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L’économie de l’Iran en 2022 : en attendant… le retour des États-Unis dans l’accord de Vienne
Plongé dans une crise économique depuis plusieurs années, où en est l’Iran aujourd’hui ? Et quelles sont les perspectives économiques pour Téhéran, alors que ces dernières seront en grandes partie liées à l’évolution des négociations en cours au sujet d’un éventuel retour des États-Unis dans l’accord de Vienne, et qu’il ne faudra pas s’attendre à une politique de libéralisation économique de la part du nouveau gouvernement d’Ebrahim Raïssi ?
La dernière décennie a été particulièrement difficile pour l’économie iranienne, car marquée par plusieurs années caractérisées par une baisse de l’activité et une accélération de l’inflation. Cette situation s’explique en grande partie par la mise en place de sanctions internationales contre l’Iran, du fait de tensions liées au programme nucléaire iranien. En 2011-2013, ce sont les sanctions bilatérales de l’Union européenne et des États-Unis ainsi que les sanctions multilatérales de l’ONU qui ont pesé sur l’économie iranienne. Plus récemment, depuis 2018, ce sont les sanctions américaines, réimposées après la sortie des États-Unis de l’accord sur le nucléaire de 2015, qui ont eu un impact négatif. De plus, à partir de 2020, l’Iran a également dû faire face aux conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19, étant le pays le plus touché par cette pandémie au Moyen-Orient.
Le poids des sanctions américaines
L’économie iranienne est plongée depuis 2018 dans une sévère crise économique et sociale. Cette situation est le résultat direct de la sortie des États-Unis de l’accord sur le nucléaire en mai 2018. L’économie iranienne semblait alors sur la voie du redressement. La levée des sanctions induite par l’accord de Vienne avait conduit à une très forte croissance en 2016 (+8,8 %) et 2017 (+2,7 %) d’après le FMI. L’inflation, en grande partie grâce
à la stabilisation du taux de change sur le « marché libre », de nouveau grâce à la levée des sanctions, avait ralenti d’un point haut à 34,7 % en 2013 à 9 % en 2016 (1). Par ailleurs, la politique d’ouverture économique d’Hassan Rohani commençait à porter ses fruits puisque les flux d’investissements directs étrangers atteignaient 5 milliards de dollars (source : CNUCED) en 2017, soit le niveau le plus élevé depuis la Révolution.
De ce fait, le retournement, après l’annonce par Donald Trump d’une réimposition des sanctions américaines, est particulièrement brutal. Anticipant une pénurie en matière de devises, les intervenants sur le marché « libre » des devises accroissent leurs achats de dollars. La monnaie américaine s’envole par rapport au rial progressant de 55 530 rials en avril 2018 à près de 284 000 rials en octobre 2020, soit une appréciation de 411 % durant cette période (graphique 1) ! Le gouvernement iranien tente alors de rationner les devises et établit un taux de change officiel à 1 dollar pour 42 000 rials pour les importations de produits « essentiels ». Tous les importateurs qui ne peuvent accéder au taux de change officiel subissent une très forte hausse des prix de leurs achats à l’étranger et la répercutent sur leurs prix de vente en Iran. Cette hausse des prix à l’importation se diffuse, comme d’habitude, très rapidement dans l’ensemble de l’économie iranienne. Parallèlement, l’État iranien subit de plein fouet l’embargo pétrolier et l’accroissement des sanctions contre le système bancaire iranien. L’Iran n’arrive quasiment plus à exporter de pétrole — les exportations pétrolières de l’Iran reculent d’un peu plus de 2 millions de barils par jour en 2017 à moins de 190 000 barils en 2020 — et les devises obtenues grâce à des ventes déjà effectuées sont bloquées à l’étranger. Or, les ventes de pétrole représentent une part importante des revenus de l’État, près de 70 % en 2016 quand les sanctions avaient été levées. De ce fait, le déficit budgétaire s’accroit et l’État a recours à la création monétaire pour le financer : la croissance de l’agrégat monétaire M2 accélère de 22,1 % en 2017 à 40,6 % en 2020 (source : Banque centrale d’Iran). Dans ces conditions, l’inflation explose de 9 % en 2016 à 36,4 % en 2020 (graphique 2). Parallèlement, la croissance s’effondre. Les entreprises font face à une demande des ménages en baisse compte tenu du très fort recul du pouvoir d’achat de ces derniers (à cause de l’accélération de l’inflation). Parallèlement, les entreprises qui importent des produits intermédiaires pour leur production doivent faire face à une très forte hausse de leurs coûts (du fait de la dépréciation du rial) et doivent alors réduire leur activité ou y mettre fin. La croissance en Iran recule donc de +2,7 % en 2017 à -2,2 % en 2018 et -1,3 % en 2019 (graphique 3).
