À 93 ans, Pierre n’a jamais pris de vacances !
Résident de Quiberville-sur-Mer depuis sa naissance en 1924, Pierre Ras est officiellement en retraite depuis une trentaine d’années. Il ne s’est pourtant jamais arrêté. À 93 ans, il continue d’aider son fils dans la ferme qu’il a toujours connue.
Né à Quiberville-sur-Mer en 1924, Pierre Ras, 93 ans, baigne dans l’agriculture depuis son plus jeune âge. S’il concède avoir « levé le pied » depuis quelques années, il assure n’avoir quasiment pris aucun jour de repos depuis son entrée dans le métier, à l’adolescence. En retraite depuis une trentaine d’années, il prête depuis main-forte à son fils Michel, qui a repris les rênes de l’exploitation.
Souvenirs de guerre
« Mes parents tenaient une ferme juste à côté, mais c’est ici, dans la ferme qui appartenait à ma tante, que j’ai réellement commencé à travailler »
, explique Pierre Ras. En 1939, il a 15 ans lorsque la guerre éclate.
Les hommes mobilisés, il n’a pas d’autre choix que de prendre le relais dans l’exploitation familiale qui produit lait, viande, lin, betteraves et céréales. « Les Allemands m’ont réquisitionné sur les chantiers des blockhaus, indique le nonagénaire. Je devais donc travailler des deux côtés, mais j’essayais d’en faire le moins possible pour eux ! »
De cette période, il se remémore le rationnement, notamment du pain, les conduisant à « écraser du blé pour fabriquer le [leur] » . Il garde également un souvenir ému du fameux raid du 19 août, « une catastrophe, un carnage » . S’il se rappelle les nombreux cadavres de Canadiens « étendus en bordure de route à Pourville » , il souligne que les Alliés ayant accosté entre Quiberville et Sainte- Marguerite ont pu pénétrer dans les terres, et même « faire sauter des canons longue portée des Allemands » .
À la libération, l’occupant bat en retraite en emportant de nombreuses bêtes des fermes du secteur, deux chevaux de la famille Ras. « Nous avons su qu’ils en avaient abandonné au moment de traverser la Seine, nous sommes donc allés voir : de nombreux animaux morts noyés jonchaient les berges… » , déplore-t-il. Des pertes non négligeables, à une époque où la mécanisation n’en était qu’à ses premiers balbutiements.
« À chaque soc, une ferme disparaît »
« À l’époque, on labourait avec des charrues d’un seul soc, tirées par un cheval, rappelle- t- il. Aujourd’hui, elles en comptent souvent neuf ! À l’arrivée de ces nouvelles charrues, certains disaient qu’à chaque nouveau soc, une ferme disparaissait. Ils n’ont pas eu tout à fait tort. »
Ainsi, s’il se réjouit en voyant les machines arriver en masse au début des années 1950, son enthousiasme diminue peu à peu. « Ça nous a permis d’effectuer certaines tâches plus rapidement, c’est vrai, reconnaît l’agriculteur. Mais les investissements demandés sont désormais trop importants pour être rentables. » Il constate d’ailleurs avec regret qu’énormément de paysans ont dû abandonner la filière laitière : « Quand on travaille pour être en déficit, on finit par arrêter… »
Marié en 1947 et père de six enfants, Pierre a perdu son épouse il y a deux ans. « J’ai été épargné par les problèmes de santé, pas elle » , lâche-til, abandonnant un instant le sourire qui ornait jusqu’ici son visage.
Reconversion forcée
En septembre, son fils Michel va prendre sa retraite. « Il souhaite reconvertir la ferme en chambres d’hôtes » , confie l’infatigable Quibervillais. Les 70 vaches, veaux et boeufs composant le cheptel sont ainsi en passe d’être vendus. Un crèvecoeur pour celui qui baigne dans l’agriculture depuis près d’un siècle ?
À l’écouter, pas vraiment : « Je n’ai pas peur de m’ennuyer. Pour m’occuper, j’ai encore l’entretien des fleurs et du potager ! »