Fiduciaire ou scripturale ?
« Allez, souriez, un petit rictus, souriez… c’est pour créer des emplois ! » Le ton était suffisamment pressant pour que je ne cède pas à l’injonction du jeune homme qui faisait la promotion de l’Agnel ce samedi matin sur le marché. Les sourires sur commande, ce n’est pas mon truc, même avec des créations d’emploi à la clé.
Il s’agissait d’adhérer à l’Agnel, la monnaie locale complémentaire pour « participer à l’évolution d’une société juste et durable » . C’est simple : je cotise 15 €, je signe la charte et ensuite j’échange un euro contre un Agnel avec lequel je peux payer les producteurs et artisans locaux adhérents.
Ce samedi-là, je faisais mon marché habituel : poisson aux Barrières, fruits, légumes, et neufchâtel bien faits. Rien que du local, payé en euros. Que m’apporterait de plus l’Agnel ?
Je me suis donc renseignée sur internet et j’ai vu que nous étions devant un truc compliqué, mais bizarrement on passait de la définition de l’Agnel (ça, j’ai compris !) directement aux bienfaits revendiqués : « environnemental, local, porteur d’humanité et de sens » . Ça aussi j’ai compris, mais il manquait une étape intermédiaire, celle de l’explication du mécanisme dans lequel les questions comptables se bousculent. Que deviennent les euros versés ? Qui régule le change euro/Agnel ? Déclare-t-on au fisc ses revenus en Agnels ? Et ainsi de suite.
Le pêcheur dieppois qui achète son fuel à un distributeur paiera en euros. Tout comme la savonnerie brayonne qui fa- brique un lait corporel « ânesse et argan » paiera son argan en euros. Et moi, je dois aller à la banque chercher des euros pour acheter… des Agnels. Force est de constater que dans la chaîne des transactions, le passage de l’Agnel semble bien anecdotique. De là à créer des emplois comme l’affirmait l’ordonnateur de sourires sur le marché, on a le temps de voir venir…
Sur les sites internet dédiés aux monnaies locales, on parle de monnaie fiduciaire ou scripturale. Moi, j’aimerais mieux comprendre ce qu’apporte de plus l’Agnel quand on fréquente déjà la filière locale ? Comment cette monnaie « porteuse d’humanité », peut-elle créer des emplois ? J’ai l’impression que pour expliquer tout cela il faudra à ses défenseurs beaucoup, beaucoup, beaucoup de pédagogie… « Allez, souriez ! »