L’économie iranienne est plongée depuis 2018 dans une sévère crise économique et sociale. Cette situation est le résultat direct de la sortie des États-Unis de l’accord sur le nucléaire en mai 2018.
Par ailleurs, l’Iran fut le pays au Moyen-Orient le plus touché par la Covid-19, avec fin avril 2022, plus de 140 000 décès selon l’OMS. Les autorités iraniennes, inquiètes sans doute des conséquences économiques de la pandémie, ont choisi de rouvrir assez rapidement, dès la fin avril 2020, les activités fermées au début de la crise. Parallèlement, le gouvernement a annoncé mobiliser des fonds, pour soutenir les secteurs et personnes les plus affectées, correspondant à près de 10 % du PIB ; ces actions sont financées grâce à des privatisations et un recours au National Development Fund, le Fonds souverain de l’Iran (2). Enfin, on peut noter que l’aide des institutions financières internationales à l’Iran pour faire face à cette pandémie a été très faible, les ÉtatsUnis, fidèles à leur politique de « pression maximale » contre l’Iran s’opposant à ce que ce pays bénéficie d’un prêt de 5 milliards du FMI pour faire face aux conséquences de la Covid-19.
Une reprise fragile dans un contexte d’inflation galopante
Au total, la volonté de maintenir l’activité économique a pu permettre de limiter l’impact économique de cette crise. D’après le FMI, la croissance a ainsi atteint +1,8 % en Iran en 2020 alors qu’en Arabie saoudite, pourtant beaucoup moins touchée par la Covid-19 que l’Iran (3), l’activité a reculé de 4,1 % durant cette même année (4) (source : FMI).
Enfin, l’économie iranienne semble avoir bénéficié depuis la fin 2020 d’une hausse de ses exportations pétrolières. Ces dernières ont atteint 605 000 barils par jour en 2021, soit un triplement par rapport au niveau de 2020 (source : OPEP). Ce rebond s’explique principalement par une hausse des achats de la Chine et une « permissivité » des États-Unis qui n’ont pas sanctionné ces achats. L’objectif des autorités américaines était sans doute de montrer à l’Iran qu’elles veulent, à l’opposé de l’administration précédente, privilégier la diplomatie pour régler les problèmes entre les deux pays. Ceci, allié à la baisse de l’intensité de la pandémie à partir du deuxième semestre 2021, explique l’accélération de la croissance en 2021, qui a atteint 4 %, après +1,8 % en 2020. Cependant, il faut noter que l’inflation reste très élevée.
D’après le FMI, la hausse des prix a accéléré en Iran en 2021 (+40 %) par rapport à 2020 (+36,4 %). D’après le Statistical Center of Iran (SCI), la hausse des loyers à Téhéran a même atteint en glissement annuel 48 % fin 2021, ce qui constitue la plus forte hausse enregistrée depuis 20 ans (5). Début 2022, la hausse des prix pour les produits alimentaires et le tabac atteignait 50 % par rapport à la même période de l’année précédente (source : SCI). Pour les pains et les céréales, aliments traditionnellement fortement consommés par les classes les plus pauvres, la hausse début 2022, en glissement annuel, atteint même près de 60 % !
La Chine, bouée de sauvetage de l’économie iranienne ?
