisation de masse comptant plus de 80 millions de membres âgés de 14 à 28 ans.
Jouant traditionnellement le rôle de réservoir de talents et d’armée de réserve du Parti, la LJC mène désormais des opérations d’influence et de désinformation à l’étranger. Du côté de l’État, plusieurs acteurs participent également aux opérations d’influence. On peut mentionner bien sûr les deux services de renseignement : le ministère de la Sécurité d’État ( guo’anbu) et le ministère de la Sécurité publique ( gong’anbu), mais aussi par exemple le Bureau des Affaires taïwanaises, investi dans la lutte informationnelle en direction de l’île. L’armée, quant à elle, dispose de plusieurs unités engagées dans les opérations d’influence dont la base 311 (unité 61716) de Fuzhou, en face de Taïwan, spécialisée dans l’application de la doctrine des « Trois guerres ». Ajoutons enfin un certain nombre d’acteurs privés qui viennent soutenir la politique informationnelle du pouvoir, tels Huawei ou GTCom (3).
Quels sont les leviers d’action de ces acteurs ?
Le répertoire d’actions est extrêmement large mais peut être scindé en deux grandes catégories. Une première série de moyens repose sur la séduction. Il s’agit en l’espèce de construire une image positive de la Chine susceptible de séduire à l’étranger. Cette stratégie passe d’abord par une mise en récit méliorative des réussites passées ou présentes de la Chine. Le Parti met ainsi en avant la tradition (la figure de Confucius, la médecine traditionnelle), le supposé modèle chinois, sa bienveillance (voir les campagnes en Asie du bâtiment hôpital de la marine Peace Ark) ou encore sa puissance (scientifique, culturelle, technologique, sportive, etc.). Cette stratégie poursuit également l’ambition de démonétiser les « images erronées » de la Chine comme celle de la « menace chinoise » ( China threat theory).
Une seconde série de moyens relève au contraire de la contrainte et de l’infiltration. Il ne s’agit plus dès lors de susciter l’adhésion ou la sympathie mais de faire plier ou de tromper. J’ai mentionné plusieurs manifestations de ces stratégies mais revenons sur certains cas. Durant les manifestations hongkongaises de 2019, Daryl Morey, alors directeur général des Houston Rockets, une équipe de la National Basketball Association (NBA) américaine, a retweeté une image sur laquelle était écrit : « Fight for freedom, stand with Hong Kong ». La sanction du PCC a été immédiate et d’autant plus forte que la franchise de Houston a accueilli de 2002 à 2011 la star du basket chinois, Yao Ming, et qu’elle est la seconde équipe préférée du public chinois. Par mesure de rétorsion, les partenaires chinois de la NBA ont suspendu leurs liens avec la ligue de basket américaine. Les excuses de Daryl Morey n’ont pas suffi à calmer l’ire de Pékin et les médias chinois ont annoncé qu’aucun match de la pré-saison ne serait diffusé sur leurs antennes. Les matchs de la NBA ont pu être à nouveau diffusés sur les chaînes chinoises le 10 octobre 2020, après un an de purgatoire, mais les raisons du retour en grâce de la NBA ne sont pas connues. Les médias chinois ont déclaré que la NBA avait fait preuve de « bonne volonté continue » et manifesté son soutien à la Chine dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19.
Ces stratégies ne sont pas toujours déployées directement et passent parfois par des intermédiaires (individus, associations, entreprises) qui favorisent une posture de déni. Le PCC a ainsi développé des liens avec des think tanks qui servent de relais pour diffuser les récits chinois. On peut identifier trois cas de figure : les partenaires ponctuels servant de caisse de résonance sur les marchés des idées locaux (comme le fait l’IRIS en France avec son « Forum de Paris sur l’initiative “la ceinture et la route” », co-organisé avec l’ambassade de Chine), les alliés de circonstance qui travaillent avec le Parti de manière régulière (comme le fait, en France également, la Fondation Prospective et Innovation dirigée par Jean-Pierre Raffarin) et les complices qui partagent avec le PCC une vision commune du monde et dont les intérêts sont convergents (comme l’Institut Schiller). Ces acteurs constituent un élément essentiel dans le disposi
Nous serons vraisemblablement amenés à connaître, en France, le même type d’opérations que celles, très dures, lancées aujourd’hui sur le sol australien.
tif des opérations d’influence chinoises. Si le PCC use donc d’un répertoire large, un certain nombre de contradictions entre les stratégies de séduction et de contrainte se font jour, qui pourraient imposer le choix d’une ligne plus nette.
Comment se manifeste la stratégie informationnelle chinoise en Asie et ailleurs ?
Le PCC mène des opérations d’influence dans son environnement immédiat et en particulier à Taïwan et Hong Kong depuis fort longtemps. Mais depuis quelques années, on observe tout à la fois un accroissement rapide du volume des opérations menées, une diversification des moyens mobilisés, ainsi que la complexification et l’expansion géographique des opérations. Cela signifie deux choses : d’abord que nous serons vraisemblablement amenés à connaître, en France, le même type d’opérations que celles, très dures, lancées aujourd’hui sur le sol australien [voir p. 72] ; ensuite, que la compréhension de ces opérations (doctrines, modi operandi, effets) est un enjeu colossal. En définitive, c’est une image probable de notre avenir que nous pouvons entrevoir en Australie et à Taïwan. Nous aurions tort de ne pas en tenir compte.
En juillet 2020, Washington annonçait la fermeture du consulat chinois de Houston, « noeud central des opérations d’influence du Parti communiste aux États-Unis », « afin de protéger la propriété intellectuelle des Américains ». Quelle est la réalité des opérations menées depuis ce consulat sur le sol américain ?
En l’espèce, il ne s’agit plus d’influence mais d’espionnage. Le nombre de cas judiciarisés, formidable matière pour les chercheurs qui s’intéressent au renseignement chinois, révèle, notamment aux États-Unis, un espionnage scientifique, économique et politique massif. Mais il faut toutefois préciser que cet espionnage n’est pas toujours le fait du Parti, de l’État ou de l’armée, mais peut être aussi conduit par des acteurs privés aux motivations variables. Dans le cas de
Houston, il est particulièrement malaisé d’évaluer de l’extérieur le rôle du consulat dans le dispositif chinois, tant les États-Unis ont donné peu d’informations à ce sujet. Ce qui est certain, c’est que le gouvernement américain a fait des opérations d’influence chinoises un enjeu capital, la Chine devenant ainsi l’une des missions majeures de ses services de renseignement. Les déclarations récentes de la directrice du Renseignement national (DNI), Avril Haines, sont assez révélatrices sur ce point et montrent que le consensus est bipartisan.