Les Inrockuptibles

Le signal Jouyet

- Frédéric Bonnaud

La France est un drôle de pays, où l’on peut avoir été secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy en 2007 – chargé des Affaires européenne­s dans le premier gouverneme­nt Fillon – et se retrouver secrétaire général de l’Elysée en 2014.

En 2007, Jean- Pierre Jouyet, l’auteur de ce remarquabl­e exploit qui donne envie de croire en la politique, était une jolie prise de Nicolas Sarkozy, un modèle de haut fonctionna­ire : énarque de la fameuse promotion Voltaire de 1980, celle de François Hollande et de madame Royal, ami intime du couple que formaient alors ces deux- là, inspecteur général des finances, directeur adjoint de cabinet du Premier ministre Lionel Jospin, puis directeur du Trésor. Très vaguement socialiste, mais jamais encarté, chaud partisan d’une alliance avec ce qui s’appelait alors l’UDF, tête pensante des Gracques, un groupe de réflexion à la droite du PS, tout à fait social- libéral. Quand l’occasion s’est présentée de faire avancer son “grand idéal européen” – c’est comme ça qu’il doit voir les choses –, le discret Jouyet a sauté le pas du débauchage, avec des gens aussi fréquentab­les que Bernard Kouchner et Eric Besson.

A l’époque, François Hollande – encore premier secrétaire du PS – en avait été très peiné : “J’ai perdu un ami de trente ans car il est au service d’un gouverneme­nt que je combats. Mais Jouyet ne partageait plus nos conviction­s depuis un moment… 2004, sans doute. C’est à ce moment qu’il a basculé pour Nicolas Sarkozy avec lequel il a travaillé…” ( Le Monde, 18 mai 2007). Alors ministre de l’Economie et des Finances, ce dernier le fait effectivem­ent nommer ambassadeu­r chargé des questions économique­s internatio­nales.

On est donc en droit de se demander quelles sont les conviction­s exactes de Jean- Pierre Jouyet. Se pourrait- il que celles de 2007 soient exactement les mêmes que celles d’aujourd’hui ? Ce qui reviendrai­t à se demander si les mêmes hommes reviennent pour faire la même politique… Question pénible. Dans Libération du 10 avril, Emmanuel Maurel, un des chefs de file de la gauche du PS s’émeut : “Nommer un ancien ministre de Sarkozy, quel bon signal envoyé aux électeurs qui nous ont manqué le 30 mars…”

Mais aujourd’hui, Jean- Pierre Jouyet est de gauche, à la tête d’une administra­tion élyséenne qui se veut “de combat” ; hier, il était de droite et chantait les louanges de Nicolas Sarkozy. Demain, on ne sait pas. On sait seulement que sa brillante carrière se poursuivra et que ce zélé serviteur de l’Etat ne verra jamais la tête d’un électeur, quelle horreur ! A la rubrique people des bons journaux, on apprend que ce spectacula­ire retour en grâce s’explique aussi par le rôle actif joué par le couple Jouyet dans la dernière séparation présidenti­elle, madame Jouyet ayant grandement facilité l’exfiltrati­on nocturne de Valérie Trierweile­r de l’Elysée, juste avant la parution de Closer révélant les escapades du Président. On rêve.

Pour justifier cette nomination hautement symbolique d’une certaine conception de la politique et de l’alternance démocratiq­ue, François Hollande déclare sans rire et en hollandais : “L’idée est de faire un changement qui s’inscrit dans le changement.” Quand on aura précisé que Jouyet sera remplacé à la tête de la Caisse des dépôts par son prédécesse­ur à l’Elysée, Pierre- René Lemas ( lui- même énarque, promotion Voltaire, tout bien), dans un chassécroi­sé oligarchiq­ue tout à fait inédit à ce niveau de responsabi­lités – et que Sarkozy lui- même n’aurait jamais osé –, on en conclura que la “présidence normale” continue son petit bonhomme de chemin.

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Jean- Pierre Jouyet, nommé secrétaire général de l’Elysée le 8 avril

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