L’Iran est donc tombé dans une profonde crise économique et sociale depuis 2018. Cette situation s’explique essentiellement par le retour des sanctions américaines après la sortie des ÉtatsUnis de l’accord de Vienne en mai 2018. On sait qu’aucun pays, à part la Chine, n’a tenté de s’opposer aux sanctions américaines et à maintenir ses relations commerciales avec l’Iran. On peut noter que le commerce de la Chine avec l’Iran a été rendu possible par l’utilisation du yuan comme monnaie d’échange : les exportations pétrolières iraniennes étaient créditées en yuans dans un compte bancaire en Chine, ce qui permettait à l’Iran d’importer des produits de Chine (6). Les autorités iraniennes ont bien tenté de mettre en place des stratégies visant à limiter l’impact des sanctions. On sait maintenant que les dirigeants iraniens ont maintenu un courant d’exportations de pétrole vers la Chine depuis 2018 en développant des canaux de ventes en dehors des voies officielles, en dissimulant que le pétrole venait d’Iran (7). L’Iran a également signé un accord de partenariat stratégique avec la Chine de 25 ans début 2021 qui pourrait notamment lui permettre à terme de renforcer ses relations économiques avec ce pays (8). Les courants les plus radicaux en Iran soutiennent en effet l’idée d’un renforcement des relations économiques avec la Chine et la Russie pour lutter contre la sanctions américaines (9). Or, cet accord de long terme avec la Chine, qui a commencé à être appliqué en juin 2022 ne peut pas, à lui seul, permettre à l’Iran de sortir de la crise économique actuelle, puisque la Chine a, depuis 2018, été également affectée par les sanctions américaines contre l’Iran.
Début 2022, la hausse des prix pour les produits alimentaires et le tabac atteignait 50 % par rapport à la même période de l’année précédente. Pour les pains et les céréales, aliments traditionnellement fortement consommés par les classes les plus pauvres, la hausse début 2022, en glissement annuel, atteint même près de 60 % !
Contourner les sanctions, un enjeu économique
Parallèlement, l’Iran a tenté de développer ses exportations non pétrolières dans les pays proches car ces ventes, souvent payées en liquide, échappent ainsi relativement facilement aux sanctions américaines. On peut noter que la dépréciation de la monnaie iranienne depuis 2018 donnait d’ailleurs un avantage compétitif décisif aux exportateurs iraniens dans les marchés de la région. Cependant, depuis 2018, on ne note pas vraiment d’accélération des exportations non pétrolières iraniennes dans les pays géographiquement proches (10). Il semblerait qu’un certain nombre d’entreprises iraniennes qui devaient importer des biens intermédiaires, pour produire et exporter, aient dû limiter leur production, du fait de la hausse du coût de ces importations (11). Autre stratégie utilisée pour le contournement des sanctions, l’Iran a utilisé les cryptomonnaies pour payer ses importations : des fermes de minage en provenance de Chine auraient été installées en Iran, bénéficiant du faible coût de l’énergie dans ce pays, ce qui permet d’obtenir des bitcoins pour payer les importations (12). De nouveau, il est probable que ceci n’ait pas suffi pour vraiment limiter l’impact de l’embargo pétrolier (on évoque des revenus annuels d’1 milliard de dollars). Parallèlement à ces réactions des autorités, on a également constaté une hausse du commerce de contrebande dans les régions périphériques (Kurdistan, Sistan-Baloutchistan, Hormozgan, etc.). Néanmoins, là aussi, il semble que cette activité n’ait pas pu réellement compenser le recul des revenus induit par la dégradation de la situation économique depuis 2018.
Une crise sociale préoccupante
Cette difficulté à préserver l’économie des sanctions se reflète dans la crise sociale que traverse ce pays depuis 2018. On sait que les entreprises iraniennes, face à un recul de la demande finale (du fait du recul du pouvoir d’achat des ménages causé par l’accélération de l’inflation et une hausse de leurs coûts de production, notamment celles qui importaient des biens intermédiaires), ont réduit leurs effectifs en 2018 et 2019. De plus, la reprise de l’activité depuis 2020 ne s’est pas vraiment traduite par une reprise des embauches compte tenu du maintien d’un environnement très incertain pour les entreprises. En 2012, le taux de chômage « réel » avait été estimé par le Statistical Center of Iran en intégrant les personnes qui travaillent moins de 16 heures par semaine (il suffit de travailler une heure par semaine, pour ne pas être déclaré au chômage) et celles qui occupent un emploi « fictif » ; on arrivait à un taux de chômage « réel » de 22,9 % (alors que le taux de chômage officiel était estimé à 12,2 % en 2012). Compte tenu de l’instabilité de la croissance depuis, il est probable que le taux de chômage « réel » est resté proche de 20 % (il était officiellement estimé à 8,9 % à l’automne 2021). La situation est particulièrement préoccupante pour les jeunes. À l’automne 2021, le taux de chômage des 15-29 ans était officiellement estimé à 23,6 %. La gravité de la crise du chômage semble être un facteur conduisant beaucoup d’Iraniens à choisir l’émigration ; les Iraniens auraient ainsi représenté près de 30 % des migrants arrivés au Royaume-Uni de manière illégale par la Manche entre janvier 2020 et mai 2021 (13) [voir l’analyse de C. Duhamel p. 18]. D’autre part, la très forte accélération de l’inflation depuis 2018 a conduit à la paupérisation d’une grande partie de la population. On peut même considérer qu’au total, en grande partie à cause des sanctions, l’inflation élevée a contribué durant la dernière décennie à l’érosion de la classe moyenne iranienne : près de 8 millions d’Iraniens seraient passés de la classe moyenne à la pauvreté entre 2011 et 2020 (14). En février 2022, un député déclarait que 25 % de la population iranienne habitait dans un logement précaire. En outre, les manifestations des catégories sociales touchées de plein fouet par cet effondrement de leur pouvoir d’achat se multiplient : ouvriers, instituteurs, retraités…
Un accord avec Washington indispensable à la reprise économique ?
