Aux 14 victimes
Un an après l’incendie du Cuba Libre, à Rouen, un hommage a été rendu aux 14 victimes. Parmi elles figuraient Mégane, une jeune de la région dieppoise. Son père, Johnny Autin, a laissé exprimé sa colère.
Un après-midi de recueillement, teinté de tristesse et de désarroi. Telle était l’atmosphère qui a régné, dimanche 6 août, à Rouen face au Cuba Libre. Un an après l’incendie qui a coûté la vie à 14 personnes, les familles se sont remémoré leurs enfants, parfois avec colère.
Seul un crissement métallique strident signale le début du temps de recueillement. Il n’est pas encore 14 h, dimanche 6 août, lorsque la boulangerie attenante au Cuba Libre baisse son rideau. L’avenue JacquesCartier est vide, la circulation est coupée. Les premiers proches des victimes commencent à affluer. Le silence est roi.
« Le temps s’est arrêté »
Isabelle et Ali patientent, quelques dizaines de minutes avant l’hommage aux 14 victimes de l’incendie du Cuba Libre. Ophélie, 20 ans, était leur nièce. Sur le trottoir d’en face, deux personnes attendent, fleurs à la main. Isabelle et Ali sont la tante et l’oncle d’Ophélie. La jeune fille fêtait ses 20 ans quand la cave du Cuba Libre s’est embrasée.
Un an après le drame, le même sentiment envahit chaque parent, chaque proche, chaque ami : « Le temps s’est arrêté » . Ce que la devanture du bar confirme. Rien n’a changé depuis un an, car l’enquête est toujours en cours. Une plaque de contreplaqué barre l’accès à son intérieur, rongé par les flammes parties des bougies du gâteau d’anniversaire d’Ophélie, dans la nuit du 5 au 6 août 2016.
C’est au pied de cette planche de bois que Johnny Autin, originaire de la région dieppoise, dépose un bouquet de roses blanches. Sa fille, Mégane, 20 ans elle aussi, a péri dans le brasier accéléré par l’isolant phonique qui recouvrait la cave. Quand il se redresse, c’est pour accrocher un portrait de sa fille, jeune femme souriante, sur le contreplaqué transformé en autel.
Dos au Cuba Libre, Johnny Autin laisse venir à lui la nuée de journalistes présents. Il prend la parole, d’abord pour s’exprimer sur la tristesse qui ne le quitte plus depuis le drame : « Je me sens très mal. Ma vie est brisée. Posez-moi la même ques- tion dans dix ans, ce sera toujours pareil. Aujourd’hui, c’est la journée de nos enfants ».
Le maire de Rouen pris à partie
Très vite, le père de Mégane évoque le volet judiciaire de l’affaire, pointant du doigt les deux gérants de l’établissement, mis en examen pour homicide involontaire. Mais le père meurtri attaque surtout Yvon Robert, le maire de Rouen, qui selon lui « n’a rien fait pour les familles » : « Il nous a manqué de respect, ne s’est préoccupé de rien. On lui a demandé une plaque avec les noms, il a mis une pancarte. C’est intolérable. Je vais demander sa démission, pour la sécurité des Rouennais » .
Une trentaine de minutes après le début de l’hommage, Yvon Robert arrive. Il est accompagné de l’ancienne députée, Valérie Fourneyron, et de son adjointe, Christine Rambaud. Son arrivée scinde la foule en deux : près du bar, la famille d’Ophélie ne quitte pas les fleurs des yeux, mais derrière elle, certains fixent le maire, muet. « Il n’a pas honte » , râlent plusieurs.
La mairie de Rouen est montrée du doigt par les familles pour n’avoir pas fait fermer le Cuba Libre avant qu’un drame ne s’y produise, et pour n’avoir réagi qu’après. La Ville a toujours assuré « ne pas savoir » dans quel état était le lieu, précisant que sa catégorie n’en faisait pas un endroit à contrôler. Des excuses jamais acceptées par les familles, comme l’explique Rémy Hubert, père de Zacharia, DJ le soir du drame : « Ce que l’on cherche, c’est à mettre la Ville de Rouen en responsabilité. Qu’elle ne nous dise pas qu’elle ne connaissait pas cet endroit ».
Mais plus encore qu’une question de procédure, c’est l’attitude la Ville de Rouen à l’égard des familles des victimes qui ne passe pas. Rémy Hubert reproche à l’édile socialiste de ne pas avoir organisé l’hommage du premier anniversaire. Johnny Autin a, lui, réclamé « la politesse de respecter les 14 victimes » , sous une longue salve d’applaudissements.
La tension créée par la présence d’Yvon Robert est aussi exacerbée par un autre élément, plus profond chez certains proches, que Rémy Hubert résume : « Il n’y avait pas qu’Ophélie, il n’y avait pas qu’une victime, il y en avait 14 » .
« Regardez ce que nos enfants ont respiré »
L’homme aurait voulu que l’hommage soit organisé par la mairie ou toutes les familles, par souci d’égalité, donc il s’est paré d’une chemise noire, en opposition aux hauts blancs demandés par Naomie, la meilleure amie d’Ophélie, qui a tout organisé.
Face à tant de peine, le maire de Rouen n’a dit que peu de mots : « Je n’ai pas à me mettre en avant sur un drame pareil » , évacue-t-il, assurant que la plaque commémorative tant décriée « pourra être modifiée » . À côté de lui, Valérie Fourneyron retient ses larmes, les yeux embués. Furieux après la mairie, Thierry tend à Yvon Robert un carré noir : « Regardez ce qui est écrit sur l’emballage : « Ne doit pas être en contact avec une flamme ».
Ce carré, c’est l’isolant phonique dont les murs de la cave étaient recouverts. « Toujours en vente » , assurent Rémy Hubert et Thierry, le père de Florian, une des 14 victimes. Pour démontrer la non-conformité du matériau, Rémy Hubert incendie le carré tendu à Yvon Robert par Thierry, sur le trottoir face au Cuba Libre. Un attroupement se crée alors autour du plastique en combustion : « Regardez ce que nos enfants ont respiré, c’est du mazout ! », hurle une mère.
Un hommage sous tension
L’avenue Jacques-Cartier est ainsi scindée en deux. D’un côté, une cinquantaine de personnes, dont la famille d’Ophélie, se recueillent en silence, écoutent les morceaux diffusés à son enterrement, lâchent des ballons blancs dans le ciel. De l’autre, un carré de plastique fumant, symbole du drame, fait monter une pression déjà terrible. Mais des deux côtés, la même douleur. Simplement pas la même façon de l’exprimer.