« Agriculteur, c’est savoir prendre des risques »
Agé de 30 ans et originaire d’Ermenouville, Victor Leforestier anime des ateliers d’agriculture de conservation en France mais aussi à l’étranger. Pour une autre manière de cultiver et surtout de préserver les sols grâce à différentes techniques.
Vous prônez l’agriculture de conservation mais quelle est la différence avec la culture traditionnelle ?
L’agriculture de conservation se base sur trois grandes pratiques : la réduction du travail du sol, la couverture quasi permanente et l’enchaînement de cultures pour diminuer l’utilisation de l’engrais chimique. Nous ne pratiquons pas de labour de la terre, c’est-à-dire que les résidus restent en surface pour nourrir les sols. Par exemple, les feuilles protègent de l’érosion, un phénomène bien connu dans le pays de Caux. Les vers de terre remplacent l’action mécanique de l’agriculteur. La vie du sol a besoin de matière organique pour fonctionner et se nourrir. Quelles sont vos actions au quotidien ?
Je compte m’installer avec mes parents dans environ deux ans. A Sainte-Colombe [près de Veules], ils sont propriétaires d’une ferme d’un peu plus de 100 ha. Par ordre d’importance, nous cultivons les pommes de terre, le lin, les betteraves sucrières, les betteraves rouges et le blé. Comme dit précédemment, il n’y a pas de travail de labour. Nos sols ont une couverture permanente, soit avec des plantes vivantes soit avec des résidus comme la paille. L’hiver, la norme impose à tout cultivateur deux mois de couverture ; nous, nous allons plus loin en allant jusqu’à quatre mois. Mais tout se rejoint : nous perturbons nos sols le moins possible et nous lui donnons à manger. Quels sont les bénéfices de l’enchaînement de cultures ?
En agriculture de conservation, on sème des plantes qui ont besoin d’azote après celles qui en produisent. Dans les habitudes, le cultivateur met donc du colza après le blé. Nous, nous choisissons de mettre du colza avec des légumineuses qui produisent de l’azote. On peut aussi semer deux fois de suite des cultures d’hiver et deux fois de suite des cultures de printemps pour épuiser les mauvaises herbes. L’objectif est de retrouver la terre dans un meilleur état qu’au début car nous la sollicitons beaucoup. Grâce à cette technique, le cultivateur peut économiser jusqu’à 30 kg d’azote. Pourquoi avoir invité Brendon Rockey, un agriculteur du Colorado, le 20 février dernier ?
Pour le moment, une cinquantaine d’agriculteurs du département utilisent les méthodes de la culture de conservation. Avec l’association Base – Biodiversité agriculture sol et environnement –, nous tentons d’organiser une à deux rencontre- conférence par an. Celle sur la pomme de terre a eu lieu dans notre ferme car c’est une culture fragile, difficile à intégrer dans les pratiques de l’agriculture de conservation. Nous étions une soixantaine de personnes de six départements différents à la recherche d’idées. Nous nous intéressons aux innovations. Où avez-vous puisé vos idées ?
De mes voyages à l’étranger mais aussi de mes nombreuses lectures. Cette pratique n’est pas nouvelle mais encore peu utilisée. On parle d’agriculture de conservation depuis les années 60 et les théories les plus avancées datent de 30 ans. Deux associations en ont fait leur fer de lance : Base dont je fais partie et l’Apad, l’Association pour l’agriculture durable. Nous sommes en lien permanent avec la chambre d’agriculture et l’association Sol en Caux. Nous avons la même philosophie que les agriculteurs bio, mais eux, ils continuent de labourer et nous, nous tentons d’utiliser moins de produits. Pourquoi s’intéresser plus particulièrement à la pomme de terre ?
Le lin et les pommes de terre sont des cultures bien adaptées au sol et au climat de la SeineMaritime. La pomme de terre est sensible aux maladies et pousse directement dans les terres. La qualité de la récolte est donc liée à la qualité du sol. Nous allons tester des choses comme la culture avec des légumineuses qui vont piéger l’azote dans l’air. Dans le département, c’est une culture importante et son impact est fort sur les sols à cause de l’érosion. Elle est plus agressive mais très rentable. L’idée est d’instaurer un système plus résiliant pour retrouver une qualité des sols et donc une qualité des eaux, mais aussi une qualité nutritionnelle de la production.