Aborder la question des perspectives de l’économie iranienne implique évidemment de prendre en compte les négociations en cours au sujet d’une éventuelle réintégration des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire iranien de juillet 2015. De nombreux membres des mouvances les plus radicales en Iran étaient contre cet accord. Ces groupes ont depuis le début de la crise économique en Iran en 2018, multiplié les critiques contre le gouvernement de Rohani en insistant sur le fait que ce dernier mettait trop en avant l’impact des sanctions américaines pour « justifier » les difficultés de l’Iran. Dans ces conditions, le gouvernement d’Ebrahim Raïssi a, juste après son élection, donné l’impression qu’il n’était pas pressé de poursuivre les négociations commencées à Vienne en avril 2021 au sujet d’un retour des États-Unis dans le Plan Global d’Action Commun (JCPoA). Ces mêmes dirigeants ont pu également croire qu’il leur était possible de mettre fin aux difficultés économiques en cours sans levée des sanctions américaines. Or, en dépit du redémarrage de la croissance enregistrée en 2021 avec +4 % (après +1,7 %
en 2020), il semble que les autorités iraniennes aient dorénavant compris qu’il était impossible d’améliorer l’environnement macroéconomique de l’Iran sans retour des États-Unis dans l’accord de Vienne. En effet, l’accélération de la croissance en 2021 s’explique en grande partie par le recul de la pandémie, notamment durant la deuxième partie de l’année. En outre, l’économie iranienne, on l’a vu, reste très dépendante des revenus pétroliers. Or, si les exportations pétrolières ont augmenté depuis la fin 2020 — de 150 000 barils par jour au troisième trimestre 2020 à 700 000 barils par jour au premier trimestre 2022 —, elles restent loin du dernier point haut de 2 millions de barils par jour, atteint début 2018. Il est donc quasiment impossible que la croissance reparte et que l’inflation ralentisse s’il n’est pas mis fin à cet embargo pétrolier. Ceci explique donc pourquoi le gouvernement iranien a repris les négociations de Vienne en novembre 2021 et a, au cours des discussions, fait preuve de pragmatisme. Toutefois, il n’y pas eu, à ce jour, d’accord final.
L’impact de la guerre en Ukraine
L’autre élément important à prendre en compte pour analyser ces perspectives est l’impact du conflit en Ukraine. A priori, l’impact de ce conflit pourrait être plutôt positif pour l’économie iranienne. Celle-ci, compte tenu de sa dépendance pétrolière, pourrait bénéficier d’une hausse des revenus pétroliers cette année. Évidemment, cet impact serait accru si l’embargo pétrolier était levé en cas d’accord… À plus long terme, les discussions en cours sur la question de la dépendance de l’Union européenne vis-à-vis du gaz russe soulignent le rôle que pourrait jouer l’Iran, détenteur des deuxièmes plus grandes réserves mondiales de gaz pour contribuer à la diversification des importations de l’UE. Cependant, l’Iran, du fait d’une forte de sécheresse, a déjà enregistré une forte augmentation de ses importations de blé en 2021 — qui auraient atteint 8 millions de tonnes contre 3 millions de tonnes en moyenne (15) — dont il est très dépendant, car elles représentent près de 30 % de sa consommation. De ce fait, en cas de forte augmentation du prix du blé cette année due au conflit en Ukraine, l’Iran pourrait subir une hausse du coût des importations dans ce domaine (16).
