Les Inrockuptibles

Elles et eux

La Revue de presse de Catherine et Liliane repose sur une équipe fidèle depuis de longues années. Reportage en coulisses.

- J.- M. D.

Face au miroir dans lequel se reflètent les éclats vifs de leur rouge à lèvres et de leur fond de teint, Catherine et Liliane quittent Alex et Bruno au petit matin : elles les avalent pour quelques heures. Quelques coups de pinceaux affûtés suffisent à effacer leurs aspérités viriles. A 10 heures, la silhouette féminine commence à prendre forme ; la naissance des deux filles dure près de deux heures et s’accomplit dans une salle d’opération logée au fond du couloir qui borde les bureaux animés du Petit Journal. Ce sont une maquilleus­e et une habilleuse fidèles qui les mettent au monde chaque lundi, dans un éternel recommence­ment. L’accoucheme­nt a lieu dans une ambiance familiale, sans accrocs, dans une humeur à la mesure de leurs créatures, désinvolte et amusée.

Alex Lutz et Bruno Sanches retrouvent leur petite bande chaque semaine. Les auteurs, Tom Dingler en tête, ont eu le temps durant le week- end de lister des thèmes pour la revue de presse et d’écrire quelques dialogues qu’Alex et Bruno relisent et peaufinent. Ce matin- là, les journaux ne parlent que de la défaite de la gauche aux municipale­s et du remaniemen­t qui se prépare. Les silhouette­s enfin prêtes, les visages grimés, les robes endossées, les chaussures à talons enfilées, les voix empruntées, Catherine et Liliane peuvent se diriger vers leur petit bureau installé au coeur de la rédaction du Petit Journal. Tout le monde rit à leur passage, comme si le plaisir de les voir parées de leurs plus beaux atours créait une bonne humeur contagieus­e dans tout l’étage. Le journalist­e de mode Loïc Prigent passe par là et nous confie être “grand fan” de Catherine et Liliane, qu’il avait invitées l’an dernier à un défilé Chanel où elles avaient fait fureur avec leur look

de secrétaire­s apprêtées, une allure éternelle en dépit de sa normalité désarmante.

Catherine et Liliane se posent sur des chaises, parmi une cohorte de jeunes journalist­es affairés, casque sur les oreilles, scotchés devant les images de la culture pop du week- end écoulé. La vie du Petit Journal se déploie autour d’elles, comme si la présence des deux secrétaire­s allait de soi, comme si on les remarquait à peine. Elles font partie du paysage, quitte à faire un peu de bruit avec leurs voix perchées. Ce jour- là, elles ont invité des chanteurs de gospel pour les accompagne­r sur une reprise de Prince, Kiss, répétée au pied levé une demi- heure plus tôt. Tout semble s’improviser comme ça, à la va- vite. “Tu vois, c’est assez freestyle”, confie Bruno, qui jouait déjà dans les sketches de Charlotte Le Bon. “On vient simplement avec notre bite et notre couteau”, renchérit Alex, après s’être déchaîné sur le refrain de Kiss.

Assis face à eux, à moins d’un mètre, le réalisateu­r et son cadreur, armé d’un simple Canon 5D sur pied, discutent avec eux de leurs postures. Ça bavasse sans cesse pour chercher à densifier le mieux possible une scène. Alex demande à voir les images sitôt la prise finie. Souvent, une séquence se joue plusieurs fois : tout n’est question que de rythme, de joie qui transpire. Il suffit qu’un rire de Catherine emporte Liliane dans un rire encore plus dingue, et le tour est joué. Plus que leur prose, c’est leur pose qui importe. Elles sont plus drôles que leurs propos. Elles le savent et en rient, avec leurs vannes souvent pourries : “Lourdes est passé à gauche, il fallait bien un miracle”, dit Catherine, pliée de rire. “Je ne peux plus respirer, je l’avais bien préparé”, et la spirale du rire se met en branle. Cet emballemen­t dans la joie est irrésistib­le.

Entre deux fous rires, Alex, Bruno et Tom évoquent une future randonnée à cheval en Islande. A cheval, sur un plateau, sur scène ou au cinéma ( ils tourneront cet été un film ensemble), les trois lascars ne se séparent jamais : cavaliers de l’Apocalypse, lectrices de Jours de France, chanteuses enjouées, ils et elles s’enchevêtre­nt sans cesse, comme leur vie. Un cirque permanent. Personne n’est parfait.

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