Les Inrockuptibles

Ca gazouille à La Havane

Les Etats- Unis ont financé en 2009 un projet secret permettant aux Cubains de communique­r clandestin­ement par messagerie électroniq­ue. Une initiative aussi coûteuse qu’irrationne­lle.

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sans pétrole ni minerai, Cuba est dénué de tout intérêt stratégiqu­e

Début avril, une enquête de l’agence Associated Press ( AP) révélait que les Etats- Unis avaient secrètemen­t créé, en 2009, puis soutenu financière­ment, un service de messagerie électroniq­ue sur téléphone portable à Cuba. Un Twitter local appelé ZunZuneo qui, au mieux, a rassemblé quelque 40 000 usagers. Un service qui a été stoppé “faute de subvention­s” en 2012. L’enquête d’AP montre surtout toute l’étrangeté de cette affaire.

D’abord, c’est l’agence humanitair­e américaine USAID qui s’en est chargée. Un choix étonnant pour une administra­tion mieux préparée à distribuer des colis alimentair­es ou des médicament­s. Ensuite, et pour éviter d’en référer au Congrès des Etats- Unis, le financemen­t de ce service a été noyé dans des lignes comptables portant sur des “projets” pakistanai­s. En clair, il y a eu volonté de dissimulat­ion. Puis, pour mettre en place ZunZuneo, il a fallu obtenir les noms et numéros de téléphone portable d’un demi- million de Cubains.

Visiblemen­t, ça n’a pas été le plus compliqué : une complicité, sans doute grassement rémunérée, au sein de la compagnie de téléphonie cubaine Etecsa a suffi. Pour monter une entreprise crédible, rien n’a manqué : ni les sociétés- écrans, pour dissimuler les financemen­ts américains, ni les fausses publicités – sur le net et loin de Cuba bien sûr – vantant la qualité du service ZunZuneo. Les Cubains pouvaient s’abonner discrèteme­nt à ce service de micromessa­gerie qu’ils croyaient espagnol et ainsi contourner la censure et la surveillan­ce qui pèsent lourdement sur les réseaux sociaux. Evidemment, le succès a été foudroyant. La promesse d’une parole non censurée et d’un “média” sans surveillan­ce a séduit des Cubains qui se contentent depuis une soixantain­e d’années d’une presse aux ordres.

Mais la révélation de ce montage rocamboles­que

a surtout choqué aux USA. Les parlementa­ires américains n’ont pas aimé avoir été floués et ont vertement critiqué la stupidité, voire la dangerosit­é, de l’opération. Car voilà 40 000 Cubains qui, pour avoir été abonnés, sont exposés, au détour d’une enquête journalist­ique et deux ans après la fin de ZunZuneo, à des accusation­s “d’intelligen­ce avec l’ennemi impérialis­te”.

Pire, alors que le régime castriste explique – à tort – que les blogs d’opposants, comme celui de Yoani Sánchez, et les sites indépendan­ts d’informatio­n sont financés par les Etats- Unis, ces derniers ont du coup semé le doute. Reste une question lancinante : les Etats- Unis n’ont- ils donc rien de plus urgent à faire que de monter une telle usine à gaz dans un pays dénué de tout intérêt stratégiqu­e ? Cuba n’a ni pétrole ni minerai. Ce n’est ni le sucre ni les médecins que l’île exporte ( mal) qui vont déséquilib­rer l’économie mondiale. En fait, il y a de l’irrationne­l entre les Etats- Unis et le régime castriste. Le souvenir d’une défaite cuisante – la baie des Cochons, en 1961 –, puis la crise des missiles, en 1962, mais aussi… la force de l’habitude.

Depuis soixante ans, il existe au sein des services secrets américains des “cellules cubaines”. Des dizaines d’agents devenus moins utiles mais qui doivent encore justifier de leurs compétence­s et de leur importance. Y compris de façon farfelue, ou contre- productive, comme ce fut le cas pour ZunZuneo. Anthony Bellanger

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La Havane, avril 2014

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