De plus, la décision des autorités iraniennes de supprimer les subventions à l’importation de médicaments et de blé (en utilisant un dollar à 42 000 rials) à partir de mars 2022 a déjà conduit à une forte augmentation des prix des aliments comme le pain et les macaronis en avril 2022 et même à des manifestations de protestation dans le Sud de l’Iran (17). Face à cette situation, le gouvernement iranien a annoncé qu’il allait mettre en place des subventions pour les consommateurs, ce qui pourrait amplifier l’impact en interne de cette hausse du prix du blé à l’importation.
Quelle politique économique pour le gouvernement actuel ?
Les perspectives de l’économie iranienne sont donc essentiellement liées aux négociations en cours sur le nucléaire iranien. Ces incertitudes sont amplifiées par l’absence de clarté dans la politique économique du nouveau gouvernement. Ce dernier a bien annoncé un certain nombre de mesures visant à aider les classes sociales les plus défavorisées comme la construction de logements à des prix subventionnés pour les plus pauvres.
Les perspectives de l’économie iranienne sont essentiellement liées aux négociations en cours sur le nucléaire iranien. Ces incertitudes sont amplifiées par l’absence de clarté dans la politique économique du nouveau gouvernement.
Cependant, on ne distingue pas de véritable ligne directrice dans les mesures annoncées par le gouvernement iranien. La seule décision marquant un choix de politique économique concerne la décision déjà évoquée de supprimer l’utilisation du taux de change officiel d’un dollar à 42 000 rials car il favorisait la création de « rentes » et les possibilités de corruption. Il est évident qu’une telle décision pourrait conduire à une nouvelle accélération de l’inflation si jamais les États-Unis ne reviennent pas rapidement dans l’accord de Vienne.
Dans tous les cas, on peut plutôt anticiper une politique économique en rupture avec la politique initiale de libéralisation économique du gouvernement précédent. Il est difficile en effet de s’attendre, dans un environnement politique iranien marqué par le contrôle des radicaux de toutes les institutions politiques, à un début de normalisation des relations diplomatiques avec les États-Unis. Or, on n’assistera pas à une hausse des investissements étrangers en Iran — compte tenu de la sortie des États-Unis de l’accord en 2018 — tant que ces relations ne s’amélioreront pas. Par ailleurs, il est également peu probable que le gouvernement iranien s’engage dans une politique visant à accroître le poids du secteur privé. Les soutiens politiques du gouvernement actuel sont en effet très proches du secteur parapublic iranien — soit les entreprises des Fondations « révolutionnaires » et des pasdarans, qui représenteraient près de 20 % de
II semble que les autorités iraniennes aient compris qu’il était impossible d’améliorer l’environnement macroéconomique de l’Iran sans retour des États-Unis dans l’accord de Vienne.
l’économie. Ce secteur, qui bénéficie de nombreuses « rentes » liées à sa proximité politique avec le coeur du pouvoir est évidemment opposé à la montée en puissance d’un véritable secteur privé. On peut noter à ce sujet que Mohammad Mokhbér, premier vice-président, a été le président d’une des plus importantes fondations, Setad Edjraï Farman Imam, de 2007 à 2021.
Sans doute, il ne faut pas négliger le pragmatisme des autorités iraniennes. Le nouveau gouvernement en fait déjà preuve puisqu’il est en train de négocier au sujet d’un retour des ÉtatsUnis dans l’accord de Vienne alors que de nombreux soutiens de ce gouvernement étaient contre cet accord. On aura une première réponse à ces questions quand les autorités iraniennes aborderont le dossier du Groupe d’action financière (GAFI). Ce groupe d’action intergouvernemental qui lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme a mis l’Iran sur sa « liste noire » en 2020, car ce pays n’avait pas voté des lois permettant plus de transparence de son système bancaire. En fait, les lois proposées dans ce domaine par le gouvernement précédent se sont heurtées à une opposition totale des plus radicaux craignant que cette transparence ne permette aux « ennemis » de l’Iran d’obtenir des renseignements sur l’aide financière apportée aux « alliés » régionaux comme le Hezbollah (18). Or, cette présence de l’Iran sur cette liste noire est un facteur décourageant les banques étrangères d’établir des relations avec les banques iraniennes. Là encore, l’avenir dira quelle sera la stratégie choisie par le gouvernement d’Ebrahim Raïssi par rapport à cette question.
