« Les technocrates En Marche vont devoir descendre de Jupiter »
Après en avoir écumé les coulisses en tant qu’assistant parlementaire, Sébastien Jumel siège désormais au sein de l’hémicycle représentant la face visible du palais Bourbon, l’Assemblée nationale. Il livre ses premières impressions de député et fixe le ca
Au lendemain de votre élection, vous avez affirmé avoir changé de stratégie par rapport aux campagnes législatives précédentes, en vous focalisant moins sur Dieppe. Expliquez-nous.
J’ai tiré l’enseignement que la population avait besoin de contact direct. Alors j’ai soigné Dieppe, mais je suis également allé à Forges, Neufchâtel, Blangy… avec le soutien de plus de 300 militants qui m’ont aidé à battre la campagne. Ça a porté ses fruits. Comment avez-vous vécu la soirée du 1er tour, où vous vous qualifiez d’une poignée de voix ?
Selon beaucoup de monde, je partais challenger, donc j’étais tranquille ! Mais la soirée était surréaliste. Une radio m’a demandé ma réaction à la suite de mon élimination en 4e position. Même si je disposais de chiffres qui me plaçaient 2e, dans ces cas- là, forcément, le doute s’installe… Vous avez effectué vos premiers pas à l’Assemblée nationale en tant que député. Vos impressions ?
J’accueille mon nouveau rôle avec enthousiasme et fierté. Le 4 juillet, en tant que porte-parole de mon groupe, j’ai pris la parole face à tout l’hémicycle. C’était un baptême du feu impressionnant mais d’après les retours, je pense avoir réussi l’exercice. Les lieux, en revanche, ne vous étaient pas inconnus…
J’ai effectivement été l’assistant parlementaire de Christian Cuvilliez [entre 1997 et 2002]. Cette charge laisse des traces et certains se souviennent de vous. Je ne découvrais pas l’endroit, mais rentrer par la grande porte, ça fait assez drôle ! Rêviez-vous de ce destin ?
Pas du tout : je ne suis pas de ceux qui, tout-petits, savaient en se rasant ce qu’ils voulaient devenir. Par ailleurs, cette charge implique beaucoup de sacrifices personnels, notamment le renoncement à profiter pleinement de ses proches. Quelque part, c’est un choix égoïste. Mais aujourd’hui, cette élection souligne la cohérence de mon combat et la constance de mon projet. Ce mandat s’articule entre politique nationale et défense des intérêts locaux. Cela n’implique-t-il pas certaines contradictions ?
Je suis attaché à la République une et indivisible et j’estime qu’il ne faut pas confondre intérêt général et somme des intérêts particuliers. Toutefois, ces intérêts peuvent coïncider. D’abord, la circonscription de Dieppe est tellement grande qu’elle me confère une légitimité forte. Ensuite, l’ancrage territorial donne une grille de lecture, qui permet de mesurer l’impact des lois sur la vie réelle. Les amendements, les avis prononcés et l’ensemble de mes réflexions à l’échelle nationale se nourrissent de mes connexions avec les gens que je rencontre dans ma circonscription. À l’Assemblée nationale, vous êtes noyé dans une majorité En Marche. Quelle sera votre marge de manoeuvre ?
D’abord, je ne suis pas noyé car je nage bien ! Et d’autre part, il est possible de figurer parmi l’opposition tout en étant respecté. Dans les commissions en particulier. J’ai notamment su trouver les arguments pour faire élire François Ruffin au bureau de celle des affaires économiques, où je siège également. D’autre part, chaque groupe dispose d’une « niche » parlementaire : une fois par an, l’Assemblée nous appartient, et nous pouvons formuler nos propositions de lois. Quelles propositions comptez-vous faire ?
Nous allons soumettre un texte au sujet de la ruralité prenant en compte les problèmes de démographie médicale, la fracture numérique, l’accès aux études supérieures, en plaidant pour le maintien de bassins de vie à taille humaine afin de préserver les services de proximité, et tendre vers le désenclavement des zones rurales. L’agriculture, la pêche ou le renouveau industriel figurent également parmi nos principales préoccupations. Des exemples de mesures concrètes ?
Pour compenser la désertification médicale, il faudrait former plus de professionnels, en relevant le numerus clausus, et territorialiser le diplôme [affecter les diplômés au territoire d’obtention de leur examen]. Ça choque certains médecins mais cette mesure me semble indispensable. D’autre part, nous souhaitons l’adoption d’un moratoire pour empêcher la fermeture des services publics. Porte-parole de votre groupe, chargé des relations avec la France Insoumise… En quoi consiste votre double casquette ?
Notre groupe, Gauche démocrate et républicaine, se compose de 11 communistes et 5 ultramarins. Nous sommes trois porte-parole en charge notam- ment de tenir les conférences de presse nationales. Avec les Insoumis, le dialogue est très cordial et très franc, même s’il n’y a pas d’accord d’appareil. J’ai un rôle de trait d’union entre nos deux groupes. Pourquoi avoir constitué deux groupes distincts ?
Avoir deux groupes démultiplie notre temps de parole. Chaque entité a droit à deux questions par séance en session ordinaire : ensemble, nous en aurons donc quatre. Nous aurons également chacun notre niche parlementaire. Je n’évacue pas le fait que nous ayons une sensibilité quelque peu différente sur certains sujets, mais j’ai mouillé le maillot pour Mélenchon durant la présidentielle, et nous serons en rangs serrés sur de nombreux sujets. Que pensez-vous des choix de François Ruffin : se payer au Smic, avoir un mandat révocable, proposer à un jury populaire de gérer sa réserve parlementaire… ?
J’apprécie François Ruffin, d’autant plus que nous sommes presque voisins. Mais sur la réserve parlementaire, la question ne se pose pas puisqu’elle doit être supprimée. Je ne suis pas favorable à la révocation car je suis attaché à la démocratie représentative, même si les allers-retours avec la population doivent être multipliés. Enfin, sur l’indemnité, je pense qu’il a d’autres sources de revenus… Vous étiez très critique à l’égard de la majorité socialiste. Vous attendez-vous à « pire » avec En Marche ?
Beaucoup de visages ont changé, mais s’agissant des idées, on prend les mêmes et on recommence. Et si l’âge a baissé, les classes socio-professionnelles ont augmenté ! Beaucoup sont des technocrates… mais ils vont vite devoir descendre de Jupiter pour se rendre compte de la réalité des gens ! Un mot sur Edouard Philippe, que vous n’avez pas ménagé durant votre premier discours ?
J’ai du respect pour lui, voire plus. Il est brillant, humainement à la hauteur, et je sais qu’il sera à l’écoute de mes propositions. Cela ne m’empêchera pas de m’attaquer à sa politique.