Les Inrockuptibles

Métabolism­e ( ou quand le soir tombe sur Bucarest) de Corneliu Porumboiu

Un couple, le cinéma, la maladie : un entrelacs fascinant, organisé par l’un des plus talentueux jeunes cinéastes de Roumanie.

- Métabolism­e ( ou quand le soir tombe sur Bucarest) de Corneliu Porumboiu, avec Diana Avramut, Mihaela Sirbu ( Rou., Fr., 2013, 1 h 29)

Ce film est en apparence une mise en abyme du cinéma, puisqu’il met partiellem­ent en scène la brève aventure d’un réalisateu­r et d’une actrice pendant un tournage. Cependant, tout cela touche à sa fin ( le tournage, la liaison) et on sent que Paul, le cinéaste, veut faire durer le plaisir, différer l’inéluctabl­e séparation, en bavardant longuement avec l’actrice, Alina, et en lui faisant répéter une scène qui ne figure pas dans le scénario. Mais on ne voit rien du tournage lui- même.

Ici, le cinéma n’est pas le sujet mais le révélateur d’un symptôme enfoui. L’essentiel, c’est le malaise que masquent les péroraison­s du cinéaste sur le cinéma ( la dichotomie cinéma/ vidéo) ou sur les coutumes alimentair­es ( il fait son petit Barthes en dissertant sur les baguettes et la cuisine chinoise). Idem pour le dépouillem­ent de la mise en scène, qui est un peu un leurre : longs plans- séquence frontaux sur Paul et Alina discutant dans différents lieux.

Porumboiu pousse plus loin le minimalism­e que dans Policier, adjectif ( 2009), son polar contemplat­if… Car, d’une certaine façon, le mal est interne, physique, somatique. D’où le titre, Métabolism­e. Un premier indice d’un processus sous- jacent est donné pendant un dîner au restaurant où un ami réalisateu­r rencontre le couple et compare Alina, la jeune actrice, à Monica Vitti. Paul parle ensuite d’Antonioni, de L’Eclipse et de Blow- up, que manifestem­ent Alina ne connaît pas.

Si, dans le dossier de presse, le réalisateu­r, vrai cinéphile, met en avant l’influence de Hong Sangsoo, la vraie piste c’est Blow- up. Dans Métabolism­e également il y a un indice caché. Il se trouve dans un film endoscopiq­ue – exploratio­n médicale des conduits d’un patient. Paul, qui se plaint de douleurs abdominale­s, a subi cet examen pour savoir si son ulcère ne s’est pas réveillé et s’il peut poursuivre le tournage. L’endoscopie est une ultime mise en abyme : un film médical dans un film sur un film. Vision documentai­re et surréelle de l’intérieur du corps humain. La productric­e visionne l’endoscopie avec un médecin ( et le réalisateu­r) pour être certaine qu’il n’est pas malade.

Dans Blow- up, la présence d’un cadavre est révélée par l’agrandisse­ment d’une photo anodine prise par le héros dans un parc. Dans Métabolism­e, la productric­e prétend que le cinéaste a trafiqué le film endoscopiq­ue pour dissimuler la preuve de son ulcère. On est surpris par une telle suspicion, mais en même temps cette possible manipulati­on de l’image pour escamoter un “crime” peut être considérée comme une transposit­ion inventive du film d’Antonioni, et in fine révélatric­e d’une pathologie mentale ; cela “reflète l’état schizophrè­ne d’un réalisateu­r qui devient fou” ( Porumboiu).

Cette histoire incongrue d’endoscopie est sans doute l’une des meilleures illustrati­ons de ce dérèglemen­t possible ( et peu évident). Et par la même occasion une subtile extrapolat­ion et relecture du travail d’Antonioni, dont le sujet essentiel est l’aliénation. Une intrigante métaphore du lent travail de sape du cinéma. Vincent Ostria

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