La dernière décennie a donc été particulièrement difficile pour l’économie iranienne du fait principalement des tensions induites par le programme nucléaire iranien. On verra dans les prochains mois si l’Iran et les 5+1 arrivent à se mettre d’accord à ce sujet. Une issue « positive » à ces négociations pourrait permettre une stabilisation de l’environnement économique iranien et une diminution, bienvenue pour la population iranienne, des tensions sociales en cours.
Notes
(1) Source : FMI.
(2) Policy Responses to Covid-19, IMF (imf.org).
(3) Fin avril 2022, l’Arabie saoudite avait enregistré 9082 décès dus au Covid-19 d’après l’OMS, chiffre relativement faible par rapport au nombre de décès enregistrés par l’Iran si on le rapporte à la population (34,8 millions en 2020). Source : Banque mondiale.
(4) Le recul des prix du pétrole a notamment eu un impact négatif sur l’activité en Arabie saoudite en 2020. L’impact a été moins élevé en Iran car le volume des exportations pétrolières iraniennes a été très faible cette même année du fait des sanctions américaines.
(5) « La hausse des loyers de logements a battu un record sur les 30 dernières années », Eghtesadonline, 8 novembre 2021.
(6) L’UE avait mis en place le même système de compensation avec l’Iran, avec l’euro comme monnaie d’échange. Ce système de compensation n’a quasiment pas été utilisé par les Européens. On peut par ailleurs noter que la Chine a quand même dû réduire ses achats de pétrole à l’Iran du fait des sanctions américaines.
(7) Bred Sudetic, Omid Shokri, « Iran sanctions evasion and the Gulf complex oil trade », Middle East Institute, 11 mai 2021.
(8) Le contenu de cet accord n’a pas été révélé par les dirigeants des deux pays. A priori, cet accord a des dimensions politiques, économiques et militaires. On peut supposer que compte tenu de la dépendance de la Chine en matière d’importation d’énergie, cet accord, pour la Chine, vise à garantir à long terme un approvisionnement en pétrole et en gaz naturel de la part de l’Iran. Il est également possible que cet accord rentre dans le cadre du projet chinois de « nouvelles routes de la soie » et implique des investissements chinois en Iran dans le secteur des infrastructures. On peut également penser que cet accord inclue des investissements chinois en Iran dans le secteur de l’énergie.
(9) Le gouvernement iranien a ainsi annoncé fin 2021 que des négociations pour mettre en place un partenariat stratégique avec la Russie, semblable à celui signé avec la Chine, avaient commencé.
(10) Les seuls pays proches géographiquement dans lesquels l’Iran a augmenté ses exportations non pétrolières de 2017 (avant l’imposition des sanctions américaines) à 2021, sont l’Irak et la Turquie (source : Iran Trade Promotion Organization). Cela n’a pas suffi pour compenser le recul des exportations pétrolières durant cette période.
(11) « Quatre facteurs conduisant à l’affaiblissement de l’industrie », Donia eqtesad, 25 avril 2022. (12) Rachel Armstrong, William Mc Lean, « Iran uses crypto mining to lessen the impact of sanctions, study finds », Reuters, 21 mai 2021.
(13) Matt Dahan, « Iranians are 29% of channel migrants », The Times, 16 novembre 2021.
(14) Djavad Salehi-Isfahani, « Iran’s middle class and the nuclear deal », Brookings, 8 avril 2021.
(15) « Iran wheat import soar due to drought », graincentral.com, 12 octobre 2021.
(16) La Banque mondiale évoque une possible augmentation des prix du blé de 40 % cette année. « Commodity Market Outlook”, World Bank, avril 2022.
(17) « Reportage de la BBC : ils ont empêché les protestations contre la hausse du prix du pain à Izeh », BBC Persan, 7 mai 2022.
(18) Les deux lois proposées par le gouvernement d’Hassan Rohani ont été votées par le Parlement puis rejetées par le Conseil des gardiens de la Constitution, dominé par les radicaux. Elles sont toujours en discussion au Conseil du Discernement de l’Intérêt Supérieur du Régime, qui intervient en cas de désaccord entre le Parlement et le Conseil des gardiens de la Constitution. Ceci signifie qu’il est toujours possible que le Conseil du Discernement approuve ces lois.